mercredi 25 mai 2016

A la recherche de l'identité harmonieuse avec Olivier Rey

Très belle conférence (encore) d'Olivier Rey dans le cadre ce que doit être une rencontre de rencontres d'idées et de formation du mouvement "Avant Garde" animé par Charles Millon et Jacques de Guillebon. Ce mouvement se classe à droite de l'échiquier politique française. Cette conférence me semble pourtant universelle mais touche des sujets plus difficilement touchés à gauche. On reconnaît dans le ton de la conférence que Rey est imbibé de René Girard. Il ne sera cité que dans les questions réponses (que je vous invite à écouter aussi.) 



Cette conférence me semble très forte. Elle est à discuter mais me semble un préalable à toute conversation sérieuse sur la politique. 
Le passage de la communauté à la société est le grand mouvement de notre temps. Au cœur de cette modification, se pose la question de la reconnaissance personnelle. Le confort des sociétés anciennes a été troqué par le confort de l'individu pour notre plus grand bienfait et notre plus grand risque. La perte de la communauté fait de nous des hommes en manque de reconnaissance. Cette chose toute simple transforme les sociétés humaines, leur propre perception, complique toute relation humaine et politique. Faisons le constat de la déliquescence de la politique qui découle du premier constat. N'ayons pas peur, toute lucidité, nous rapproche de la vie bonne à atteindre et de la bonne prière.
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La question de l'harmonie ne se poserait pas si elle était trouvée ou existante. Comprenons ce qui fait obstacle à cette identité harmonieuse et aux questions politiques qui y sont associées.

I Le désir de reconnaissance blessée
Hegel annonce en 1807 que le désir de reconnaissance est ce qu'il y a de plus nécessaire. Pourquoi, fallut il attendre cette date pour le reconnaître ? Car à cette date ce désir se révèle quand les moyens traditionnels de le satisfaire s'en vont. Ils se dérobent avec la société moderne, sociétés d'individus.
Afficher l'image d'origineIndividu ? C'est ce qu'on ne peut découper. C'est l'atome de la société. Mais au XVIIe siècle, le sens est retourné. On part d'un emploi de solidarité à une situation où il est le point de départ duquel toutes institutions humaines se constituent. Nous sommes passés d'une situation ou "je" était le singulier du "nous" à celle où "nous" est le pluriel du "je". D'une situation où l'affirmation du "je" était difficile à une situation où le "nous" est difficile. C'est un bouleversement dans la vision de la chose collective.
Exemple du mot société qui a pour origine le sens de ce qui naît d'un contrat et qui le demeurera jusqu'à l'époque moderne où nous concevons le monde humain comme une société.  Ce ne sont pas les humains qui reçoivent une société humaine. Celle ci naît que de décisions humaines. La société se pense qu'en terme contractuelle ou utilitaire. Nous avons extraits donc l'individu des communautés anciennes.
Ce passage est un événement essentiel de notre histoire nous pouvons voir deux étapes essentielles de ce passage. La révolution industrielle et révolution politique.
Ce sont des dynamiteurs des communautés, une fois défaites les communautés ont déversé dans le monde des millions d'hommes désaffiliés, individus appelés à composer les grandes sociétés modernes où la solidarité n'est plus entre personnes qui se connaissent et se reconnaissent mais où l'interdépendance est médiatisé par la division du travail et le mécanisme de marché.

L'ordre social est l'amalgame des comportements des individus confiés à eux-mêmes et poursuivant leurs intérêt. Dans l'optique républicaine, l'ordre social résulte d'un ordre politique exprimant une volonté commune. Mais même dans l'optique républicaine, le fondement n'en demeure pas moins individualiste à l’extrême. La volonté des nations est le résultat de volontés individuelles. La révolution française est le symbole de cette transformation. Il n'y a plus que l’intérêt particulier et l’intérêt national. L’État hypertrophié et l'individu isolé vont de pair. Besoins substantiels partagés.
Les individus gagnent en liberté de mouvement, d'initiative et de choix.
Ce qu'ils perdent est moins évident mais font sentir leurs effets à terme. C'est la perte du minimum garanti de reconnaissance qu'offrait à chacun la vie communautaire. La non-reconnaissance domine. Hegel a saisi la loi générale quand le mouvement en son origine historique s'initiait, ce qui ne l'a pas empêché de chasser la gloire dans la grande ville, Berlin, et profiter de la concentration capitalistique de la reconnaissance.


II Comment trouver cette reconnaissance dans la société moderne ?
Après ces bouleversements la question se pose, comment faire du un ? ce qui marche mieux est la désignation d'un petit groupe à la vindicte populaire. La France révolutionnaire par exemple avait des besoins urgents d'ennemis intérieurs et extérieurs. C'est la situation de toute nation moderne.
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Ce n'est pas l'idée nationale qui est en cause mais la place exorbitante que cette idée a trouvé dans le cerveau de masse d'individus déracinés. Le nationalisme agressif s'est développé en tant que palliatif a une vie profondément insatisfaisante, inharmonieuse et n'a eu que quelques compensation en interne par le report d’agressivité en externe avec guerres. Ces guerres ont signalé le vice de constitution de ces nations. On devrait comprendre que le vice en question ne tient pas à l'existence de pays, de frontières, de limites, mais à des limites posées au mauvais endroit et en trop petit nombre. Exemple d'Auguste Comte, qu'Oliver Rey promeut, rêvant d'une Europe de petits territoires. Ces pays permettaient une véritable médiation entre l'individu et l'humanité. Une patrie trop grande est obnubilé par son rang. On se trompe sur les conclusions des grandes guerres. Le mal seraient que les nations soient divisées. Non, il n'y avait pas assez de frontières. Certes, l'augmentation des nations peut multiplier les guerres mais seulement des petites guerres. Nous vivons l'inverse. Les grandes nations apportent des grandes guerres.
Pour l'économie aussi, la taille augmente la productivité, mais les économistes ne voient pas l'incapacité du système économique à répondre au besoin de reconnaissance. A part quelques individus, il n'y a plus qu'une masse indistincte.

Succès des "identités"
Auparavant, l'identité est ce qui ne change pas dans la ligne du temps, cela s'est transformé en sentiment d'appartenance puis est apparu le phénomène identitaire. On peut ainsi se reconnaître dans un monde où le commun des mortels a si peu le sentiment d'exister.
Une autre solution est de se battre avec les "minorités". Ainsi en cachant sa prétention et sa haine de soi nécessaire à cet occasion, on peut prétendre se différencier.
Ce désespoir face à soi-même se développe quand les diverses frontières se dissolvent pour verser toujours plus de populations dans un magma indistinct.

III Dissolution politique
La dissolution politique accompagne la dissolution des peuples celle ci se montre par un magma indifférencié.
Après avoir vu une différence de taille entre l'origine de la démocratie américaine et française par Arendt (La révolution française a conduit le peuple a remplacé le roi, la démocratie fût décrétée du haut, injonction paradoxale. La révolution américaine proposait de tout commencer par la base de la commune) Olivier Rey note ce qui a fait dévier les démocraties actuelles.
La perte de maîtrise des outils de production nécessitant des investissement grandissant. Une communauté perd de ce qu'elle est quand elle ne les maitrise plus. Passé un stade de développement, la technique délocalise et sape les conditions d'une vie locale dans laquelle s'ancre toute véritable démocratie.

Ensuite, il faut voir comment le manque de reconnaissance est le carburant du moteur économique. La reconnaissance par les anciens modes de sociabilité ont été changé par la reconnaissance par la consommation. Veblen verra rapidement le rôle de la consommation dans les catégories riches de l’Amérique industrielle. La consommation ostentatoire prend son envol. La baisse des couts de production permets au plus grand nombre d'entrer dans cette catégorie. Le grand moteur de l'économie tient en une phrase : Keeping up with Joneses ! (Ne pas se laisser distancer par les Dupont). Mais avec le dynamitage des liens sociaux et la télévision, le Jones qui était notre voisin devient le beautifull people des médias.
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La souffrance des personnes n'est pas un "à coté" malheureux, elle est le principal carburant.

Face à ces deux situations, un dirigeant de bonne volonté est placé dans une injonction contradictoire :
Rompre avec dynamique nocive conduisant à la catastrophe ou composer avec cette dynamique car s'en extraire est impossible et y réussir est dangereux car on se met à la merci de ses voisins qui resteraient dans la dynamique actuelle.
Conclusion
Nous vivons un paradoxe, la nation est la seule structure politique qui nous reste pour faire de la politique alors qu'elle a été l'acteur de la dégénérescence de la politique.
Acceptons le réel malgré tout. Il nous voue à la disharmonie. Faisons face à l'adversité. N'ayons pas peur des paradoxes et sachons tenir des idées opposées sans les casser. 
Par exemple, voyons que les choses sont sans espoir mais avec la résolution de les changer....
Nous entrons dans une époque de turbulence. Tout sera possible.
Ne cultivons pas la tristesse ni la passivité mais plutôt les vertus et les capacités qui grâce aux ciel trouveront à s'employer.
Continuons d'adhérer de toute notre force à ce que nous croyons bon et qui avec l'aide du ciel trouvera une solution !

N'est ce pas aussi ma prière ! En tout cas, je la fais mienne.

jeudi 12 mai 2016

Le discours de Ratisbonne et Achever Clausewitz

Je vous propose de relire le discours de Ratisbonne.
Certains disent que c'était une grave erreur de communication...
Lire ce discours ainsi est le voir par le petit bout de la lorgnette des actualités. René Girard nous invite à relire ce texte dans Achever Clausewitz. J'y vois un accord profond entre les deux hommes (que l'on pouvait voir déjà ici...). Cet accord rejoint aussi Girard dans son étude profonde du catholicisme et de la papauté qui suivra, je l'espère.


-relisons le discours de Ratisbonne
(interlude chestertonienne)
-Lisons la lecture de Girard de ce discours dans Achever Clausewitz.
-Insérons là dans l'étude de la papauté de Girard dans ce même livre (prochaine étape...)



A Souvenirs d'un professeur
Au départ, Benoit XVI évoque des souvenirs.
Il se souvient de l'interdisciplinarité universitaire et ce sens de l'universitas qui était "le sentiment que nous avions à assumer une responsabilité commune dans l'usage correcte de la raison."
Il se souvient de la présence des théologiens dans l'université, leur travail de montrer que la foi s'ordonnait à la raison commune.
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B Illustration de son sujet,
Manuel II paléologue discute avec un savant iranien en 1402.
 La foi peut elle être contrainte ?  (questionnement sur la violence de Mahomet.)
Manuel dit qu'il faut le logos pour propager la foi, que ne pas agir selon la raison contredit la nature de Dieu. Cela semble aller à l'encontre d'autres traditions comme certaines musulmanes où Dieu est tellement transcendants qu'il se joue de la raison humaine et de la parole humaine et au concept humain de vérité.

C L'Europe, lieu de rencontre de deux révélations.
Benoit XVI souhaite montrer l'accord entre la tradition philosophique grecque et la Bible, l'héritage grec purifié appartient à la foi chrétienne. C'est la rencontre nécessaire entre les questions grecques et la foi biblique. Cette rencontre (sans oublier Rome) n'est pas un hasard et le lieu créé en l'occasion pour cette rencontre s'appelle l'Europe.

Cette rencontre a été remise en cause au moyen-Age. Notamment par Duns Scott, l'altérité de Dieu est placée si haut que notre raison, notre sens du vrai et du bien ne sont plus de réels miroirs de Dieu. Certes, Dieu est infiniment grand mais cela ne supprime pas l'analogie. L'amour surpasse la connaissance mais son amour est celui du Dieu-logos.

D Benoit XVI souhaite présenter trois signes de la déshéllenisation

-La Réforme a réagi face au poids de la métaphysique sur la foi, il fallait retourner à l'origine. Kant utilise radicalement cette réaction. Il ancre la foi dans la raison pratique et lui dénie l'accès à la totalité de la réalité.

-La théologie libérale dont Theodor von Harnack est le représentant de la recherche et de la lecture historico-critique. Cette tradition invitait à aller directement à l'amour et au message moral afin de le rendre compatible  avec la raison moderne. Retirer Jésus de la philosophie et de la théologie (divinité du Christ, Trinité). On perçoit l'auto limitation de la raison radicalisée.

Cette conception moderne de la raison est l'alliance d'un cartésianisme (platonisme) et d'un empirisme. Utilisation de la logique interne de la matière alliée avec la fonctionnalité de la nature pour nos intérêts par l'expérience.
La scientificité est réduite à la certitude de l'expérience. Les sciences humaines sont rappelées à l'ordre, sa méthode exclut Dieu. Remettons en question ce rétrécissement.
Les questions de l'origine et de la fin, de la religion et de la morale deviennent non avenus ou au mieux subjectives (plus de formation collective) et l'homme est diminué en cela.  La situation est dangereuse pour lui et nous le constatons, cette situation crée des pathologies de la raison et de la religion ce qui est normal quand religion et morale sont exclus du champs de la raison.

-Troisième déshellenisation est l'inculturation. Faire croire aux autres cultures qu'elles peuvent faire abstraction de l'héritage grecque.
"Bien sur, il  a des couches dans le devenir de l’Église antique qui ne doivent pas entrer dans toutes les cultures. Mais les choix fondamentaux, qui concernent le lien de la foi avec la quête de la raison humaine, appartiennent à cette foi elle-même et sont adaptés à son développement."

E Conclusion
Il faut reconnaitre les grandeurs de la pensée moderne, nous en sommes reconnaissants. Il existe une éthique de la scientificité qui est obéissance à la vérité. Mais élargissons !
Ne nous limitons pas à ce qui est falsifiable. Réintégrons le questionnement de la foi et de la raison.
Cela est la nécessité si nous voulons redevenir capable de dialogue véritable entre culture et religions. Notre exclusion du divin hors de l'universalité de la raison est perçue comme mépris des autres  et une raison sourde au divin est inapte au dialogue.
Il faut revenir à la redécouverte des traditions religieuses comme sources de connaissance. Ne perdons pas le chemin de la vérité de l'être.
L'occident est menacé par le rejet des questions fondamentales
Ayons le courage d'élargir la raison tel est le programme d'une théologie responsable.
C'est dans ce grand logos évoqué par Manuel que nous invitons aussi nos partenaires au dialogue des cultures.

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Chesterton : Dans la première enquête du père Brown, celui-ci démasque un faux prêtre et informe brillamment la police qu'il est en danger. Comment a t il su ? Ce faux prêtre décrédibilisait la rationalité. "Très mauvais théologie" affirmait-il...
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Achever Clausewitz

Dans Achever Clausewitz, René Girard commente longuement le discours de Ratisbonne et lui laisse une place de choix, la toute fin de son dernier chapitre avant son épilogue. Il y voit une confirmation de ses thèses : refus du sacrifice et plaidoyer pour une approche rationnelle du religieux.
Il dit encore que le pape a alors dit ce que doit dire un pape : Après laa guerre de la raison contre la religion, succèderait celle de la religion contre la raison. Il rappelle les valeurs intangibles de l'Europe avant de partir en Turquie. Il confirme les conclusions du pape sur les pathologies  de la raison et de la foi à venir. Le rationalisme et le fidéisme se retrouvent en frères jumeaux.
Nous perdons le grec et donc dans une certaine manière la possibilité d'une théologie rationnelle.
Car au final c'est un religieux qui en affronte un autre.

Voila la guerre qui se profile : la raison théologique contre le rationalisme et le fidéisme ou autrement dit un irrationnel déchainé. La raison érigée en religion est un religieux dévoyé qui déclenche le religieux pathologique. Elle bloque à sa base toute discussion avec l'Islam. Pour éviter tout piège de réciprocité violente, les bases anthropologiques et théologiques sont essentielles dans nos fondations.
Il confirme l'unité grecque et hébraïque de l'origine du Christianisme et sur les ébranlement de la Réforme, de Kant, de la théologie libérale (limitation morale humanitaire et des tenants de la sortie de l'inculturation grecque.)

Invitation à un dialogue respectueux et ferme. Pas un rejet de l'Islam.
Le discours du pape est un bon exemple de la séparation des ordre (raison et foi) et la nécessité de les relier la grâce à une raison élargie.
Ni confondre, ni séparer mais comprendre ensemble.