Sujet difficile que celui de
Christian Salmon. Le récit. Car il l’avoue en préambule, cela a toujours été
partout, toujours, de toutes les manières. On ne cesse de se raconter des
histoires, légendes, histoire officielle, mémoire, contes, publicité. Certains
disent que toute science, toute religion n’est qu’un récit, le récit a toujours
créé le sens, le sens a toujours été créé par du récit. Les reproches
que l'on fait aux relativistes depuis la caverne de Platon jusqu'aux
philosophes dits postmodernes actuels est que expliquer que notre représentation du monde est complètement
subjective revient à dire qu'il n'y a pas de vérité. En face il y a les
scientistes qui croient aux faits, qui ne perçoivent pas la différence de
nature irréductible entre le réel et sa représentation.
Mais pourtant, Salmon
s’engage et tente ce difficile voyage de la recherche de la réalité. Il décrit
les récits modernes et la tendance au Storytelling, véritable marque déposée
qui décrit l’ingénierie (surtout américaine) essayant de monopoliser nos
attentions et nos consentement. Il analyse avec
percussion le marketing, le monde des marques, la communication
d’entreprise et enfin la communication politique en faisant quelques embarquées
dans la politique française. Dans une postface de 2008, Christian Salmon fait
comprendre que les français se sont trop énervés sur le décryptage de la
politique française à partir de son bouquin. Il appuie alors sur le terme de
nouvel ordre narratif. Il dit en gros : je n’invente rien, l’humanité n’a
rien inventé de nouveau mais il y a une complémentarité du monde moderne avec
ses nouvelles histoires. Nous pouvons voir que nous vivons une nouvelle époque
par la manière dont on nous raconte les histoires et comment on fabrique le
consentement.
Les lieux d’observation de cette nouvelle narration et que
Salmon visite ?
Le marketing, le management,
la politique.
Dans ces trois domaines, raconter
des histoires est un sacerdoce. Faire consentir les consommateurs, les salariés
et les électeurs-citoyens. Les marketeurs, les théoriciens de la gestion et de
la politique sont allés très loin dans la réflexion du besoin d’histoire et savoir
comment remplacer le monde intérieur de la population, sa représentation du
monde. Manipulation de la foule émotionnelle ? En partie, adaptation de la
préfiguration de la pensée humaine au monde capitaliste, entrepreneurial,
« impériale » américaine et mondialisé. Nous sommes tous touchés.
Est-ce une invention ? Non, ce sont des vieilles recettes que Salmon
compare aussi à la religion. L’exemple des marques et des dieux grecs est très
parlant, la comparaison de la consommation capitaliste qui serait comme une
consommation « catholique » aux symboles des Etats Unis.
Le management ? Comment
faire concilier deux éléments contradictoires chez les salariés ?
Autonomie et interdépendance. Un homme capable de changement perpétuel et
pourtant soigné émotionnellement. Adaptable et individualiste. Tout le
management actuel et les histoires tendent à adapter le salarié. Il ne s’agit
plus de faire consommer et faire travailler mais de combler et « saturer
les champs de production et d’échange symbolique ». La narration envahit
toutes les dimensions de l’entreprise. Même la communication financière (Enron).
La politique ? En
prenant l’exemple des USA, nous voyons la prépondérance des spin doctors,
quelle histoire raconter aujourd’hui ? C’est la campagne présidentielle
permanente, la pré-production du journal de 20h. La permanente recherche du
consentement des citoyens sur une politique définie et de moins en moins claire.
Tout cela, est ce grave ?
Salmon a un peu honte à la dire, mais on comprend que oui. Car si le récit fait
partie intégrante de l’homme, il touche des points essentiels. Je l’ai déjà
cité sur ce site. Je me souviendrai toujours d’un conférencier chrétien disant
que la Bible est le seul conte qui soit vrai. Je fus choqué, mais il semblait
dire ainsi que tout est conte, tout est consentement à une histoire mais il
existe malgré tout une histoire vraie.
Ce que nous montre Salmon
c’est l’éloignement, soit voulue soit subie, des histoires racontées avec toute
recherche de vérité. Ce n’est pas un hasard que le sujet de Salmon se tourne
rapidement vers les religions. Le rêve américain est plus qu’un système, c’est
une religion dans lequel il y a bien plus qu’un territoire, une économie mais
bien une communion de foi sur des valeurs, des mythes, des martyrs. Ce qui me
choque aussi est l’abrutissement nécessaire à ce nouvel ordre narratif.
Brouhaha, changement perpétuel, émotions. Le refus de l’attention à la réalité
est au summum. Je pense à l’interview de Fumaroli. Il est aisé de voir combien
le monde décrit par Salmon est loin de l’idéal de la rhétorique et de l’otium.
C'est-à-dire d’une communication lente, claire, orientée vers la compréhension
raisonnée de son argumentation par son interlocuteur. L’art de convaincre
contre les techniques de consentement.
Comment devenir libre et user de notre raison pour rencontrer l’histoire vraie celle qui nous parle de la réalité ?
Comment devenir libre et user de notre raison pour rencontrer l’histoire vraie celle qui nous parle de la réalité ?
Pour ceux qui sont intéressés, la fiche de scriptoblog existe.
Après avoir lu ce livre, on ne regarde plus jamais hollywood de la même manière....
ceci est un bon exemple....
Quelques citations plus bas
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P16 Les grands récits qui
jalonnent l’histoire humaine, d’Homère à Tolstoï et de Sophocle à Shakespeare,
racontaient des mythes universels et transmettaient les leçons des générations
passées, leçons de sagesse, fruit de l’expérience accumulée. Le storytelling
parcourt le chemin en sens inverse : il plaque sur la réalité des récits
artificiels, bloque les échanges, sature l’espace symbolique de séries et de
stories. Il ne raconte pas l’expérience passée, il trace les conduites et
oriente les flux d’émotions. Loin de ces « parcours de la
reconnaissance » que Paul Ricoeur décryptait dans l’activité narrative, le
storytelling met en place des engrenages narratifs, suivant lesquels les
individus sont conduits à s’identifier à des modèles et à se conformer à des
protocoles.
P40 L’idée d’être envahi de
choses sentimentales n’est pas forcément réjouissante, surtout si ces choses
sentimentales sont des formes réifiées de la société marchande, une perspective
qui rejoint l’analyse de georges Lewi, professeur à HEC, lequel légitimait
ainsi en 1998 l’enfermement de nos contemporains dans l’univers mythique de la
marchandise : « les consommateurs d’aujourd’hui ont autant besoin de
croire en leurs marques et mythes, il affirmait que la saga Microsoft
fonctionnerait suivant les mêmes ressorts que le mythe d’Apollon. Le mythe
d’Intel relèverait d’un miracle dionysien, tandis que Bouygues présenterait des
affinités avec Héphaïstos… dans cette optique, la marque deviendrait mythe
lorsqu’elle entre en résonance avec les croyances des consommateurs. Trois
temps scanderaient, selon lui, le cycle de vie d’une marque : au temps de
l’héroïsme, la marque s’impose par sa différence ; au temps de la sagesse,
elle obtient la confiance ; et, au temps du mythe, elle acquiert une
conscience. La marque aurait désormais prouvé sa légitimité. S’ouvrirait alors
pour elle une porte vers l’éternité… « La résurgence des mythes au sein de
notre société contemporaine, affirmait Lewi, se confirme plus particulièrement
en périodes d’insécurité mondialisée qui stimule notre besoin de recherche de
vérité, de sens à la vie ainsi que notre soif de magie et de mystère »,
dont témoigneraient les succès commerciaux en Occident des livres de
R.R.Tolkien et J.K.Rowling : « Il s’agit là en effet d’histoires et
de contes qui s’alimentent dans notre patrimoine féerique et qui parlent à
notre imaginaire mondialisé tout en nous fournissant un sentiment
d’appartenance. »
P43 Ainsi le marketing
narratif s’avoue comme une entreprise de synchronisation de « vision du
monde » qui peuvent être antagoniques en termes politiques ou religieux,
mais qui se réconcilient sur la grande scène du marché mondial. L’acte de
consommer devient alors un exercice de communication, voire de communication,
planétaire : « Aussi blasphématoire que cela puisse paraître,
écrivait Ashraf Ramzy en 2002, les consommateurs dans une économie de marché
obéissent à une même logique que celle qui préside à la communion des saints
dans l’Eglise catholique : en consommant les symboles de l’Amérique, nous
faisons corps avec le mythe le plus puissant de tous les temps, le rêve
américain. »
L’adoption du storrytelling
par le marketing va donc beaucoup plus loin qu’un simple réaménagement dans la
promotion des marques. Il inclut une « vision dumonde » et il la projette dans toute la société. Ce n’est
pas un simple outil marketing, mais une « discipline » managériale
selon Stephen Denning, qui fut au milieu des années 1990 l’un des premiers à
expérimenter des techniques de storytelling à la Banque mondiale. Car c’est là
que tout à commencé…
P81 Du coup, le
néomanagement doit faire face à des exigences contradictoires d’autonomie et
d’interdépendance. Il doit favoriser chez des acteurs dispersés des attitudes
apparemment incompatibles : l’individualisme et le fonctionnement en
réseaux, l’esprit d’initiative et une
extrême adaptabilité. Cela suppose moins de hiérarchie, mais plus de contrôle.
Une forme de conduite des conduites qui laisse aux agents une part d’autonomie
suffisante pour s’ajuster à des situations complexes et imprévisibles dans le
cadre d’un scénario qui les contraint.
Economie mimétique,
fictionnelle –plutôt que libidinale comme l’écrivait Jean François Lyotard-,
car elle a pour objet, à travers la manipulation des pulsions et des émotions,
la production et la circulation de modèles de comportements et de courants
d’imitation. « Nous appelons l’esprit du capitalisme écrivent Boltanski et
Chiapello, l’idéologie qui justifie l’engagement dans le capitalisme. »
P83 De surcroit, la fiction
communautaire contribue à justifier l’existence d’une entreprise japonaise qui
rapatrie des profits réalisés en Amérique. « Pour dire les choses de
manière plus formelle, écrit Richard Sennett, le pouvoir est présent sur les
scènes superficielles du travail en équipe, mais l’autorité est absente ».
P88 Le roman de Don DeLillo
identifiait avec une remarquable lucidité l’idéal type de l’entreprise
postindustrielle, flexible et agile, organisée en réseaux et orientée vers la
satisfaction de besoins immatériels, culturels ou humains. Une organisation
« maigre » (lean production) et mutante, capable de s’adapter aux
aléas de la conjoncture et aux contraintes de la concurrence sur un marché
devenu mondial. Grief Management nous permet ainsi d’identifier les trois
éléments qui vont structurer la rhétorique du nouveau capitalisme à partir des
années 1990 :
-
Le premier de ces éléments (son ethos, si l’on veut) va se manifester
sous la forme d’une injonction constante au changement ;
-
Le deuxième (son pathos) concerne le management des émotions, inscrit
dans un processus général de manipulation et de marchandisation qui accompagne
la constitution d’un nouveau « sujet » du capitalisme (consommateur,
salarié ou manager) en tant qu’ego émotionnel ;
-
Le troisième (logos) souligne le rôle du langage et en particulier de
l’utilisation des histoires dans la gestion de ce moi émotionnel.
P 89 Dans l’entreprise
éclatée, soumise aux aléas boursiers et aux menaces de délocalisation, où tout
horizon de carrière s’est effacé, quoi de plus naturel en effet que de
« se sentir à l’orée d’un merveilleux changement » ? Quoi de
plus engageant que la promesse d’un récit merveilleux ?
P90 De son observation des
nouveaux hauts lieux anglo-américains du nouveau capitalisme, richard Sennett a
tiré la conclusion suivante : « la philosophie actuelle du capitalisme
a ceci de particulier que le désordre y semble souhaitable : la
restructuration permanente d’une entreprise est ainsi vue comme une marque de
dynamisme et, sur le marché boursier, le changement institutionnel a une valeur
en soi. »
P103 La puissance souvent
incomprise du néocapitalisme (et sa violence symbolique) ne tient plus, comme
c’était le cas depuis la révolution industrielle, à la seule synchronisation du
capital et du travail : elle consiste à créer des fictions mobilisatrices,
à engager tous les « partenaires » (ou « parties
prenantes »), salariés et clients, managers et actionnaires, dans des
scénarios prémédités. A la place des chaînes de montage, des engrenages
narratifs. Plutôt que le contrôle et la
discipline, le prétendu partage d’une histoire collective. Le storytelling
management peut donc être défini comme l’ensemble des techniques organisant
cette nouvelle « prolixité » productive, qui remplace le silence des
ateliers et des usines : le néocapitalisme ne vise plus seulement à
accumuler des richesses matérielles, mais à saturer, à l’intérieur et à
l’extérieur de l’entreprise, les champs de production et d’échange symboliques.
Une fois adopté par un service de l’entreprise, le storytelling gagne les
autres : marketing, communication interne, gestion des ressources
humaines, formation au leadership, stratégie, gestion de projets et, plus
surprenant encore, le management financier.
P109 Plus le monde de la
finance s’éloignait des estimations rationnelles et des performances
économiques, plus la cosmétique d’entreprise consistant à rendre une entreprise
belle et désirable pour les investisseurs a pris de l’importance dans la
gestion des nouvelles organisations. La « beauté » des organisations
reposait en fait sur des histoires qui parlaient de restructuration, de
dégraissage, de délocalisation. […] Dans un monde rationnel, ce fiasco
exemplaire (enron) aurait signé la mort du storytelling et de ses vertus
hypnotiques. Et pourtant, près de dix ans plus tard, il reste plus que jamais
la bible des gourous du management. Mais aussi celle des spin doctors, ces
gourous du politique » qui-avec plus de succès- ont importé de longue date
aux Etats-Unis (puis dans bien d’autres pays) les méthodes du storytelling
management.
P129 On voit bien le danger
d’une telle pratique du pouvoir, écrivait John Antony Maltese dès 1994 :
« une démocratie moins délibérative, des citoyens inondés par le spectacle
symbolique de la politique, mais incapables de juger ses leaders et le
bien-fondé de leurs politiques. » Selon Richard rose, auteur en 1988 du
livre The postmodern president, « la clé d’une présidence potmoderne est
la capacité à conduire (au à fabriquer) l’opinion. Le résultat en est une sorte
de campagne électorale permanente. »
P130 Comment fédérer
l’explosion des pratiques discursives sur internet ? Comment communiquer
dans le chaos des savoirs fragmentés sans le secours d’une figure commune de
légitimation ? Comment donner un sens à des expériences sociales et
professionnelles caractérisées par l’effondrement du temps long et la
précarité ? Comment constituer des ensembles, une suite logique ou
chronologique ? Comment traiter les conflits d’intérêts, les collisions
idéologiques et religieuses, les guerres culturelles ? Ce sont quelques
unes des questions auxquelles sont confrontés la parole politique et tous ceux
qui sont en charge de son expression, qu’ils soient journalistes ou hommes
politiques, conseiller du prince, spécialistes du marketing politique ou
rédacteurs de discours. C’est ainsi que le storytelling s’est imposé comme la
formule « magique » capable d’inspirer la confiance et même la
croyance des électeurs-sujets. […] Le chaos des savoirs fragmentés a favorisé
le tournant narratif de la communication politique et la venue d’une ère
nouvelle, l’âge performatif des démocraties, qui n’aura plus pour figures de
proue les conseillers du prince, les Talleyrand ou les Mazarin, mais des
prophètes et des gourous, les spin doctors des partis, enivrés par leur pouvoir
de narration et de mystification. Et pour modus operandi le storytelling, seul
capable d’enserrer dans une prise unique la dispersion des intérêts et des
discours. Jamais sans doute n’a été prégnante la tendance à considérer la vie
politique comme ne narration trompeuse ayant pour fonction de substituer à
l’assemblée délibérative des citoyens une audience captive, tout en mimant une
socialité qui n’aurait plus rien en commun que des séries télévisées, des
auteurs et des acteurs, et à construire ainsi une communauté fictionnelle et
virtuelle. Cette dérive est si étonnement fluide, diffuse dans l’esprit du
temps, mêlée à notre atmosphère la plus intime comme au climat général de
l’époque, qu’elle passe inaperçue. C’est même la clé de son irrésistible
succès.
P165 Ce dispositif
d’ensemble articule des formes discursives et des pratiques(d’entrainement, de
formation, de recrutement), des scénarios et des logiciels, des investissements
et des pratiques (d'entrainements, de formation, de recrutement), des scénarios
et des logiciels, des investissements et des marchés, que Tim Lenoir et Henry
Lowood ont qualifiées en 2002, dans un article souvent cité, de « complexe
militaro entertainment », en référence à ce que le président Eisenhower
(1953-1961) avait qualifié aux lendemains de la guerre de « complexe
militaro industriel »-lequel n’a pas disparu, comme on l’a cru un peu vite
à la fin de la guerre froide, mais s’est en partie restructuré autour des
nouvelles technologies et des industries du virtuel. « Des esprits
cyniques, écrivent ils, pourraient affirmer que, si le complexe militaro
industriel était plus ou moins identifiable pendant la guerre froide, il est
aujourd’hui partout et invisible, pénétrant notre vie quotidienne. »
P167 Il ne suffit plus
désormais de redéployer le champ de bataille en modifiant les perceptions, mais
de créer pour la guerre ce que les théoriciens de la réception des récits
appellent « un horizon d’attente ». Une formidable entreprise de mise
en fiction accompagne l’effort de guerre, légitime la torture, met en scène les
forces spéciales sur le terrain, procède à l’exposition et à la démonstration
des armes nouvelles, teste et met en valeur les technologies de transmission et
de visualisation…. Le cinéma, les jeux vidéos, les séries télévisées, les
médias sont les vecteurs fictionnels de cette entreprise de mobilisation. Le
storytelling est son mode opératoire, en temps réel et 24h sur 24, comme le
revendique crânement la série « culte » du héros Jack Bauer, 24h
chrono
P171 Celui-ci, mécontent
d’un article que Suskind venait de publier dans le magazine Esquire à propos de
l’ancienne directrice de la communication de Bush, Karen Hugues, le prit à
partie d’une manière inattendue : « il m’adit que les gens comme moi
faisaient partie de ces types « appartenant à ce que nous appelons la
communauté réalité » [the reality-based community] : « vous
croyez que les solution émergent de votre judicieuse analyse de la réalité
observable. » J’ai acquiescé et murmuré quelque chose sur les principes de
lumières et l’empirisme. Il me coupa : « Ce n’est plus de cette
manière que le monde marche réellement. Nous sommes un empire maintenant,
poursuivit-il, et, lorsque nous agissons, nous créons notre propre réalité. Et,
pendant que vous étudiez cette réalité, judicieusement comme vous le souhaitez,
nous agissons à nouveau et nous créons d’autres réalités nouvelles, que vous
pouvez étudier également, et c’est ainsi que les choses se passent. Nous sommes
les acteurs de l’histoire.[…] Et vous, vous tous, il ne vous reste qu’à étudier
ce que nous faisons ». »
Ces propos tenus par un
responsable politique américain de haut niveau (sans doute Karl Rove) quelques
mois avant la guerre en Irak, ne sont pas seulement cyniques, dignes d’un
Machaivel médiologue : ils semblent s’élever d’une scène de théatre plutôt
que d’un bureau de la maison blanche. Car ils ne pas seulement un probleme
politique et diplomatique. Ils ne se contentent pas de reconduire les vieux
dilemmes qui agitent depuis toujours les chancelleries, opposant les
pragmatiques et idéalistes, réalistes et moralistes, pacifistes et bellicistes,
ou, en cette année 2002n défenseurs du droit international et partisans du
recours à la force. Ils affichent une nouvelle conception des rapports entre la
politique et la réalité : les dirigeants de la première puissance mondiale
se détournent non seulement de la Realpolitik, mais du simple réalisme, pour
devenir créateurs de leur propre réalité, maître des apparences, revendiquant
ce qu’on pourrait appeler une realpolitik de la fiction.
P174 Paradoxalement, c’est
le magazine du publiciste d’extrême droite Pat Buchanan, The american
Conservative, qui s’interrogeait en Octobre 2006 avec une certaine lucidité
dans un article intitulé « renouer avec la reality based
community » : »comment le réalisme est il devenu une philosophie
presque dissidente parmi les élites américaines et comment sont opposé a-t-il
pu triompher si rapidement ? A
moins de mettre le phénomène sur le seul compte d’un caprice de l’histoire – la
présidence Bush combinée avec le 11 Septembre-, il faut considérer les
motivations des principaux donateurs [du candidat élu] et la myriade de
facteurs qui déterminent les limites acceptables de ce que les gens pensent
dans les think tank. Si les élites américaines voient le monde d’une autre manière
que dans les années 1940 et 1950, il faut chercher une explication. »
P212 L’essor du storytelling
et de ses différent modes opératoires dessine donc un nouveau champ de luttes
démocratiques : ses enjeux ne seront plus seulement le partage des revenus
du travail et du capital, les inégalités au niveau mondial, les menaces
écologiques, mais aussi la violence symbolique qui pèse sur l’action des
hommes, influence leurs opinions, transforme et instrumentalise leurs émotions,
les privant ainsi des moyens intellectuels et symboliques de penser leur vie.
La lutte des hommes pour leur émancipation, qui ne saurait être ajournée par
l’émergence de ces nouveaux pouvoirs, passe par la reconquête de leurs moyens
d’expression et de narration.
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