jeudi 30 août 2012

Père Marc Lambret - Eucharistie, Foi et dévoration

Curé parisien, Marc Lambret met à disposition sur internet ses sermons, conférences. J'y puise donc régulièrement des trésors de sagesse chrétienne, des explications théologiques lumineuses, un manuel de savoir vivre de chrétiens conséquents. Toujours l'impression d'aller à l'essentiel sans intellectualisme forcené ni de faux gros bon sens.

En Août dernier, lors d’Évangiles du dimanche tournées vers l'Eucharistie, deux sermons ont retenu mon attention.

Le premier part de la proximité étymologique entre adoration et dévoration (bouche). Ensuite selon le père Lambret, elle montre aussi le chemin de l'amour, de l'adoration à la dévoration, signe du danger de l'amour, du rapprochement et donc d'utiliser l'autre selon ses besoin ou inversement. Il développe en parlant de la tendance actuelle de se fier uniquement au sentiment. C'est selon lui "se livrer à la violence et au risque de dévoration contenue dans l'adoration." C'est, je crois, bien représenté par la mode actuelle de la représentation Eros et thanatos dans la représentation amoureuse contemporaine teinté de désillusion et de ténèbres (quand ce n'est pas sirupeux...)
Lambret montre ensuite pourtant que c'est le chemin auquel nous invite Jésus : Jean 6, 51 "Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel. Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement; et le pain que je donnerai, c'est ma chair, pour le salut du monde."
Et tout cela doit mener à l'oratio, non plus les relations destructrices mais les relations d'unité où chacun garde son identité telle la relation trinitaire.
L'Eucharistie comme ce qui apprend à bien aimer... A exorciser la tentation d'absorber l'autre.... Le baiser comme signe de la beauté de l'amour et de la possibilité de sa perversion (soit trinité, soit narcissisme exterminateur...)




Le second  signale (je ne l'avais jamais vraiment remarqué) comment Jésus a à faire avec les questions du "comment" de l'Eucharistie. Jean 6 52 : "Comment cet homme peut-il donner sa chair à manger?"
Marc Lambret se rend à l'évidence. Jésus ne répond pas à cette question. Il répond au "Pourquoi?" juste après mais pas à "Comment ?". Faut il s'en contenter ? Oui, si nous faisons confiance alors nous aimerons comprendre comment nous et son Eglise nous vivons de lui, développe Marc Lambret.
Plus que nulle part ailleurs, la dimension de la foi est présente dans la religion catholique à cet instant. Je fais confiance en ce que dis Jésus et à l'Eglise qui a rapporté son message jusqu'à moi. Je conçois ce qu'il y a de fou. Mais comme nous l'avons vu précédemment avec Orléan, dans un post précédent, nous sommes des êtres de confiance, et ce en quoi nous donnons confiance, là est notre trésor, notre monnaie commune.
Monnaie commune que nous mangeons.
"L'argent ne se mange pas", le proverbe célèbre prend désormais un autre sens... L'argent ne peut pas être un bonne monnaie car il n'est pas adorable, il ne peut pas être dévoré.




On ne peut jamais tenir l'Eucharistie par un point, la résumer facilement, elle est à l'intersection de toutes les dimensions humaines. Ces deux sermons aident à en visualiser quelques uns....

dimanche 26 août 2012

« Le Christianisme sera victorieux, mais seulement dans la défaite » : Une interview de René Girard

Veuillez trouver ci dessous, une traduction personnelle de l'anglais au français d'une interview de René Girard par Cynthia Haven en juillet 2009 à l'occasion de la sortie de la traduction anglaise de Achever Clausewitz (Battling to the end). Cette interview est paru dans le magazine First Things (First Things is published by The Institute on Religion and Public Life, an interreligious, nonpartisan research and education institute whose purpose is to advance a religiously informed public philosophy for the ordering of society. Selon le site lui-même...)

J'ai traduit cette interview, ne l'ayant vu nulle part en français, car elle me semblait répondre avec beaucoup de clarté sur la pensée apocalyptique de René Girard. Dites moi si il y a encore des erreurs...

Alors? On attend que cela se passe ?


« Le Christianisme sera victorieux, mais seulement dans la défaite » : Une interview avec René Girard.
16 Juillet 2009
Cynthia L. Haven

Cynthia Haven : Au moment même où les gens croient savoir ce que pense René Girard, vous nous surprenez. Votre travail s’est étendu vers de nouvelles directions significatives à différents moments de votre longue carrière. Il semble maintenant que celle-ci ait encore évolué avec votre dernier livre sur Carl Von Clausewitz.


René Girard : Achever Clausewitz est un livre sur la guerre moderne. Clausewitz est un écrivain qui a seulement écrit sur la guerre ; il était amoureux de la guerre. Il haïssait Napoléon, l’ennemi de son pays, la Prusse, mais il l’aimait aussi car l’empereur avait restauré la guerre dans sa dimension héroïque, après un 18ème siècle qui avait affaibli la guerre avec ses conflits faits de manœuvres et de négociations plus importantes que le véritable combat. C’est pourquoi la haine de Clausewitz pour Napoléon était curieusement liée à une admiration passionnée pour l’homme qui avait rétabli la guerre à sa gloire passée


CH : La nature amour-haine de la rivalité mimétique est apparente ici, mais n’y a-t-il pas autre chose qui vous a attiré vers ce sujet décalé ?


RG : J’ai trouvé une autre correspondance intéressante avec mon propre travail. Parce que Clausewitz ne parle seulement que de guerre, il décrit les relations humaines d’une manière qui m’intéresse profondément. Quand nous décrivons les relations humaines, nous les rendons d’habitude meilleures qu’elles ne le sont véritablement : bonnes, paisibles, etc. tandis qu’en réalité elles sont concurrentielles. C’est pourquoi Clausewitz dit que les affaires –les affaires commerciales- et la guerre sont très proches l’une de l’autre.


CH : Vous avez signalé que notre société dans son ensemble parvenait actuellement à une situation de « crise mimétique ». Quelle est la cause de cette crise mimétique, exactement ?


RG : Une crise mimétique est présente quand les gens deviennent indifférenciés. Il n’y a plus de classes sociales, il n’y a plus de différences sociales, etc.… Ce que j’appelle une crise mimétique est une situation de conflit si intense que des deux cotés les gens agissent de la même manière et parlent de la même manière quand bien même, ou parce que, ils sont de plus en plus hostiles l’un envers l’autre. Je crois que dans les conflits intenses, loin de devenir plus nettes, les différences se dissipent.
Quand les différences sont supprimées, les conflits deviennent rationnellement insolubles. Si et quand ils sont résolus, ils le sont par quelque chose qui n’a rien à faire avec des arguments rationnels : par un processus que les gens concernés ne comprennent et ne perçoivent même pas. Il est résolu par ce que nous appelons le mécanisme victimaire du bouc émissaire.


CH : Vous dites que l’histoire du mécanisme victimaire est supprimée par ceux qui accomplissent ce processus.


RG : Le mécanisme victimaire est en elle-même cette suppression. Si vous réalisez ce processus, seulement un tiers extérieur peut être conscient de cela. Mais vous non, parce que vous croirez faire quelque chose de juste. Vous allez croire plutôt que vous punissez quelqu’un qui est vraiment coupable, ou que vous vous battez contre quelqu’un qui essaie de vous tuer. Nous ne nous voyons jamais comme quelqu’un responsable du processus victimaire.
Si vous regardez les religions archaïques, cela devient clair que la religion est la manière de maîtriser, ou au moins de contrôler, la violence. Je pense que les religions archaïques sont basées sur un meurtre collectif, sur un lynchage d’une foule qui unit les gens et sauve la communauté. Ce processus est le début de la religion : le salut comme un résultat du mécanisme victimaire. C’est pourquoi les gens convertissent leur bouc émissaire en un dieu.


CH : Vous avez dit par ailleurs: « Je pense qu'à terme la vision chrétienne de la violence reprendra le dessus mais nous devons considérer la situation comme un vrai test ». Avez-vous vraiment ce genre de certitude ?


RG : Le christianisme sera victorieux, mais seulement dans la défaite. Le christianisme a la même construction que les religions archaïques, c’est un cas de mécanisme victimaire, mais –et cette différence est énorme- au lieu d’accuser la victime, et de se joindre aux persécuteurs, il prend conscience que la victime est innocente et depuis nous interprétons ce genre de situation à la lumière de la victime innocente, qu’est le Christ lui-même. Dans un monde qui n'est plus organisé suivant les règles strictes du bouc émissaire et des sacrifices qui le remettent en scène à travers le système pénal, nous avons de plus en plus de désordre. De plus en plus de liberté, mais de plus en plus de désordre.


CH : Mais dites-nous-en un peu plus sur ce « grand test »


RG : On peut dire que l’histoire est ce grand test. Mais nous savons très bien que l’humanité rate ce test. A certains égards, les Évangiles, les Écritures prédisent cet échec puisqu’ils concluent sur les thèmes eschatologiques, qui prédisent la fin du monde.


CH : Vous avez dit, pour les sociétés modernes, « la confiance est dans la violence. Nous mettons notre foi dans cette violence, cette violence nous gardera dans la paix. » Comment les nations peuvent être fortes sans violence ?


RG : La vérité commence avec la reconnaissance de notre violence, c’est ce que le Christianisme réclame de nous. L’alternative est le royaume de Dieu, et le royaume de Dieu est, par définition, non violent. Il n’arrive jamais, parce que les gens ne sont pas suffisamment chrétiens et nous revenons à ce que je disais avant. Nous devons reconnaitre nos bouc émissaires et nous ne pouvons le faire.


CH : C’est dur d’imaginer d’aller à la table des négociations au Moyen-Orient sans avoir la perspective de la guerre en dernier ressort.


RG : Je suis tout à fait d’accord. Mais c'est là notre éternelle impasse. Nous devons voir l’histoire comme un long processus d’éducation. Dieu essaie de nous enseigner à renoncer à la violence. Il n’y aura aucune violence dans le royaume de Dieu, et nous ne semblons pas capables de cela. C’est pourquoi vous avez des textes apocalyptiques à la fin des Évangiles.
Maintenant, le monde se dirige de plus en plus vers des types variés de catastrophe. On le sait très bien, on parle un petit peu de cela. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation qui ne nous permet pas de distinguer les instruments de guerre et les instruments de paix. 
Quand vous regarder les textes apocalyptiques, ils semblent absurdes et enfantins parce qu’ils mélangent souvent nature et culture. Cela sonnait absurde jusqu’à récemment, mais maintenant cela arrive vraiment. Quand il y a des ouragans à la Nouvelle Orléans, nous nous demandons si l’homme n’est pas plus responsable que la nature. Les incroyants pensent que les textes apocalyptiques du Christianisme sont anti-scientifiques parce qu’ils mélangent nature et culture. Mais dans notre monde, il ne peut être contesté que l’homme puisse interférer avec le fonctionnement de la nature. Le monde n’a jamais connu de telle possibilité auparavant. Mais il le peut maintenant et je pense que cette situation est spécifiquement chrétienne. Donc, loin de voir le Christianisme comme démodé et ridicule, je vois un Christianisme qui donne beaucoup de sens. Ce sens est seulement trop étonnant pour être compris par les gens collés à une pensée conventionnelle.


CH : Vous avez dit : « De plus en plus de personnes en Occident deviennent conscientes de la faiblesse de leur humanisme ; nous n’allons pas redevenir chrétiens, mais il y aura plus d’attention sur le fait que le combat est vraiment entre le Christianisme et l’Islam qu’entre l’Islam et l’humanisme. »


RG : Oui, je le crois, voyez vous, parce que le Christianisme a détruit les cultes sacrificiels. Le Christianisme révèle que le monde est fondé sur la violence. La principale ressource de gouvernement et de civilisation, dans le monde archaïque, est le phénomène du bouc émissaire. Le grand paradoxe est que le phénomène du bouc émissaire fonctionne seulement aussi longtemps qu’il demeure inaperçu par les gens qu’il unit. Les Évangiles rendent visibles que Jésus est un bouc émissaire. Quand les gens disent qu’il n’y a pas de différence entre un mythe et le Christianisme, c’est presque vrai. Dans les deux cas, l’histoire culmine dans un grand drame : une victime est collectivement tuée puis est divinisée. Mais dans les deux cas, la victime n’est pas divinisée pour la même raison. Jésus est divinisé parce qu’il a souffert la passion, malgré son innocence, et il a révélé leur propre violence à ses meurtriers. Dans les religions archaïques, la culpabilité des meurtriers demeure invisible, inaperçue. C’est l’effet de la réconciliation du bouc émissaire qui est souligné comme la signification positive du processus. Dans le Christianisme, la violence criminelle du meurtrier est révélée aussi bien que l’innocence de la victime.
Une religion archaïque n’est rien qu’un phénomène de bouc émissaire qui a réussi, pour ainsi dire, comme cela est interprété naïvement par les meurtriers eux-mêmes. Dans les Évangiles, le phénomène échoue et son sens est révélé aux meurtriers (scapegoaters) eux-mêmes, ce qui veut dire, l’humanité dans son entier. Le Christianisme détruit les religions archaïques parce qu’il nous révèle leur dépendance avec la violence sur le bouc émissaire.
L’auto-dénigrement du monde moderne, aussi bien que sa supériorité intellectuelle, sont enracinés dans la conscience du processus du bouc émissaire. Malheureusement, nous ne sommes pas conscients que le processus entier est enraciné dans le Christianisme que beaucoup de personnes rejettent simultanément avec les fausses religions du bouc émissaire.
Dans un sens, le monde occidental s’est assis sur ses propres privilèges et ne prête pas la moindre attention à l’Islam. Il a été absolument certain – viscéralement, même dans le moins chrétien des sens – qu’il lui était supérieur, ce qui dans une certaine mesure est vrai mais qui est dû à quelque chose que le Christianisme n’a pas acquis.


CH : En quel sens, supérieur ?


RG : Dans le sens qu’il dispose de tous les avantages spirituels qu’ils possédaient parce qu’il savait la vérité. Il connaissait le péché des hommes, le fait que l’homme est un tueur, un tueur de Dieu. En Orient, leur mépris du Christianisme est attribuable au fait qu’ils sont absolument scandalisés par la crucifixion. Quel genre de dieu, est-ce cela qui permet d’être lui-même persécuté et d’être tué par les hommes ? D’un coté, il est bon de voir l’effet de choc, vous savez. Dans un sens, je pense que ce que Dieu dit est « Je permets ces boucs émissaires. Mais vous, je vous enseigne la vérité. Ainsi vous devez être à la hauteur de cette vérité, et devenir parfait, et ceci est le royaume de Dieu. » Vous êtes les élus, dans le sens juif.


CH : Et vous dites que le Christianisme avait ces avantages mais qu'il ne les a pas acquis ?


RG : Il ne les a pas acquis, et il ne s’est pas comporté comme il aurait dû. Les Chrétiens sont infidèles au Christianisme.


CH : Vous avez dit que cette apocalypse n’est pas nécessairement une grande explosion, ni même un geignement, mais plutôt une longue stagnation.

RG : Dans l’Évangile de Mathieu, il est dit : « Et si ces jours là n’avaient été abrégés, nul n’aurait eu la vie sauve» - parce que c’est une période d’une longueur infinie.


CH : C’est donc la période dans laquelle nous sommes ?


RG : Je pense que c’est peut être le cas (I think it may well be). Nous sommes fiers de nos réalisations que nous appelons modernes et il y a des indications de l’Écriture que celles-ci coïncident avec le dangereux temps que nous vivons.
Certains des fondamentalistes chrétiens pensent que les thèmes eschatologiques montrent que Dieu est en colère contre l’homme et qu’il va bientôt mettre un point final au monde. Mais les textes eschatologiques sont plus éloquents si vous comprenez la situation telle que je viens de la définir. Si l’homme ne devient pas plus modeste, sa violence augmentera de manière illimitée. Cette violence n’augmentera pas seulement par de la violence physique et par des guerres, mais par l’augmentation et la multiplication d’armes, qui menacent maintenant la survie même de notre monde. Notre violence n’est pas créée par Dieu mais par l’homme ; dans un monde de plus en plus oublieux de Dieu, si vous regardez la manière dont les nations se comportent entre elles, la manière dont les individus se comportent entre eux.
Avant l’invention des armes apocalyptiques, nous ne pouvions voir combien étaient réalistes les textes apocalyptiques. Maintenant nous pouvons le voir et nous devrions être très impressionnés par ce réalisme. Maintenant, seulement une chose manque à l’homme s’il veut survivre : la réconciliation universelle.


CH : Qui est l’antéchrist selon votre interprétation ?


RG : Eh bien, nous ne savons pas, mais il y a beaucoup de candidats plausibles. Visiblement, il y a quelque chose de très insidieux à propos de lui, c’est un séducteur. Donc, cela ne doit pas être quelqu’un comme Staline, Hitler depuis qu’ils ont échoué misérablement. L’antéchrist ne semble pas œuvrer par la force. Mais je pense que vous pourriez le voir dans un certain état d’esprit moderne – l’esprit de puissance, l’idée que l’homme est devenu totalement maître de lui-même et qu’il n’a pas à s’incliner devant des pouvoirs plus grands que lui et qu’il triomphera à la fin.


CH : Donc cette crise, vous nous voyez la parcourir infiniment, comment cela se termine ?


RG : Nous allons suivre une lente intensification des symptômes de déstabilisation qui caractérisent le monde moderne.


CH : Et ensuite, qu’est-ce qui arrivera ?


RG : Je ne sais pas, vous avez deux conceptions du temps à considérer : l’éternel retour, qui je pense est le meurtre fondateur du bouc émissaire qui amène ensuite une nouvelle religion. Le phénomène du bouc émissaire est si puissant qu’une communauté peut s’organiser elle-même autour de lui.
Et ensuite, nous avons le temps continu, qui apporte à travers la destruction du monde, la Seconde Venue. Bien sur, cela étouffe toute source de renouveau, qui est le meurtre sacrificiel d’un bouc émissaire. Avec la Bible, il n’y a pas de renouveau, ni de nouvelles religions.


CH : Nietzsche a noté que nous avons passé presque deux mille ans sans nouveau dieu ?


RG : Nietzsche a quelques textes, qui sont très intéressants, parce qu’il aimerait revenir à l’éternel retour ; et donc il n’est pas vraiment apocalyptique, parce qu’il n’attend pas vraiment de royaume de Dieu. Il aimerait revenir en arrière, et il espère qu’il y aura une fin au Christianisme.


CH : Vous avez souligné qu’il haïssait les Évangiles, qu’il ne les voyait pas d’un point de vue théorique ou historique.


RG : Non, il ne les voyait pas ainsi. Il les voyait même comme les pires choses pour le monde parce qu’il les voyait comme une cause de décadence, pour des gens devenant incapables de vitalité et se mouvant dans le monde d’une telle manière que les civilisations ne se renouvelleraient pas elles-mêmes et mourraient. C’était pré-nazi. Il était nostalgique des religions archaïques.


CH : N’avait il pas raison sur ce point-là ? N’y a-t-il pas une sorte de décadence dans laquelle nous sommes maintenant ?


RG : Certainement, il n’avait pas tort. Parce qu’à la longue, cette période interminable d’apocalypse deviendra un peu fatigante. Et, ensuite, si vous la regardez, elle sera probablement terriblement non-créatrice. Aujourd’hui, est-ce que vous sentez les arts aussi productifs qu’ils étaient dans le passé ?
Le royaume de Dieu ne viendra pas sur cette Terre, mais il y a une inspiration du royaume de Dieu dans notre monde, qui est partielle et limitée. Et il y a une décadence antichrétienne et non-chrétienne globale. Nous avons encore « l’abomination de la désolation » (ndt : Matthieu, 24, 15 se référant à Daniel) prophétisée à passer, sans aucun doute.


CH : Etant donné cette longue apocalypse que nous allons traverser, que faire ?


RG : Rien de spectaculaire.


CH : On attend que ça se passe, et c’est tout ?


RG : On attend que ça se passe, et c’est tout. Mais nous devons essayer de ne pas nous soumettre à la décadence spirituelle de notre temps et de nous élever du monde qui nous entoure.


CH : Qu’en est il de cette citation : « Et si ces jours-là n'avaient été abrégés, nul n'aurait eu la vie sauve ; mais à cause des élus, ils seront abrégés, ces jours-là.» ?


RG : Cela signifie que la fin des temps sera très longue et monotone – si médiocre et sans histoires d’un point de vue religieux et spirituel que le danger de mourir spirituellement, sera très grand. C’est une rude leçon, mais en définitive une leçon d’espoir plutôt que de désespoir.

Cynthia L. Haven écrit régulièrement pour le Times Literary supplement, the Los Angeles Times Book review, le Washington Post, le San Francisco Chronicle, the Kenyon Review, the Georgia Review, and others. Son “An Invisible Rope: Portraits of Czeslaw Milosz” sera publié l’anné prochaine par  Ohio University Press/Swallow Press.

vendredi 24 août 2012

Le Messie, Haendel, Chantre et politique chrétienne

En terme chrétien, le terme politique le plus fort est le terme "Messie" (terme hébreu), le Christ (en grec). Nous l'utilisons sans cesse, sans trop savoir ce qu'il veut dire.
Il est maintenant associé au terme de sauveur, libérateur. 
A l'origine, c'est l'oint du Seigneur, celui qui reçoit l'huile, signe d'une consécration à Dieu ou bien plus simplement d'un revêtement qui met à part. Il était d'abord destiné (voir Exode) au sacrificateur. 
Sacrificateur, rôle du prêtre et rôle politique primordial. Qui, comment sacrifier pour que le sacrifice donne la paix à la société ? 
L'onction l'aidait à réaliser pleinement cette tâche et à protéger le reste de la société, à l'isoler et du coup à faire de cet homme une victime en puissance.
Comme l'explique Benoit Chantre plus bas, le rôle politique majeur chez les juifs a été amené à changer au long de leur histoire tumultueuse. En exil, c'est le prophète qui recevait l'onction. Toujours, alors, il était l'homme politique, celui qui parlait de l'espérance de la libération du peuple. Enfin, le roi fut oint. Signe représentatif du chef, mais aussi de sa séparation des autres hommes de la société, là encore symbole de la victime en puissance (Violence et sacré de René Girard). 
Depuis, le peuple juif n'a cessé d'attendre le nouveau messie (prêtre, prophète et roi) symbole d'une nouvelle libération attendue. Ce terme représente toute la problématique politique dans la religion.
Alors Jésus Christ? Jésus l'oint ? Les juifs ne le pensent pas....
Et les chrétiens estiment que c'est bien Jésus, l'homme politique dernier. Le prêtre, le prophète et le roi, celui que l'ancien testament ne cesse d'attendre.

Ici, je fais intervenir Haendel, son célèbre oratorio résume tout. Le texte n 'est qu'un assemblage de passage biblique résumant d'un point de vue chrétien le messianisme de Jésus. (texte)
L'attente et l'espérance de la première partie. La dimension douloureuse de ce Messie, (le serviteur souffrant dans Isaïe) et sa confirmation dans l'histoire présente et son commentaire dans les lettres de Saint Paul.

Car, oui, Jésus est la victime, son  propre sacrificateur, et il prophétise toute l'espérance humaine, il présente le chemin de la libération par le sacrifice de soi.
Tout cela, je l'écris bien moins bien que Benoît Chantre comme vous pouvez le constater plus bas ou à partir de ce lien. (texte écris lors de sa responsabilité de la scénographe de l'oeuvre en 2011 au théâtre du Châtelet, je recommande vraiment le texte)

Est ce donc pour cela que les Chrétiens (souvent) sont si mauvais ou maladroit en politique actuelle ? Bien sur, la dimension de service à la communauté est forte mais l'homme politique est le personnage du sacrificateur-bouc-émissaire qui a été dépassé par le Christ qui a remis en cause toute politique et tout pouvoir politique... Notre époque ne parle t-elle pas de cela non plus ?

De cette situation où n'avons plus le choix qu'entre le royaume de Dieu et une violence qui a perdu tout sens.... Que faire malgré tout???

Pour vous émerveiller, voici une version du Messie de Haendel. Oeuvre miraculeuse.
Bizarrement, j'ai choisi une version très originale. (mise en scène Claus Guth, direction Jean Christophe Spinosi)
Refusant la forme de l'oratorio (et donc de la méditation) et utilisant une mise en scène faussant l'aspect religieux. Refusant toute transcendance et voyant l'église comme une mise en scène fausse et absurde et la résurrection comme une pensée pour homme ivre et de toute façon non désirable.Il y a une histoire de l'homme moderne qui ne cesse d"exprimer un "A quoi bon tout cela..." Le massacre du Alleluia en est tout le symbole, choix artistique et non incapacité musicale.
Et pourtant... Pourtant, cette histoire de crise familiale, de crise de l'homme libéral et de l'homme d'église force les chanteurs à exprimer leur texte (quelquefois en changeant le sens) de manière extrêmement convaincante par rapport à  toutes les versions que j'ai pu voir...

Nous sommes alors happés, séduits par les idées, l'interprétation, le choeur. Il y a un allant formidable. Allant qui oublie toutes les questions politiques et possibilité pour Jésus d'être le libérateur.... 
Dans tous les cas, merci Georg !!!!



Version sous titré en norvégien... mais texte en français, ici.



(Impossible de retrouver la version complete.... mais il y a la globalite en petit morceau....)

 

Ci-dessous le texte de Chantre ecrit a l'occasion des concerts au theatre du Chatelet

Le Messie aujourd’hui par Benoît Chantre


jeudi 23 août 2012

Avec André Orléan, de la Monnaie vers la Foi



André Orlean – L’envers et l’endroit de la monnaie
Sur Vimeo, j’ai trouvé une conférence d’une heure d’André Orlean. Elle fut organisée par l’école nationale supérieure des arts décoratifs. Elle fut animée par la journaliste d’Arte Francesca Isidori.
Essayons un compte rendu, vous trouverez aussi la vidéo plus bas.

Mr Orléan part d’un fait, les sciences sociales sont faites pour comprendre comment une société se construit ses propres valeurs. Or depuis deux siècles environ, la science économique a voulu créer un schisme avec les autres sciences sociales et a désiré être objective sur la question des valeurs. La valeur n’est plus une construction mais elle est basée sur l’objet lui-même, son utilité et non plus sur des croyances comme dans les autres sciences.
Les économistes se parent donc de rationalité. Mais leur incompréhension de la monnaie, de la confiance et de la part d’affect dans l’économie les rendent finalement bien plus aberrants…
Car, nous explique Orléan, le rapport des gens avec leurs monnaies est affectif. Ce n’est pas seulement un instrument, c’est un groupe qui s’investit matériellement et symboliquement dans un objet. Elle est l’expression de ce que « valoir » peut dire. C’est la croyance en une puissance forte. Notre fascination de l’or pouvant sembler exotique exprime bien cette non-rationalité.

Rapport religieux de la monnaie?
Oui, car elle concrétise la capacité d’un groupe à reconnaître une puissance fondatrice à des objets. C’est le symbole matérialisant l’unité. La confiance et la foi en celle-ci est nécessaire
Selon la science économique actuelle le marché est universel. Logique, rationnel et partageable à tous.  Mais cela est évidemment faux, il faut croire à la même monnaie, au même Dieu, la concurrence des monnaies peut devenir terrible. L’échange est possible quand il y a une foi et une valeur commune. (NdP-c : Jusqu’en 1971, les échanges internationaux se faisaient grâce à l’or, le dollar l’a remplacé depuis…) Il est indispensable de comprendre la monnaie comme une croyance collective.

Pourquoi la monnaie ? Au fait…
Avec les néoclassiques (Walras, Menger…) qui sont les économistes dominants, nous avons vécu la révolution marginaliste. Si, avant, on cherchait la valeur des choses selon le travail, ils ont voulu la déterminer selon l'utilité. Dans ce contexte, la monnaie est incompréhensible car la monnaie n’a aucune utilité. Elle devient l’hypothèse inutile qui sera bientôt dépassée. (Rêve de Keynes d’une société d’abondance sans monnaie en 2030…)
Alors pourquoi la monnaie ? redemande Orléan....  Supposons que demain, il n’y ait plus d’euros…
Comment avoir accès aux marchandises des autres ? Or si Orléan ne le cite pas, Girard intervient… Or la marchandise des autres c’est ce que chacun veut. On cherche ce que les autres désirent. Comment échanger ses désirs, nous qui cherchons ce qui est désirable. Or la monnaie est ce qui peut être unanimement désirée par tous.
Enfin, nous pouvons posséder ce que tous trouvent désirable. Or tout peut être monnaie (allumette, carte, etc, etc… l’histoire en a donné des exemples très variés) car tout dépend de la croyance commune. Généalogie de l’or ? Fascination pour sa beauté, sa persistance, sa désirabilité absolue et non pas vraiment pour son utilité fondamentale.

Désirer l’or ? Folie ou normalité ?
Dans le monde de la rationalité, la monnaie n’est pas utile. Keynes (qui a aussi parlé de l’or en tant que reliques barbares…) voit la monnaie seulement comme le plaisir de l’argent, l’usure, l’avarice... Vouloir de la monnaie lui semble aberrant.
Mais dans un point de vue collectif, c’est aberrant de penser comme Keynes. On ne peut retirer la dimension collective de l’homme…
La monnaie est double. Elle est constitutive de la collectivité ainsi que de l’égoïsme le plus pur.
L’étude de la monnaie dans les sociétés primitives aide beaucoup. Selon eux, sans monnaie, la société va vers le chaos. Elle a une valeur positive. Elle est lié à la reconnaissance des ancêtres, moins pour acheter que racheter, elle existe plus pour les sanctions, les femmes.
Anecdote : Un mélanésien parti en Angleterre est devenu prêtre anglican, de retour dans sa tribu, il évangélise et argumente ainsi, Jésus, c’est comme la communion d’une monnaie.
De même, dans les systèmes d’échanges locaux, souvent anticapitalistes, une de leur première action est de déterminer une monnaie, celle-ci représentant une foi et une confiance commune.
Ensuite Orléan avec l’aide de Marshall Sahlins, (Age de pierre, âge d’abondance, économie des sociétés primitives) souligne le fait que beaucoup de sociétés primitives peuvent être vues comme des sociétés d’abondance. Contrairement à l’homo economicus qui a installé la matérialité comme institution. Nous nous trompons, la rareté n’est pas objective. Nous sommes dans une course perpétuelle aux objets. Nos sociétés considèrent le futur en termes de biens, on peut voir les sociétés primitives comme se définissant avec le nécessaire, chez eux l’abondance peut-être vraiment présentes. Famine ? Oui, mais alors pour tout le groupe.

La monnaie est donc ambivalente !
Pile / Face, Prix / Confiance, Chiffre / Symbole, Quantitatif / Qualitatif, Politique / Religieux, Echange / Trésor, Privé / Public, Mal / Bien, Violence / Confiance, Crise / résolution, Poison / Remède, Trop peu / Trop, Inflation / déflation,  Moyen / Fin, Paix, / Guerre…..
A Propos de la dualité, Privé / Public, Orléan développe le fait, qu’actuellement, ce sont les banques privés qui créent la monnaie, non à partir des dépôts mais de la dette, ensuite celle-ci ne pouvant imprimer, l’état valide la création selon le besoin de monnaie imprimable désiré, le taux d’intérêt et la banque centrale intervenant.
Orléan développe ensuite sur cette ambivalence, il conclut qu’en économie, il n’y a pas de solution miracle, due à cette dualité changeante et difficilement maîtrisable.
Orléan termine sur l’Euro. Tout logiquement, pour maitriser sa monnaie il faut une souveraineté politique, stabiliser la confiance commune vers une monnaie. (Quand ce n’est pas par la guerre ou la force…). Ainsi, les USA, les Anglais, et le Japon ont une dette publique géante, plus forte qu’en Europe. Mais ils ont gardé le pouvoir monétaire, ils peuvent racheter de la dette contrairement aux pays de l’Euro (cela créerait des déséquilibres entre les différentes entités…). La monnaie devient comme extérieur, elle devient le problème.
L’Euro n’a pas de face ! Ce n’est pas la monnaie de la confiance commune. Ainsi, ses billets ? Pas de visage… que des structures architecturales décontextualisées. Cela représente bien cette monnaie, rien de concret… Quelque chose qui doit aller quelque part (portes, ponts…), jeux intellectuels qu’on aimerait voir grandir… Illusion…


ANDRE ORLEAN, l'envers et l'endroit de la monnaie from École des Arts Déco - Paris on Vimeo.




Conférence passionnante. Nous sommes loin du dernier commentaire de Nicolas Baverez dans le monde.
Intelligent, mais tellement prisonnier d'une logique de bonne élève...

Orléan développe aussi ici

Oui passionnante, car au carrefour de beaucoup de sujets incroyablement intéressants. La question de la valeur, le moderniste ne voyant plus qu'il est primitif et qui en ignorant ses bases anthropologiques tombent dans des erreurs dramatiques. Cette crise économique confirme aussi notre crise rationaliste.
J'ai bien sur pensé à l'enfer des choses de Dumouchel et Dupuy. Qui eux aussi démontent la problématique de la rareté et de l'abondance à partir d'une thématique girardienne du désir. La rareté comme remplaçante du sacré dans la société moderne. (post, ces prochaines semaines sur ce livre...)

J'ai pensé encore à Marc Lambret. A sa conférence sur la confiance.
La confiance est plus précieuse que l'or. A partir du développement proche d'Orléan, sur le relativisme de la valeur, relativisme qui tourne autour du pivot stable de la confiance. Lambret fait un développement sur la confiance à construire et la confiance dans le logos et l'argumentation. Tout argument est de confiance, comme toute valeur est de confiance.

Je pensais aussi à un de ses sermons sur Matthieu 22, 15. Rendez à César... Jésus est entrain de se faire piéger pour une question de reconnaissance de l'impôt romain. Il prend une pièce et demande ce que l'on voit dessus. C'est l'empereur. Coeur de la foi du monde romain. Face à ces accusateurs, qui veulent le sacrifier sur l'autel de César, il réplique cette phrase fameuse "Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu" C'est dire aussi, moi je suis la véritable pièce de Dieu et non pas de César. Je suis la pièce avec l'effigie de Dieu pour racheter l'humanité. J'appartient à Dieu, pourquoi me livrer à César qui a déjà ses pièces à son effigie.
On peut penser à la parabole des ouvriers de la onzième heure où Jésus est représenté par la pièce d'or.




Tout cela permet de nous dire que le missionnaire anglican mélanésien a eu une inspiration fantastique. Oui, Jésus, c'est "la communion comme la monnaie". 
Le récit des primitifs selon Orléan de la monnaie, parle bien entendu du bouc-émissaire : constitutive de la société, c'est ce qui permet d'éviter la guerre en détournant la violence fondatrice des humains sur elle seule. 
La monnaie est liée au mécanisme de sacrifice victimaire. Jésus est le "dernier bouc émissaire", celui qui rachète vraiment les hommes, son sacrifice fait de lui la véritable monnaie en qui toute ambivalence trouve toute harmonie. L'Eucharistie comme véritable trésor. Véritable valeur. Véritable symbole.

(Parallèlement, méditer sur la dimension bouc-émissaire des rois et empereurs.)
Qu'est ce que tout cela implique sur notre connaissance de la vie économique ?  Et notre vie quotidienne ?
Beaucoup, je crois, mais donnez moi le temps d'y penser.



mercredi 22 août 2012

Gabriel Fauré - quelques fleurs

A cette question qui m'a été posé cette année "quel compositeur te paraît le plus français ? chez qui te sens tu le plus chez toi ?", je n'ai pu commencer par un autre nom que Gabriel Fauré.

Français par les poèmes qu'il met en valeur dans ses chansons, par sa douceur, son caractère, sa spiritualité, son gout de la langue française. 


Ce blog étant un petit jardin, les chants de Fauré sont pour moi des fleurs dont il faut partager les fleurs, à méditer et à écouter régulièrement.

J'ai choisi des enregistrement assez vieux, moins par nostalgie que par goût d'un français magnifiquement articulé et peut être tout simplement par l'expressivité de Crespin et du fabuleux Panzera.

Extrait du poème éponyme de Jean de la ville de Mirmont, il évoque un homme rêvant dans un port et voyant les bateaux s'éloigner de celui-ci vers des horizons forcément fabuleux...
Dans sa sélection, Fauré met en dernier un poème pourtant inséré dans le premier tiers dans l’œuvre originale. Fauré doit parler de lui, les derniers mots m'ont toujours paru déchirant...



Vaisseaux, nous vous aurons aimés en pure perte ;
Le dernier de vous tous est parti sur la mer.
Le couchant emporta tant de voiles ouvertes
Que ce port et mon cœur sont à jamais déserts.

La mer vous a rendus à votre destinée,
Au-delà du rivage où s’arrêtent nos pas.
Nous ne pouvions garder vos âmes enchaînées ; 
Il vous faut des lointains que je ne connais pas. 

Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre. 
Le souffle qui vous grise emplit mon cœur d’effroi, 
Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère, 
Car j’ai de grands départs inassouvis en moi. 






Poème de Prud'homme évoquant pour moi ce que peut être la pureté amoureuse. En quoi ce sentiment nous conduit à l'essentiel et à l'unisson avec la nature

...Ne pas sentir, tant que ce rêve dure,
Le temps durer ;
Mais n'apportant de passion profonde
Qu'à s'adorer ;
Sans nul souci des querelles du monde,
Les ignorer ; 
Et seuls, heureux devant tout ce qui lasse,
Sans se lasser, 
Sentir l'amour, devant tout ce qui passe, 
Ne point passer !


De nouveau un poème de Prudhomme pour évoquer la ressemblance entre les berceaux et les vaisseaux partant pour la mer. Au milieu, de cette tonalité mineure, il y a ce cri dramatique décrivant les horizons qui leurrent....


Poème de Romain Bussine, Fauré nous rappelle ces nuits aux rêve trop doux... Reviens, ô nuit mystérieuse.



Poème d'Armand Sylvestre, ce choeur parle du drame de la non réciprocité amoureuse et du drame sentimental entre les sexes. Fauré, sensible au mimétisme sentimental nous prie : aimez qui vous aime !!! Ce chant est le négatif de l'habanera de Carmen de Bizet. L'harmonie est magnifique.



En prière
Prière de l'inconnu Stéphan bordèse, quintessence de l'art de fauré, simplicité et joie spirituelle. Certains la trouveront niaise mais cette prière devait être la sienne. N'est elle pas la notre aussi aujourd'hui ?




Si la voix d'un enfant peut monter jusqu'à Vous,
Ô mon Père,
Écoutez de Jésus, devant Vous à genoux,
La prière!
Si Vous m'avez choisi pour enseigner vos lois
Sur la terre,
Je saurai Vous servir, auguste Roi des rois,
Ô Lumière!
Sur mes lèvres, Seigneur, mettez la vérité
Salutaire,
Pour que celui qui doute, avec humilité
Vous révère
Ne m'abandonnez pas, donnez-moi la douceur
Nécessaire,
Pour apaiser les maux, soulager la douleur,
La misère!
Révèlez vous à moi, Seigneur en qui je crois
Et j'espère:
Pour Vous je veux souffrir et mourir sur la croix,
Au calvaire!

mardi 21 août 2012

les hommes du tsar - Volkoff

Ma vie a beau s’éloigner de la Russie, un évènement, un livre, une musique me rapproche sans cesse vers elle. C’est curieux. Après mes recensions de Boulgakov, je croyais donc m’éloigner de Moscou. Un livre trouvé au hasard de mes vacances m’y fait replonger avec encore plus de force et de rage….
Les hommes du tsar de Vladimir Volkoff est un livre marquant.
Nous, français, ignorons beaucoup de l’histoire de la Russie, elle commence pour nous quelque part en 1917. Nous ignorons beaucoup par exemple d'Ivan IV dit le terrible. Et surtout de la période suivant la mort de celui-ci. Appelée le temps de troubles, cette époque de chaos, de guerre, guerre civiles, troubles dynastiques, cette époque faillit détruire la Russie. Dans ce livre (premier livre d’une trilogie…. quand lire la suite?), l’auteur, par l’outil du roman dresse le décor de ce temps des troubles. Il s’amuse à démonter les rouages du mécanisme bientôt destructeur…
Ce n’est pas un roman historique comme les autres, l’auteur par l’intermédiaire et la source des historiens russes, de la tradition romanesque russe, souhaite initier le lecteur à la pensée russe. Il plonge dans la tête des principaux personnages historiques de cette période. Ivan le terrible, son fils Feodor, Boris Godounov, Irina Godounova, les Chouïski, les Miloslavski d’autres boyards. Il imagine encore un personnage, sorti par le tsar Ivan d’une situation misérable, celui-ci découvrira le pouvoir, la fidélité et l’amour dans ce temps de fauves.


Répétons, mise en scène historique prévenant le déluge. Vérité historique recherché par l’intermédiaire du roman, ellipse, vérité psychologique, anecdotes révélatrices, vie quotidienne et enfin discours politique et philosophique.
Malgré tout, les deux principaux personnages du livre sont Ivan le terrible et Boris Godounov.
Ivan, pieux, mystique, méditant l'évangile, se prosternant devant les icônes, présent aux messes quotidiennes, rusé, âpre, suant, protégeant le pouvoir, demi dieu pour son peuple, pensant stratégie, sexe, Salut, guerre, Salut, limiter le pouvoir des gêneurs, Salut, envoyer sa garde protégé (opritchnina), détruire les trop libres Novgorod et Pskov, Salut, divorce, humilier les boyard, les soumettre, torturer les infidèles, Salut, recevoir les honneurs, penser avenir de la Russie, penser la passé de la Russie, tuer son fils sans le vouloir, rencontrer le diable, recevoir des ambassadeurs catholiques, se méfier des polonais....

Oui, nous sommes dans la tête du monstre.
Monstre, c'est plus compliqué que cela quand Volkoff nous remet un contexte en place, une situation douloureuse et une sorte de compromis impossible entre le pouvoir et la foi du Christ. Or ces hommes sont avides de pouvoir et croient au salut par le Christ... 
Godounov est l'argument supplémentaire à cette thèse, jeune idéaliste, grimpant dans la hiérarchie par son courage et son intelligence, sa soeur se mariant avec celui qui deviendra par accident le nouveau tsar, Feodor, il profitera de sa place pour avoir petit à petit un maximum de pouvoir, limiter celui des boyards concurrent, faire assassiner le bâtard pouvant devenir tsar si est confirmée l'infertilité de Feodor. L'idéaliste est devenu Hérode, il a allumé toutes les mèches préparées par Ivan, Le temps des troubles va commencer.

En plus de nous faire découvrir la Russie de l'intérieur et de l'intime, Volkoff avec une plume incroyable nous parle de ce temps où la christianisation intense de la Russie apportant la douceur aux femmes, l'idéalisme aux jeunes hommes, crée un court circuit qui aurait pu être fatale à une Russie trop humaine : rivalité, pouvoir, violence, obsession de la descendance charnelle...




Creusons, si possible, l'oeuvre de Volkoff...

Souvenons nous de l'auteur, de l'epoque et de ce personnage...

A écouter plus tard : Boris Godounov de Moussorgski

A Voir plus tard : Tsar (2009) Pavel Lounguine