André Orlean – L’envers et l’endroit
de la monnaie
Sur Vimeo, j’ai trouvé une
conférence d’une heure d’André Orlean. Elle fut organisée par l’école nationale
supérieure des arts décoratifs. Elle fut animée par la journaliste d’Arte
Francesca Isidori.
Essayons un compte rendu, vous
trouverez aussi la vidéo plus bas.
Mr Orléan part d’un fait, les
sciences sociales sont faites pour comprendre comment une société se construit
ses propres valeurs. Or depuis deux siècles environ, la science économique a voulu
créer un schisme avec les autres sciences sociales et a désiré être objective sur la
question des valeurs. La valeur n’est plus une construction mais elle est basée
sur l’objet lui-même, son utilité et non plus sur des croyances comme dans les
autres sciences.
Les économistes se parent donc de
rationalité. Mais leur incompréhension de la monnaie, de la confiance et de la
part d’affect dans l’économie les rendent finalement bien plus aberrants…
Car, nous explique Orléan, le
rapport des gens avec leurs monnaies est affectif. Ce n’est pas seulement un
instrument, c’est un groupe qui s’investit matériellement et symboliquement
dans un objet. Elle est l’expression de ce que « valoir » peut dire.
C’est la croyance en une puissance forte. Notre fascination de l’or pouvant sembler
exotique exprime bien cette non-rationalité.
Rapport
religieux de la monnaie?
Oui, car elle concrétise la capacité
d’un groupe à reconnaître une puissance fondatrice à des objets. C’est le
symbole matérialisant l’unité. La confiance et la foi en celle-ci est nécessaire
Selon la science économique actuelle
le marché est universel. Logique, rationnel et partageable à tous. Mais cela est évidemment faux, il faut croire
à la même monnaie, au même Dieu, la concurrence des monnaies peut devenir terrible. L’échange
est possible quand il y a une foi et une valeur commune. (NdP-c : Jusqu’en
1971, les échanges internationaux se faisaient grâce à l’or, le dollar l’a
remplacé depuis…) Il est indispensable de comprendre la monnaie comme une
croyance collective.
Pourquoi
la monnaie ? Au fait…
Avec les néoclassiques (Walras,
Menger…) qui sont les économistes dominants, nous avons vécu la révolution
marginaliste. Si, avant, on cherchait la valeur des choses selon le travail,
ils ont voulu la déterminer selon l'utilité. Dans ce contexte, la monnaie est
incompréhensible car la monnaie n’a aucune utilité. Elle devient l’hypothèse
inutile qui sera bientôt dépassée. (Rêve de Keynes d’une société d’abondance
sans monnaie en 2030…)
Alors pourquoi la monnaie ? redemande
Orléan.... Supposons que demain, il n’y ait plus d’euros…
Comment avoir accès aux marchandises
des autres ? Or si Orléan ne le cite pas, Girard intervient… Or la
marchandise des autres c’est ce que chacun veut. On cherche ce que les autres
désirent. Comment échanger ses désirs, nous qui cherchons ce qui est désirable.
Or la monnaie est ce qui peut être unanimement désirée par tous.
Enfin, nous pouvons posséder ce que
tous trouvent désirable. Or tout peut être monnaie (allumette, carte, etc, etc…
l’histoire en a donné des exemples très variés) car tout dépend de la croyance
commune. Généalogie de l’or ? Fascination pour sa beauté, sa persistance,
sa désirabilité absolue et non pas vraiment pour son utilité fondamentale.
Désirer
l’or ? Folie ou normalité ?
Dans le monde de la rationalité, la
monnaie n’est pas utile. Keynes (qui a aussi parlé de l’or en tant que reliques
barbares…) voit la monnaie seulement comme le plaisir de l’argent, l’usure,
l’avarice... Vouloir de la monnaie lui semble aberrant.
Mais dans un point de vue collectif,
c’est aberrant de penser comme Keynes. On ne peut retirer la dimension
collective de l’homme…
La monnaie est double. Elle est
constitutive de la collectivité ainsi que de l’égoïsme le plus pur.
L’étude de la monnaie dans les
sociétés primitives aide beaucoup. Selon eux, sans monnaie, la société va vers
le chaos. Elle a une valeur positive. Elle est lié à la reconnaissance des
ancêtres, moins pour acheter que racheter, elle existe plus pour les sanctions, les femmes.
Anecdote : Un mélanésien parti
en Angleterre est devenu prêtre anglican, de retour dans sa tribu, il évangélise
et argumente ainsi, Jésus, c’est comme la communion d’une monnaie.
De même, dans les systèmes
d’échanges locaux, souvent anticapitalistes, une de leur première action est de
déterminer une monnaie, celle-ci représentant une foi et une confiance commune.
Ensuite Orléan avec l’aide de
Marshall Sahlins, (Age de pierre, âge
d’abondance, économie des sociétés primitives) souligne le fait que
beaucoup de sociétés primitives peuvent être vues comme des sociétés
d’abondance. Contrairement à l’homo economicus qui a installé la matérialité
comme institution. Nous nous trompons, la rareté n’est pas objective. Nous
sommes dans une course perpétuelle aux objets. Nos sociétés considèrent le
futur en termes de biens, on peut voir les sociétés primitives comme se
définissant avec le nécessaire, chez eux l’abondance peut-être vraiment
présentes. Famine ? Oui, mais alors pour tout le groupe.
La
monnaie est donc ambivalente !
Pile / Face, Prix / Confiance,
Chiffre / Symbole, Quantitatif / Qualitatif, Politique / Religieux, Echange
/ Trésor, Privé / Public, Mal / Bien, Violence / Confiance, Crise / résolution, Poison / Remède, Trop
peu / Trop, Inflation / déflation, Moyen
/ Fin, Paix, / Guerre…..
A Propos de la dualité, Privé /
Public, Orléan développe le fait, qu’actuellement, ce sont les banques privés
qui créent la monnaie, non à partir des dépôts mais de la dette, ensuite
celle-ci ne pouvant imprimer, l’état valide la création selon le besoin de
monnaie imprimable désiré, le taux d’intérêt et la banque centrale intervenant.
Orléan développe ensuite sur cette
ambivalence, il conclut qu’en économie, il n’y a pas de solution miracle, due à
cette dualité changeante et difficilement maîtrisable.
Orléan termine sur l’Euro. Tout
logiquement, pour maitriser sa monnaie il faut une souveraineté politique,
stabiliser la confiance commune vers une monnaie. (Quand ce n’est pas par la
guerre ou la force…). Ainsi, les USA, les Anglais, et le Japon ont une dette
publique géante, plus forte qu’en Europe. Mais ils ont gardé le pouvoir monétaire,
ils peuvent racheter de la dette contrairement aux pays de l’Euro (cela
créerait des déséquilibres entre les différentes entités…). La monnaie devient
comme extérieur, elle devient le problème.
L’Euro n’a pas de face ! Ce
n’est pas la monnaie de la confiance commune. Ainsi, ses billets ? Pas de
visage… que des structures architecturales décontextualisées. Cela représente
bien cette monnaie, rien de concret… Quelque chose qui doit aller quelque part
(portes, ponts…), jeux intellectuels qu’on aimerait voir grandir… Illusion…
ANDRE ORLEAN, l'envers et l'endroit de la monnaie from École des Arts Déco - Paris on Vimeo.
Conférence passionnante. Nous sommes loin du dernier commentaire de Nicolas Baverez dans le monde. Là
Intelligent, mais tellement prisonnier d'une logique de bonne élève...
Orléan développe aussi ici
Oui passionnante, car au carrefour de beaucoup de sujets incroyablement intéressants. La question de la valeur, le moderniste ne voyant plus qu'il est primitif et qui en ignorant ses bases anthropologiques tombent dans des erreurs dramatiques. Cette crise économique confirme aussi notre crise rationaliste.
J'ai bien sur pensé à l'enfer des choses de Dumouchel et Dupuy. Qui eux aussi démontent la problématique de la rareté et de l'abondance à partir d'une thématique girardienne du désir. La rareté comme remplaçante du sacré dans la société moderne. (post, ces prochaines semaines sur ce livre...)
J'ai pensé encore à Marc Lambret. A sa conférence sur la confiance.
La confiance est plus précieuse que l'or. A partir du développement proche d'Orléan, sur le relativisme de la valeur, relativisme qui tourne autour du pivot stable de la confiance. Lambret fait un développement sur la confiance à construire et la confiance dans le logos et l'argumentation. Tout argument est de confiance, comme toute valeur est de confiance.
Je pensais aussi à un de ses sermons sur Matthieu 22, 15. Rendez à César... Jésus est entrain de se faire piéger pour une question de reconnaissance de l'impôt romain. Il prend une pièce et demande ce que l'on voit dessus. C'est l'empereur. Coeur de la foi du monde romain. Face à ces accusateurs, qui veulent le sacrifier sur l'autel de César, il réplique cette phrase fameuse "Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu" C'est dire aussi, moi je suis la véritable pièce de Dieu et non pas de César. Je suis la pièce avec l'effigie de Dieu pour racheter l'humanité. J'appartient à Dieu, pourquoi me livrer à César qui a déjà ses pièces à son effigie.
On peut penser à la parabole des ouvriers de la onzième heure où Jésus est représenté par la pièce d'or.
Tout cela permet de nous dire que le missionnaire anglican mélanésien a eu une inspiration fantastique. Oui, Jésus, c'est "la communion comme la monnaie".
Le récit des primitifs selon Orléan de la monnaie, parle bien entendu du bouc-émissaire : constitutive de la société, c'est ce qui permet d'éviter la guerre en détournant la violence fondatrice des humains sur elle seule.
La monnaie est liée au mécanisme de sacrifice victimaire. Jésus est le "dernier bouc émissaire", celui qui rachète vraiment les hommes, son sacrifice fait de lui la véritable monnaie en qui toute ambivalence trouve toute harmonie. L'Eucharistie comme véritable trésor. Véritable valeur. Véritable symbole.
(Parallèlement, méditer sur la dimension bouc-émissaire des rois et empereurs.)
Qu'est ce que tout cela implique sur notre connaissance de la vie économique ? Et notre vie quotidienne ?
Beaucoup, je crois, mais donnez moi le temps d'y penser.
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