vendredi 27 décembre 2013

Racine par Girard dans Géométries du désir

Dans "géométries du désir", l'éditeur, l'herne, a rassemblé plusieurs articles de René Girard
Girard discerne derrière toutes les pièces de Racine et derrière toutes ses métaphores poétiques (Ravissement, empire, feux etc) une réflexion sur la gloire. Girard pendant tout l'article tentera de suivre tout l'itinéraire dramatique et biographique de Racine. Article montrant une nouvelle fois la pertinence de la théorie du  désir mimétique. 





La problématique de la gloire

La gloire ? Oui, ou plutôt encore le prestige, la relation maitre/esclave. La problème d'être glorieux ou non et de dégager la lumière éblouissante. A coté de cette problématique se trouve le manque de gloire : c'est à dire le désir. Racine ne cesse de faire des parallèles entre le charme et l'autorité souveraine, autre nom de la gloire. 
Que faire de Junie dont Néron, empereur veut se faire aimer ? Elle montre que l'indifférence est le signe de la gloire. Ne rien désirer est naturellement le signe que la gloire est autonomie souveraine. La gloire indifférente est l'obstacle suprême, le seul objet réel de la passion. A l'opposé de Junie ou de Andromaque, nous voyons aussi Bérénice et narcisse, subjugué par la gloire, la prennent au sérieux, la gloire prend le corps et l'âme. Mais qui crée la gloire sinon les "avides regards", le reflet d'un désir unanime ? Il suffit d'un regard en moins et le problème naît.
"Tout désir est faiblesse, c'est pourquoi seul le désir qu'on inspire peut racheter la honte de celui qu'on ressent" P112
Les relations réciproques ne sont qu'un échange de gloire et leur maniement est aussi délicat que "l'alliance entre deux nations souveraines et d'un orgueil égal."
Or l'art racinien définit  d'abord les différents rapports non-réciproques. Il met en scène l'intersubjectivité de la gloire, son esprit de violence et en quoi elle peut dépasser la simple dialectique du maître et de l'esclave. On peut être libre mais être esclave par l'esprit et inversement. il y a confusion et disparité possible entre la dialectique de la gloire et le rapport de force. Racine montre que les rivaux triomphant des rapports de désir peuvent triompher  des rapports de force.
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Racine après Corneille, l'individualisme naissant et ses conséquences

Girard se demande si malgré sa lucidité, Racine ne serait pas un puritain de la gloire (Titus), c'est à dire créant des structures pour ses héros qui ne font que rendre attrayant ce qu'ils parent de barrières. Ils aboutissent à leur contraire.
Girard prend du temps pour expliquer sa vision de Corneille et du Cid qu'il comprend chronologiquement avec Racine. Le temps de Corneille, c'est le temps de la noblesse active et des duels, une gloire assise donc sur des éléments tangibles. il n'y a plus de duel sous Racine et qu'une noblesse domestiquée.

"L'ambition privée d'objet digne d'elle se transforme en concurrence abstraite et cette concurrence, privée de sanctions véritables s'éternise et devient obsédante. L'esprit de rivalité envahit, d'autre part, tous les domaines encore ouverts aux classes privilégiées, le domaine sexuel en particulier. Tandis que l'ambition se sexualise, la sexualité devient une forme d'ambition. Tout converge, semble-t-il, vers cette féminisation que nous venons de signaler. L'honneur, concept masculin perd du terrain devant l'idée féminine de gloire."



Racine est le signe de l'échec de la gloire cornélienne. Chez Racine, l'atmosphère de violence nait du fait que la violence n'es pas perçue comme un élément positif, la violence finale est le dénouement des tensions sado-masochistes  de la société. Le monde qu'engendre la gloire va vers son auto destruction. C'est l'intuition apocalyptique chrétienne de Racine d'une société qui s'est cru sans violence.


"Descartes est aveugle à la problématique de l'autre ouverte par l'individualisme. Mettre le moi au pluriel, comme font toutes les philosophies classiques, c'est masquer en l'accomplissant, la négation radicale d'autrui qui doit définir ces philosophies. L'individualisme ne signifie rien s'il ne signifie, en dernier ressort, le choix de soi-même contre autrui. Descartes et ses successeurs  ne révèlent pas cette conséquence car ils ne la reçoivent pas et ils ne la perçoivent pas à cause du caractère fondamental de leur choix individualiste."


Il y a un  lien à faire entre Descartes et Corneille. Début de la gloire et aveuglement sur le chemin de l'autodestruction. Racine décrit les retombées de l'individualisme naissant. il est le prophète de Proust et Dostoïevski. Racine ne fait que placer l'affirmation de soi dans le cadre intersubjectif... L'affirmation de soi est un défi à l'autre.

Mais la vérité de l'ouvre arrive seulement à Phèdre qui est une confirmation des anciennes tragédies. Phèdre est descendante du soleil. Elle se veut lumière. le culte pour elle est incompatible avec son désir pour Hippolyte. Elle se condamne et l’orgueil métaphysique conduit vers les extrêmes. Dieu ou monstre. Le mythe exprime ici la vérité du choix individualiste et de l'ambivalence de ses relation. Se choisir Dieu, c'est aussi choisir de voir un monstre en autrui et diviniser autrui, c'est se choisir soi même monstre. La dualité mythique monstre demi dieu de Phèdre exprime le lien entre orgueil et honte.
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Phèdre, vérité de Racine et de sa quête d'authenticité




Pour Girard, le conflit du théâtre racinien, c'est le refus tragique du monde et sa possibilité de l'énoncer authentiquement.



Girard commence par affirmer que la phénoménologie  ne voit pas le refus tragique. Elle reste dans le point de vue de Narcisse, le refus tragique est associé à de la coquetterie. Piège au second degré de l'intersubjectivité de la gloire.


Le refus du monde ou de son ambiguïté dans la vie de l'auteur (il arrêtera pratiquement d'écrire après Phèdre.) Est ce une victoire contre le monde ou une revanche abstraite ? Refus authentique ou simulacre ? Mais le silence après Phèdre ne peut être anecdotique, dans une lettre en 1677, il parle d'une conversion auprès d'une religieuse du Palais Royal, Dieu l'a tire de l'égarement et des misères où "j'ai été engagé pendant 15ans."
Le développement de son oeuvre tragique par l'esthétique va le conduire vers une éthique. Il quitte (presque) le théâtre va devenir bon courtisan et père responsable. Il rejettera la sagesse antique et embrassera l'ancien testament comme on le voit dans ses dernières œuvres. 

Même s'il faut faire preuve de volonté pour sortie de l'esclavage (échapper au désir, seul moyen de le satisfaire), il n'y a jamais entre la volonté de renoncement et l'abandon au désir la distance que l'on croit. La volonté de renoncement appartient à la dialectique du désir. Le renoncement est souvent égal en force à l'attraction du désir. C'est la création d'un mouvement circulaire. Cette volonté est souvent l'autre moitié du désir de gloire. S’entraîner au renoncement, c'est multiplier les tentations. Or la théorie de la mauvaise foi est imprégnée de la théorie solipsiste, c'est un outil pour ne pas reconnaître la duplicité propre au point de vue dynamique. L'unité quand on est un personnage du monde, c'est la folie, le meurtre et le suicide.



Or les personnages du premier refus (ex: Andromaque) sont déjà hors du désir.

Phèdre est un troisième type de personnage. Elle est victime du désir et prisonnière du monde. Elle pourra retrouver son unité en renonçant au désir, à elle-même, à la gloire et à la fausse lumière. La lumière est ici toujours liée à à l'orgueil blasphématoire. L'expérience du désir est descente aux enfers. Destin grec et rédemption chrétienne s'unissent. Phèdre est proche des pécheurs pardonnés ou une victime de l'hubris punie et réconcilié. Elle incarne le dépassement de l'esthétique.
On peut comprendre l'oeuvre et la vie de Racine à la lumière de la destinée de Phèdre. L'oeuvre spirituelle épouse la forme de la forme spirituelle jouée en elle. L'oeuvre suprême épouse la forme de l'aventure spirituelle jouée en elle. Son refus du premier acte (Andromaque, Brittanicus, Bérénice) proche de l'idéalisme. Puis chute de Phèdre proche des drames intermédiaires du désir triomphant. la mort de l’héroïne signifie la mort au monde du théâtre reconnu au monde grec de l'hubris ou de l'orgueil moderne.


Racine voyait la mondanité au départ comme un bénéfice puis en est coupable. Mais la préface de Phèdre indique une différence. On peut retourner contre le monde cet art mondain. Phèdre a servi à racine d'exemple et de leçon. Les oeuvres avant Phèdre sont mondaines, dédoublés mais aussi relève du silence auquel aspire les héros du refus. Mais n'est ce pas contradictoire de donner au silence sa part ? Non, si on comprend tout dans la notion de dynamisme et d'achèvement. En Titus, il y a un Adolphe (Constant) qui s'ignore mais aussi une Phèdre en devenir.



Il y a aussi dans Phèdre une magnifique démonstration du thème du double. Le désir et la honte se double toujours chez Racine. Phèdre par exemple, est l'expression mythique du demi dieu et a une passion incestueuse (inceste : expression de la plus haute volonté orgueilleuse d'unité et source de dédoublement le plus extrême). Le demi Dieu est un être hybride, enfant spirituel de l'hubris.

C'est la violence ensuite qui engendre les monstres, et toujours ce chemin de l'orgueil à la honte..
Le langage du mythe  dissimule la dialectique de la gloire. Le désir de gloire rejoint Prométhée volant le feu. mais Phèdre finit comme Oedipe, s'aveugler afin de mieux voir .Elle embrasse la synthèse johannique. La gloire échoue d'être à elle-même sa propre lumière, il faut assumer cet échec pour rejoindre la vérité de Jean Baptiste et celle de l'individu chrétien (et anecdotiquement la raison d'être du nom de ce blog) : Il n'était pas la Lumière mais il vint rendre témoignage à la Lumière.



Dans le monde du tragique tout devient implacable et l'expression d'une fatalité. 

On peut retrouver cette idée dans la psychologie que le mythologique éclaire la vie contemporaine, cela s'accompagne par un refus et une révolte. (la sexualité de l'homme occidental est conforme au schéma œdipien parce qu'elle déroule dans un climat de mystification sociale et de mensonge familial). Chez Marx, elle montre la non réciprocité des rapports humains et chez Barthes, cette métaphore désigne l'imprégnation de la magie dans la vie quotidienne. Dans Racine, l'existence mythique se définit par l'incapacité à différencier le relatif de l'absolu, ou bien dit comme l'ancien testament, l’idolâtrie. Le travail formel dévoile le monde comme figure théologique du mal, le jeu poétique révèle la signification du mythe. On ne saurait le choisir contre la rédemption chrétienne. Le dénouement de Phèdre est aussi le dénouement de la vie esthétique de Racine.

jeudi 19 décembre 2013

La violence révélée de Gil Bailie / 2nde partie


Après nous avoir conduit sur la question de la violence actuelle et de son paradoxe moderne, (et avant la troisième partie) Gil Bailie nous propose une lecture de la bible originale et catholique ayant pour but de nous montrer particulièrement comment la Bible est hantée par la question de la violence et du sacrifice et comment elle place ces deux réalités tout au long des livres et de l'histoire de la relation du peuple juif et de Dieu.

Nous pouvons lire la Bible comme l'histoire, le processus à portée universelle du passage du mythe vers la fin du processus victimaire. Le peuple juif est hanté par la question de la complicité avec la violence sacrificielle. La Bible est un texte en travail, en gestation, toute entière en remise en question, en avancée (et en déclin quelquefois) de la pensée anti-sacrificielle.
Cette seconde partie nous dresse le portrait d'une humanité (bien au delà de la Bible que cette partie travaille) fondée, travaillée par le sacré et la révélation biblique.

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Le premier mort de la Bible arrive vite, Abel, il fonde la culture. Déjà la Bible propose sa lucidité et montre qu'elle est le lieu où se donne à voir le combat entre le mythe et la révélation. Voir dans la Bible un livre de violence est une erreur de perspective, c'est ici plus qu'ailleurs que se donne à voir le lieu de la "guerre" contre la violence sacrificielle.

Par Caïn et Abel, la Bible nous montre ce qu'est un sacrifice ou plutôt ce qui se passe quand il rate. Caïn nous montre ce qui se passe quand on essaie de quitter trop brutalement le système sacrificiel. L'innovation en terme de gestion de la violence est dangereuse sans responsabilité morale et religieuse. C'est l'histoire du XXe siècle et de Lamek, se passer des structures sacrificielles sans renoncer aux passions mimétiques.
Au contraire Abraham, passage du sacrifice humain au sacrifice animal, lance une innovation sacrificielle avec pour source une expérience religieuse et une responsabilité morale, il renonce à une forme de sacrifice au nom de Dieu.

Ensuite l'Exode est l'effort d'Israël pour quitter le sacré. La culture juive se fait dans une perpétuelle crise, comment vivre et faire culture quand on prend le parti permanent de la réflexion morale et religieuse de la fin de la violence sacrificielle ? Le Dieu de Moïse se méfie du religieux et se met avec les esclaves. Mais Moise tente trop vite des innovations qui vont se retourner contre le peuple juif (Exode 32-25, 3000 morts), il remet plus de sacrificiel par la suite. Comment faire pour garder la problématique morale et garder une fascination suffisante de la justice divine ? (Lévitique 10, 1) Aaron marque par exemple un grand coup d'arrêt de la révolution sacrificielle, il recourt au mécanisme du bouc émissaire puis au cercle vicieux du nombre d'interdits.

Qui peut donner la légitimité religieuse à la violence ? Qui contrôle la politique ? Celui qui saura mettre en scène le spectacle liturgique. (Nombres 16, 5, 18).
Aujourd'hui, nos scrupules ne permettent plus d'enjoliver la scène et de renforcer l'harmonie sociale. Il faut un ennemi. La guerre sainte peut jouer ce rôle. Josué en traversant le Jourdain, rencontre la violence sacrificielle sous la forme militaire, rituel productif et mobilisateur. 
Si la compagne militaire a des problèmes, contre Aï par exemple (Josué 8), c'est le signe du manque d'esprit de corps, un sacrifice est donc nécessaire. Transfert de la terreur religieuse par sentiment de culpabilité sur la victime. Après la mort du roi d'Aï, il y a la restauration d'un système sacrificiel avec autels primitifs. Les tumulus sont le signe de la lapidation, avalanche mimétique où on ne peut plus reconnaître la victime. Le tumulus est le chaînon manquant entre la violence mimétique et le culte religieux. A ce sujet, il est pertinent de noter que Jésus est toujours menacé à l'intérieur du Temple. c'est le symbole du fait que le zèle pour sacrifier Jésus est ce qui conduit à la destruction du temple (= structure sacrificielle), dilapider les pierre du temple vers Jésus. Josué et Jésus, les deux traversent le Jourdain, l'un vis à vis de Dieu, le second avec Lui. Le 1er construit des monceaux de Pierre, le second tend à les dilapider.... Oui, le tombeau  va être vide....
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Bailie prendra encore du temps pour s'appesantir sur la révélation de la violence sacrificielle par l'intermédiaire des prophètes. Et toujours au centre de cette tension, le fait qu'on ne peut rejeter le sacrifice que de façon sacrificielle.

Elie. Au moment du roi Achab, Elie est en compétition contre 450 sacrificateur de Baal, qui sera le grand prêtre du roi ? Au départ, Elie se moque de ses rivaux et rend leurs sacrifices inopérants, il exploite la frénésie mimétique et la retourne contre les sacrificateurs de Baal. Cela conduit au sacrifice humain de ces sacrificateurs afin de mettre un terme à ces même sacrifices.

Michée: Achab veut envahir Ramot de Galahad, feu vert des prophètes officiels, Michée dit oui, par sarcasme puis annonce l'échec. La prophétie se signale comme affrontements avec les puissants. Le signe du prophète est son immunité contre la mimésis sociale car il a donné sa primauté à Dieu.

Jérémie : Le prophète possède le point de vue anthropologique de la victime mais il est aussi capable de regarder les traces (Jérémie 2, 20), il sait qu'il ne faut pas se débarrasser des tabous pour terminer la violence sacrificielle collective, cela conduit toujours en idolâtrie païenne et en infanticides rituels. Jérémie donne ensuite l'impulsion de la réforme religieuse, éradique sacrifice humain, purifie les cérémonies. Mais la passion anti-sacrificielle de Bethel se retourne en sacrifice en Samarie. Le renouveau de l'orthodoxie se retourne aussi en arrogance, Jérémie est persécuté.

Daniel : histoire de Suzanne, on peut voir cette histoire comme l'épilogue de l'ancien testament et l'introduction du nouveau testament. C'est un drame Shakespearien. Deux hommes installés développent de l'envie pour un homme prestigieux qui se transforme en proposition indécente et en mensonge sur la vertu de sa femme condamnée à tort pour adultère. Daniel pris par l'Esprit Saint défend Suzanne, dévoile les véritables menteurs. Mais curieusement, le défenseur se retrouve accusateur. D'une certaine manière Daniel crée le système judiciaire, il est aussi saisi par le zèle sacrificateur. L'indignation vertueuse créatrice de normes sociales. Il est toujours important de définir les culpabilités, mais très souvent, le processus mimétique se relance. Finalement Daniel joue le rôle de l'ange qui attire l'attention d'Abraham sur le bélier. Notre système judiciaire est conçu pour produire des variantes de cette conclusion heureuse pour une foule encline à la mise à mort. Daniel donne sens et légitimité à la violence. C'est toujours malgré tout l'origine de nos systèmes judiciaires.
L'histoire de Suzanne est l'histoire d'une réformation de système politico-social avec résolution heureuse de la crise et prestige social accru pour le héros grâce à son souci des victimes.

Esprit Saint, Esprit de vérité et de justice, sa révélation sera positive ou négative si nous vivons les temps de crises en nous protégeant de celles-ci et si nous regardons le ciel. Car l'Esprit biblique se soucie plus de progrès religieux que de progrès sociaux juridiques qui n'en sont que des conséquences. Entre Daniel et Jésus (et la femme adultère), il y a encore un écart, Jésus ne recherche pas à dévier, à utiliser la violence sacrificielle.

Si nous comprenons bien aussi la phrase de Jésus (Luc 11, 50, 51), un prophète n'est pas seulement une bonne personne morale, mais peut être aussi une personne dont on ne voit pas sur le coup que leur mort a resserré les liens de la communauté (et dont nous devrons répondre de leur sang), finalement, les deux prophètes l'histoire de Suzanne sont les deux vieillards lubriques...
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Au final, ce dont parle la Bible, c'est de la lutte entre deux représentations religieuses, le dieu violent et le Dieu déconstructeur de la violence, un Dieu qui demande de rendre compte des meurtres que nous voulions (consciemment ou non) sacrifice régénérateur. Nous devons à la fois nous repentir de la violence de notre justice et nous rappeler le mystère de la transcendance divine. Méfions nous de ceux qui ne veulent pas se repentir de leur justice (les conservateurs) et de ceux qui pensent sortir de la crise où nous sommes sans nous poser la question de la transcendance divine.




Ci dessous note chapitre par chapitre :


lundi 16 décembre 2013

Benoit Chantre et les arts de la paix


J'aime beaucoup cette video de Benoit Chantre, il a tenu ce discours lors d'un symposium au collège de France organisé par Marc Fumaroli. Vous pourrez bien sur voir le lien de cette vidéo avec cette note précédente.

Dans cette vidéo, il tente de montrer en quoi l'année 1806 peut être le symbole d'une brisure historique et intellectuelle. La fin de la guerre en dentelles aristocratiques et d'ancienne tradition. La guerre était réservée à l'aristocratie qui en prenait les risques et permettaient de contenir la violence de la guerre dans des limites liturgiques et rituelles très claires. Le roi faisait partie de cette mystique, le monde de la culture pouvait le reconnaître comme le prince de la paix.
1806, c'est la victoire de Iena de Napoléon, et la victoire de la guerre totale sous la sidération du monde des lettres. Chantre voit deux prophètes, deux thuriféraires et deux contre-feux de ce terrible changement.

Les deux prophètes 


Les deux prophètes de Iena sont Machiavel et le chevalier de Guibert. Longue distance historique entre les deux qui peut s'expliquer par la main mise de la noblesse sur la guerre. De l'importance donnée à la la cavalerie par rapport à l'infanterie.
Machiavel a eu raison trop tôt. Il aurait voulu éviter la guerre en dentelles, il aimerait se concentrer sur le soldat et faire de lui un acharné conduit par un impératif moral, recruté dans le peuple et entraîné dans une milice populaire. Comme les cités ne peuvent vivre qu'en canalisant à l'extérieur la violence de leurs membres, la guerre deviendra la condition de l'Etat et l'Etat, la condition de la guerre. Il se concentre sur les hommes qui doivent être indépendants de l'Eglise qui féminise les mâles vertus. L'armée doit être un instrument de précision de l'Etat hors de l'Eglise et de l'aristocratie. L'aristocratie en préférant les cavaliers et combat d'honneur aux armes trop efficaces. C'est la progression des arts de la paix du 16 et 17ème siècle. C'est ce que Roger Caillois dessine dans son  livre "Bellone ou la pente de la guerre". La noblesse voit la guerre comme violence de masse à domestiquer et à retirer de la main de la population sous peine de grand risque, ils privilégient les prouesses des héros, les combinaisons et les formes.. Le sérieux de la guerre appartient à la démocratie.
Bellone est la soeur de Mars, elle est l'incarnation de l'horreur de la guerre.
De Guibert, pourtant aristocrate français va reprendre les pensées de Machiavel, il dénonce le caractère cérémonieux de la guerre. Ce sont les premières justifications des futures armées révolutionnaires. L'habileté conduisait à la victoire et non le sang.
Or les arts de la paix ont prospéré sur les arts de la guerre. En de Guibert, nous sentons que nous passons de Fragonard à David, le soldat citoyen perce.
Seule la milice populaire et donc le suffrage universel lié à la conscription pourra poser au monde l'esprit des lumières. La guerre garantit la liberté des citoyens contre toutes les tyrannies. Cela explique aussi l'enthousiasme de l'arrivée des armées napoléoniennes et les désillusions dont Goya sera l’emblème avec ces caprichos, vision allégorique du triomphe de Bellonne contre Mars.


Les deux thuriféraires

Hegel écrit le soir d'Iena, J'ai vu l'empereur, cette âme du monde... Un individu, point concentré et qui s’étend sur le monde. (Définition mythique de l'empire)
Il achève son oeuvre "phénoménologie de l'esprit". Il a espoir dans l'empereur.  Pour lui et ses contemporains, l'armée française est désignée pour inscrire dans le réel l'universalité du droit. Foi en Napoléon.
Il ne voit pas alors de drame au moment de la défaite de son pays. Il y a une histoire essentielle qui est la victoire de la raison, la réalisation de l'esprit dans la constitution de l’état. La raison se rit des conflits. Les dangers de la démocratie seront conjurés par l'aristocratie du savoir, les fonctionnaires choisi par compétences et leurs vertus et le soucis de l’intérêt général.

La guerre n'est donc pas une fascination mais une épreuve pour le triomphe du droit, l’avènement du droit nous libérant de toute mythologie. L'individu doit être capable de se sacrifier  pour l'Etat
Hegel dit après Machiavel qu'il ne faut pas que la population se morfonde. Pour se réinscrire dans l'universel, ils doivent se sentir prêt au sacrifice. l'individu doit être absorbé dans la totalité éthique qu'est l'Etat nation. La guerre atteint un niveau métaphysique des sociétés post aristocratiques. Clausewitz voit aussi l'arrivée d'un nouveau Dieu de la guerre mais lui, il est humilié par la défaite. A partir de cette guerre, il synthétise la montée aux extrêmes, chemin naturel de la guerre et de la politique.
Hegel et Clausewitz se rejoignent dans la sacralisation de la guerre, le soldat prussien donnant une note apocalyptique à cette perception de la guerre. Chacun des adversaires fait la loi de l'autre d'où résulte une action réciproque qui en tant que concept doit aller aux extrêmes.
Or le simple fait que l'adversaire fait la loi de l'autre prouve que la relation n'est plus symétrique, qu'elle s'est déjà dégradée en réciprocité violente.
C'est asymétrique, il y a l'esclave et le maître et réciproquement, les deux étant chacun l'un et l'autre. C'est la raison pour laquelle ils vont aux extrêmes. C'est la fin de la dialectique du maître et de l'esclave de Hegel. A rebours de Raymond Aron, René Girard affirme ainsi dans "Achevez Clausewitz" le caractère irréversible de l'intuition du stratège prussien qui ne fait qu'un avec l'apparition dans l'histoire d'un pur principe de réciprocité. Le duel, la montée réciproque désigne une relation asymétrique réciproque qui s'est imposé comme tendance dominante de l'histoire. Loin de contenir la violence, la politique court derrière la guerre.

 Le primat fondamental de la défensive sur l'offensive où c'est celui qui se défend qui veut réellement la guerre vient alors soutenir le déchaînement de la violence guerrière. Il est plus facile de mobiliser tout un pays dans la guerre sur des thèmes défensifs que de le convaincre de la nécessité d'une offensive. Alors la mobilisation totale est le symptôme de la dégradation du droit de la guerre, d'une possession de tous les sociétaires par un adversaire à la fois vénéré et haï, d'où le rôle fondamental selon Girard de Napoléon dans le traité de Clausewitz. L'unité de la Prusse, puis de l'Allemagne se fera contre la personne de l'empereur ainsi unifié dans la haine de la France.


Seul le duel, le primat de la défensive permettent de construire une théorie de la guerre moderne. le primat de la défensive ne permet plus la guerre décisive. La guerre échappe au principe de la raison au moment ou celle-la permet d'en saisir le concept.
L'Héroïsme national est structuré par le ressentiment. Le monopole de la violence légitime de l’État est renforcé par la disparition de l'ethos aristocratique.
Le moteur de la constitution démocratique est le ressentiment disait déjà Nietzsche, elle gouverne leurs relations. Elle contribuera aussi à les désintégrer dans la nouvelle étape de la montée extrême : les guerres idéologiques.
Aron et Girard se rejoignent en nommant le nazisme et le communisme comme du Hégélianisme militaire. La montée de la violence guerrière pour lequel le politique ne peut fournir que des justifications. Avec la guerre, c'est la sacré qui fait son retour. Caillois décrit cette épiphanie sinistre : la guerre n'est sentie comme sacré que quand elle est fascinante et non si réduite en art militaire, c'est un art sanglant, réglé comme le sport. Pour être sacré, elle doit contenir un risque total pour une population entière, acteur ou victime d'une tragédie généralisée.

Les deux contrepoids
De Maistre et Holderlin
Les deux tentent de fuir l’Europe et tentent d’interpréter les guerres napoléoniennes
De Maistre les voit comme des signes providentielles de la mort de la mort.
Le second comme le signe dont il faut se détourner pour revenir au propre de l'occident. Les deux font des efforts pour sortir de la fascination de la guerre. par excès ou par défaut.
Ils sont les témoins de la résilience de la république des lettres mais aussi de son impuissance à bâtir un art de la paix.

De Maistre appelle Napoléon : Fléau de Dieu.
Il mène une guerre contre la fatalité de la guerre et pour un providentialisme anti hegelien.
De Maistre voit dans la révolution et sa suite napoléonienne une confusion entre violence légale et illégale mais il développe une pensée terrible sur la violence, sur une terre déjà imbibé de sang, qui est un autel où tout ce qui vit doit être immolé sans fin jusqu'à l'extinction du mal ou jusqu'à la mort de la mort. Conscience forte des désastres de la guerre moderne mais il la voit comme une énorme expiation, l'avènement d'une bonne nouvelle d'un salut. Dénonciation de la modernité mais accompagnée d'une croyance dans la fécondité de la violence. Les charniers sont la suite de la passion du Christ et travailleraient au salut du genre humain. De Maistre fait des premiers pas vers l'anthropologie moderne mais réalise une régression lourde dans la pensée de l’événement chrétien.

Seul Holderlin saisira l'unicité du Christ. Il s'en isolera
Mais d'abord, il se réjouit de Napoléon ("le prince de la fête"). En 1806, c'est la grande désillusion, il perd la foi. Il désire de rester en retraite toute sa vie à Tubingen, dans un moulin et passera pour fou pour la majorité. Il décide de se taire en gardant au coeur une nostalgie du christianisme malgré les beautés qu'il ait pu entrapercevoir chez les grecs mais il n'est pas fasciné par Dionysos et est nostalgique de la douceur européenne. Il se tourne vers le Christ, appelé frère des dieux antiques et véritable Dieu de la fête. Il renonce au pathos sacré.
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Patmos

Est proche
Et rude à saisir le dieu.
Mais où est le péril, croît
Le salutaire aussi.

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A la figure divine immédiate du Christ  succède le Dieu médiateur d'un apôtre dont le retrait ouvre à l'homme une demeure habitable.
Holderlin ouvre une synthèse impossible entre les dieux qui s'en vont et le Dieu qui s'approche, entre le Christ et son frère Herakles.

Labyrinthe sans sortie. Silence, Sentiment d'impuissance  de la parole poétique...

En 1917, Rozenzweig inhume un livre écrit par Hegel mais conçu par Schelling et Holderlin. ce petit livre dit que non seulement la grande masse doit avoir une religion qui parle au sens mais c'est surtout les philosophes qui en ont besoin. Il faut un monothéisme de la raison et du coeur, un polythéisme de l'imagination et de l'art avec une mythologie de la raison. Schelling pensait être le poète de cette mythologie de la paix. Mais seul Holderlin fut à la hauteur. Son oeuvre témoigne du retrait des dieux et de la fragilité de la parole humaine, et se concentre autour d'une intuition centrale : Compossibilité de l'antique et du chrétien. Formule "monothéisme de la raison et du coeur..." définissait une nouvelle catholicité, le poète la voit apparaître au terme de son oeuvre. Mais se tait de ne pouvoir l'incarner.


jeudi 12 décembre 2013

Quelques images....

J'aime beaucoup la lecture de Cormary sur le livre de Nancy.
Internet est aussi extraordinaire en ce qu'il nous met en relation avec une foule d'image, d'humour, d'histoire, d'esthétiques. Nous aimons nous associer à elle, qu'elles parlent de nous... Qu'elles témoignent de nous. On peut le voir comment elles se répandent par le net. Chacune pourtant a un sens qu'il serait bon de méditer. un rôle liturgique ou religieux aussi... Mais de quelle religion...
J'ai fouillé mes images stockées sur mon ordinateur, je vous en partage un petit nombre. Peut être que chacune d'elle vaudrait une bonne note joufflue...