Bouffonnerie
Le maître et Marguerite de Boulgakov
en impose, connu mais pas célèbre, réputé, il possède une aura de livre culte.
Livre russe, parlant du diable et de la folie russe. Un mélange de Dostoïevski,
Tolstoï et Pouchkine ?
Avec lucidité, il faut tout de suite
dire qu’il ne faut pas avoir peur du monument. Ce livre possède plusieurs
couches, plusieurs lignes de lecture. N’ayons pas peur, car c’est d’abord
une bouffonnerie, ce n’est pas sérieux.
Les deux tiers de l’histoire se
concentrent sur des détails humoristiques. Koroviev, Behemot participent à ce
sentiment.
Ce livre veut d’abord nous divertir.
Donner un peu d’absurde, d’histoires impossibles et de la diablerie d’opérette.
Car si à quelques moments, Woland nous parait sérieux et solennel, nous ne
sommes pas effrayés. Si nous pouvons être pris de vertige par le réalisme des
scènes de Jérusalem, jamais, nous ne sommes pris dans un tourbillon
spirituel ou théologique superbe.
Ensuite, nous pouvons le lire comme
une formidable et maligne révélation du régime communiste et de la révélation d’un
esprit russe.
Je crois que jamais un français n’aurait
pu écrire ce livre. Pas seulement pour la partie révélant la société soviétique mais pour l’humour, les clins d’œil culturels et détails du quotidien qui prennent sens.
Ici, je dois remercier ce site http://www.masterandmargarita.eu/fr/index.html.
Sans lui, je serais passé à coté de la
moitié du charme de ce livre, grâce aux annotations de chaque chapitre, rempli
d’explications culturelles, historiques, de traduction, nous pouvons nous approcher du plaisir qu’un russe aurait à lire ce livre.
Révélation,
ne voyons nous pas que nous sommes tous fous ?
Nous comprenons enfin la finesse de
la dénonciation d’une vie quotidienne absurde, du signalement malin des problèmes
de logement, de familles, du monde littéraire et culturelle. La bande
diabolique dit tout haut ce que le gens disent tout bas, elle démontre l’inanité
du système monétaire local, de la relation faussée avec l’étranger, de la
médiocrité des poètes, des écrivains, des rivalités sans génie, de l’avidité
provoquée par un régime limitant son peuple avec injustice souvent, de l’athéisme
d’état, des copropriétés. Beaucoup plus sombre, il parle avec un humour
ravageur, de la police secrète des risques d’emprisonnement, de faux procès. Un
monde de fou. (Importance de l'asile...)
En lisant un petit peu la vie de
Boulgakov, nous comprenons qu’il s’est senti oppressé par ce régime, censuré,
maudit par celui-ci.
Je crois que Woland est un double du
maître. M et W. Les deux faces d’une pièce qui
est Boulgakov. Celui qui souffre et celui qui révèle, qui se venge, qui
ridiculise. Woland est l’écrivain que Boulgakov aimerait être, le point de vue
du diable, avoir le dernier mot, révélateur des intentions et du mal, noble,
charmant, juge, remettre les hommes à leur place. Leur faire peur, les rendre à
leur niveau de ridicule et de petitesse.
Le maître est Boulgakov tel qu’il se
voit, méprisé, pris pour fou, réduit au silence, obligé de parler de son époque
par des moyens détournés… Car oui, son livre tant protégé, brûlé, retrouvé et
que nous lisons, est le parallèle du livre même que nous avons dans la main. Ce
livre est une sorte d’évangile selon Pilate, du jugement à la mise au tombeau
du Christ. Du jeudi aux premières lueurs du dimanche. Évangile détourné, apocryphe, non orthodoxe mais où nous voyons un Jésus aux milles vertus, homme libre et bon se
confronter à l’injustice du monde, à la lâcheté de Pilate, à la folie d’un de
ses disciples, à la mort du lâche. Nous pouvons lire aussi le personnage de
Pilate comme étant Staline, d’un système qui tue la justice, la bonté et ne
promeut que la lâcheté, et conduisant l’ensemble du monde à la folie.
Et tout cela, c’est le livre que nous
avons dans la main. Nous vivons dans un monde de lâches fondé sur la violence, le
meurtre et le mensonge.
Vengeance et cirque
Le livre devient tout à coup pour
moi, un immense chapitre 31, le maître, face à Moscou, crie, râle, hurle,
siffle, persifle sur le monde, son pays, sa ville. Je t’ai tant aimé, je vous
ai tant aimé mais je voudrais vous quitter, avec tristesse, mais vous quitter aussi pour retrouver Marguerite, vous pardonner (car l’amour a malgré tout déjà gagné…pardon
de Pilate…) et rester auprès de ma brune à écouter Schubert.
Et le diable dans tout cela ?
Oui, il y a plein de référence à Faust, à des vieilles traditions, le bal, les
damnés, Berlioz, Goethe, la mort, les vampires, les sorcières.(c’est aussi un
livre érudit…) Mais nous n’y croyons pas une seconde, tout est (presque) cirque.
Ce diable n’a aucune consistance théologique, c’est un bonhomme un peu
prétentieux, mais sensé spirituellement et qui voit la vérité des choses. A
part sa préscience ? Le bal ? C’est une grande blague et une parodie
de soirée mondaine moscovite où les damnés sont ridicules. Les meurtres ?
Les victimes sont le directeur de la maison des écrivains et un baron-espion du
monde culturel pour l’état. Tout ce que Boulgakov détestait le plus à Moscou.
Pour le directeur en plus, c’était un relativiste inconscient. Le meurtre du
baron, et la coupe de son sang, révèle plus un sacrifice. Sacrifice que je ne
comprends pas.
Bref, je ne n’ai pas vu un livre
métaphysique. J’ai lu un livre plaisant, devenu culte en Russie, pour son
vocabulaire, ses personnages truculents, pour cet humour mélangé d’impertinence
pour se moquer de son monde. Humour qui a du mal à cacher son mal-être, son
désir de vengeance, sa déception pour le monde…. Envie de fuir… avant d’avoir
mis le feu à tout, coupé des têtes… pour enfin trouver un lieu pour profiter de
la paix de l’amour sentimental loin des Pilate et des lâches.
Bref, c’est un livre romantique au
sens girardien.
Quand bien même dans son épilogue et
sa structure en forme de semaine sainte, la résurrection est préparée et
attendue.
Ci-dessous un lien pour un recueil
de desseins d’artistes inspirés par le livre
et ci-dessous un film russe sur l’œuvre,
même si vous ne comprenez pas, je crois que le style de celui-ci est assez bien
trouvé et fidèle en esprit.
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