jeudi 2 août 2012

Bouffonnerie, totalitarisme et fuite du monde


Après avoir résumé le livre, ici et la, permettez moi donc quelques commentaires.

Bouffonnerie
Le maître et Marguerite de Boulgakov en impose, connu mais pas célèbre, réputé, il possède une aura de livre culte. Livre russe, parlant du diable et de la folie russe. Un mélange de Dostoïevski, Tolstoï et Pouchkine ?
Avec lucidité, il faut tout de suite dire qu’il ne faut pas avoir peur du monument. Ce livre possède plusieurs couches, plusieurs lignes de lecture. N’ayons pas peur, car c’est d’abord une bouffonnerie, ce n’est pas sérieux. 
Les deux tiers de l’histoire se concentrent sur des détails humoristiques. Koroviev, Behemot participent à ce sentiment.

Ce livre veut d’abord nous divertir. Donner un peu d’absurde, d’histoires impossibles et de la  diablerie d’opérette. Car si à quelques moments, Woland nous parait sérieux et solennel, nous ne sommes pas effrayés. Si nous pouvons être pris de vertige par le réalisme des scènes de Jérusalem, jamais, nous ne sommes pris dans un tourbillon spirituel ou théologique superbe.
Ensuite, nous pouvons le lire comme une formidable et maligne révélation du régime communiste et de la révélation d’un esprit russe.
Je crois que jamais un français n’aurait pu écrire ce livre. Pas seulement pour la partie révélant la société soviétique mais pour l’humour, les clins d’œil culturels et détails du quotidien qui prennent sens.
Ici, je dois remercier ce site http://www.masterandmargarita.eu/fr/index.html.
Sans lui, je serais passé à coté de la moitié du charme de ce livre, grâce aux annotations de chaque chapitre, rempli d’explications culturelles, historiques, de traduction, nous pouvons nous approcher du plaisir qu’un russe aurait à lire ce livre.

Révélation, ne voyons nous pas que nous sommes tous fous ?
Nous comprenons enfin la finesse de la dénonciation d’une vie quotidienne absurde, du signalement malin des problèmes de logement, de familles, du monde littéraire et culturelle. La bande diabolique dit tout haut ce que le gens disent tout bas, elle démontre l’inanité du système monétaire local, de la relation faussée avec l’étranger, de la médiocrité des poètes,  des écrivains, des rivalités sans génie, de l’avidité provoquée par un régime limitant son peuple avec injustice souvent, de l’athéisme d’état, des copropriétés. Beaucoup plus sombre, il parle avec un humour ravageur, de la police secrète  des risques d’emprisonnement, de faux procès. Un monde de fou. (Importance de l'asile...)
En lisant un petit peu la vie de Boulgakov, nous comprenons qu’il s’est senti oppressé par ce régime, censuré, maudit par celui-ci.
Je crois que Woland est un double du maître. M et W. Les deux faces d’une pièce qui est Boulgakov. Celui qui souffre et celui qui révèle, qui se venge, qui ridiculise. Woland est l’écrivain que Boulgakov aimerait être, le point de vue du diable, avoir le dernier mot, révélateur des intentions et du mal, noble, charmant, juge, remettre les hommes à leur place. Leur faire peur, les rendre à leur niveau de ridicule et de petitesse.
Le maître est Boulgakov tel qu’il se voit, méprisé, pris pour fou, réduit au silence, obligé de parler de son époque par des moyens détournés… Car oui, son livre tant protégé, brûlé, retrouvé et que nous lisons, est le parallèle du livre même que nous avons dans la main. Ce livre est une sorte d’évangile selon Pilate, du jugement à la mise au tombeau du Christ. Du jeudi aux premières lueurs du dimanche.  Évangile détourné, apocryphe, non orthodoxe mais où nous voyons un Jésus aux milles vertus, homme libre et bon se confronter à l’injustice du monde, à la lâcheté de Pilate, à la folie d’un de ses disciples, à la mort du lâche. Nous pouvons lire aussi le personnage de Pilate comme étant Staline, d’un système qui tue la justice, la bonté et ne promeut que la lâcheté, et conduisant l’ensemble du monde à la folie.
Et tout cela, c’est le livre que nous avons dans la main. Nous vivons dans un monde de lâches fondé sur la violence, le meurtre et le mensonge.

Vengeance et cirque
Le livre devient tout à coup pour moi, un immense chapitre 31, le maître, face à Moscou, crie, râle, hurle, siffle, persifle sur le monde, son pays, sa ville. Je t’ai tant aimé, je vous ai tant aimé mais je voudrais vous quitter, avec tristesse, mais vous quitter aussi pour retrouver Marguerite, vous pardonner (car l’amour a malgré tout déjà gagné…pardon de Pilate…) et rester auprès de ma brune à écouter Schubert.
Et le diable dans tout cela ? Oui, il y a plein de référence à Faust, à des vieilles traditions, le bal, les damnés, Berlioz, Goethe, la mort, les vampires, les sorcières.(c’est aussi un livre érudit…) Mais nous n’y croyons pas une seconde, tout est (presque) cirque. Ce diable n’a aucune consistance théologique, c’est un bonhomme un peu prétentieux, mais sensé spirituellement et qui voit la vérité des choses. A part sa préscience ? Le bal ? C’est une grande blague et une parodie de soirée mondaine moscovite où les damnés sont ridicules. Les meurtres ? Les victimes sont le directeur de la maison des écrivains et un baron-espion du monde culturel pour l’état. Tout ce que Boulgakov détestait le plus à Moscou. Pour le directeur en plus, c’était un relativiste inconscient. Le meurtre du baron, et la coupe de son sang, révèle plus un sacrifice. Sacrifice que je ne comprends pas.
Bref, je ne n’ai pas vu un livre métaphysique. J’ai lu un livre plaisant, devenu culte en Russie, pour son vocabulaire, ses personnages truculents, pour cet humour mélangé d’impertinence pour se moquer de son monde. Humour qui a du mal à cacher son mal-être, son désir de vengeance, sa déception pour le monde…. Envie de fuir… avant d’avoir mis le feu à tout, coupé des têtes… pour enfin trouver un lieu pour profiter de la paix de l’amour sentimental loin des Pilate et des lâches.
Bref, c’est un livre romantique au sens girardien.
Quand bien même dans son épilogue et sa structure en forme de semaine sainte, la résurrection est préparée et attendue.

Ci-dessous un lien pour un recueil de desseins d’artistes inspirés par le livre
et ci-dessous un film russe sur l’œuvre, même si vous ne comprenez pas, je crois que le style de celui-ci est assez bien trouvé et fidèle en esprit.




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