vendredi 26 juillet 2013

Hadjadj contre la "saine famille" de Michel Serres


Dans un article récent, Fabrice Hadadj réagit et contredit l'article de Michel Serres paru dans le magazine "Etude" sous le titre "La saine famille". Disputatio à quelques semaines d'écart pour éclaircir la nature de la Sainte Famille et la légitimation ou non du mariage homosexuel par la théologie catholique. Ces deux articles sont payants encore, je ne peux vous les mettre à disposition.
Parmi les catholiques, sans en connaître la proportion, il y a une séparation sur ce thème (dont voici deux exemples, ici et ), ces articles ne reprennent pas tous les arguments entendus, ils touchent plus particulièrement la délicate question de la défense de la famille "naturelle" et des liens du sang malgré tout.

Ici, Hadjadj fait oeuvre de santé publique en luttant contre les fausses évidences de notre temps. Les liens charnels, en plus d'être complétés et sanctifiés par le Christ dans ses liens avec Marie et Joseph, sont pris en exemple et utilisés par le Christ pour donner naissance à la fraternité universelle en lui, et non l'inverse. Ce n'est pas la fraternité universelle qui légitimerait les liens de sang.
Évitons tous les universalismes désincarnés qui, croyant offrir la paix au monde, éloignent de l'amour véritable qui est don reçu et, d'une certaine manière, toujours engendrement.
Les tendances modernes ne sont qu'un réchauffement de la gnose chrétienne méprisant l'incarnation, mettant en opposition la grâce et la nature, alors que cette première élève et guérit la seconde.
Cette gnose, en plus d'être une erreur est un chemin de fausse sagesse, de violence et d'indifférentiation, ne rendant hommage ni à Dieu, ni à l'homme.

In fine, la famille naturelle est l'icone de l'amour surnaturel. Saurons nous la protéger et l'honorer ?

Ci dessous, voici un résumé du texte de Fabrice Hadjadj.



Thèses de Michel Serres,
Serres prétend fournir un point de vue proprement théologique à la question du mariage homosexuel.
La thèse essentielle de Serres est que la Sainte Famille chrétienne déconstruit la famille naturelle. Il faudrait en tirer, alors, les conséquences.
En effet, en celle ci tout y est surnaturel, anormal, Il y aurait de la GPA dans l'annonciation, Joseph ne serait qu'un père adoptif. Les revendications homoparentales sont donc évangéliques.
Serres reproche à l'Eglise, dans ce débat, de se positionner sur des arguments anthropologiques et de refuser l'observation de l’Évangile.
Ensuite, Serres part des analyses de Francis Fukuyama sur le refus du moyen Age chrétien du mariage des hommes destinés à la prêtrise. Fukuyama pense que ce refus venait du désir d'empêcher la création de dynasties catholiques puissantes. Le célibat ne fut donc pas pour le "Royaume" mais contre les royautés dynastiques et surtout contre tout lien du sang.

Hadjadj diagnostique (en plus de la fragilité des arguments) un mépris de l'incarnation. Que sont devenus la généalogie des Évangiles ? Qu'est devenu le cousin Jean Baptiste ? La sainte famille refuse les liens de sang ?

Serres oppose les liens de sang raciaux, tribaux et excluant avec les liens choisis, liens libres et individuels, par amour. (ne parlons pas de la triade féminine perçue par Serres)

En quoi Serres est hérétique et est dans l'erreur par sa conception de la grâce.

Serres commet une erreur gnostique en mettant en contradiction le Dieu créateur et le Dieu rédempteur. En effet, il oppose Grâce et nature. Le surnaturel entre en concurrence avec le naturel et le culturel. La grâce chasserait l'ancien par le neuf (à l'encontre de Mt 13,5, du trésor sort du neuf et du vieux). Cette logique de la mode est aussi suggérée par le reproche fait à l'Eglise de s'appuyer sur des arguments anthropologiques. Or si l’anthropologie et la théologie diffère cela signifierait que l'incarnation de Jésus serait bancale et qu'il y aurait contradiction entre raison et foi. Le verbe incarné n'éclairerait pas vraiment le mystère de l'homme. Problème...

Serres voit aussi dans cette sainte famille une brisure avec l'ancien testament. Ce qui était exclusion tribale juive devient inclusion à tous.
C'est d'abord une vision étroite de l'élection juive qui oblige plus qu'elle n'exclut. (même si privilège, il y a) Puis, cela confirme la tendance gnostique de la pensée de Serres, qui voit dans la matière un piège créé par une entité mauvaise pour piéger les hommes destinés à être pur esprit. Dualisme de la liberté contre la nature, de la chair contre l'esprit, des liens de sang contre les essors de l'amour. Serres devient disciple de Valentin et Marcion.
Contre les cathares, Saint Thomas d'Aquin répétait : La grâce ne détruit pas la nature, mais l'achève, la comble.
La grâce complète la nature de l'homme. Elle l'affermit dans sa propre nature et la tire vers le surnaturel. Elle l'élève et la guérit. (Mathieu 5, 17, pas venu abolir mais accomplir.) Plus le Christ divinise, plus il humanise. Les deux vont ensemble. Tout homme est appelé à être greffé sur l'olivier franc.

Certes, le naturel humain est introuvable. Quelques fois réduit au  biologique et à l'animal ou bien en un ensemble d'invariants transculturels que l'on continue de chercher. Certains alors souhaitent le rayer de la carte. Car, en effet, la famille naturelle comme la raison, ne se trouve que rarement à "l'etat naturel". Mais la grâce ne vient pas renverser une nature perverse, elle vient guérir une nature blessée. L'affirmation du naturel est toujours un combat. Surtout quand la raison devient utilitariste... La "famille naturelle" devient autant trésor de la culture que don de la nature.

Amour de sang / Amour de charité

Mais pourtant le Christ ne nous a-t-il pas appris à aimer universellement quelle que soient nos identités non choisies ? Certes, cet amour dépasse les promiscuités mais il ne les défait pas.
De même, tout lien d'adoption se fabrique à partir d'un lien de sang préexistant. De même encore, la famille naturelle demeure l'analogie majeure pour exprimer le Royaume.
De même toujours, c'est au prix de son sang qu'il rachète tout homme et fait d'eux des frères. C'est par ce lien de sang tant honni par Serres que Jésus justifie la fraternité humaine, plus encore cette fraternité n'est pas un choix, une décision individuelle mais un fait auquel nous devons consentir et qui est difficilement choisissable vu le nombre d'enquiquineurs....
il y a un écart entre la fraternité chrétienne et "l'universalisme philanthropique, volontariste et plein de bonne conscience".
Pourquoi Serres a la certitude que les liens de sang seraient le principe de la violence et les liens adoptifs, choisis, les prodromes d'une civilisation de bonté ? Or les liens individuels purs sans lien de parenté est proche de la situation totale d'indifférentiation et donc propice à la guerre du tous contre tous.
N'est ce pas non plus dans ces horribles liens de sang que l'on peut découvrir l'amour le plus universel et l'amour sans condition, sans arbitraire, sans performances. L'adoption prend modèle sur cette parenté et non sur un marché des orphelins.
la charité trouve son analogie première dans les amours familiales les plus charnelles. Le Dieu qui veut nous ouvrir à l’amour inconditionnel de chaque visage savait ce qu’il faisait lorsqu’il créait l’homme et la femme : comment y aurait-il meilleure preparatio evangelica que ce qui procède des sexes ?

Les liens familiaux dans l'Evangile
Le terme adoption est utilisé par Saint Paul pour parler de notre vocation d'enfant de Dieu. Adoption qui nous permet de percevoir l'héritage divin. Cela est si proche de la filiation par engendrement que Saint Jacques préfère utiliser ce lexique. (Jc 1, 18)

Il ne faut pas diminuer, non plus, la paternité de Joseph. C'est de lui que Jésus retire sa généalogie. Jésus n'a pas d'autre homme pour père, Jésus est le fils de sa future femme légitime (et quelle légitimité!). Ce n'est pas de la nature qu'il tient sa paternité mais de l'auteur de la nature.Sa paternité est donc plus que naturelle.

Serres prétend aussi que Marie n'est pas absolument la mère, alors qu'elle est la mère absolument.
L'annonciation n'est pas vraiment un "choix individuel par amour" mais est le couronnement de l'ancien testament. Marie, nouvel Ève, qui ne dit pas "j'ai acquis un homme de par le Seigneur" (Gn 4,1) signe d'une possessivité étouffante qui explique souvent la stérilité débutante des matriarches, sevrage pour mieux accueillir le don du Tout Autre. Marie est le symbole extrême de cet accueil. L'annonciation est le contraire d'un planning, d'une PMA ou d'un GPA, d'une volonté démiurgique et de fantasmes de papa-maman.
Quel est, alors, le sens de l'Annonciation pour la famille naturelle ? Hadjadj répond :
Non pas défaire les liens du sang, mais rappeler, selon la constante affirmation juive, que le sang, c’est la vie, et que la vie ne nous appartient pas, qu’elle est mystère dans sa source et dans son embouchure, et que nous ne saurions avoir sur elle la mainmise sans la détruire.


Conclusion

La saine famille de Michel Serres ne vas pas dans la direction de la sainteté mais d'un certain hygiénisme psychologique, d'une normalisation technique et illusoire de la parenté. Rien ne remplacera l'accueil de ce qui nous est donné (malgré ses bêtises, ses péchés, ses faiblesses). Ce n'est pas en choisissant sa famille que l'on arrête ses névroses. C'est imaginer une cure radicale à nos maux intimes venant de la furie ténébreuse des sexes.
En croyant "rationnaliser" les relations, on va contre la révélation pour qui la famille "naturelle" est l'icone du surnaturel. La différence des sexes est cette ouverture folle au mystère d'amour constitutif de notre vie. Mystère si souvent broyé par non reconnaissance de l'amour et différence souvent reniée par l'orgueil du refus de l'insupportable fait.

dimanche 21 juillet 2013

Saint Thomas du Créateur - Chesterton

Vous ne connaissez ni Chesterton, ni Saint Thomas ?

Ce livre est fait pour vous.... Chesterton nous rend intime Saint Thomas et la pédagogie de la science de Saint Thomas nous expose Chesterton comme un homme brillant, bon (quoique taquin) rendant essentiel tout ce qu'il touche.


Saint Thomas du Créateur, n'est pas une hagiographie comme les autres. Elle honore, elle rend vivant, elle défend la foi et montre d'une manière sensible les apports théologique de Saint Thomas. Dans ce livre qui est un ode à l'apport réaliste de la théologie thomiste, notre admirable anglais nous rend vivant Thomas par son corps, ses passions, ses tourments, sa famille, son temps, ses questions. 
Il est historien pour défendre le temps béni (malgré tout) du 13ème siècle. Il est pédagogue pour nous faire découvrir la pensée du docteur angélique, il est chrétien pour nous rendre vitale et quotidienne la compréhension de l'orthodoxie catholique. 
On ne peut quitter le livre sans s'émerveiller de nos sens et de notre capacité à travers eux de connaitre la réalité et de faire un pas vers la vérité. Nous partons à la chasse de la complétude de l'être dans chaque créature et création. Cette théologie nous rend scientifique, logique mais aussi poète, elle nous fait goûter la beauté de toute chose et nous montre le chemin vers Dieu par les sens. Le chrétien, l'homme complet, est l'homme qui sent et qui dit que cela est bon et rend grâce. Méfions nous de nos pessimismes, ils peuvent nous faire oublier l'essentiel, la joie de la création, ici, présente. Oublions nos vanités, faisons confiance aux sens et arrêtons nous de nous tromper sur l’être....
  Soyons catholiques, soyons des hommes complets !


I Deux moines mendiants.
Chesterton introduit son sujet en "comparant" les deux grands saints du XIIIeme siècle. St François et St Thomas. Soulignant leur opposition et leur "succès" récent.
Par leurs différences, il montre la richesse spirituelle de cette période, en quoi elle fut un épanouissement. Elle est le socle d'une orthodoxie renouvelée (notamment par  Aristote), moins augustinien mais plus naturelle et rationnelle. Le temps d'une culture vivante emportant une floraison de nouveauté. Il faut voire aussi la radicalité que ce que ces deux saints et cette époque ont apportée
Faisons revivre cette turbulence et comprenons le choc qu'ont pu vivre les gens de cette période face à cette pensée et au développement de la révélation.
La raison est fiable, les 5 sens aussi, l'incarnation est à prendre au sérieux. L'unité du corps et de l'âme fait l'homme. La scolastique est la vraie Réforme. (a noter la défense de st Dominique)

2 L'abbé fugitif
Chesterton veut nous faire sentir l'époque et l'environnement de St Thomas. Temps de l'après croisade, des guerres contre les albigeois.  Temps d'une aristocratie cosmopolite sans être globale. Différence nationale moins marqué, temps où une guerre globale fut moins possible. Les conflits sont dans des environnements micro. Ce qui permet une entente au niveau macro. Le grand conflit se révèle entre l'Eglise (et donc les intérêts du peuple selon Chesterton) contre le saint empire romain germanique représenté par le flamboyant et "moderne" Frédéric II, aristocrate se mêlant de philosophie, et homme national à la Bismarck et soldat international à la Charlemagne et Napoléon. Le rêve de l'empire. Thomas en est le fruit paradoxal de cette époque. Enfant par la chair de ce pouvoir et enfant du pape par l'esprit. Il créera le scandale dans sa famille en voulant devenir moine mendiant. Il sera emprisonné un an par sa propre famille (et même enlevé) pour ne pas déchoir le nom familial. Moyen Age... Curieuse coexistence de l'age de pierre et de l'age d'or...

3 La révolution aristotélicienne
Saint Albert est la figure inauguratrice du secours d'Aristote  dans la théologie chrétienne, lui ("la gloire de Paris") qui fut aussi une sorte de premier scientifique complet. Il fut le premier à faire confiance à cet homme  qui semblait un cancre pour les autres.
Mais Thomas fut celui qui baptisa définitivement Aristote. Ce fut un combat perpétuel et des polémiques jusqu'à sa mort. Il y eut deux remises en causes essentielles. 
La remise en cause des frères mendiants (défendue avec Thomas par Saint Bonaventure, alliance du mystique et du rationaliste) par les conservateurs de l'époque et la difficile réhabilitation d'Aristote amenée par les musulmans curieux. ("N'était il pas vrai qu'un musulman philosophe cessait de devenir musulman...").
Contre Aristote, il fallait comprendre l'importance de Platon et d'Augustin dans l'Eglise jusqu'au XIIIeme siècle. Les pères de l'Eglise était souvent néo platoniciens et Augustin le grand par ailleurs, avait disséminé des idées pessimistes. il faut voir malgré tout Thomas comme dans la continuité de cette grande histoire philosophique qui n'y trouvera de cassure que plus tard.
Chesterton veut faire comprendre (en plus de montrer une époque incroyablement virtuose et essentielle) que la révolution aristotélicienne est la révolution religieuse. Byzance serait le contre exemple parfait. Le crucifix trempé dans le bain "oriental" devient une croix abstraite et qui prépare le terrain à l'iconoclaste musulman. Aristote, c'est l'effort du christianisme de revenir du mépris du corps, un retour au sens de l'humain et au sens tout court. L'étude du ver de terre conduit à l'étude de l'univers.
Chesterton dit que c'est une révolution car ce fut la révolution la plus conquérante de la chrétienté. la raison et les sens sont le chemin vers la vérité.
Il est bon de se rappeler aussi de la colère de Saint Thomas contre Sigier de Brabant, prétendant que la vérité n'est pas une et qu'une vérité scientifique allant contre la vérité de la foi n'était pas préjudiciable.
Saint Thomas nous donne un cours de controverse alors... Partir des arguments, du terrain de la pensée de l'opposant.

4 Une méditation sur les manichéens
Ce fut un combat essentiel pour Saint Thomas. On confond souvent ascétisme et catholicisme. Or celui ci adoucit le premier en comparaison de toutes les fois orientales. Pour la foi catholique, il y a d'abord la glorification de la vie, de l'être, du créateur et ensuite la conscience de la chute... Et l’ascétisme catholique est lutte contre ses conséquences. Au contraire des manichéismes où la nature est mauvaise. Le mal a ses racines dans la nature et a donc des droits sur elle. En conséquence, il y a le dualisme, (bien et mal égaux) la gnose (monde spirituel créé par le bon et le monde naturel par les démons) et même influença le calvinisme, Dieu créa le bien et le mal. Or pour les catholiques, "Dieu vit que cela "était bon", il n'y a pas de mauvaises choses, il n'y a que des mauvais usages. Bref, l'oeuvre de l'enfer est purement spirituelle.
Si pour eux, la pureté est synonyme d'infertilité, c'est l'inverse pour les catholiques. Si ils sont penchés vers la complaisance intérieure, le Christ nous pousse à la réalité du monde, à l'optimisation du bien de la vie,(comparaison avec le désespoir sublime de Bouddha....), au baptême des sens, bref au retour d'un matérialisme.
La lutte de l'Eglise contre les hérésies est toujours intérieure et extérieure. A noter, ode au jeûne et à St Louis

5 La vraie vie de Saint Thomas
Chesterton développe certains traits de caractère de Saint Thomas qui pour lui est un saint exceptionnel car il sait qu'il ne l'est pas et ne le prend pas pour une forme de prérogative. Rond comme un tonneau, distrait mais avec la présence d'une flamme intérieure, concentré sur sa pensée et ses contradicteurs, comme un contemplatif. Simple lucide, productif, envie de répondre à toutes les questions. Non ironique.
Alliance du détachement spirituel et de la cogitation intérieure.
Soleil noir. Discret et n'éclairant qu'autrui. réservé, discret. Attentif à la bonne chaire et à la gaieté. Impatiente passion pour les pauvres. Peu sensibles aux tentations de la chaire.
Avec les témoignages, nous pouvons découvrir une seconde vie que Thomas cherchait toujours à cacher. La lévitation, les encouragements du Christ en croix.
Poête, charitable. Humble, comptant son œuvre comme paille en comparaison de ses intuitions mystiques. Peu après il doit partir pour le concile de Lyon. il mourra sur le chemin. On lui lisait le cantique des cantiques et se confessa comme un enfant.
Chesterton écrit que parler de théologie, c'est parler de la relation que Dieu a avec tous les saints...

6 Invitation au Thomisme
Il faut voir le thomisme comme la philosophie du bon sens.(ce qui est est)  Mais comment faire alors que nous vivons dans le paradoxe intellectuelle depuis la réforme. On nous demande de renier notre bon sens et la réalité pour trouver la vérité... Chesterton demande à ce que nous acceptions le réel ou bien de nous taire. Tous solipsiste ou sceptique cohérent est un homme qui doit retourner au silence. Acceptons la réalité, l'"Ens", que l'être soit.
Deux obstacles sont face à nous. Les problèmes de langue et de traduction qui nous font rater le poids des mots de Thomas (ex de l'Ens), d'atmosphère.
Et enfin de méthode logique. Rendons grâce au syllogisme  et à la méthode déductive de Thomas. On nous fait croire qu' on peut la dépasser, mais toute substitution reprend les mêmes méthodes mais en les amputant.  L'induction est une mauvais déduction que Chesterton explique par l’obnubilation des prémisses du syllogisme, contre leurs conclusions, par une génération gâtée par trop de prémisses...
Bref ode au bon sens (et non au pragmatisme, très différent). Exemple de l'utilisation du mot forme. (ce qui peut donner à la chose son identité.)

7 La philosophie éternelle

Chesterton voit dans la philosophie de Thomas d'Aquin le mélange crucial (mais à développer) de l'anthropologie et de la théologie. il note aussi que sa méthode est proche de celle des "agnostiques" modernes. Tout ce qui est pensable est d'abord passé par les cinq sens. (inverse des mystiques et des platoniciens) Malheureusement les agnostiques appellent inconnaissable tout ce qui importe le plus à l'homme ce qui les conduit souvent vers des axiomes antiscientifiques.
Lignes essentielles de sa philosophie?
Réalisme : Ce qui est est
Il y a le vrai et le faux (l'Etre n'est pas tout à fait la vérité qui est appréhension de celui-ci).
Mais l'Etre est en mouvement et en évolution. Nous ne pouvons voir l'être dans sa complétude. (eau, glaçon vapeur, enfant, homme vieillard etc..); Beaucoup de religion et de philosophies irréalistes naissent de la déception de l'impossibilité de saisir la complétude de l'être.
Chesterton en profite pour montrer le judicieux de la pensée cosmologique chrétienne. Entre refus du matérialisme (non, l'univers ne s'est pas créé tout seul et aura une fin), de l'irréalisme (non, tout n'est pas illusion) et de l'évolutionnarisme (non, tout ce qui est mu est mu par quelque chose.)
En conséquence, Thomas lutte contre le nominalisme, ou l'impossibilité de lois universelles. Et il regrette que les progressistes refusent de voir la source du "meilleur" dans leur perception de l'évolution créatrice...
Bref, reconnaissance absolue du réel comme chemin vers Dieu, l'Etre et prendre en compte son mouvement. Existence d'idée générale.
L'un et le multiple ? Les objets et la création n'ont rien en commun si ce n'est l'Etre. Tout ce qui est est, mais il  n'est pas vrai que tout ce qui est soit un.
Appelons nous de nos voeux ce monde ou tout serait complétude ?

8 La postérité se Saint Thomas
Contrairement aux apparences (pas de style virtuose ni flamboyant) œuvres propice à l'imagination. Poésie essentielle du rapport à la réalité. Étrangeté  merveilleuse de l'objectivité, banalité du subjectif et de l'introversion. L’extérieur dilate l'esprit. Celui ci n'est ni le buvard niais que le créateur; il va, selon sa volonté, au plus loin de ce que la lumière lui propose. C'est un mariage destiné à être heureux. 
Là où les philosophies modernes ne sont que des doutes, Thomas a construit sur du solide.
De plus,  même si (et comme) c'est un auteur spirituel, il prend à pleine main les questions sociales. Homme de consultation et contre les décisions arbitraires. Attentif au danger de la confiance sans limite porté aux échanges économiques. Contre l'usure, il dit aussi que dans tout action commerçant, il y a quelque chose d'indigne. Les choses faites pour le commerce seront toujours moins bonne que pour sa propre consommation.
L'oeuvre de Saint Thomas est une réserve d'espérance pour une multitude de sujets pratiques.
Historiquement, elle fut une source de progrès en tout genre. Mais il faut avouer que la scolastique ait pu dégénérer. Les disciples à travers les siècles ont retiré toute la partie mystérieuse de l'étude de la réalité et de l'homme et la scolastique devint stérile. Il y a certes des raisons historiques (peste noire, baisse de niveau des clercs...) mais on peut aussi voir cette chute comme la revanche souterraine des augustiniens, ceux se concentrant sur l'aspect paralysant et pessimiste des vérités chrétiennes aidé par la méfiance en la rationalité (que Thomas glorifiait) et l'abandon à ses passions. Luther en est l'exemple remarquable, la reforme en est la concrétisation. Ce que Thomas avait combattu entra de nouveau dans le christianisme. Chesterton analyse cet esprit comme une perversion de la vertu de la crainte de Dieu. Là où il devait avoir complémentarité augustinienne et thomiste entre crainte de Dieu, déterminisme, impuissance de l'homme et libre arbitre, dignité de l'homme, nécessité des œuvres. Quand la réforme a brisé la dialectique, il y eut le souffle de cette religion élémentaire, affective et méfiance envers toute philosophie.
Théologiquement, Thomas et Luther ne boxent pas dans la même catégorie. Mais Luther, par sa carrure et son désespoir a inauguré une partie de notre histoire moderne. Luther, dans le débat et la pensée, ne met pas seulement son intelligence, il rajoute toujours sa personnalité. Il a détrône la raison, lui préférant la suggestion. Luther brûla les livres de Saint Thomas. 
Chesterton dit que ce petit livre oubliable est là pour témoigner et rendre grâce pour la philosophie éternelle.



Critique de Kechichian

Site dédié à l'oeuvre de Saint Thomas


Quelques extraits :


mardi 16 juillet 2013

Propaganda - Edward Bernays

Il est bon de lire propaganda d'Edouard Bernays. Cela peut nous faire devenir paranoïaque, mais permet de comprendre le point aveugle de la démocratie ou bien son principal risque.
Il est difficile de savoir au départ si le livre est cynique ou innocent. Ou plutôt, il édicte des lois cyniques avec innocence. Ou comment vendre de la place de cerveau disponible ou l'inconscient (il est le neveu de Freud) aux entreprises et aux politiciens tout en leur donnant bonne conscience.
Ou comment encore initier l’ingénierie du consentement (se souvenir de la note sur storytelling). Propaganda semble le premier livre de marketing, son livre originel.
Il faut pourtant d'abord s'avouer ce qu'il y a de juste dans les écrits de Bernays.
Nos opinions ne valent rien. L'individu pense rarement et quand il croit penser il ne fait que recycler l'opinion ou l’animosité d'un groupe. La propagande n'est que la manière de donner les préjugés nécessaires aux temps démocratique ou l'autorité n'est plus visible et évidente. La démocratie ne peut devenir que le temps de l'illusion de l'autonomie de l'individu, l'homme est grégaire et il existe une psychologie des foules.  Nos décisions solitaires ne le sont jamais et nos motivations profondes ont des origines que nous ne nous pouvons pas nous avouer... Tout est désir. Et notre époque "d'hommes libres" sans transcendance sont des gibiers tout naturel pour cette propagande. (Encore une fois Chesterton. L'homme a soit des dogmes, soit des prejugés.) Pour un girardien, tout cela semble évident. L'homme est un être religieux. Besoin de foi, d'idoles.
A partir de ces vérités, avec une bonne dose d'expérience et sur de son bon droit, Bernays nous explique qu'on peut tout faire faire. Pour les entreprises, les associations, les pouvoirs politiques, les idées à rependre, l'éducation, oeuvre sociales, la science, l'art. La propagande est partout là ou il faut transmettre...

Les méthodes sont toujours les même, le slogan, la personne d'autorité, les associations d'image, distinguer les motivations et les prescripteurs et jouer dessus.
Ensuite, les médias jouent leur jeu. Tout est possible et à adapter à la cible visée.


Bernays entend les critiques, mais il répond...
Tout est propagande et il faut accepter le fait que la masse ne réfléchit pas. Il faut donc selon lui accepter qu'il y ait une minorité intelligente qui influence les comportements, les pensées d'une masse par nature dangereuse, chaotique et qui a besoin d'autorité, de dieux.

Bernays pense aussi que la propagande est bonne si le représentant ne ment pas. La bonne volonté suffit pour faire la bonne propagande...

Tout au long du livre Bernays justifie l'existence d'une minorité intelligente discrète, peu ou pas soudée qui insuffle ce qu'il est bon de penser et d'acheter pour la foule. Cachée car il faut finalement respecter le mythe du libre arbitre et de l'autonomie des individus.

Implicitement, Bernays présente la raison comme une semence de chaos. Face aux individus se croyant égaux, et qui finalement ne savent pas qui il sont, il faut donner des modèles et des dieux autant qu'il est nécessaire pour les rendre tranquilles et pour le bien de la communauté.

Comment contrer ce message qui nous révolte tous peu ou prou ?
Il faut d'abord accepter que nous sommes des êtres à la recherche d'autorité et des faiseurs de Dieu. (La carence ontologique diagnostiquée par Girard) Il faut ensuite croire en la raison humaine. Croire que nous pouvons par analogie, syllogisme, comprendre les mécanismes humains. Croire qu'il existe une vérité. Une vérité qui a besoin d'une "propagande" à sa propre mesure. Croire que la raison humaine peut conduire à cette vérité. Croire que l'individu existe tout en sachant qu'il est indéchirable de la société, de la foule.

Il faut aussi être humble. Quand bien même cela est bête a dire. Bernays a une confiance absolue en sa minorité intelligente. Mais en quoi croit elle cette minorité ? Qui est elle ? N'y a t il  que concorde et consensus entre elle ? Que sait elle du bien de la foule et de ce qui est nécessaire ? Sur quel principe ? Nous ne saurons pas. (cet orgueil est confirmé par le film, the century of the self, sa fille y raconte comment le jugement de stupidité tombait sur tous les contemporains de Bernays). Il faut certainement accepter qu'il existe une élite forte, plus maline que le reste de la population. Bernays n'illustre t-il pas le moment où cette élite voit encore ce privilège de la raison développée comme un service et une responsabilité (Propaganda fidei) mais dont la formulation de cette responsabilité commence à se transformer en abus ?

Bref, ce livre, paradoxalement nous invite à l'humilité, reconnaître que nous avons besoin d'autorité. Elle nous invite  à ambitionner d'être des individus raisonnables qui savent accorder avec intelligence et coeur notre confiance à la plus juste autorité, à l’honnêteté. Comment chercher la vérité et communiquer notre recherche à nos frères humains ? (dans ce cas, je conseille Fumaroli, la syntaxe, la grammaire  et l’éloquence, que notre communication soit toujours une liberté pour ceux qui nous entourent.)

Ce livre m'invite à réfléchir sur notre monde moderne mangé par la communication et la propagande, nos têtes et nos cerveaux sont des cibles pour des autorités dont nous ne savons que peu de choses. Nous nous engageons dans des achats, des opinions, des groupes dont nous ne savons pas quel est leur dieu et leur transcendance ultime.

Ce livre nous invite à réfléchir sur la religion. D'abord comme besoin individuel, envie d'imiter, d'adorer et d'être adoré, religion comme rempart et porte ouverte à la violence. Comment imitons nous pour être proche d'une idole ou d'une divinité ? Et enfin, comme besoin social.
Bernays a des intuitions merveilleuses quand il dit qu'il comprend la propagande comme un outil, dédié aux classes intelligentes pour sauver la société du chaos. Il parle en véritable prêtre de la  politique et de la marchandisation. Il souhaite diriger les masses, il en contient la violence en leur montrant les objets à acheter ou des ennemis à haïr. Propaganda est le livre saint, le livre des lois  de la religion moderne sacrificielle. En cela l'enfer des choses de Dupuy et Dumouchel en serait l'antidote. Girard l'est aussi, nous nous rendons compte grâce à lui que la propagande a besoin d’idolâtres pour faire passer ces messages. Refusons l’idolâtrie et nous serons moins sensible contre la propagande politico marchande et plus sensible à la vérité, but du chemin de la raison et dont la véritable "propagande" est l'apprentissage de la marche sur ce chemin.

Une note viendra aussi sur the century of the self, film documentaire anglais très intéressant.

Ci dessous un résumé par chapitre et les citations ayant plus particulièrement retenues mon attention :


vendredi 12 juillet 2013

Les questions anthopologiques de notre temps - Interview de René Girard

Mars 2007, René Girard est interviewé par  il Foglio. On ne trouve pas trace de cette interview sur le net sauf sous sa traduction anglaise. Permettez ci dessous, une traduction personnelle de l'anglais vers le français. (Dites moi, si éventuellement certains passages manquent de clarté ou s'il y a quelques erreurs. Puis pardonnez les éventuelles fautes d'orthographe)

J'ai rarement connu René Girard autant en verve que dans cette interview. Déconstruction, sexualité, nihilisme, anthropologie, mariage, Islam, postmodernité, apocalypse, papes, linguistique. Interview très percutante, tout autant personnelle que dans la ligne directrice de toutes ses recherches.


Autres traductions girardiennes ici et
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"Après le langage, c’est l’homme que l’on commence à déconstruire ", "L’Eugénisme est une forme de sacrifice humain", “La sexualité est le problème, non la solution” : Les idées impitoyables d’un grand penseur

Malgré son âge de 84ans, René Girard n’a rien perdu de son audace de penseur définitivement radical. Il travaille actuellement sur un nouvel essai sur Karl von Clausewitz. L’auteur de grands livres contemporains comme "la violence et le sacré", "le bouc-émissaire", récemment élu parmi les 40 immortels de l’académie française est, en même temps que Claude Lévi-Strauss, notre plus grand anthropologiste vivant. Dans cette interview à « il Foglio », Girard revient vers ce qui définit « les grandes questions anthropologiques de notre temps ».

Il ouvre lui-même avec une question:

“Puisse-t-il y avoir une anthropologie réaliste qui suit la déconstruction ? En d’autres mots, est ce licite et encore possible d’affirmer une vérité universelle sur l’humanité ? Le structuralisme et l’anthropologie postmoderne contemporaine conteste cet accès à la vérité. L’école de pensée actuelle est « une castration de sens ». Mais de telles manières de discuter de l’humanité sont dangereuses."

Girard commente le "scandale" des religions comme il est apparu dans cette époque de néo sécularisme:

"A partir des lumières, la religion fut conçue comme un pur non-sens. Auguste Comte eut une théorie précise sur l’origine de la vérité, et son intellectualisme du XVIIIe rappelle beaucoup ce qui est en vogue aujourd’hui. Comte a dit qu’il y avait trois phases : la religieuse, qui est la plus enfantine ; la philosophique ; et finalement la scientifique, la plus tardive et la plus proche de la vérité. Aujourd’hui, dans le discours public, le but est de définir la « non-vérité » de la religion, cependant la religion est indispensable pour le survie de la race humaine. Personne ne s’est demandé quelle est la fonction de la religion. La foi est seulement exprimée comme "j'ai la foi" ou non. Quelle est la conséquence ? La théorie révolutionnaire de Charles Darwin a espéré démontrer l’inutilité de l’institution de quinze millénaires qu’est la religion. Aujourd’hui la démonstration est tentée sous la forme de la recherche sur le chaos génétique comme elle est énoncée par les néo-darwinistes. Si vous écoutez les scientifiques comme Richard Dawkins –un penseur extrêmement violent- vous voyez la religion comme quelque chose de négligeable."

Mais la religion a une fonction qui va bien au delà de la foi. Girard résume la véracité du don du monothéisme en une seule phrase (puis développe ensuite):

“L’interdiction contre le sacrifice humain. Le monde moderne a décidé que cette prohibition est un non-sens. La religion ne peut être conçue que comme une coutume de bon-sauvage, un état primitif d’ignorance sous les étoiles. La religion, cependant, est nécessaire pour supprimer la violence. L’homme est l’unique espèce dans le monde qui menace sa propre existence par sa violence. Les animaux même dans leurs jalousies sexuelles ne s’entretuent pas. Les êtres humains, si. Les animaux ne connaissent pas la vengeance, ne connaissent pas la destruction de la victime sacrificielle qui est un phénomène lié à la nature mimétique de la multitude applaudissante.

Malheureusement, aujourd’hui il n’y a qu’une seule définition de la violence, celle comme pure agression.

"C’est parce que nous voulons nous rendre innocent. La violence humaine, cependant, est le résultat du désir et de l’imitation. Le postmodernisme n’est pas capable de parler de violence. La violence est placée entre parenthèse et son origine est simplement ignorée. Et avec cela, la vérité la plus importante : que la réalité est, dans une certaine mesure, connaissable."

René Girard vient du radicalisme français:

"Je me suis rempli la tête avec la grotesque, la stupidité, la simple médiocrité de l’avant-garde. Je sais bien comment le déni postmoderne de la réalité peut conduire au discrédit des questions morales sur l’homme. L’avant-garde, en un temps relégué dans le domaine artistique s’est aujourd’hui étendue au domaine scientifique pensant à l’origine de l’homme. En un certain sens, la science est devenue la nouvelle mythologie : l’homme a créé la vie. Pour cette raison, j’ai accueilli avec un grand soulagement l’explication de Joseph Ratzinger sur le « réductionnisme biologique » - la nouvelle forme de déconstruction, le mythe biologique. Je me trouve avoir recours à la distinction faite par l’ex-cardinal entre science et scientisme.

La seule grande différence entre l’homme et les espèces animales est la dimension religieuse :

"C’est l’essence de l’existence humaine. C’est l’origine de la prohibition des sacrifices et de la violence. Là où les religions se sont dissoutes, commence un processus de décomposition. Le Micro-Eugénisme est notre nouvelle forme de sacrifice humain. Nous ne protégeons plus la vie de la violence. Nous brisons plutôt la vie avec violence. On cherche à s’approprier par nous-mêmes le mystère de la vie pour notre propre bénéfice. Mais nous raterons. L’eugénisme est l’apogée de l’école de pensée initiée deux siècles plus tôt et qui constitue le plus grand danger pour l’espèce humaine. L’homme est l’espèce qui peut toujours se détruire elle-même. C’est pour cette raison que la religion a été créée."

Aujourd’hui, il y a trois domaines- les armes nucléaires, le terrorisme et les manipulations génétiques- dans lesquelles l’homme est particulièrement mis en danger:

"Le vingtième siècle fut le siècle du nihilisme classique. Le vingt-et unième siècle sera le siècle du nihilisme attrayant (alluring). C.S. Lewis avait raison quand il parlait de l’abolition de l’homme. Michel Foucault ajoutait que l’abolition de l’homme était devenue un concept philosophique. Aujourd’hui, on ne peut plus parler d’ « homme ». Quand Friedrich Nietzsche annonçait la mort de Dieu, il annonçait la mort de l’homme. L’eugénisme est la mort de la rationalité humaine. Si on considère l’homme comme l’aboutissement du hasard et comme de la matière brute pour les laboratoires, un objet malléable à manipuler, on atteint le point d’être capable de tout faire de l’homme. Cela finit avec la destruction de la rationalité fondamentale qui appartient à l’être humain. L’homme ne peut pas être réorganisé et demeurer un homme."

Selon Girard, hormis la religion, nous perdons de vue aujourd’hui la fonction d’une autre institution anthropologique, à savoir le mariage:

"L'institution préchrétienne et renforcée par le Christianisme, le mariage est une indispensable organisation de vie. Elle est liée à la quête de l’immortalité. En créant une famille, c’est comme si l’homme recherchait l’imitation de la vie éternelle. Il y a eu des lieux et des civilisations où l’homosexualité fut tolérée ; mais aucune société ne l’a jamais placé au même niveau légal que la famille. Dans un mariage, nous avons toujours un homme et une femme ; qui sont des opposés. Dans les dernières élections américaines de 2006, le véritable vainqueur fut finalement élu sur un référendum sur le mariage naturel."

L’ennui métaphysique de l’Europe
Girard est en accord avec ce que dit Rémi Brague, arabiste de la Sorbonne, l’Europe est immergé dans un ennui métaphysique:

"C’est une très belle explication, et il me semble que la supériorité du message chrétien devient de plus en plus visible. Quand il est le plus attaqué, le Christianisme brille avec une plus grande vérité. Étant la négation de la mythologie, le Christianisme brille spécialement dans le moment quand le monde une fois de plus est imprégné de mythologies sacrificielles. J’ai toujours compris le « scandale » de la révélation chrétienne d’une manière radicale. Dans le Christianisme, au lieu d’assumer le point de vue de la foule, nous assumons le point de vue de la victime. Ainsi le Christianisme traite du renversement complet du scénario archaïque. Et provoque l’épuisement de la violence.

Girard parle de l’obsession de la sexualité:
"Dans les Evangiles, il n’y a rien de sexuel, et ce fait a été complètement romancé par les gnostiques contemporains. Les gnostiques, comme toujours, excluent des catégories de personnes, et les transforment en ennemis. Le Christianisme est l’exact opposé de la mythologie et du gnosticisme. Aujourd’hui, une forme de néo paganisme est mise en avant. La plus grande erreur de la philosophie post moderne est d’avoir pensée qu’elle pourrait librement transformer l’homme en un mécanisme de jouissance. Mais de cette poursuite du plaisir arrive la déshumanisation qui commence avec le désir faux de prolonger les plaisirs de la vie en sacrifiant les plus grands biens."

La philosophie postmoderne, dit il, se base sur la fausse affirmation que l’histoire est terminée:

"De là, nait une culture naufragée dans le présent. De là, vient encore une haine pour une culture vibrante qui affirme une vérité universelle. Aujourd’hui, il est largement cru que la sexualité est la solution à tout ; alors qu’au contraire, elle est l’origine de tous les problèmes. Nous sommes continuellement attirés par une idéologie de la séduction. Jusque là, la déconstruction n’a pas envisagé la sexualité au cœur de la démence humaine. Notre folie repose ainsi sur nos efforts volontaires de faire de la sexualité une chose frivole et banale. J’espère que les chrétiens ne suivent pas la direction de la déconstruction. Car la violence et la sexualité sont inséparables. C’est pourquoi la sexualité contient ensemble les plus beaux et les plus sombres éléments que nous portons en nous."

Nous sommes au milieu du divorce entre l’humanité et la syntaxe, dit Girard ; c’est le divorce entre la réalité et le langage:

"Nous perdons tout contact entre le langage et les régions de l’être. Aujourd’hui nous croyons seulement au langage. Nous y aimons des histoires à dormir debout  plus que partout ailleurs. Mais le Christianisme est une vérité linguistique, le logos ; Thomas d’Aquin fut le grand promulgateur de cette rationalité linguistique. Le grand succès du Christianisme anglo-américain et ainsi des Etats-Unis n’est pas sans rapport avec l’extraordinaire traduction anglaise de la Bible. Mais dans le catholicisme d’aujourd’hui, il n’y a pas eu suffisamment de rationalité, mais plutôt trop de sociologie. L'Eglise est trop souvent compromise par la flatterie du temps et de la modernité. Dans un certain sens, de tels problèmes ont commencés avec le concile Vatican II, même s'ils viennent d'une déperdition du Christianisme eschatologique qui le précède. L’Eglise n’a pas réfléchi assez sur ces transformations préconciliaires. Comment peut on justifier l’élimination totale de l’eschatologie, et ce même dans la liturgie ?"

Nihilisme et Apocalypse
Girard répète que jamais l'humanité ne fut dans un tel danger qu'elle ne l'est aujourd'hui:

"C’est la grande leçon de la formule de Karol Wojtyla : « La culture de la mort ». C’est sa plus belle formulation linguistique. Elle va très bien avec l’autre grande formule, de Joseph Ratzinger, la dictature du relativisme. Ce nihilisme de notre temps peut être aussi appelé déconstruction, ou simplement 'théorie'. Mais ce nihilisme est transformé en une respectable théorie philosophique et ensuite, tout devient frivole, tout est jeu de mots, tout est blague. Ainsi on peut commencer avec la déconstruction du langage, mais ensuite on finit avec la déconstruction de laboratoire de l’être humain."


Avec cette perte du respect pour la vie humaine, la déconstruction du corps est l’autre idée que Girard récuse:

"Elle vient des mêmes gens qui, d’un coté, veulent prolonger la vie infiniment, et maintenant, d’un autre coté, disent que le monde est surpeuplé."

Le critique littéraire Georges Steiner a écrit que même l’athéisme est métaphysique, Girard commente:

"Assurément, Steiner a toujours des idées merveilleuses. G.K. Chesterton dit que le monde moderne est remplie d’idées chrétiennes devenues folles. Même les lumières ont été un produit du Christianisme. Prenez une figure comme Voltaire, un exemple de mauvaise lumière qui a contribué à la déchristianisation de la France. Mais tout de même, Voltaire a toujours défendu les victimes, et fut en cela un grand chrétien, même sans le savoir. C’est pour cette raison que je dis qu’une mauvaise interprétation de la doctrine chrétienne est encore pire quand elle vient de l’extérieur de la tradition. Le Christianisme continue de nous proposer une explication convaincante et fascinante du mal humain. Mais nous perdons la dimension apocalyptique du Christianisme par laquelle les gens deviennent conscients qu’aucune société sans religion ne peut survivre. Le romantisme chrétien a oublié que la religion chrétienne a eu comme principale réalisation le désamorçage de la violence sacrificielle. Aujourd’hui, la religion chrétienne est plus réaliste que l’optimisme scientifique. Science qui créé l’homme pour le tuer. Ainsi l’Apocalypse n’est plus la colère de Dieu mais plutôt la colère de l’homme sur lui-même. L’apocalypse n’est pas derrière nous mais se tient face à nous. L’apocalypse n’a pas été écrite pour Dieu mais pour l’homme. Les chrétiens fondamentalistes actuels croient en l’apocalypse mais dans un mauvais sens ; ils croient que Dieu punira l’homme, pas que l’homme se punira lui-même. Aujourd’hui, nous devons avoir de la considération pour l’Apocalypse, pour ne jamais oublier que la violence est chez elle (indigenous)chez l’homme."

Il manque à’Islam quelque chose d’important : la Croix
Le discours de Ratzinger à Ratisbonne était décisif selon Girard :

"Le défi lancé par Ratzinger contre le relativisme est salutaire, non seulement pour les catholiques mais aussi pour les laïcistes. Je vois Ratzinger comme un signe d’espoir pour l’Europe. C’est un pape très similaire, mais aussi très différent de Jean Paul II. Wojtyla était inarrêtable ; il voulait toujours être vu et écouté. Benoit XVI veut plutôt pacifier les gens ; c’est un grand professeur de réflexion et de modestie. La religion chrétienne, la plus grande révolution de l’histoire humaine, est la dernière à nous rappeler l’utilisation correcte de la raison. C’est un défi qui transporte avec lui le concept de culpabilité. Pendant longtemps, l’Europe a décidé que les allemands devaient être les bouc-émissaires pour la seconde guerre mondiale ; il était impossible d’attaquer le communisme et le nazisme. Une fois que la mort de Dieu était déclaré, accompagnée avec la fin de la possibilité pour le mot "lumière" d’avoir un quelconque sens religieux, il devait s’élever un « anti Dieu », une contre divinité : le communisme. Je suis d’accord avec la thèse d’Ernst Nolte sur l’affinité entre nazisme et communisme. Chaque régime totalitaire commence par la suppression de la liberté religieuse. Aujourd’hui, cette contre divinité anti-vie est relancé par le scientisme."

Girard confirme que l’exaltation de l’homme comme contre divinité rejoint le sens de la phrase d’Henri de Lubac, si souvent mal utilisé (comme si elle était au contraire un idéal): l’athéisme humaniste

"Je fus honoré par son amitié. Quand il fut accusé de n’être pas chrétien, de Lubac dit que tout ce qu’il avait écrit fut juste et qu’il n’y avait rien d’hérétique en eux. La grande crise démographique de l’occident est un des nombreux éléments de la paralyse apportée par "l’athéisme humaniste". L’idéologie de notre temps est hostilité contre la vie elle-même. La culture moderne maintient que toute la mythologie, qu’elle soit jeune ou vieille, est affirmation de la vie ; d’un autre coté, elle maintient que la religion est reniement de la vie. Mais la vérité est exactement l’opposé. Le nouveau dionysisme de la culture moderne a un visage mortel et violent. Parmi les premiers à le comprendre, il y a eu Thomas Mann. Désormais ce qui domine aujourd’hui est une forme de nausée existentielle hérité du spleen romantique."

Nous sommes si ethnocentriques, dit Girard, que nous pensons que seuls les autres peuvent avoir le droit de clamer la supériorité de leur propre religion:

"L’islam conserve une relation avec la mort qui me convainc que cette religion rate absolument le combat contre les anciens mythes. La relation de la mystique islamique avec la mort rend la mort encore plus mystérieuse. L’Islam est une religion de sacrifice. Le chrétien, cependant, ne meurt pas en vu d'être imité. Nous devons nous rappeler les mots du Christ à Paul : Pourquoi me persécutes-tu ? Dans le Christianisme, qui détruit toutes les mythologies, il existe une dialectique constante entre la victime et le persécuteur ; En islam, cela n’existe pas. L’Islam élimine la victime problématique. Dans ce sens, il y a toujours eu un conflit entre le Christianisme et l’Islam. En Islam, la chose la plus importante manque, la croix. Comme dans le Christianisme, L’Islam réhabilite la victime innocente, mais elle le fait comme un militant. La Croix, au contraire, met une fin aux mythes anciens et violents. La Croix est le symbole de l’inversion de la violence, de la résistance au lynchage. Aujourd’hui, la Croix s’oppose au sacrifice dionysiaque des nouveaux mythes. Le Christianisme, se différenciant de l’Islam, interdit le sacrifice."

René Girard a toujours choisi de ne pas parler de choses faciles ou accommodantes:

"J’ai été, même ici en Amérique, plus ostracisé. Aujourd’hui, je pourrais moins me soucier de ce que les autres disent de moi. Nous ne devons pas nous rendre à la séduction ; il y a beaucoup à apprendre du passé. Je relis souvent l’histoire de Joseph dans l’ancien Testament car elle est la plus belle exemplification du Christianisme. Je me suis marié en 1951 ; J’ai neuf petits enfants et trois enfants. Ma femme est protestante, et ne s’est jamais convertie au catholicisme. » A ce moment, un de ces nombreux rires séraphiques de cet homme rigoureux et droit sort.

"J’ai un fils dans le business ; ma fille est peintre ; et mon autre fils est avocat. Concernant les Etats-Unis, j’aime ses grands paradoxes, elle a en elle-même la plus efficace protection contre tous ses pires aspects – des protections que l’Europe ignore. Ici, aux Etats-Unis, je reconnais la véritable indépendance. Je suis entouré par la vie."
 Sur son propre statut d'intellectuel, un de ces soi-disant "castrateurs de sens":

“Le moins que je puisse faire est de penser que c'est le moment du silence, mais d'un silence rempli de sens.”

mercredi 10 juillet 2013

Nancy Huston - Incarnation


Très belle interview de Nancy Huston sur France culture, auteur que j’avais déjà découvert ici gràce à Pierre Cormary.

Auteur, membre des mouvements féministes des années 70, elle a écrit son dernier essai pour continuer à penser ce qu’est être femme et lutter contre la théorie des genres et contre tout refus de la différence sexuelle.
Sensibilité à la physique et aux sciences. Reconnaissance de la différence des désirs. Savoir accepter le désir d’enfant de la part de femmes. Schizophrénie de notre temps qui refuse les problèmes ou croient les résoudre en refusant la différence sexuelle et l’ambivalence humaine. Que faire du tourbillon de la sexualité masculine ? L’externaliser par des femmes étrangères pauvres ou par la pornographie promue par l’économie libérale ?

Non, acceptons la différence des corps et des désirs qui y sont associes.

Retrouvons le sens de l’incarnation. « Le corps, c’est des gens. »

Réfléchissons à notre fécondité et découvrons que la contraception ne résout pas tous les problèmes.
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Le discours de Huston me touche beaucoup, une de ses thèses me provoquent. Si les femmes ont pu être persécutées par les hommes, c’est qu’ils n’ont jamais pu accepter le privilège de l’engendrement. A creuser.
Son analyse du dégoût de l’intelligentsia français pour l’engendrement est très intéressant. Son analyse de bon sens sur la différence des désirs me parait crucial. L’homme veut voir les femmes et la femme veut plaire. 

Elle sent bien que nous sommes au carrefour du désir, de la biologie (fertilité et reproduction), du social et de la politique. Elle montre avec simplicité le refus de l’ambivalence de la théorie du genre et son simplisme agressif au nom souvent de la lutte contre la domination alors qu’elle est un erreur de pensée de style gnostique...


En l’écoutant, je trouvais Huston très « catholique ». Surtout par son goût profond de l’incarnation. Mais au lieu de reconnaître en Beauvoir par exemple une gnostique, elle accuse le christianisme.
Nancy Huston est l’exemple typique des malentendus entre certaines personnes intelligentes et l’Eglise. Et montre aussi comment, cette dernière a entretenu ces malentendus. Huston voit bien comment les défenseurs de la théorie du genre sont l’église morale et répressive de notre temps. A l’Eglise catholique de défendre l’incarnation et de prendre avec passion les préoccupations de Huston qui sont celles d'une femme inquiète.





Plus bas, une tentative de résumé


lundi 8 juillet 2013

La fiancée qui venait du froid - Nemes

La fiancée qui venait du froid 1983 Charles Nemes


Film peu connu, avec quelques acteurs qui le sont (Lhermitte, Jugnot) et la splendide Barbara Nielsen, hollandaise qui fait très bien l’accent polonais.
Le réalisateur est relativement peu connu lui non plus. Pourtant, ce film vaut le détour. Il est relativement personnel si on écoute son interview sur le DVD. Cette histoire lui est arrivée. Il l’a bien sur romancé… (Quoique… si cela n'était pas si rose, cela n'était peut être pas si inintéressant qu’il ne semble le dire.)
Un réalisateur de film de pub, très pris par son dévorant quotidien profesionnel, mondain et sentimental, va réaliser un mariage blanc en Pologne pour une jolie et jeune opposante en 1980 qui a déjà connu la prison. Entre deux films pour des jeans et des culottes, il est pris de compassion et décide d’y aller. Malgré des organisateurs polonais peu aimables et étranges.
Pendant le voyage, il découvre la surveillance que subissent les polonais, les fasoli na bretonsku, la vodka, les montagnes polonaises, les fiat 126 et bien sur sa femme. Jolie, blonde, intelligente etc.
Ils s’embrassent pour ne pas éveiller de doute… sauf les leurs...
Elle n’a pas encore de passeport et il repart seul en France. Chez lui, il devient préoccupé par son sort. Il devance son appel et part. Elle a son passeport, ils partent, vont « n’importe où » en Europe, et trouve l’amour. (Ou bien est-ce une douce inclinaison ???)
La dernière partie du film sera moins soutenue et avec moins de sens. Mais on découvre un français paradoxal qui veut être plus souvent avec sa « femme » alors que celle-ci est orientée vers son pays et son organisation politique. La rivalité entre Ula, représentante du syndicat, et Paul montre bien cette crise. Il la prendra presque de force des griffes de ce syndicat expatrié… Ils font l’amour (un peu partout) et l’accueille chez elle. Mais elle doit partir vers d’autres cieux pour les études et le soutien de son pays. Il est triste, vit une expérience de contrôle du mariage, puis il la retrouvera dans le plus pur des hasards à l’aéroport. Le temps de manger, de faire l’amour et de se promettre de ne pas divorcer.
Nous sommes heureux pour eux. Mais un panneau nous apprend que le lendemain survient  l’état de guerre décrété par Jaruzelski, Zosia sera donc emprisonnée.



Cette fin représente bien le film. Un quiproquo, de l’amour et enfin la vérité de la situation en Pologne. Grand potage d'humour et de légèreté profonde dans lequel tombe la brique de l'histoire.
Je crois que c’est malgré tout un film relativement courageux. Sortir un film sur le malheur de la Pologne en 1983 me semble assez ambitieux.
Mais il hésite. Comédie ou drame… Finalement, c’est une comédie mais avec un dernier panneau… Et en filigrane, la superficialité française comme véritable drame.
Le personnage de Paul est trop léger, son départ, son métier, toutes ses femmes, son camarade Maurice, bouffon vivant de combines et d’aide amicale,  ses soirées, son joli appartement français...
 Son voyage en Pologne le met dans des situations bien rendues par le réalisateur. La surveillance, le manque, les couleurs, la rudesse des hommes. Paul est l’ancêtre du bobo et il rencontre l’anti bobo par excellence comme peut l'être le polonais. Mais sa légèreté l’empêche de sentir la tragédie sur place. Choc culturel et choc politique.

Le triangle amoureux original
L’auteur montre avec amusement la situation du mari en mariage blanc. Comment se comporter quand sa propre "femme" embrasse son ancien fiancé légitime ? Quel est sa situation dans ce triangle amoureux peu commun ? Car petit à petit, il est sous le charme de sa belle et courageuse compagne. Elle est bien sur trop belle, accent, sourire, douceur et son coté un peu chiante. On l’aime tout de suite. Ce film développe un triangle amoureux subtil sur le rôle du mari "blanc" tombant amoureux de sa femme. Le mari officiel devenant soudainement l'amant.

La partie en France est par contre un peu plus vaine. Elle se concentre sur la relation entre le couple et Ula. Il est tout de même beau de voir l’attendrissement d’un cœur dur pour la douce polonaise, jusqu'à son triste départ… Cette partie développe un triangle amoureux encore original ou le travail et l'engagement politique prend le rôle du mari jaloux.
C’est, au final, un film très plaisant qui sensibilise bien sur la situation polonaise en 1980. Avec un humour et un montage qui peut être très efficace, le film nous parfume de Pologne.
Il remarque avec surprise, en comparaison avec les polonais pris par des préoccupations graves,  la légèreté des français. La promiscuité, la légèreté sans conscience politique, peu sensibles des misères polonaises. De l'autre coté, les polonais semblent nobles, amusants et pris par des questions plus élevées que les français. La comparaison cruelle entre l'homme consommateur et l'homme résistant.
J’ai donc aimé l’originalité du film qui arrive à revisiter le triangle amoureux de façon tout à fait crédible et surprenante et pour sa confrontation de l'homo economicus avec le résistant.
Un très bon moment pour un film de boulevard original et multiculturel. Film de boulevard car si le triangle est présent, le désir, lui, n'est jamais remis en cause....
Mais la polonaise (hollandaise!!) était trop belle...


A noter :
Les coco-fesses de Jugnot.
Alors, Jean-Pierre ?
La maman de Paul.
Biała Kiełbasa !
La beauté des polonaises.
Les pubs de Paul
La poésie de l’affiche de pub de luxe où Zosia se trouve en arrière plan par inadvertance. Beau symbole.
« Bonjour Monsieur »
Les deux ? Les douzes ? 

vendredi 5 juillet 2013

Postface girardienne à "Avons nous besoin d'un bouc-émissaire"


 Comme promis, voici la note dédiée à la postface de René Girard à la fin du livre de R. Schwager, Avons nous besoin d'un bouc-émissaire?
Cette postface touche un point très important dans le chemin intellectuel de Girard. Comme il l'a avoué dans cette postface (qui fut édité dans un autre ouvrage précédemment), il s'est trompé en refusant le terme de sacrifice pour la mort de Jésus et en jugeant que l'Eglise était fondé sur une une mauvaise perspective de celui-ci.... (voir sa lecture de la lettre aux hébreux dans "les choses cachées depuis la fondation du monde.")
Il exprime ici son regret et son ralliement aux thèses contemporaines à ses recherches du jésuite Raymund Schwager.  Girard explique qu'il refusait le terme "bouc émissaire" pour Jésus. Conscient de la lecture chrétienne du mythe, il ne voulait pas compromettre le christianisme avec une quelconque dimension mythologique. Or on ne peut pas se couper du sacrifice, on ne peut que s'éloigner du sacrifice païen qu'en prenant le risque du sacrifice chrétien qui met une fin à tous les sacrifices. Acceptons la dimension provocante de la continuité du religieux.

Cette histoire peut sembler une affaire byzantine pour beaucoup de chrétiens. Elle me semble importante dans notre propre compréhension de la violence, du sacrifice et de notre salut par le Christ.

Ci dessous un petit résumé personnel de cette fameuse postface.

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Jésus, l’agneau de Dieu qui porte le péché du monde. Dieu l’a fait comme le pécheur par excellence. C'est à partir de ces faits de la tradition catholique que Schwager aide à comprendre comment le processus du bouc-émissaire peut nous faire saisir la rédemption du Christ.
Girard explique qu’à partir de ses premiers travaux, Schwager et lui-même en sont venus aux mêmes conclusions parallèlement mais que Schwager est allé plus loin sur la question de la rédemption du Christ se faisant lui-même bouc émissaire (péché pour Saint Paul). 

Girard se pose la question suivant : Qu’est ce qui m’empêchait de voir en Jésus un « bouc-émissaire » qui se sacrifie pour les hommes ?
Rappel de l’histoire de l’anthropologie. Ce sont des positions antichrétiennes mais cherchant des lois universelles et non des différences comme maintenant qui ont inauguré l'histoire de l'anthropologie. Et pourtant, lui a découvert que le christianisme est différent. Il perçoit que les victimes sont innocentes. Moralisme idiot pour Nietzsche, vérité selon Girard. Coïncidence entre morale et vérité.  On ne peut réduire le christianisme au mythique. On peut seulement lire le mythique avec le christianisme.
Donc, le rapprochement du christianisme aux mythes du bouc émissaire sacralisé effrayait Girard. La paix du Christ serait-elle la paix des boucs-émissaires ?!
Pour lui, La théorie mimétique permettait de frapper l’idéologie relativiste à la tête. Girard voulait alors effacer complètement le terme de sacrifice pour Jésus.
Or le sacrifice du Christ est invitation à refuser la logique mimétique de la violence. Il faut abandonner au rival l’objet du litige. Ce n’est pas pour jouer au jeu sacrificiel qu’il se voue au sacrifice, c’est pour y mettre fin. La différence entre le sacrifice mythique et chrétien se retrouve dans la différence qu’il y a entre les deux prostitués devant Salomon pour le jugement de maternité. Girard a donc parlé de christianisme non sacrificiel. Or il ne faut pas absolutiser la recherche de lien non-sacrificiel tout en reconnaissant la différence fondamentale entre les deux sacrifices. Il ne faut pas effacer l’unité paradoxale du religieux d’un bout à l’autre de l’histoire humaine.
On ne peut refuser le premier sacrifice qu’en assumant le risque du second sacrifice. Il est illusoire de chercher un lieu d’observation non sacrificiel.
Si les deux sacrifices se ressemblent c’est parce que la violence imite l’amour du Christ.