lundi 27 janvier 2014

Quelques Wajda

Andrzej Wajda n'est pas célèbre en France, voici une note qui tente de résumer mon expérience cinématographique de cet auteur. Je souhaite exprimer mon admiration pour sa technique, son ambition, son corps à corps avec son pays et sa langue. Bref, que cette note vous soit une invitation





Kanal 1957



Cholera jasna !!!!



C’est la fin de l’insurrection de Varsovie, nous suivons une quarantaine de personnes, leurs derniers assauts, leur fuite dans les égouts, leurs morts.

Kundera a dit que le kitsch c’est le refus de la merde. Nous pouvons donc déterminer que ce film n’est pas kitsch. Car nous sommes en pleine merde, dans les égouts de Varsovie où ils vont tous mourir.

Ils jouissent de leurs derniers instants, veulent croire et espérer.
La longue scène d’introduction à l’extérieur montre tous les héros, leurs efforts, leur relation, leur doute, leur visage. Et bien sur, leur ville détruite. Il y a ici un réalisme mais qui donne la place suffisante à une artificialité très signifiante. Leur besoin de sexe, leur jalousie, la musique, la peur.
Il y a ensuite une scène terrible de transition, ou les varsoviens se jettent dans les égouts pour se laisser encore une chance. Ici tout n’est que panique, perdition et folie.
Puis nous assistons au voyage des égouts, la mort, la folie de nouveau, la merde, la fatigue, le gaz, c’est finalement à peine édulcoré. Nous assistons au pire de l’humanité, la lâcheté, l’infidélité, l’abandon, la cruauté. Au désespoir de l’artiste, sa folie, la musique qu’il ne cesse de jouer font-ils écho au début de la divine comédie ? Son inspiration ne lui souffle t’il que l’enfer, le péché et le néant de toute condition ?

Il y a aussi le meilleur, la relation de Stokrotek (paquerette) et de Jacek. L’amour, la pudeur, la solidarité. Comme la femme est belle et aimante, que la fragilité de l’homme nous émeut. L’inscription "kocham Jacka" (J'aime Jacek) devient le signal trompeur comme il devient le cri pudique de notre nature métaphysique faite pour la vérité. Comment Stokrotek cache la vérité à Jacek montre la pudeur de l'amour. Jamais mensonge ne m’a paru aussi beau. Mais n’est ce pas un mensonge comme l’espérance de la libération, de la lumière, de la Vistule. 

Qui retrouvera le soleil ? Le menteur, le traitre et le chef désespéré. Ce qui nous attend en haut est le massacre, la lâcheté, et le complexe de la survie. Et la merde pour nous enrober.
Wajda présente la fin de l’insurrection. Il nous enivre du désespoir, de la noirceur, des vertus héroïques et folles des polonais. 
Il montre les conditions extrêmes qu’ont vécues les résistants. Quelles conséquences ont-ils du vivre ?

Le passage dans les égouts est une comparaison riche. Les polonais ont été conduits vers un état d’animal, de ténèbres, d’abrutissement, d’enfer, de destruction systématique, de désespoir et de mort infâme. N’y a-t-il pas un clin d’œil de Wajda vers la nature humaine ? Plongée aussi dans un souterrain. Le monde comme grande insurrection varsovienne ?
Ne nous reste t-il pas seulement à nous souvenir de Marguerite, Stokrotek ? Notre espoir, notre Pieta, notre amour pudique. Que je t’aime Stokrotek.




A noter.
Les barreaux 
Halina, cœur désespéré
La Vodka
Le bras en écharpe
La merde dans le viseur et les mots
Les rumeurs de légèreté de Stokrotek
L’assassinat de Kula ?
Le poteau
La brume dans le labyrinthe
L’inscription Kocham Jacka , n’a-t-elle pas non plus désorienté nos amis ?
La chute dans les égouts et partout ailleurs...
Les enfants
La moustache de Madry



Que sont nos héros devenus ? La folie, la mort et le désespoir les ont emportés.

Mai 1945 dans une petite ville polonaise. La guerre contre l’Allemagne est terminée, mais la situation reste confuse, car un combat fratricide oppose les partisans de l'armée de libération nationale. Ils ont reçu pour mission d’assassiner Szczuka, nouveau secrétaire local du parti ouvrier. Par méprise, ils tuent deux innocents. Parmi eux, Maciek, Nous suivrons ses dernières heures.
Fatigué d’héroïsme, il entrevoit la possibilité d’une nouvelle vie dans l’amour naissant qui le lie à Krystyna, la serveuse de bar de l'hotel où se déroule la majeure partie du film. Mais Andrzej, son supérieur hiérarchique, le rappelle au devoir et le persuade d’aller jusqu’au bout de son engagement politique. Szczuka, lui, vient d’apprendre que son fils Marek a été fait prisonnier alors qu’il combattait dans les rangs de l’armée de libération nationaliste. Il sort dans la rue. Maciek le suit et l’abat. Le meurtrier est blessé par une patrouille après une fuite absurde. Pendant ce temps-là, les politiciens, les notables et les parasites qui gravitent autour d’eux, s’enivrent au cours d’un banquet lamentable. Krystyna se laisse entraîner dans le cortège de danseurs qui profanent « La Polonaise » de Chopin. Maciek meurt sur un tas d’ordures. 

Il y a en effet, une introduction près dune petite église de campagne fermée et ensuite tout le film se passe dans ce fameux hôtel, mise à part quelques sorties puis la conclusion…
L’introduction sera tragique comme le cœur du film et la conclusion. 
Une chapelle fermée. Un meurtre, une erreur. La chapelle qui s’ouvre enfin aux innocents mais ils sont morts… 

L’hotel dans la petite ville polonaise, c’est la Pologne comme le dira le maître d’hôtel.

Y dormirons, l’agent russe qui va imposer son ordre, et les héros troublés de l’AK, ce sont les serveurs, la merveilleuse dame pipi, les proprios saouls et à coté de la plaque qui s’amusent et reperdent le sens de la réalité. C’est la Pologne en 45, le temps de la fête, d’un coté les nouveaux puissants, de l’autre coté, la foule qui s’amuse et oublie, c’est Krysia qui travaille au bar et dont la famille a été martyrisée par les allemands et les russes. C’est donc Szczuka, le communiste qui vante le sacrifice de classe, il a échappé à l’attentat, il prépare le pouvoir, il se sent mal ici, il recherche son ancienne femme et il veut savoir qu’est devenu son fils ? C’est la génération socialiste qui s’est rendue à la Russie communiste, à un idéal insultant, et qui n’aime plus son pays… il espère retrouver sa progéniture mais il ne sait pas encore qu’elle sera pleine de résistance… (Prophétie encore une fois de Wajda) et finira par la tuer. La sensibilité polonaise, le retour vers le fils polonais implique la mort du communisme. Cette mort symbolique est réalisée par notre héros ? Il a mitraillé en face de l’Eglise, il se promène dans l’église en ruine, réveillera les morts, sera maudit par la famille des morts, il mourra dans une décharge, tuée pour rien, il abandonnera la femme qu’il aurait pu aimer pour avoir un destin. Au lieu de cela, il choisira le vide, les chaos, les trahisons fidèles du pays. Il porte des lunettes grises, il médite sur la mort de ces camarades, voudrait la paix, l’amour, hésite, tue. Il ne comprend plus pourquoi il tue, cette activité l’a rendu fou, meurtrier, c’est pourtant lui, son esprit son esprit de sacrifice, qui rendra possible la mort du communisme et la possible liberté du pays. Même si pendant ce temps là , on massacre Chopin…

On lui doit tout mais l’histoire qui est absurde le tuera et l’oubliera parmi les détritus…

Pleure Krystyna.
Comment exprimer ici ma profonde admiration pour ce film ? Merveille du noir et blanc. Des cadres originaux et somptueux, une idée fantastique à chaque instant, des acteurs brillants, un symbolisme fin ou ironique sur lui-même. Une musique qui nous hante. Pendant tout le film, je me disais que nous n’avons pas en France un film de cette envergure pour nous parler de notre fin de guerre et de notre pays. (Uranus ?)

Ici tout est juste, édifiant, sensible et merveilleusement beau.
Comment épouser Krysia, après tant de sang, d’innocents tués ? Le salut du pays est passé par le sacrifice de ce qu’il y avait de meilleur en nous…
Krysia est seule dans une Pologne qui a tout perdu si ce n'est la trahison, le gout du sang et de la médiocrité. 

Nous ne ressortons pas indemne de l'hotel Polonia....

A noter
Le plan du début, l’église, Nd de Czestochowa…. La belle terre polonaise. Que contredira la fin avec des plans équivalents mais sur une décharge.
Le christ tombé de la Croix… Les morts, les amants qui parlent avec le Christ entre les deux. Tout est chaos et n’a plus de sens…
La vodka pour Rudy
Les fleurs de pavot du Monte Cassino
Le journaliste
La merveilleuse Babcia
Quelle musique, quelle musique… tout le temps, inondation
Elle vient pourtant !!! Il la drague ou cherchait il son pistolet ????
Quel joli dos...
Cybulski magique
AK, sauveur et meurtrier ?
Cheval blanc
Meurtre et feu d’artifice
Fallait il tuer Szczuka ? Cet homme se perd entre son propre symbole et lui-même.
Merci Andrzej

Les racines du mal

Qu’ils sont beaux !

Karol, le fils de noble polonais, Maks, le fils du riche artisan allemand et Moryc, le fils juif malin et prêt à tout. Travaillant dans la Lodz en pleine extension industrielle. Ils sont ambitieux et veulent aller au bout de leurs rêves. Construire leur usine. Et être riche comme Zucker, Bucholc et tous ces juifs et allemands dont ils envient le pouvoir. 

Tout le film sera le processus de destruction de ces hommes sur la pauvre Pologne. Asservissement, violence, mépris, appauvrissement, destruction géographique et culturelle, vente du patrimoine jusqu'à la répression qui n’est pas sans faire penser à une autre répression plus actuelle au moment de la réalisation du film.

C’est tout ? bien sur que non, car il y a les femmes, les riches, les pauvres, les allemands, les juifs, les sorties, la machine, le sang, le sexe, l’argent, le fric, le pognon, le pouvoir, la misère, le désespoir.

Tout cela ? Oui ! Pas moins ! Ainsi la camera anxieuse de Wajda, voudra nous montrer, nous faire éprouver. Je ne sais si le film est fidèle au livre de Reymont mais je crois que Wajda est fidèle au sentiment vécu à sa lecture. Car, bien sur, Wajda et Reymont, ne nous parlent pas de ces hommes mais de toute la Pologne en période d’industrialisation, de la destruction des anciennes valeurs pour les nouvelles, et comment celles-ci détruisent le monde. Ce film est un bon complément au « Monde tel qu’il ne va pas » de Chesterton finalement.... Wajda avec finesse, symbole, et un gros coup de poing dans la gueule nous montre les conséquences des choix anthropologiques de cette période.
Comment cette triade qui était a l’origine de la richesse du pays et de ses beautés s’emballent pour la faire courir a sa perte. Oui, les racines du mal pour Wajda, qui maitrise le sujet, montre, comme un artiste, la dimension historique et anthropologique de l’époque. Il le montre avec violence, passion, urgence, détermination. Feu. Nous sommes gênés, pris au piège, libérés, apaisés, lessivés et lucides.
Comment la domination se transforme en perversion.
Comment l’artisan allemand et le noble polonais eurent envie d’être banquier juif. Comment le juif, riche de sa grande tradition, profite de cet élan pour former le saint esprit de cette trinité diabolique. 
Domination perverse sur la libéralisation des femmes. Celle qui sont enfin accessibles à l’appétit des dominants, scènes effroyables de sélection et d’orgie ainsi que celle des conséquences du reniement et de la mort par l’écrasement de la roue de l’usine, du temps et du destin. La relation de Karol envers les femmes représentera aussi très bien l’évolution. Destiné à la chaste Anka, éduquée par les prêtres, adoubée par le père, elle est la Pologne comme le fruit de la noblesse paysanne et cléricale. Belle, empathique, amoureuse, sensible, artiste, faite pour la nature et l’amour de son homme. Elle regarde son homme travailler dur, se changer avec fidélité malgré son refus de l’engagement. C’est elle qui prendra l’initiative de la fin. Geste courageux, noble et tragique. D’autant que Karol ne lui était pas fidèle, il couchait avec la femme de Zucker. Femme avide, corpulente, folle, cupide. Les nouvelles valeurs gloutonnes de Karol. Il y a enfin, celle qui sera sa femme, Mada Muller, oie blanche, faible d’esprit, rose bonbon et manquant de gout. Mais riche et opportune. Trahison, trahison….

Il faudrait revoir le film, goûter chaque scène comme il se doit et en développer à l’infini ses richesses profondes, marquantes et féroces.


A noter/piste de réflexion
Rôle de Maks ambigüe. Refus de l’artisanat ; En quoi sa germanité est signifiante ? Romantisme ?
Buchholc, les lettres, ses rhumatismes, ses scriptes bossus, sauf celui qui parlera vrai. Et appellera à son humanité. Sens de l’égalité, son enterrement.
Scène de baston entre les 3,
Vomi de Moryc
Scène du théâtre, danseuses, l’escarpolette, délit d’initiés
Les machines
Le polonais, prêteur sur gage
Le palais d’exhibition
Le tigre en cage
Après le baptème de l'usine du curé catholique, la diabolique trinité unira leur urine pour un tout autre baptème

Peut-on revenir au temps chéri du souvenir….?


J’ai vécu la vision de ce film comme un grand bonheur, la réflexion sur celui-ci ne m’inspire que des douleurs…
Bonheur d’abord de suivre ce film qui souhaite redessiner la campagne, la bourgeoisie polonaise des années 30. Le retour au paradis d’un homme dans la propriété où il a grandi dans son enfance, là même où vivaient les sœurs qui l'avaient toutes aimé. Elles ont maintenant grandies et ne sont que des blessures béantes… sauf, peut-être la petite dernière qui semble revivre le passé de sa sœur défunte. J’ai regardé ce film charmé par ce voyage dans le temps, retrouvant ce qui fait le peuple polonais, son charme, son regard tendre sur ce qu’il aime de sa culture, de ses paysages de ses tendres étés et de sa douce folie. Ayant été nostalgique moi-même et troublé par le temps qui passe, j’ai épousé le malheur métaphysique du héros. J’ai pleuré avec les sœurs en voyant le temps qui passe. Je lui enviait ses souvenirs, ses beautés, les lumières qu’il a vu, la tombe où il s’est prosterné, sa passion pour son métier près des enfants aveugles. J’ai aimé ces plans mystérieux avec la silhouette du romancier Iwaszkiewicz auteur du roman dont est issu le film. Qu’elle est belle la Pologne !!!!


Puis, j’ai pensé un peu et on n’est bien loin de Proust… il n’y pas de communion avec le passé, avec la vérité, il ne reste que des illusions de son voyage, si ce n’est son oncle qui ouvre les yeux en attendant la mort, son emprise sur les femmes l’aveugle, il y en a-t-il une qu’il aime vraiment, qui est aimable (que d’horribles rivalités)? il ne reste que sa vanité, qu’y a-t-il d’aimable dans le héros sinon son angoisse métaphysique ? Il part, il quitte le paradis, il retourne peut être à la réalité… Enfin ?

Il me semble que Wajda est porté par la nostalgie et semble rater le propos de l'auteur du bouquin dont il est fidèle malgré lui. Il est emporté et semble alors nous emporter dans des relations humaines désastreuses qu'il semble nous vouloir faire aimer. et si le livre n'était il pas comique sur les femmes, les montrant fondamentalement ridicules.... C'est terrible...
Mais gardons les merveilleuses images de la Pologne....

A noter
Aurore, Aurore….
Le traineau
Le lit et le petit déjeuner polonais.
La lumière !!!!!
La confiture,
Le français
La soirée de danse.
Wajda ne s’est il pas trompé ? Perdu dans l’amour de son pays, n’a-t-il pas raté la mesure comique de cette triste histoire ? La mort hante tout de même trop ce film


Dyrygent 1980


Qui est le chef ?







Resumé trouvé sur le site du ciné club de Caen

Marta, jeune violoniste polonaise, à l'occasion d'un voyage d'études à New York, rencontre le célèbre chef d'orchestre Jan Lasocki. Personnage quasi légendaire, Lasocki est originaire de la même ville que Marta... Il a été autrefois très amoureux de sa mère. Fascinée par le talent et la personnalité du maestro elle envoie, peu avant son retour, des lettres enthousiastes à Adam, son mari, qui dirige un orchestre de province. Lasocki décide d'annuler le concert de son jubilé à Paris pour retourner en Pologne; là où sa carrière avait commencé. Ce retour au pays, après cinquante ans d'absence, les autorités locales veulent le transformer en un événement international. Le maître interprétera la 5e symphonie de Beethoven à la tête de l'orchestre d'Adam. Ce concert sera retransmis en " Eurovision". Fasciné par Lasocki, Adam ne tarde pas à être en opposition avec lui; le style du maestro, son amour de la musique, son contact avec les musiciens, contrastent avec son propre comportement, autoritaire. D'autre part, Adam accepte très mal l'amitié entre Lasocki et Marta. De nouvelles difficultés naissent lorsque Adam cède devant les autorités qui ont décidé de renforcer son orchestre par les meilleurs musiciens de Varsovie. Furieux de cette décision, Lasocki quitte la dernière répétition. Marchant seul dans la ville - filmé à son insu par la télé-vision - il se joint à la longue queue de ceux qui tentent d'acheter des billets pour son concert. Fatigué, il s'assoupit. Quand Marta et Adam le retrouvent, il a cessé de vivre... Marta reste fidèle à Adam mais l'incite à chercher un métier plus en rapport avec sa haine et son besoin de dominer... 

Bon résumé, n’est ce pas ???
Curieux film, on est dérangé aussi car on a l’impression que le film s’est fait rapidement, il y a eu une urgence, un peu d’improvisations, les lumières sont toujours aussi bien stylisées, les acteurs impeccables, mais beaucoup d’indices semblent nous signaler que c’est un film où il fallait rogner sur les dépenses malgré la présence de Gielgud. 

Finalement ce qui m’a le plus marqué, c’est le décalage entre le premier niveau de lecture et le second.

Le premier est intéressant mais sans plus. Oui, c’est intéressant de voir cet orchestre, ce couple polonais, la jalousie du mari, la sagesse du vieux chef, son amour pour son ancien pays, cette histoire de génération qui se brouille. Mais en vérité Wajda l’oublie, on voit rapidement qu’il se consacre au second sens. Dénonciation du régime polonais aujourd'hui, avant, hier, et le regret de ne pas avoir aimé et d'avoir été accepte par le régime américain. 

Krystyna est la Pologne, son père et son mari ne sont que le régime destructeur, jaloux, peu préoccupés et sans talent. Tyranniques bien sur. Ils n’ont pas aimé, ils ont tué, détruit toute possibilité d’harmonie sauf devant les grands media mais en trichant.

Et qui est ce vieux chef international aimé de tous ? Un mélange de vieux polonais, le polonais qui a fui ou qui a été tué pendant la guerre celui qui n’a pas été choisi ou qui n’a pu être choisi. Pourtant, il était talentueux, reconnu, à l’écoute, respectueux de l’harmonie de la société et de ses besoins. Il aime la Pologne avec idéalisme et comme sa beauté et son courage le mériterait.

Oui, Wajda aime Beethoven mais plus que tout, il préfère l’harmonie que le peuple polonais pourrait jouer avec des Dyrygent polonais respectueux de la Pologne. 

La condamnation de Krystyna contre son mari sonne comme un glas et est la voix de son pays contre le régime communiste




A noter
J’aime les métaphores musicales.
Le baiser
La nudité, Adam et Eve
Comme le montrait Magda, personne ne s’occupe de l’enfant…
L’acteur qui propose l’orchestre de Varsovie
USA ?l’histoire d’amour ? la liberté ?
Les medias, assassin du monde libre ?
Mourir en faisant la queue. Avec les polonais
Lumiere Wajdienne
Temoignage du pere

Vertus polonaises et rock n Roll
Une jeune réalisatrice décide de faire un film documentaire sur Birkut, l’un des héros du travail « super productif », célèbre dans les années 50, elle va traverser toute la Pologne à la recherche de témoignages divers. D’abord adulé pour ses prouesses de maçon modèle, Birkut devient un homme à abattre lorsqu’il ose exprimer ses opinions contre le système. Plus le travail d’investigation progresse, plus les chances de la réalisation du film diminuent. Film écho du mécontentement populaire et symbole avec sa suite l’homme de fer de la contestation du règime
Film tout d’abord très déstabilisant, provocateur par la forme. Il y a un coté Kill Bill dans ce film. La nénette qui va tout tuer sur son passage pour venger ce qu’elle aime. Janda est filmé magistralement. Elle est agressive, pas commode, dure, opiniâtre, chiante, sans gêne, peu de compassion… Elle lutte pour faire son documentaire sur ce merveilleux Birkut. 

Tout le film est la recherche de cet homme. Le polonais héroïque. L’homme simple des campagnes. Où est il cet homme bon, fort, courageux, doux ? Au musée ? (où notre journaliste fait pratiquement l’amour à l’homme de marbre avec la caméra… mais n’est ce pas un viol ??) Il est dans les archives cinématographiques, un petit peu dans les témoignages mais surtout dans le coeur de la nouvelle génération.
Ce film est long (2h30) mais on sent bien que Wajda aurait pu en faire 5h. Il a rogné, il a monté à la limite, il a mis un rythme incroyable. C’est une grande frasque des 25 dernières années en Pologne. La musique du film a mal vieilli mais son rythme, sa forme est bien trouvée…
Le film pose la question des polonais en 1950 et en 1975….
La reconstruction et l’industrialisation mais toujours le mensonge… 

Le mélange entre les époques est riche. La construction du pays dans les années 50, le communisme triomphant sur un tas de ruines et ensuite cette Pologne des années 75, industrielle, plus moderne, plus riche, plus futile. L’évolution des témoins de l’enquête est très claire. Le réalisateur, l’espion, son ex femme, son ancien meilleur ami et puis le cinéma… Tous profitent de ce qu’il y a de pire, gloire construite sur des mensonges communistes, mentir pour travailler plus pour contrôler, par ambition, pour une petite vie argentée, pour l’industrie…

Il faudrait développer chacun des personnages. Ils ont tous aidés notre bon héros et l’ont dégouté. Il a résisté contre eux tous.
Il a jeté sa brique, retiré son panneau, il est parti de la maison quand on ne voulait plus de lui, parti quand on voulait en refaire un héros… Il a choisi l’éducation, la démocratie, la discrétion, là où tout va exploser par la force et l’opiniâtreté polonaise.


Ce film est aussi une recherche de l’âme polonaise… Le personnage principal parait benêt au début… Il représente l’innocence du polonais de la campagne, catholique, plein de bonne volonté, révolté par le mal qu’on fait sur son pays, sur lui. Amitié, honnêteté, courage envers et contre tout… C’est donc un portrait total de la Pologne. On découvre Varsovie, Nowa Huta (symbole de la Pologne en construction) Krakow, la campagne, Katowice, Gdansk, Zakopane. C’est aussi une bombe anticommuniste… Vous nous avez menti, menti et menti. Menti sur les idéaux, sur la forme, vous nous avez instrumentalisé, méprisé, espionné, Il nous reste seulement quelques bobines et notre courage et vous allez voir !!!!
Merci pour ce périple Pan Wajda




A noter
La voiture sillonnant les routes avec sa drôle d’équipe
Ces merveilles de films documentaires entrecroisées de fiction. 
Pensée à "La haut" de Schoendoerfer. A la recherche de l'homme au grand coeur....
La brique
Stakhanov quand tu nous tiens…




Pologne


Y a t-il un film chantant mieux l’âme polonaise, son courage et sa foi ? 
Ce film est aussi un mystère, il est la suite d’un film de 1976, il en reprend des parties, la structure. Et si le premier raconte l’histoire du père, celui-ci reprend l’histoire du fils. Encore une fois, un journaliste cherche des infos. Cette fois ci non pas pour chercher la vérité mais pour la transformer… Il en sortira converti. Ce film est un mystère car il relate des événements proches de sa réalisation tout en étant la suite d’un film… Nous avons donc vraiment la forte impression d’un film prophétique ou d'un film au coeur des événements.
Comme pour l’homme de marbre nous suivons un homme. Nous le rejoindrons à la fin au moment des signatures de la création de Solidarnosc. Nous sommes toujours à la recherche de la Pologne…
Cette fois ci le journaliste est un couard… habitué à faire le sale boulot, à faire la sale besogne qu’on lui demande. Il est constamment dans un état de peur, il tranche avec les autres personnages polonais qui sont rempli de sérénité face au combat qu’ils mènent. Il tranche aussi avec Agnieszka de l’homme de marbre. 
Nous la retrouvons justement. Elle s’est mariée avec Maciej Tomczyk. (Fils illégitime de l'homme de marbre ou horreur du régime qui bâtardise tout le monde…) Elle a connu avec lui les pires problèmes face au régime, la maternité dans la pauvreté, son homme en prison mais avec l’admiration de celui-ci. Elle s’est apaisée. Et à sa grande surprise, s’est mariée à l’Eglise (avec de beaux témoins… Walesa, Walentinowicz) Elle est en prison aussi mais l’espoir est avec chacun. (Poême espoir du début…) Nous rencontrerons un ancien camarade de Maciej qui relatera la relation tendue entre Maciej et son père, les relations étudiants-travailleurs ainsi que les premières révoltes, la mort de son père. Les babcias polonaises, les héros du chantier qui racontent les humiliations vécues. Les combats, la volonté de venger son père. Les impasses, la peur du simple polonais. Mais au final l’espoir est possible, on peut changer les choses, la vie et le monde. Le modèle familial, la justice, la foi, le courage, la force. La voila, la Pologne. C’est elle, ne nous y trompons pas.
Merci Wajda

Il y aurait encore beaucoup à dire sur l’émotion que nous vivons à voir ce film (peut être un peu partisan mais peut il en être autrement… ) La folie de l’oppression, les films d’époque, Walesa, la réconciliation entre les générations, la Pologne des babcias courageuses et catholiques. Le sacrifice pour une Pologne libre. Une rage de justice, l’océan qui nous monte aux yeux, un couple menant une vie difficile pour la gloire de ses enfants.
N’oublions pas la camera virtuose de Wajda, symboles, lumière, empathie, rythme et crie de joie.


JANEK WISNIEWSKI PADL


A noter
Les habits, les couleurs, la vodka, tout est polonais.
Le chant final est un bon résumé et il est à pleurer…
Janda est si belle




Il faudrait compléter et parler du sublime Korczak, de Danton, Le bois de bouleau, une fille a parlé, les noces, de Katyn etc....
Mais c'est tout pour aujourd'hui

vendredi 24 janvier 2014

La violence révélée de Gil Bailie 3ème partie

Après avoir réalisé le diagnostique (partie 1) de la crise culturelle occidentale, et porté un regard (partie 2) sur la richesse anthropologique de l'ancien testament, Bailie finit en s'arrêtant sur la figure du Christ puis par un regard sur la philosophie occidentale face à la théorie du désir mimétique.

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Bailie relie le baptême de Jésus par Jean Baptiste et les tentations du désert. Jésus reçoit l'assurance de son identité, sa vocation, le désert sera le lieu de discernement précis de celle-ci. il refuse de faire de sa vocation un spectacle, une mission sociale ou une réforme religieuse, il voit avec acuité la nature même de la culture humaine, leur lien avec le mécanisme victimaire. Les tentations lui sont une invitation à vivre avec l'Esprit. Il refuse Diabolos (le pourrissement du désir mimétique) et satan (la violence expulsant la violence). Il a rejeté le péché non par son intelligence mais sa proximité avec le Seigneur. il est immunisé contre la contagion mimétique, il déjoue les pièges du démon et obéit parfaitement au désir mimétique, celui d'accomplir la volonté du père.
Malgré les inquiétudes de Jean lors de son emprisonnement, Jésus pense que le repentir passe par la rencontre avec le Seigneur et non la confrontation avec le péché.

Jésus avait une profonde vision du désir mimétique. Qu'il appelle skandalon. On le voit dans Mathieu 18. Il comprend que les disciples sont entrés dans la rivalité mimétique. Jésus parle des conséquences de ces rivalités qu'en terme de Géhenne et de violence.

Pourtant Jésus relativise les distinctions culturelles, il change les réflexes culturels.
Le Jésus guérisseur, de plus est inséparable de celui qui veut changer la culture et guérir la société de sa culture.

Dire que la croix est au cœur du message chrétien c’est répondre à l’affirmatif à la question : « Est-ce que la violence collective, du type que l’on peut observer lors de la crucifixion, est bien la clef, du mensonge dans lequel vivent les hommes ? ».
il faut entrer dans Son Logos et fuir le logos culturel. il faut rejoindre la pierre de fait qui a été rejeté. 
il faut choisir le Logos du Père ou le logos du père du mensonge. On voit cette alternative quand la foule doit choisir entre Jésus et Barrabas, le fils du père... En disant que Dieu seul est son père, Jésus neutralise le pouvoir des pères terrestres. 
La crucifixion achève de démystifier les pouvoirs démoniaques et inaugure l’ère historique où l’ère sociale et psychologique se transforme pendant que le Christ attire à lui tous les hommes. Cette révolution anthropologique et spirituelle est un processus qui tire sa force de l’Esprit de Vérité, le paraclet, il est le conseiller, l’avocat, il défend l’accusé, il déconstruit les mythes et les mystifications de l’accusateur. De plus Jésus empêche l’émergence d'un tombeau, d'une culture humaine tel qu'il s'est passé avant lui. Le tombeau est la perpétuation des mensonges du meurtre originaire. Il est le mythe matérialisé. On n'a pas pu décorer le tombeau et oindre le Christ. Sa tombe n'a pas pu être le point de départ du culte religieux.

Les Evangiles créent une communauté ne voyant de sens à leur vie qu'à la lumière de la résurrection. Ils expriment un éveil de conscience qui passe toujours après une expérience de croix
Tous les mythes comme les pseudo mythes des idéologies et du rationalisme empêchent le chemin de Damas de chacun, elles empêchent l’expérience d’Emmaüs, c'est-à-dire de l’expérience de la dilatation de la vie par la conscience de la résurrection du Christ par l’amour donné et reçu.
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Bailie prendra ensuite du temps pour expliquer le point de vue girardien sur la philosophie. Elle rejoint la phrase de Saint Paul en Corinthiens 1. "Dieu n'a t il pas frappé de folie la sagesse du monde?"
Accompagné de Ortega y Gasset, Bailie croit voir dans la philosophie un ersatz du sacré. Dans la mesure où celui ci observe (par l'intermédiaire d'Héraclite) la bêtise du sacré, la philosophie ne fait alors que réfuter pour mieux ressusciter ce qui a été dit dans le passé  mais elle refuse de voir la victime cachée dans le passé radical. Elle n'est pas plus capable que la religion traditionnelle de découvrir la vérité de la victime. La pensée philosophique se développe comme les rivalités humaines. Elle renouvelle toujours ce qu'elle dit exécrer : la méconnaissance humaine.
Héraclite pensait pourtant que le monde ne vient pas d'un complot des dieux mais de la violence des hommes. Distinction du logos, description du processus de la violence créatrice d'ordre et du désordre. La philosophie serait une manière de cacher ce qu'Héraclite a commencé à dévoiler.
La philosophie est une sorte d’enfant adoptif de la religion, malgré ses ressources mythologiques plus réduites, sa capacité rationnelle et à établir un système de langage lui ont permis d’accomplir des prodiges de logique sans inquiéter ce que la religion protège.
Il y a trois conséquences à la prise en compte de la chute du système sacrificiel, la stupeur (conséquence de la déconstruction), l'extase signifiant le désir du retour du sacré violent (Nietzsche, Heidegger). Bailie pense qu'Heidegger voulait accompagner la grandeur historique de la violence.
Avec Nietzsche, il voulait ce retour évident. Il a compris, comme Saitn Paul ou Girard, ce que la philosophie ne peut comprendre : c’est par la victime que s’est constitué le monde des bourreaux, le monde dont la philosophie voudrait parler avec sagesse.

« Notre rationalisme ne peut pas saisir le rôle fondateur de la mise à mort mimétique pour la raison que lui-même en porte toujours l’empreinte » Mais alors où est la vérité qui nous rendra libre ? (Qu’est ce qui nous amène à réfléchir ? dirait Heidegger ?) Heidegger nous laisse suffisamment d’indices qu’il nous reste à faire qu’un pas vers la croix. Face à la crise anthropologique, nous devons comprendre l’ampleur du défi. Et comme Simone Weil nous le dit, la croix du christ est le seul passage vers la connaissance.

Contrairement à Nietzsche et Heidegger, Girard est le seul qui est allé au bout du dévoilement par un choix moral inverse. Il est le seul à dire qu'il y a une alternative à la violence sacrée.

Bailie enfin se concentre sur le nationalisme. Celui-ci est d'autant plus cruel qu'il ne croit plus en lui, ou il s'efforce avec passion à croire en lui (nazisme). On ne peut réduire le nationalisme à ce risque mais la nation possède beaucoup de prise à ce danger, transcendance sociale légitimant la violence.
Notre monde a la gueule de bois morale, et a plus que jamais le choix entre deux transcendances. (On le voit très bien dans le martyr d'Etienne). La violence apporte sa transcendance à ceux qui la contemplent. Il ne faut pas savoir si tout cela va s'améliorer mais si nous avons une prière. Bailie enfin affirme qu'il faut revenir au premier commandement, aimer Dieu d'un amour suprême. 
Il ne nous reste plus qu'à triompher de la méconnaissance victimaire dans l'expérience intime.


mardi 21 janvier 2014

L'histoire anthropologique de la royauté jusqu'à Girard par Lucien Scubla

Par Frazer, Hocart et Girard, Lucien Scubla refait l'histoire de la perception anthropologique de la royauté. Scubla fait de son article une sorte de pyramide, où comment pendant un siècle et quelques personnalités, la thèse est initiée, développée et concrétisée enfin par René Girard.
Il n'est plus le temps de rassembler des données, il est temps de rechercher une théorie fondamentale de l'anthropologie. Scubla illustre cette recherche par l'exemple de la royauté.

L'anthropologue écossais est le premier à affirmer que la royauté n'est pas un pouvoir discrétionnaire mais une lourde charge conduisant presque toujours son titulaire à la mort.
Dans son rameau d'or, il pense que la royauté du bois de Nemi est un condensé de tout système monarchique. 
Régner revient à garantir l'ordre du monde et de la société, le roi est un personnage sacré.
Frazer observe que le régicide est une condition nécessaire car en un seul acte, le régicide et cérémonial d'intronisation se rejoignent.
Frazer propose deux théories. Le roi représente les forces de la nature et il est garant de la prospérité générale. Enfin, le roi est probablement un bouc émissaire prenant tous les maux qui peuvent atteindre le groupe : il doit être mis à mort pour purifier la collectivité dès que le salut de celle-ci parait l'exiger. Mais selon lui la première théorie précède la seconde. Le roi garantit la prospérité et sert, le cas échéant, de bouc émissaire.
Pourtant tous les historiens sont d'accord pour affirmer que tout émergence de l'état ont été forgées par la royauté. Comment ? Comme on peut l'apercevoir régulièrement, le roi originellement prisonnier  de son peuple et promis à une mort violente peut se métamorphoser en chef d'état et détenteur unique de la violence légitime.
La royauté est toujours double, il y a un coté positif subordonné à un coté négatif. Son élimination peut éliminer tous les maux atteignant le groupe et c'est elle qui assure la permanence de l'institution


II Hocart.
L'anthropologue belge est à la charnière entre Frazer et Girard.
Les principaux points de Hocart sont l'unité des rites, les origines rituelles de la culture, les premiers rois furent des rois morts.
Selon lui, tous les rites dérivent du sacrement d'intronisation or tous ces rites sont construits sur le même modèle.
De nombreuses techniques  et la plupart des institutions  viennent des besoins de culte, la guerre par exemple, avant d'être une affaire de politique extérieure est une activité rituelle visant à procurer des victimes sacrificielles. Les fonctions rituelles du roi sont un trait  primitif de l'institution et non le reflet ou le déguisement d'un ordre social économique. Comme Durkheim, Hocart voit que le religieux constitue une sorte d'auto-domestication de l'homme.
Mais alors quelle est la forme de l'origine de la cérémonie royale ? Et puisque le premier roi était un homme mort, comment se peut il que la royauté ait commencé par des funérailles ?

La mort naturelle ne suffit pas pour faire un roi; il faut donc supposer que celui qui devient roi ne meurt pas spontanément mais qu’il est mis à mort rituellement. C’est d’autant plus vraisemblable que la cérémonie d’installation, telle que nous la connaissons, comprend toujours une mise à mort fictive suivie de renaissance. Or, « c’est une règle invariable qu’une fiction soit un sub-stitut de la réalité » [ 1954, p. 76]. Puisque l’on fait semblant de tuer le roi, c’est qu’autrefois on le tuait réellement. On devient roi en mourant comme victime sacrificielle, et le sacrement originel, le rite-souche auquel tous les autres rites se rattachent, est donc le sacrifice humain.

Ces résultats confirment Frazer mais le retourne. Le régicide n'est plus une issue fatale il est au principe même de la royauté. La mise à mort confère la royauté. Mais il y a l'énigme des sacrifices humains. D'où lui vient sa puissance de création du sacré ?

Sa définition du rituel, comme « une organisation dont le but [est] de contribuer à la vie, à la fertilité, à la prospérité – en ôtant la vie à des objets qui en regorgent pour la communiquer à d’autres moins bien pourvus » – n’est rien d’autre qu’une description de la mise à mort rituelle et des effets bénéfiques qui en sont attendus. Mais cette définition implicite du sacrifice fait de lui un simple transfert de vie. Sauf régression à l’infini, elle suppose, comme la première théorie de Frazer, que certains êtres sont, par nature, dotés de vertus propres, mais transférables à d’autres êtres. Or cela s’accorde mal avec un principe fondamental du rituel, suivant lequel il n’existe pas de personne ou d’objet « possédant une vertu inhérente à soi-même », et aux termes duquel tout être doué d’un pouvoir l’a acquis « par la consécration, c’est-à-dire après avoir reçu “la vie”» au cours d’une cérémonie appropriée.
Car, si le sacrifice humain est bien le sacrement originel, ce principe nous invite à penser la mise à mort rituelle non plus comme transfert de vie, mais comme source de vie.

Hocart ne repousse l'origine, comment acquiert on le statut de victime digne d'être immolée ? Comment trouver la matrice pré rituelle de la société ?

 III L'apport girardien, de la victime sacrificielle à la victime émissaire.
Il est d'abord intéressant de voir comment Freud, lecteur de Frazer et Robertson Smith tente une première hypothèse forte dans Totem et Tabou. Comme pour Hocart, la société se forme et s'organise autour d'un cadavre et plus précisément d'une victime. Pour Hocart, la victime est mise à mort par un sacrificateur mais pour Freud, elle est victime d'un meurtre collectif spontané. Mais Freud veut seulement voir un événement unique et exceptionnel d'où il tirerait toute l'histoire familiale, religieuse et politique de l'humanité et nous ne savons plus si la relation œdipienne est à l'origine ou conséquence de la horde primitive.

S'il n' a pu développer sa théorie, il reste qu'il est le premier à avoir développé l'intuition que le crime originel est au cœur du processus qui montre comment les sociétés se défont et se refont rituellement.
il faut attendre 1972 et René Girard pour reprendre cette thèse et retrouve le moyen de bâtir une première théorie plausible des origines violentes  des sociétés humaines. Il jette les bases d’une théorie générale des formes élémentaires de la vie religieuse et sociale, sans remonter vers un improbable rite primordial dont tous les autres seraient issus, ni vers un événement préhistorique qui aurait laissé son empreinte sur toutes les sociétés présentes ou passées, mais en mettant au jour un mécanisme universel et intemporel dont les opérations et les effets peuvent se réactiver indéfiniment et qui constitue une matrice permanente, pré rituelle et pré institutionnelle, des rites et des institution.

La théorie girardienne montre la commune origine de tous les rites, elle ne présuppose pas l'existence de la société mais décrit un mécanisme capable de l'engendrer et de la ré-engendrer.

Opérateur de convergence des désirs et des actions, il peut être alternativement facteur de division ou d’union. En dirigeant les désirs des individus vers les mêmes objets non partageables, et en les entraînant dans le jeu de miroir de la réciprocité négative, il divise le groupe en frères ennemis dont il attise les rivalités et il déclenche la crise sacrificielle, en finissant par faire disparaître tout point d’ancrage externe, tout autre objet de conflit que le conflit même. En canalisant, par simple contagion mimétique, toutes les violences sur un seul individu – la victime émissaire –, il recompose spontanément l’unité du groupe dans l’unanimité retrouvée, dans le tous-contre-un de la violence collective, et met fin à la crise en rétablissant entre les sociétaires un tiers objet extérieur : la victime, le dieu qui a déclenché la panique puis résolu la crise en ramenant la paix, le roi sacré, le totem ou tout autre médiateur transcendant.
Le meurtre fondateur est le produit d'un mécanisme spontané.

Comme Hobbes, Girard a voulu comprendre comment le lien social se forme et se stabilise. La crise sacrificielle a le même statut que l'état de nature de Hobbes et conduisent vers le même effet, l'émergence d'un tiers transcendant, situé à la fois, au centre et en dehors de la société. Ils ne veulent décrire un moment particulier de l'histoire humaine mais les conditions permanentes des interaction ses individus et ses groupes.
Par sa théorie mimétique, Girard n' a pas besoin de la rationalité de Hobbes pour expliquer la convergence des désirs et sa conclusion logique vers la guerre du tous contre tous.

Bref, la théorie de Girard est le couronnement de Frazer et de Hocart, seul capable de rendre compte de tous les aspects de l'institution. Le roi est un avatar de la victime émissaire et ipso facto, le régulateur de la vie sociale.

mercredi 15 janvier 2014

Harry Potter et la conscience anthropologique de l'éducation par Marie Louise Martinez

Texte très intéressant et dans la droite ligne d'un précédent vu sur ce blog.
Marie Louise Martinez fait de Harry Potter un allié de poids dans sa lutte pour le retour à une éducation équilibrée au sein d'une réflexion girardienne. Une éducation qui saurait éviter les pièges des deux violences. La violence anomique et la violence sacrée. Une éducation qui prend en compte l'identité des enfants dans un monde en crise. Harry Potter enseigne la résistance, l'apprentissage du jugement et de la raison, le respect des modèles, le chemin de la filiation comme modèle du chemin vers l'age adulte. Bref, Harry Potter et son succès est peut être la fin des romans de l'idéalisation de l'adolescence et du modèle de l'individu incertain. Martinez dit : il y a des trouvailles romanesques merveilleuses pour enseigner aux enfants le processus mimétique, le cycle des violences en quoi ces deux violences sont toujours frères ennemis mais toujours liés entre elles comme le montre le personnage de Voldemort, parricide, homme de l'hubris, de l'adolescence éternelle.



L'adolescence concentre en elle la crise d'identité et de transformation physique. Pourtant le XXeme siècle en a fait un mythe et un modèle. ce mythe a déstabilisé les institutions comme la famille et l'éducation. Cela se voit dans le transfert comme lecture de référence de jeunesse des aventures de télémaque aux grands Meaulnes, prolongement des illusions de l'enfance. Harry Potter n'est il pas le signe d'un changement d'époque et de remise en cause ? Mise en scène de la quête du père, et mise en scène de la relation pédagogique. Mise en valeur de la transmission et de la filiation, le succès de Harry Potter est il le signe de la fin du règne des adolescence confusionnelle.

I Impact du mythe de l'adolescence.
Au départ, l'adolescence est une sorte de pacte social bénéfique entre les générations visant le divertissement profitable pour toute la société. La production et la reproduction est repoussée. Mais désormais, cette convention est devenue désirable pour elle même, un affrontement générationnel approche, l'imitation d'acquisition s'est inversée. Cela empire une crise identitaire dont le principale symptôme est l'interminable recherche réciproque de reconnaissance. L'adulte sage n'est plus le modèle. Il y a de moins en moins de repère et de loi donnés aux adolescents et conduits les empêche de construire leur identité. (anomie)
Nous sommes dans le no man's land de l'anomie. Nous pensions avoir quitté l'hétéronomie mais nous n'avons pas atteint l'autonomie.

II Littérature.
La littérature est l'énigme à déchiffrer pour comprendre les réalités sociales. Elle peut voir et dire les relations humaines et sociales travaillées par le désir mimétique et dégradée par la violence qui en découle. Shakespeare ne cesse de montrer un univers social rongé par la crise des degrées, contamination de toutes les identités dans une compétition généralisée. Or Rowling tente aussi d'initier ses jeunes lecteurs à de telles situations où les institutions se désagrègent et où le grand méchant Voldemort incarne les deux aspects paradoxaux de la violence, la violence anomique de la désagrégation institutionnelle d'indifférenciation et la violence hétéronomique, la violence sacrale. Elle montre une société de double autodestructeur et un héros discernant les vrais valeurs pour une vie sensée et choisissant un chemin de formation en conséquence, il poursuit un chemin d'autonomie solidaire avec adultes résistants contre les forces du mal anthropologique, éducative et politique.
Elle met en relief le risque de la méconnaissance, l'impossible connaissance du politique. Rowling montre enfin symboliquement que la dernière des guerres se situe dans la cour de l'école.




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Hier comme aujourd'hui, l'école est perçue comme le lieu de la différenciation sociale.. La ségrégation différenciatrice est justement dénoncée mais elle est aussi alimentée par l'indifférenciation massificatrice des individus et par la confusion des savoirs. Voici le défi démocratique : permettre un processus de différenciation des personnes sur le plan qualitatif sans opérer de différenciation sociale ségrégative.
Harry Potter est un bon modèle de cette subtilité, il élucide le désordre indifférencié et voit que cela aboutit à la tentation du retour au sacré sous la forme du mal politique qui taraude notre modernité globalisée. Rowling appuie beaucoup sur l'aveuglement et le déni de la société ne voyant pas le processus des deux violences, utilisation de symbole magique pour parler de la perte des mémoires et de conscience.

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Dans toute l'oeuvre, il nous est donné à voir de nombreuse formes vivantes chimériques, personnages transgressant la frontière des espèces, elles illustrent les combinaisons identitaires où chacun change d'apparence, de fonctions, de nature dans l'imitation génralisée. L'arrivée des morts vivants dans une imagination collective montre aussi la perte de frontières entre la vie et la mort. Cela ne peut être qu'un mauvais signe.

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la société de Harry Potter peut conduire à l'individu incertain, dont Voldemort est le représentant idéal. Vampirisateur, dénié, tabou des sociétés insouciantes et irresponsables, le refoulé qui fonde la culture, retour du sacré diabolique et archaïque qui prolifère d'abord à l'ombre. Individu incertain car malaise et honte d'une identité sociale mixte, refus de l'origine familiale et du père, nourrissant une haine de soi et du monde.

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Le roman montre le processus, il montre le mal anthropologique du retour du sacré ségrégatif qui prend racine dans le malaise indifférencié. Voldemort a commis le parricide, déchéance honteuse et haineuse de l'origine.Vertige de toute puissance et de l'illimité.
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Le livre ne cesse de montrer en quoi la filiation naturelle  situe sur une lignée, elle différencie, elle inscrit. Il faut avoir été engendré dans la chaire et aussi dans le droit... l'adolescent roi étouffé rejoint le parricide (infanticide symbolique). Malaise dans la filiation et l'identification. Les héros positifs de Harry Potter vivent la filiation comme relation d'amour et de transmission acceptée et rendue à la génération suivante.
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Certes Harry Potter est aussi pris dans le mimétisme, n'est il pas le jumeau de Voldemort et il connait la ruse destructrice qui va jusqu'à l'intrusion psychologique. Il est autant porteur de la malédiction du parricide que de la bénédiction parentale. Voldemort avec son parricide et le sacrifice de la mère de Potter, il y a ici deux descriptions romanesque des deux sacrifices possibles que Girard retrouve dans le jugement de Salomon. L'un fonde la culture et l'identité violente et l'autre convertit la violence en don de soi. L'amour plus fort que la magie.
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La métaphore de la sorcellerie met en lumière la performativité du processus mimétique dans sa pragmatique de réciprocité relationnelle.
Harry Potter a développé une grande capacité d'émotions.
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Perception de la nocivité mimétique ainsi que sa force positive dans l'identification  et celle de la transmission sans rivalité qui caractérise l'intersubjectivité éducative.
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Comme dans tout conte, on prend un petit garçon qui n'a rien pour lui sinon un petit signe distinctif (comme tout le monde), au fil de 7 années qui reprennent celles du système scolaire européen, il apprendra à combattre l'adversité, découvrir sa voie et l'accepter avec audace.
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Rowling  analyse le processus d'identification par tout un trajet de rituels vécus dans la famille, l'école et la quête des parents, il chemine dans la reconnaissance  de sa filiation grâce à la double marque de la haine mimétique du rival et de la protection de l'amour parental. il découvre les filiations symboliques, il renie une vision mythique de la famille et s'approche toujours plus proche de la famille.
il passent par des épreuves, des examens, par la validité de son instruction et de son apprentissage.

L'éducation et la famille sont complémentaires pour l'institution de l'élève comme personne, la famille permet et accompagne la filiation, la différence sexuelle et l’affiliation culturelle, l'école permet l'affiliation sociale et citoyenne.

Le rapport à la loi se fait à travers un système de sanctions justes, par l'amitié à travers les pairs surmontant les jalousies, la confiance vécue dans la relation éducative, l'apprentissage d'une éthique.
Le roman est une vraie méditation sur l'éducation et l'institution scolaire. Lieu de tous les combats de résistance et d'avenir.

lundi 13 janvier 2014

Une romance cruelle de Ryazanov et quelques chansons russes


Une romance cruelle 1984 D'Eldar Ryazanov à partir d'une pièce d'Ostrovski







Attention spoiler.....
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Une famille noble sans le sou qui marie sa seconde fille à un riche géorgien. La seconde, Larissa, d'une grande beauté, est pourchassée. Le fonctionnaire des postes, se croyant grand homme mais jaloux et étriqué, le fantasque directeur de bateau à vapeur sur la volga semblent être les principaux rivaux. Après une approche et un sentiment profond d'amour en retour de Larissa, le second part sans donner nouvelle.
Toujours pourchassé, la mère de Larissa organise des soirées pour lui trouver un bon parti. Mais un jour, la police y retrouve un voleur... Ce n'était pas un banquier mais un caissier voulant s'approcher des beautés. Après un tel scandale, elle décide d'accepter le premier mari qui vient à elle. C'est le fonctionnaire des postes (à la grande surprise de tout le monde..) qui en devient tout fier et tout jaloux. Elle s'efforce à être heureuse. Lui, cherche à se rehausser mais ne cesse de s'humilier. Puis Paratov revient... Il veut se marier et apprend que Larissa va se marier. Contrarié, il lui souhaite santé et bonheur.



2nde partie
Tandis qu'un riche noble pense à des stratagèmes pour arrêter le mariage, le fonctionnaire de la poste, lui, devient odieux. Voulant montrer sa victoire tandis que son épouse cherche l'intimité. 
Elle se distingue par sa sagesse et sa lucidité malheureuse... "Tu t'occupes de ton orgueil !" "Quand quelqu'un m'aimera t il vraiment ?" "Vous allez tous me détruire"...
Paratov revient, il lui confie sa déception. Il lui fait dire qu'elle l'aime encore. Karandyshev arrive tout jaloux, il en vient presque à se battre avec Paratov. Le dîner suivant, il fait honte par son ivresse et sa petitesse d'esprit. Paratov propose à Larissa de fuir avec lui. Dans le garage, pleurante et s'abandonnant, elle accepte, elle le prie. 
Karandishev est ivre et tout le monde (même Larissa contre l'avis de sa mère) part sur le lastoshka, le bateau que Paratov a perdu et vendu à son camarade. Il chante, partons sur le chemin des tsiganes. Karandyshev court à leur poursuite et prend un petit bateau.
Nuit de fête, nuit d'amour. Mais dès le lendemain matin moite et sous le signe de gueule de bois, Paratov lui glisse, maintenant, tu dois rentrer chez toi...
Il est fiancé. Il s'en va. Karandyshev arrive sur le bateau. Les deux autres amis riches de Paratov discute de la vie de Larissa. La conduire à Paris pour mieux éviter la rivalité entre les deux. Puis ils la jouent à pile ou face.
Le vieil homme riche et lui propose de l'emmener à Paris comme sa favorite (il est déjà marié.)
Karandyshev revient plein de fureur, de revanche et de ressentiment. Je suis un objet, je suis trop cher pour toi... Répond elle désabusé et détruite déjà...
Il tente de la violer. Tu es à moi. Ou alors tu n'appartiendras à personne. il la tue, elle meurt sous les yeux de Paratov.

Fin Spoiler



Ce film me touche beaucoup. Peut être me rappelle t il la personne qui me l'avait conseillé.
Il mélange romantisme et réalisme et est au final un merveilleuse description du malheur d'être belle femme.
Idolatrée, objetisée, détruite. Larissa, grande beauté, connaîtra avec lucidité tous les moments de l’idolâtrie, de l'admiration à la destruction malgré les espoirs de l'amour qui seront déçus.
Le personnage de Paratov représentant le mâle dominant et fascinant. Il est aimé, il attire les regards, il tente, il risque, il prend la vie avec plaisir, rire, ironie. Il semble autonome, il possède la gloire comme montre son arrivée première sur son cheval blanc. L'homme tel qu'il est attendu. Il est celui qui la trahira deux fois. Par légèreté, par plaisir, par faiblesse aussi.

Karandishev est le double de Paratov. Il respire la médiocrité. Fonctionnaire des postes médiocre et étriqué, il est amoureux de Larissa et pense malgré tout qu'elle lui revient légitimement du au fait de sa grandeur d'âme. Au plus mal de sa situation, Larissa décide de choisir un mari au sort. Ce sera lui. Nous le découvrons fanfaronnant et heureux. Mais il est évident que cet homme est rempli de ressentiment. il n'aime pas Larissa, il aime la gloire qu'elle lui confère. Il ne rêve que de la montrer aux autres qui l'on tant humilié dans le passé. Plus le temps avance plus nous comprenons qu'il ne cherche qu'à exploiter Larissa pour la gloire qui lui permet de rivaliser avec Paratov.

Dans les deux cas, il y a le désir de posséder. La beauté est un signe de la gloire divine. Ce film démontre avec finesse et balourdise mélangée comment elle est outragée, vendue et assassinée.
La fascination, la possession ou le désir mimétique en croyant l'embrasser ne font que l'étouffer et au final l'ignorent. 
Ce film est une fable magnifique. La description de la bourgeoisie russe du 19ème siècle est touchante. Les chants (voir plus bas) attendrissent l'âme... Que nous manque t il pour aimer ?





Ci dessous, les chansons du film. des petits bijoux...










Plus bas encore, des chansons venant d'un film du même réalisateur. L'ironie du destin qui est un film culte pour les russes, il est présenté tous les ans aux premiers de l'an à la télévision russe... Les chansons encore ici sont très tendres et très belles....