dimanche 6 décembre 2015

Alix et Charlotte entre déboussolement et recherche de la réalité

Olivier Rey - Après la Chute

Père Thierry-Dominique Humbrecht - Charlotte ou le pont des Arts.

J'ai dévoré deux romans, dernièrement, ils ont quelques points communs. L'un suit une femme, le second porte un prénom féminin comme titre et en fait un synonyme de la grâce. Malgré leurs grandes différences, ils approchent du thème de l'individu mais en le prenant par un sens opposé tout en se retrouvant à la conclusion, il me semble. Que cette note vous soit une invitation àles lire.


Le premier (Après la chute, d'Olivier Rey) suit une jeune femme prénommée Alix durant presque deux ans. Nous la voyons relire son journal intime de ses 16ans et la voyons vivre la vie d'une jeune femme, thésarde en histoire (les ducs d'Orléans au 15eme siècle...), membre de la classe moyenne bourgeoise, vivant en concubinage avec un beau et brillant centralien. Nous suivons à travers elle et son monologue, ses tristesses, ses lucidités. Olivier Rey témoigne d'une réalité qui se fissure devant nous, ou comment une jeune fille lutte avec les illusions et la fragilité du socle sur lequel est bâti sa perception du monde. Tout est fragile.
Elle tombe en dépression, sa thèse est inutile, son couple perd son sens, elle est possédée par le frère jumeau disparu de son compagnon, sa famille lui devient anodine, la sexualité idiote. Cela n'est pas crié, cela est montré calmement, elle ne s'en rend pas compte à proprement parlé...
Le livre devient une plongé dans un labyrinthe où il n'y aurait pas de centre... La quête d'Alix frôle une folie où nous sommes embarqués malgré nous, partagés que nous sommes entre le bien fondé de sa remise en cause que par la fragilité de sa méthode.
Le livre nous emmène au bord de la folie. Une folie douce qui rencontre consolation et empathie dans son entourage mais où ne voyons pas de sortie.
Si ce n'est le questionnement sur un monde moderne qui ne sait pas lui, non plus, où il nous conduit. L'auteur nous montre une voie en nous faisant suivre Alix. Elle va jusqu'au bout de son malheur, des contradictions qu'elle avoue et jusqu'au bout du mystère des frères ennemis, elle relit la chute de sa biographie pour comprendre les malheurs du monde, elle tâtonne, se trompe mais a raison... Il faut revenir par une compréhension intime du péché originel pour comprendre notre monde moderne, le supporter et l'aimer... ou pas...


Le second livre est très différent. Si après la chute est un roman moderne concentré sur une personne, le second est un roman chorale qui fait penser à une petite comédie humaine, tout est foisonnant, nous suivons des personnages divers représentant une société intellectuelle, artistique et médiatique parisienne.
Mais au cœur du livre se trouve la relation entre Julien Royaumont et Charlotte Andilly. Ils sont tous les deux étudiants en lettres - philosophie, brillants, biens de leur personne, catholiques mais non ostentatoire. Remplis d'ami brillants eux aussi, de parents prévenants, de sœurs adorables et piquantes ou artistes. Ils ont 22 ans et leur arrive l'age des décisions, des préférences.
Le livre commence par une très belle déclaration d'amour de Julien à Charlotte sur le pont des arts. Elle prend un peu de distance.  Tout le roman sera rythmé par les aventures des deux héros pour se reconnaître, affronter leur environnement, développer leurs talents et surtout être de bons élèves (blessés et humbles ) dans l'art d'aimer et d'être aimé.
Il faudrait parler de Fiacre Johanne, brillant journaliste qui réalisera une percée médiatique, d'un éditeur subtil, d'un académicien brillant, charmeur et vain, d'un ministre ridicule et cynique, des deux directeurs de la publication des deux plus grands journaux français. Nous rencontrerons un couple de vieux universitaires gauchistes français, un chef d'orchestre autrichien. Nous reprenons un grand plaisir à retrouver chacun des personnages à les voir échanger, discuter sur l'art du roman, celui la même qui se déroule sous nos yeux. De discuter de la philosophie contemporaine, de l'amour, des relations humaines, blaguer, badiner, se tromper, se frotter, s'émerveiller.
J'ai lu ce livre avec bonheur. Il se dévore, tous les personnages sont (presque) sauvable. Les discussions, même si elles ressemblent au dialogue que l'auteur peut avoir avec lui-même, sont superbes. Les situations parlent de la possibilité d'amitié véritable, de don, de travail d'amélioration, de pardon, d'amour possible. Qu'il est rare de voir une fiction où les personnages ont tous leur part positive, la travaillent, la questionnent, portent des fruits.
Le livre devient une grande et belle méditation sur l'art du roman (mise en abyme permanente...), l'art du verbe, de la musique, du théâtre, mais surtout de l'art d'aimer et d'être aimé. La sagesse du livre est étonnante, elle prend peut être une trop grande part dans les dialogues mais elle montre qu'elle est une quête, un combat, tous les personnages sont ambivalents. (sauf peut être Salomé et Absalom... figure symbolique de mal...). Ce livre propose aussi un cours philosophique incarné. 
Incarné ? oui, c'est le maître mot de la sagesse. Comme les personnages du roman cherchent leur incarnation de leur personnage qu'il créée, l'auteur du livre tente de créer des personnages incarnées tout comme il nous invite à trouver notre propre incarnation comme celui qui fut lui même le Verbe incarné. 
C'est aussi pour cela que les grands moments du livres se trouvent sur le pont des Arts où médite l'auteur. Notre société ne nous permet plus de reconnaître le reflet de la réalité... Retrouvons la réalité. N'avais je pas le cœur brulant après avoir dévoré ce livre ?


Comme Alix, comme Charlotte, retrouvons notre incarnation.

jeudi 5 novembre 2015

Décès de René Girard 25 Décembre 1923 - 4 Novembre 2015

Que faire ? Que dire ? 
Il y a ce très bel article de Cynthia Heaven.
Je serais plus subjectif, un blog sert aussi à cela.
Vous savez probablement combien cet homme m'a marqué, combien sa pensée m'accompagne tous les jours et combien il m'a permis de rencontrer le Christ de manière plus forte, plus radicale.

Sa pensée a été pour moi comme la pilule de Matrix, celle qui nous fait découvrir la réalité. Une réalité plus rugueuse, plus violente, terrifiante par bien des cotés, tranchante comme le sabre dont parle le Christ.
Mais aussi exaltante, plus profonde, plus joyeuse. D'une instabilité folle où le Christ serait le point de Salut. 

Je crois que sa pensée nous oriente vers l'adoration, l'eucharistie et une perception charnelle de la résurrection qui ne devient plus une théorie fumeuse mais une expérience bouleversante, belle à en pleurer de gratitude tout le reste de notre vie.

Oui, penseur mais surtout il tenta de partager son expérience mystique et de la partager au plus grand nombre.

J'ai lu "les frères Karamazov" de Dostoievski avant de découvrir René Girard. Je me souviens à quel point le livre me brulait à la dernière page. C'est ce feu que je retrouvais régulièrement à la lecture de René Girard. Ce feu auquel je souhaite rester fidèle.

C'est aussi à la fin de Mensonge romantique et vérité romanesque que nous retrouvons ces dernières lignes des Frères Karamazov.

-Karamazov, s'écria Kolia, est ce vrai ce que dit la religion, que nous ressusciterons d'entre les morts, que nous nous reverrons les uns les autres, et tous, et Ilioucha ?
-Oui, c'est vrai, nous ressusciterons, nous nous reverrons, nous nous raconterons joyeusement ce qui s'est passé.

Prions pour René Girard et Prions avec lui. 
n'est il pas un Saint ?


jeudi 22 octobre 2015

Pierre Yves Gomez présente la théorie des conventions

La première vidéo plus bas a été prise lors de l'université d'été de l'association des recherches mimétiques dédiés à la pensée de René Girard.
Intervenant lors de cette université, Pierre-Yves Gomez est interviewé.
Il raconte d'abord sa rencontre intellectuelle et personnelle avec René Girard par la médiation de Georges-Hubert de Radkowski.

En fin de vidéo il donne un résumé intéressant et original de son livre le travail invisible :
Le travail réel, véritable producteur de richesses a été plongé dans l'abstrait par les croyances développées de la "performance", "l'innovation" etc... l'ensemble de ces croyances construisent la financiarisation. Pourtant tout cela est basé sur quelques croyances jamais remises en cause d'autant plus qu'elle sont souvent autoréalisatrice du fait du pouvoir mimétique de celles-ci.

Oui, Gomez parlait de croyances, dans le cœur de la vidéo il nous expliquait ce qu'était la théorie des conventions en économie et en quoi la source était la pensée de René Girard.

Afficher l'image d'origine

 Cette théorie des conventions part sur l'étude des sociétés à partir de l'individu en relation et non de l'individu autonome. Cela part de l'axiome que toute décision économique part de l'autre.
Il nous initie à la notion de trou noir de rationalité. Une convention sert à ne pas voir ces trous noirs, lieu où on commence à interroger que chacun pense que l'autre pense que chacun pense que chacun pense..... pour pouvoir décider. Cela donnerait la possibilité aux autres agents d'agir d'une manière que je n'attends pas. Les conventions existant pour mieux nous cacher que je ne peux décider de manière autonome sans tenir en compte les décisions des autres au même moment.
Ce trou noir de rationalité fait penser à celui que nous trouvons dans la théorie de la victime émissaire. C'est parce que je ne dévoile pas le mécanisme du bouc émissaire que le bouc émissaire fonctionne.(on peut penser au conte des habits du roi aussi...) La convention comme le processus victimaire est ce qui me permet d'oublier ma méconnaissance fondatrice.
Afficher l'image d'origine
La convention élabore un système de rationalisation partagée. Si je remets en cause la convention, l'espace social peut redevenir un lieu de tension et de violence.

Comme chez René Girard où le fait de s'interroger sur la victime et de ne pas accepter le mécanisme victimaire renvoie à la violence sociale. le sujet n'est plus alors le désir mais la raison.
La modernité dans ce cadre peut être vue comme illusion de sa propre autonomie de rationalité et sa foi que les sociétés sont fondées dessus. Or plus il y a autonomie apparente de l'acteur, plus il se réfère à des systèmes de croyances communes. L'époque moderne a aboli les grands systèmes partagés. Nous démultiplions les lieux de croyances. (Les marchés, les qualités, les forces, les stratégies.)


 Je souhaite aller plus loin en lisant ce document qui regroupe des articles de P-Y Gomez sur ces théories.






encore une vidéo pour continuer...






jeudi 1 octobre 2015

Olivier Rey contre l'extended order - exemple urbanistique

Vous trouverez plus bas une conférence d'Olivier Rey. Deux choses y ont retenues mon attention.
Si le départ ressemble beaucoup à ce que j'ai pu présenté de lui sur une note différente (), en particulier sur la question de la proportion de notre époque moderne boursoufflée, je retiens sa remarque sur Hayek et l'illustration de sa thèse sur le domaine de l'architecture et de l'urbanisme. Il n'en est nullement spécialiste mais il tente le lien dans le cadre d'une conférence dans une école d'architecture.
Avant de filer la métaphore avec l'architecture, il développe l'idée d'un libéralisme coupant l'homme en deux et lui demandant d'en sacrifier une partie pour le bien de  la seconde et de la communauté globale. Voyons les conséquences de ce sacrifice. Aussi bien direct qu'indirect.


La remarque sur Hayek (entre 42 et 50 environ)
Rey rappelle qu'Hayek oppose les sociétés traditionnelles aux grandes sociétés modernes ouvertes (qu'il appelle "extended order" ). Il les oppose en liant la première aux émotions humaines et la seconde à la raison. L'extended order demande des manières de vivre et de penser totalement différente, d'aller contre les émotions, cela est difficile. Ce passage de la société organique à cet ordre est le moteur de l'histoire tragique de l'occident. La recherche de l'unité vécue au niveau de l'individu et de la société ne se fait pas sans blessures profondes. L'extended order favorise un processus d'individualisation qui lui même entre en conflits avec les formes de vie communautaires.

"le conflit entre ce que les hommes aiment instinctivement et les règles de conduite apprises qui leur ont permis de de développer est peut être le thème majeur de l'histoire de la civilisation"

Nous sommes habités par des conflits très profonds, reconnait Hayek. Que faire de ce qui dans nos vies exige la communauté dans un ordre incapable de réponde à ses aspirations ? Hayek répond en restreignant les aspirations, en les faisant taire. Sinon, on grippe le mécanisme libéral. Adaptons nous au système libéral et ce à grande échelle.
Rey conclue qu'un ordre demandant de tel sacrifice n'est pas souhaitable...

Et vous ?

Effet de l'extended order sur l'urbanisme.
On peut lire cette problématique de l'ordre étendu dans l'urbanisme par le duo gratte ciel-extension pavillonnaire. Les tours sont le symbole de l'ordre étendu et les extensions pavillonnaires en sont le signe de la frustration. Mais ces extensions deviennent elle-même hubris par leur gigantisme (et leur laideur).
Les programmes de logement furent une tentative de répondre à la catastrophe pavillonnaire.
L'emblème dans cette idée et de sa fin est le programme Pruit-Igoe de Saint Louis dans le Missouri.

Ce quartier était la fine fleur des règles modernes, son  penseur Yamasaki a reçu une grande notoriété ce qui lui a valu d'être appelé pour construire le World Trade Center à New York.
(Ses deux plus célèbres constructions sont désormais détruites.)
Ce fut un échec, délabrement rapide jusqu'à sa destruction en 72 moins de 20 ans après sa construction. (L'habitation est autant protection qu'ouverture...)
Gigantisme, artificialité et image de la mort du modernisme. Vient alors le postmodernisme, qui est en même temps radicalisation du modernisme et le doute de son propre mouvement.


Nos contemporains sont souvent face à un désarroi idéologique quand nos sociétés font face  aux conséquences négatives du développement. Que faire ?
Être fidèle aux principes, se sentir démuni face aux malheurs...et consentir aux sacrifices...
Ou au nom de ces maux, rejeter les principes, et se sentir orphelin des progrès ...
Pour échapper à cette alternative paralysante, il faut s'interroger sur l'échelle d'application des principes. Le principe de proportionnalité ne bride pas l'ingéniosité humaine. Intégrons la question de la proportion afin de nous éviter toutes les prises d'otages idéologiques. C'est un des grands messages d'Olivier Rey.
Évitons tous les sacrificateurs de communion libéraux et acceptons les paradoxes, soyons assez subtils pour intégrer la proportionnalité dans tous les domaines de nos vies.



plus bas, petite prise de note....

lundi 21 septembre 2015

un peu de guerre

Une fois n'est pas coutume, j'ai regardé il y a peu cette vidéo produite par le ministère de la défense sur la mission Serval au Mali en 2013. Elle s'est révélée passionnante. 

Certes, le producteur du film n'est pas neutre. Il possède des images étonnantes du Mali, des attaques, de la préparation, de la population, de l'organisation, de la préparation et une voix off avec une voix de baroudeur...
Il présente au mieux la situation française et le bien fondé de l'opération. Le but de cette note n'est pas d'en discuter (tâche bien compliquée....) mais de découvrir la vie de soldats. L'armée nous semble une entité bien éloignée dont l'utilité ne nous sautes plus aux yeux. Qui sont ces hommes qui glandent dans les casernes françaises ? Et oui, voila maintenant les questions que se posent les générations qui n'ont pas fait leur service militaire dont je fais partie.
Ce reportage m'aide à remettre les pieds sur terre.



 Ensuite, ce reportage montre une guerre. Les ennemis sont suivis mais on ne les voit pas vraiment, les morts sont cachés mais nous suivons les tensions, les dangers, les prises de risques. L'ennemi est mille fois moins équipé, mais il est présent, malin et il faut le respecter pour ne pas le subir.
Mais au delà de cela, ce reportage montre des hommes vivants. La logistique, la piétaille, les généraux, les organisateurs, les démineurs, nous sentons chez eux tous une passion de l'action, une passion de la mission, du corps de métier. Il me revenait cette phrase entendu il y a peu dans une dernière note de la part de Bernard Maris : l'homme aime la guerre. Ce film nous aide à le comprendre pourquoi. 
La victoire, la discipline, la communauté, l'honneur dans son sens de la cristallisation des vertus humaines, la représentation de la guerre de chaque homme et de chaque communauté contre le péché et la mort. Tout homme est un guerrier. Et n'est ce pas parce que c'est une vérité que sa perversion est un drame, une catastrophe qui embrase l'histoire et les civilisations...
Misère de l'ambivalence humaine.
N'est ce pas ce que l'on voit dans cette série des photos de Lalage Snow : l'homme avant, pendant et après la guerre.
Cet assemblage ne montre t-il pas cette ambivalence, la vertu du combat et sa perversion 









lundi 14 septembre 2015

Jesus de Montreal - Denys arcand






Un homme, dont on ne sait rien du passé, si ce n'est sa formation  d'acteur "cum lauda", prend la direction du spectacle de la passion du Christ organisé tous les ans par un sanctuaire catholique à Montréal. Il invite quatre personnes à se joindre à l'aventure. Il base sa pièce sur une lecture incisive de l’Évangile et de recherches archéologiques sur le Christ. Le spectacle aura du succès et marquera les esprits mais blessera l’Église institutionnelle qui lui demandera d'annuler le spectacle qu'ils vont vouloir pourtant jouer. L'auteur, au moment de jouer Jésus en croix sera blessé lors d'un échauffourée pendant le spectacle. Il mourra et lèguera des parties de son corps et laissera dans le cœur de ses collègues un souvenir impérissable qui iront jusqu'au point de créer une institution à sa mémoire.

Voici pour le bref résumé, mais il faut en dire plus pour rendre un hommage (paradoxal) à ce film. 

Un relecture permanente 
Le film utilise de manière permanente, à chaque scène, un clin d'œil à l’Évangile. Il existe une seconde lecture permanente de l’Évangile dans la vie de ce Daniel Coulombe. C'est quelque fois criant, c'est parfois subtil. A chaque fois, une invitation à lire l’Évangile dans la vie ou de faire la visualisation (jésuite?) de l’Évangile à la vie quotidienne. Nous retrouvons Marie en mère solitaire, Marie Madeleine en ancienne mannequin de pub heureuse de rencontrer un homme qui la regarde avec amour et chasteté, un Jean Baptiste, précurseur et annonçant la venue de "Jésus", Un Pilate, un tentateur dans le désert, les marchands du temple, un grand prêtre, les pharisiens, Judas. Eli, Eli, lama sabactani, le bon romain. L'incarnation est maline, vivante, incarnée. Nous y croyons. D'autant plus que nous avons accès en partie au spectacle joué qui tente justement de rendre Jésus incarné, provocateur et éveilleur. Il y a une idée par plan et le dialogue ont souvent plusieurs sens passionnants. Il y a des scènes fantastiques jouant avec la représentation de la passion et la réalité de ce que les personnes vivent. On sent que Denys Arcand est marqué par Jésus, il veut partager la subtilité de ce qu'il comprend de la personnalité du Christ.

Une rencontre réussie et ratée (ou une expérience moderne)
Il nous vient alors le paradoxe de ce film moderne. Il nous invite à retrouver l'incarnation de Jésus, à éprouver sa sagesse, à l'admirer, à comprendre les raisons de sa mort. Mais les extraits de l’Évangile ne sont pas complets. Ses miracles deviennent de la magie, sa relation avec le Père est passé à l'as. L’Église est une institution, œuvre du diable et ne fait que répéter les erreurs des pharisiens. Il ne reste qu'un humaniste impeccable, simple, sombre, condamnant le monde et ses pompes, à la recherche de la relation juste et de communion. Mais Jésus est aussi un désespéré qui meurt du malheur du monde, fils d'un légionnaire romain. (oui, Arcand diffuse des vieilles thèses archéologiques qui ne valent pas grand chose.) La résurrection est le souvenir d'un homme cher, les disciples et le christianisme qui suivent sont des traitres idiots. Arcand fait facilement confiance aux thèses les plus légères qui le confortent dans ses théories d'un Jésus plus humaniste qu'humaniste. Où est le questionnement du sacrifice, du judaisme, de l'Eucharistie? Ce qu'Arcand oublie des Evangiles parlent plus de lui et de sa propre perception du Christ. La recherche de vérité a ses limites... Quel malheur.
Ou comment l'honnêteté d'une rencontre désirée passe à coté de son but. En ce sens, Arcand est un magnifique spécimen de l'hérésie moderne. L'humanité du Christ est respecté, sa divinité méprisé, l'institution de l'Eglise est ridicule et pourtant Jésus comme homme est apprécié, il semble une magnifique antidote à la modernité commerciale, vulgaire, égoïste et vaine.
C'est en cela que ce film a un gout curieux pour moi. Il fait sentir la douceur et l’âpreté du Christ, mais il nous fait rater le bon, le divin, le fils, le berger, l'anthropologue, la pain de vie, le sauveur. Quelle dommage....
Il semble être ce que l'honnêteté puisse apporter de mieux au moderne sur un point de vue sur le Christ, un petit peu comme "la vie de Brian" des Monthy Python dans un autre genre....
Dans tous les cas, à la question, "Et vous qui, pensez vous que je suis ?", les malentendus durent toujours et la réponse d'Arcand ressemble peu ou prou à celles rapportées avant celle de Pierre. Rien ne change, finalement....

Qui nous fera voir le sauveur ? 
Le paradoxe continue car le film semble résonner d'appels forts ! Qui nous fera voir le bonheur ?
Qui nous fera voir le Salut ?  Qu'est ce que l'homme ? Qu'est ce que la création ?
Arcand reste au point d'un gauchisme qui ne voit plus que la révolte car il rate parallèlement le Salut de la croix et la gratitude de l'homme...
Mais n'est il pas aussi le témoin d'un Église canadienne en pleine chute et en pleine crise de foi ?
Il nous reste le désagréable impression qu'Arcand croit comprendre l'Eglise et le Christ et qu'il les dépasse. Il y a au final beaucoup d'orgueil....
Deux citations situé au début et à la fin du film sont importantes encore.
Le film commence par une représentation théatrale du suicide de Smerdiakov après sa conversation avec Ivan.
Ensuite le film reprend et finira par les deux derniers morceaux du Stabat Mater de Pergolesi.
Dostoïevski est arrêté au désespoir humaniste et Pergolesi est utilisé pour les espoirs déçus de toute métaphysique.
Noir, c'est noir.









quelques notes au cours du film :