samedi 14 janvier 2017

Qu'est ce qui fait qu'un roi est roi ? Olivier Py - Shakespeare, Roi Lear

Tout a commencé quand je cherchais des vidéos sur Samuel Rouvillois. Je suis tombé sur cette vidéo que je vous invite à écouter à partir de la trentième minute quand Oliver Py présente avec beaucoup d'érudition sa mise en scène du roi Lear de Shakespeare au festival d'Avignon de 2015. Toutes les critiques ne furent pas élogieuses. Mais son intervention m'a beaucoup intéressé.



Shakespeare a écrit le Roi Lear et Macbeth la même année. Une année d'interrogations sur le pouvoir en pleine crise de légitimité du roi Jacques 1er en Angleterre.
Qu'est ce qui fait qu'un roi est roi ?
Ses habits, sa couronne ? Un chien avec une couronne reste un chien (problématique de MacBeth,
MacBeth découvre quand il a brisé la couronne. La couronne qu'il met sur sa tete n'est pas celle qu'il convoitait. il devient fou.)
C'est la question que se pose le roi Lear, il abandonne ses signes tout en voulant rester roi et voir ce que cela fait ?  Il n'y a pas de légitimité divine à la royauté.
Olivier Py souhaite proposer deux faits à notre compréhension de la pièce, Shakespeare tente de défendre la légitimité du roi Jacques 1er contre tous les usurpateurs et les accusateurs d'usurpation. Ensuite, Shakespeare était catholique. Question insoluble pour la page wikipedia, par exemple, mais que le metteur en scène pose avec force, conviction et arguments intéressants. (Globe theater, moine de Roméo et Juliette)
Il souhaite articuler légitimité divine et personne sans pouvoir spirituel. Or Le roi Lear devient roi quand il est nu et s'interroge sur sa population. Sinon le pouvoir est toujours usurpation. Il le découvre avec terreur et peut être plus fortement quand il retrouve Cordelia, qu'il se réconcilie avec elle avec miséricorde (moment où le nom de Dieu peut être prononcé...). Il le découvre quand il rencontre sa propre mort.
Alors le pouvoir est impossible ? L'emprise de l'amour est la seule royauté et cela se combine avec le retour d'une parole pleine. Comme Cordelia qui la cherche par le silence ou le fou (mêmes acteurs dans les premières représentations à l'époque de shakespeare) qui parle avec sagesse.
Le roi Lear était l'homme de la parole performative. Sa parole ne le devient plus. (J'ordonne, j'exige, je demande, j'attends, j'accepte). La performativité de sa parole semblait assurer le lien entre la parole et le monde. Py créé un lien entre cette pièce et le problème de la politique et du théâtre contemporain. Votre parole n'est pas active, elle est vide.  Il n'y plus rien pour nous unir et nous diriger. Cette fin de la parole signe la dislocation du monde et de la nature représenté par la lutte des frères et contre le père et le symbole d'un monde qui se perd et ne se retrouve plus.
 Retrouvons notre parole pleine, ce que nous ressentons, ce que nous avons vraiment à dire pour refaire l'ordre du monde. Ainsi chacun sera roi si sa parole devient acte.
Invitation à accueillir sa mort, acte d'ouverture et de véritable connaissance par l'humilité. Invitation à garder les fous dans le châteaux, une institution ne vit qu'avec ce qui la critique, qui remet en cause, l'institution ne peut vivre que si elle est bringuebalante.

Ci-dessous une représentation en accéléré et en "sous-titres" explicatifs. Cela rejoint peut être le coté messager un peu trop fort que décrivait les critiques. Une interprétation vaut elle la pièce, mais tout n'est pas interprétation... Difficile combat... 
Le film reprend beaucoup de point développé dans l'interview mais très intéressant.





Ces vidéo variés sur la pièce de Shakespeare me faisait penser à une note ancienne sur la perception anthropologique de la royauté.
Régner revient à garantir l'ordre du monde et de la société, le roi est un personnage sacré.
On ne peut être que fasciné par la conscience anthropologique de Shakespeare. Il dessine un roi Lear qui interroge sa position et qui ne voit pas qu'il disloque par ce même geste l'ordre du monde et de la société. Cette dislocation a pour conséquences de donner des réponses aux questions de Lear. Et toutes les questions sur le pouvoir peuvent commencer à être débattu à partir de ce point.
Py dit on est roi quand notre parole est pleine. Puis je le traduire différemment, seul le christ est roi parce qu'il est le bouc émissaire idéal dont la parole est pleine.
Py élude ce que Shakespeare déniche, le lien entre le roi et le bouc-émissaire institutionnalisé. Le roi Lear se prend sa naïveté comme un boomerang. Quand il n'est plus le roi, il déclenche une crise d'identité et un perte de repère créant violence sans limite et chaos. Il ne découvre pas donc qui est le roi quand il est nu... Il découvre dans sa nudité que son pouvoir ne se tenait que dans sa situation de victime en puissance, dans sa découverte de la part christique en lui. Ecce homo....

Mais Py a raison en disant que cette pièce est terriblement prophétique sur la perte de la parole.
La pièce illustre la fameuse question apocalyptique de Girard. Que se passe t-il dans un monde où les béquilles sacrificielles sont perdues. La pièce en est une illustration. Il ne reste plus que les fous pour dire que le monde l'est devenu, la vanité est partout et la redécouverte de Dieu miséricordieux se fait en prison avec la fille aimante. (Je suis bouleversé à chaque écoute de la tirade "et nous serons espions de Dieu"). Le roi Lear est l'image de notre société chrétienne et naïve qui ne comprend pas l'origine de son propre pouvoir et qui en remettant en cause tout ce sur quoi elle est fondée, s'autodétruit tout en se donnant la possibilité de découvrir la vérité.
Les invitations de Py à retrouver la parole pleine est pour moi une invitation à rencontrer le Christ, à l'aimer et à en faire un ami. (Son invitation théâtrale me séduit moins mais est intéressante ; il la relie à l'incarnation certainement.) 
L'invitation à accueillir la mort est l'invitation à l'humilité. L'humilité contre l'orgueil de ce roi et de notre époque qui a perdu tout sens de la mesure et qui découvre malgré elle le sens profond de la royauté par inadvertance. Mais sa remise en cause toute provocatrice est aussi le chemin qui lui permet de trouver les bonnes réponses.....
Apocalypse forever...