En terme chrétien, le terme politique le plus fort est le terme "Messie" (terme hébreu), le Christ (en grec). Nous l'utilisons sans cesse, sans trop savoir ce qu'il veut dire.
Il est maintenant associé au terme de sauveur, libérateur.
A l'origine, c'est l'oint du Seigneur, celui qui reçoit l'huile, signe d'une consécration à Dieu ou bien plus simplement d'un revêtement qui met à part. Il était d'abord destiné (voir Exode) au sacrificateur.
Sacrificateur, rôle du prêtre et rôle politique primordial. Qui, comment sacrifier pour que le sacrifice donne la paix à la société ?
L'onction l'aidait à réaliser pleinement cette tâche et à protéger le reste de la société, à l'isoler et du coup à faire de cet homme une victime en puissance.
Comme l'explique Benoit Chantre plus bas, le rôle politique majeur chez les juifs a été amené à changer au long de leur histoire tumultueuse. En exil, c'est le prophète qui recevait l'onction. Toujours, alors, il était l'homme politique, celui qui parlait de l'espérance de la libération du peuple. Enfin, le roi fut oint. Signe représentatif du chef, mais aussi de sa séparation des autres hommes de la société, là encore symbole de la victime en puissance (Violence et sacré de René Girard).
Depuis, le peuple juif n'a cessé d'attendre le nouveau messie (prêtre, prophète et roi) symbole d'une nouvelle libération attendue. Ce terme représente toute la problématique politique dans la religion.
Alors Jésus Christ? Jésus l'oint ? Les juifs ne le pensent pas....
Et les chrétiens estiment que c'est bien Jésus, l'homme politique dernier. Le prêtre, le prophète et le roi, celui que l'ancien testament ne cesse d'attendre.
Ici, je fais intervenir Haendel, son célèbre oratorio résume tout. Le texte n 'est qu'un assemblage de passage biblique résumant d'un point de vue chrétien le messianisme de Jésus. (texte)
L'attente et l'espérance de la première partie. La dimension douloureuse de ce Messie, (le serviteur souffrant dans Isaïe) et sa confirmation dans l'histoire présente et son commentaire dans les lettres de Saint Paul.
Car, oui, Jésus est la victime, son propre sacrificateur, et il prophétise toute l'espérance humaine, il présente le chemin de la libération par le sacrifice de soi.
Tout cela, je l'écris bien moins bien que Benoît Chantre comme vous pouvez le constater plus bas ou à partir de ce lien. (texte écris lors de sa responsabilité de la scénographe de l'oeuvre en 2011 au théâtre du Châtelet, je recommande vraiment le texte)
Est ce donc pour cela que les Chrétiens (souvent) sont si mauvais ou maladroit en politique actuelle ? Bien sur, la dimension de service à la communauté est forte mais l'homme politique est le personnage du sacrificateur-bouc-émissaire qui a été dépassé par le Christ qui a remis en cause toute politique et tout pouvoir politique... Notre époque ne parle t-elle pas de cela non plus ?
De cette situation où n'avons plus le choix qu'entre le royaume de Dieu et une violence qui a perdu tout sens.... Que faire malgré tout???
Pour vous émerveiller, voici une version du Messie de Haendel. Oeuvre miraculeuse.
Bizarrement, j'ai choisi une version très originale. (mise en scène Claus Guth, direction Jean Christophe Spinosi)
Refusant la forme de l'oratorio (et donc de la méditation) et utilisant une mise en scène faussant l'aspect religieux. Refusant toute transcendance et voyant l'église comme une mise en scène fausse et absurde et la résurrection comme une pensée pour homme ivre et de toute façon non désirable.Il y a une histoire de l'homme moderne qui ne cesse d"exprimer un "A quoi bon tout cela..." Le massacre du Alleluia en est tout le symbole, choix artistique et non incapacité musicale.
Et pourtant... Pourtant, cette histoire de crise familiale, de crise de l'homme libéral et de l'homme d'église force les chanteurs à exprimer leur texte (quelquefois en changeant le sens) de manière extrêmement convaincante par rapport à toutes les versions que j'ai pu voir...
Nous sommes alors happés, séduits par les idées, l'interprétation, le choeur. Il y a un allant formidable. Allant qui oublie toutes les questions politiques et possibilité pour Jésus d'être le libérateur....
Dans tous les cas, merci Georg !!!!
Version sous titré en norvégien... mais texte en français, ici.
(Impossible de retrouver la version complete.... mais il y a la globalite en petit morceau....)
Le Messie aujourd’hui par Benoît Chantre
Ci-dessous le texte de Chantre ecrit a l'occasion des concerts au theatre du Chatelet
Le Messie aujourd’hui par Benoît Chantre
Créé dans un
« Music Hall » à Dublin en 1742, le Messie de Haendel est une œuvre protéiforme, dont la plasticité se
prête à tous les contextes. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Théâtre
du Châtelet a choisi de donner aujourd’hui
cette œuvre dans la réorchestration que Mozart en fit en 1789. De fait, nous
sommes souvent plus proches ici de Don
Giovanni ou de la Messe en ut que
de Julio Cesare ou de Tamerlano : saisissante expérience,
où l’on voit Mozart transformer de l’intérieur la machinerie haendélienne et
l’ouvrir sur la modernité. Mais au-delà de ces choix esthétiques, le pari de
mettre en scène cet oratorio nous oblige à nous prononcer sur l’actualité du Messie
et de ce qu’il est convenu d’appeler le messianisme.
Quelle est cette tradition ? Survit-elle encore à l’échec des messianismes
politiques, ces tentatives malheureuses de réaliser ici-bas le « Royaume » ?
Le religieux lui-même nous parle-t-il encore, après tous ces échecs, ou
n’est-il qu’une enfance heureusement dépassée de l’humanité ?
Qu’est-ce que le Messie ?
Le terme messianisme désigne l’attente d’un changement radical opéré dans l’histoire.
Mais on ne trouve pas trace d’espérance
de ce genre dans la Bible. Le terme hébreu Mâshîah,
(le « Christos » grec)
signifie d’abord « l’oint », celui qui est consacré par Dieu. Il
désigne soit le roi, soit le grand prêtre du Temple. Ce sont les Evangiles qui raccordent
le terme aux fins dernières : Jésus « le Christ » réalise
l’attente des prophètes qui ont annoncé sa venue ; il est le « Dieu
qui vient » et se révèle à ceux qui l’attendaient. Plusieurs figures
messianiques se sont ainsi succédé dans l’histoire. La figure du roi David tout
d’abord, garant de l’ordre et médiateur de nombreuses bénédictions. Même s’il
déçoit souvent son peuple, le roi est toujours l’objet d’une espérance, que
chaque naissance royale fait renaître. L’exil des Juifs à Babylone (587 av.
J.-C.), les privant de leur terre, de leur Temple et de leur roi, reporte cette
espérance vers une « nouvelle alliance » à venir. Ces événements modifient
aussi la figure du roi : le roi guerrier devient un roi berger, celui qui
met un terme à toute guerre. S’impose alors, avec le prophète Isaïe, la figure
du Serviteur souffrant, qui transforme plus radicalement encore la figure
royale, devenue victime en puissance. Après le roi et le prophète, c’est la
figure du prêtre, une fois les juifs revenus d’exil, qui attire à elle les
prestiges messianiques. Au titre de « Messie », Jésus préfère cependant
celui de « Fils de l’homme », afin de libérer sa mission de toute
ambiguïté politique. Les premières communautés chrétiennes finissent cependant par
l’identifier au Messie, Fils de David. Conjoignant les figures du roi, du
prophète et du prêtre, Jésus « le Christ » rassemble alors la longue
histoire biblique et la fait culminer dans la Passion.
Ce dernier
point est essentiel. Il concerne la façon dont le Messie, Verbe incarné, donne
la parole aux victimes et leur confère une dignité nouvelle. Qu’on soit
chrétien ou qu’on ne le soit pas, on ne peut nier que cette victime nécessaire (et non prise au hasard, comme dans les
religions archaïques) aura fait de son sacrifice consenti un spectacle
libérateur. La divinité du Messie s’engage dans cet acte délibéré. Péguy
parlait d’ « une greffe d’inquiétude juive » effectuée sur le vieux
tronc du paganisme. Cette inquiétude n’a cessé, depuis, de travailler la
culture occidentale. Et si tous les boucs émissaires, sur le dos desquels se
constituent les sociétés humaines, étaient absolument innocents ? Et si la
violence, désormais incapable de nous faire croire en la culpabilité de ces
victimes, avait perdu toute valeur, toute fécondité ? Alors le religieux révélé, c'est-à-dire aussi
transformé, ne ferait qu’un avec le long procès de l’hominisation[1]. Et le retour attendu du
Messie au terme de l’histoire signifierait un achèvement de l’humanité. La
dramaturgie que nous avons adoptée défend ainsi l’idée, chère à René Girard,
que « les replis et les tours » du meurtre fondateur[2] ont été révélés par la
tradition du Serviteur souffrant ; que cette tradition a trouvé dans la
Passion du Christ une relance décisive ; mais qu’il n’y en a pas moins
entre les religions juive et chrétienne une unité profonde. S’inscrivant au
coeur du mécanisme sacrificiel, l’événement messianique révèle la façon qu’ont
toujours eue les hommes de se réconcilier sur le dos d’un tiers. Celui qui se
prétend à dessein « Fils de Dieu » met par là un terme à la tradition
prophétique, et transforme un mécanisme victimaire en religion d’amour. Au
sacrifice de l’autre succède l’urgence du sacrifice de soi.
Le « Messie » de Haendel
On sait peu de choses sur les
circonstances de la composition de l’œuvre, sinon que Haendel, ruiné, rejeté de
tous et malade, le composa en trois semaines dans l’été 1741, sur la base du
livret réalisé par Charles Jennens. L’œuvre fut ensuite créée, le 13 avril
1742, dans un nouveau « Music Hall » à Dublin, où elle connut tout de
suite un triomphe. Une étude attentive du montage des textes choisis en révèle
le dessein. La crucifixion de Jésus, par exemple, n’est jamais évoquée en tant
que telle, mais toujours suggérée comme une interprétation possible d’Isaïe, de
Jérémie ou des psaumes. Tel est l’un des enjeux de cet oratorio, d’inspiration
très paulinienne, qu’il rend bien compte de l’unité tendue du messianisme, et
cela dans ses trois moments, qui correspondent à ses trois actes :
1/ l’attente du Messie et la naissance de l’enfant-roi ; 2/ la
Passion et la Résurrection ; 3/ la récapitulation du drame joué une
fois pour toutes dans l’histoire des hommes. Ainsi le Messie de Haendel recoupe parfaitement l’esprit du prophétisme
biblique. On peut y voir : 1/ une déconstruction majestueuse de toutes les
mythologies royales ; 2/ une méditation très profonde sur le sens
même de la royauté, ressaisie dans ses racines sacrificielles : le roi a
toujours été une victime en puissance ; 3/ un souci des plus pauvres,
auxquels la démystification de toutes les puissances temporelles confère enfin la
souveraineté.
Le Messie de Haendel propose à cet égard une
performance artistique sans équivalent dans l’histoire de la musique, puisque
la découverte du caractère salvifique de la souffrance du Messie débouche sur
une action caritative : Haendel, en composant cet oratorio inspiré,
s’était aussi fixé pour but de libérer des sommes nécessaires au rachat de
« prisonniers pour dettes » à Dublin, où fut créée son œuvre, puis au
soutien d’un orphelinat à Londres, quand il y fit un retour triomphal. Le
billet d’entrée, lors de la création du Messie,
rédigé par Haendel en personne, spécifiait même que les dames devaient éviter
les crinolines et les messieurs les épées, afin que le plus de monde pût entrer
dans la salle et que la recette augmentât en conséquence ! Ainsi les
extases musicales du « He was
despised… » ou de l’« Alléluia »,
en même temps qu’elles emportaient la conviction des publics éclairés,
contribuaient à racheter des prisonniers pour dettes ou, plus tard, à éduquer
des enfants trouvés. Il y a là une jonction parfaite entre ce que Pascal
appelait les ordres des corps, de l’esprit et de la charité. La démystification
des puissances temporelles, dans une œuvre où la mythologie royale est portée
au-delà d’elle-même, débouche sur une libération concrète, insérant la subversion
de l’art au cœur de la cité.
Le « Messie » au Châtelet
Nous avons tenté de suivre au
plus près le sens des trois actes de l’oratorio, où Haendel met en musique un
découpage savant de textes bibliques et évangéliques. Il y a là de prime abord
un « effet mosaïque » assez déroutant, dont notre mise en scène a dû
tenir compte. Car nous sommes d’emblée plongés dans un accomplissement des
temps, une immédiateté apocalyptique. Contrairement aux oratorios contemporains
de Bach, soutenus par une liturgie très précise, le Messie met le public en contact direct avec les textes
sacrés : puisque « tout est accompli », l’idée même d’un progrès
de l’histoire se résorbe dans la présence de Dieu à son peuple. Cette
inscription du divin dans le temps est « comme le feu du fondeur »
(Malachie) : elle détruit tout obstacle, toute médiation purement humaine.
La dramatique haendélienne est donc celle des textes eux-mêmes.
Le Messie nous place d’emblée dans une
guerre spirituelle, un combat de l’ombre avec la lumière, de la servitude avec
la rédemption, des souffrances humaines avec la paix divine : ce va et
vient confère à toute l’œuvre une immobilité surprenante. C’est le temps du
suspens, de l’urgence : le monde entre « dans les douleurs de
l’enfantement » (saint Paul). L’ombre domine dans le premier acte, et la
lumière dans le troisième. Le deuxième acte, opérateur de cette transformation,
se prête, quant à lui, à une interprétation chrétienne de grands textes de la
Bible. Oleg Kulik, articulant en virtuose vidéo, cinéma et jeux d’images sur
plusieurs plans, rend sensible la transformation que la révélation messianique
fait subir à l’espace : l’entrée dans « les nouveaux cieux et la
nouvelle terre ». Ainsi les images du premier acte se transforment en
vitraux dans le deuxième, avant que les corps à leur tour, dans le troisième, soient
traversés par la lumière. Pour couronner ce dispositif, Michel Serres
intervient en personne à quatre reprises pour ponctuer le drame et nous faire entrer
dans son intelligence : étapes du Verbe prophétique, du Verbe incarné, du
Verbe sacrifié et du Verbe inspiré par l’Esprit de la Pentecôte. Le public est
ainsi amené à passer de l’ombre à la lumière, de l’illusion propre aux récits
de fondation mythico-mythologiques à la révélation biblique et évangélique de
l’émissaire consentant.
Nous avons choisi
de placer au milieu de la scène des machines prises dans une structure
monumentale et se prêtant à des lectures diverses : temple babylonien
ou gigantesque assemblage de robots. Elles disent l’enfermement des hommes. Cet
obstacle central conjoint le passé et le futur : ce que Bergson appelait
la « machine à faire des dieux » et ce qu’on pourrait appeler la « machine à faire des hommes ». Comme
si l’incarnation et l’individualisation des voix échouaient à se réaliser,
comme si la promesse de la résurrection ne pouvait s’accomplir. C’est contre cette
« pierre d’achoppement » que se heurte, dès le début du spectacle, la
figure d’un mime, danseur-étoile énigmatique qui finit par s’identifier à la
figure du Christ au deuxième acte, avant de devenir le Messie qui revient au
terme de l’oratorio. On pense à Vaslav Nijinski, bien sûr, qui dansa sur cette
scène du Châtelet avec les Ballets russes, il y a tout juste un siècle – et
qui poussa jusque dans la folie l’imitation
du Christ[3]. Le mime-danseur mène ainsi une guerre terrible
contre la « machine », et ce dès le début de l’oratorio. Cette guerre
est celle des prophètes. En même temps que les voix s’élèvent dans le premier
acte, apparaissent, au coeur de la structure monumentale, les textes de la
Bible où l’hébreu domine, avant de céder peu à peu la place au grec. Ce passage
d’un univers linguistique à un autre se fait au milieu de nombreuses autre
langues (araméen, français, allemand, anglais, russe), toutes réveillées par
les jeux du mime.
Si le versant
biblique de l’œuvre est sensible dans l’apparition du texte des airs, le versant évangélique l’est dans celle des images incarnant peu à peu le Verbe dans l’espace de
la scène. C’est ce mouvement d’Incarnation que rend sensible l’ouverture progressive de la
structure centrale par le mime-danseur au début du deuxième acte : à
l’univers encore très ritualisé du début de l’oratorio, succède la mise en
place d’un grand retable qui va présider à la remémoration de la Passion. Nous
sommes au coeur de l’oratorio, au moment de la révélation du meurtre fondateur,
moment dramatique où le mime-danseur
devient Christ. Ce dernier répète
en effet toutes les étapes du meurtre fondateur ; il révèle à l’humanité
le mécanisme de sa violence. Les images qui apparaissent alors dans le retable
sont les scènes essentielles du Baptême du Christ (24), de la Flagellation (25),
de la Mise en Croix (27), de la
Descente de Croix (32), de la Mise
au Tombeau (33), de la Résurrection
(34), de l’Ascension (35), de la Pentecôte (37-38), de la Révolte des nations (39), du Jugement dernier (42) et de l’Apocalypse
(« Alléluia » : 43).
Les chanteurs apparaissent au moment de la Pentecôte (37-38). Puis le chœur qui chantait dans la salle rejoint la scène
au moment de l’Alléluia, qui dit la résurrection des morts et les Noces apocalyptiques
du Christ et de l’Eglise. L’entracte laisse au public le temps de respirer,
avant le final apocalyptique du troisième et dernier acte, où domine
l’inspiration paulinienne de la « récapitulation de toutes choses en
Jésus-Christ ». Une structure hélicoïdale donne alors sur la scène l’image
d’un temple ouvert où les chœurs sont disposés sur plusieurs niveaux, dans une
dimension ascensionnelle et une lumière croissante. Cette dernière, qui part de
la scène, baigne progressivement l’ensemble de la salle : iconostase en
mouvement, structure dynamique et irradiante où apparaît un Messie en Gloire au
moment de l’Amen (52).
Cette
disposition spectaculaire mêlant, à l’écoute du chant et de la musique, la
vision du texte et des images, nous a semblé convenir à l’esprit de l’oratorio
de Haendel, œuvre religieuse créée dans un « Music Hall », et n’obéissant,
de par son sujet (la fin des temps), à aucune intrigue apparente. La grande
modernité du Messie vient du fait que
cette œuvre échappe à toute linéarité stricte et laisse ouverte des
possibilités de mises en scène peu explorées. L’Agneau de l’Apocalypse se tient
ainsi à la croisée de deux axes : un axe horizontal, celui de l’histoire,
entre passé et futur, prophètes et Messie, premier et deuxième Adam,
péché originel et Jugement dernier ; un axe vertical, celui de la
transcendance ou de l’éternité, entre ciel et terre, corps et âme, enfer et
paradis. C’est la contraction de ces deux axes au point central qui opère la
rédemption des corps et l’individualisation des voix. Une telle structure est
totalement ouverte et permet des possibilités plastiques nombreuses et variées.
Si un chanteur apparaît, éclairé dans le noir au moment où il chante, à tel ou
tel endroit de la salle ou de la scène, des parties entières du polyptyque, à
d’autres moments, mettent en scène des images immobiles ou en mouvement (jeux visuels
provoqués par le mime-danseur, images vidéo, reproductions d’œuvres d’art). La
contradiction entre espace et temps, histoire et éternité, se résout dans un éclatement
réfléchi de l’espace scénique. C’est ainsi, dans un clignotement de tous les
sens, que le Messie se donne paradoxalement
à voir et à entendre.
Benoît Chantre
[1] C’est l’une des raisons
pour lesquelles nous avons proposé à Michel Serres, penseur de
« l’hominescence », d’intervenir en personne dans cette mise en
scène, ceci pour la ponctuer et en faire fructifier le sens. Au-delà de
l’illustration scénique et de l’interprétation musicale, le genre de
l’oratorio autorise en effet, plus
qu’aucun autre peut-être, celui de la méditation.
[2] « Le nœud de notre
condition prend ses replis et ses tours dans cet abîme; de sorte que l’homme
est plus inconcevable sans ce mystère que ce mystère n’est inconcevable à
l’homme », écrivait Pascal à propos du péché originel. Il faut savoir gré
à René Girard d’avoir éclairé, d’une manière décisive et convaincante,
« les replis et les tours » de ce péché des origines étroitement lié au
meurtre fondateur. Ce dernier ne fait qu’un, selon lui, avec l’immolation de la
« victime émissaire », contre laquelle s’est refaite une première fois l’unité de chaque
groupe humain. A cette première victime, il aura fallu substituer
régulièrement, pour gérer la violence du groupe, une « victime
sacrificielle » (ou « victime de substitution »). Cette
répétition rituelle de la crise initiale a longtemps eu des vertus curatives ou
préventives. Enfin, l’intelligence du meurtre fondateur nous est donnée, affirme
René Girard, par une troisième victime : « l’émissaire
consentant » de la Bible, qui, en
mimant la victime émissaire, en se donnant elle-même en expiation, « vend la mèche » du meurtre
fondateur. Privées de leur secret, c'est-à-dire de leur exutoire sacrificiel,
les « Puissances et les Principautés », pour reprendre l’expression
de saint Paul, finiront par s’autodétruire. La logique de la Croix est
apocalyptique.
[3] Sur le rôle central des deux spectacles des
Ballets russes (1909 et 1910 au Châtelet), puis du Sacre du Printemps (1913, au Théâtre des Champs-Elysées) dans la révélation du meurtre fondateur
au XXe siècle, on se reportera au livre de René Girard, La Conversion de l’art, Flammarion, coll. « Champs »,
2010.
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