mercredi 5 décembre 2012

Storytelling Salmon



Sujet difficile que celui de Christian Salmon. Le récit. Car il l’avoue en préambule, cela a toujours été partout, toujours, de toutes les manières. On ne cesse de se raconter des histoires, légendes, histoire officielle, mémoire, contes, publicité. Certains disent que toute science, toute religion n’est qu’un récit, le récit a toujours créé le sens, le sens a toujours été créé par du récit. Les reproches que l'on fait aux relativistes depuis la caverne de Platon jusqu'aux philosophes dits postmodernes actuels est que expliquer que notre représentation du monde est complètement subjective revient à dire qu'il n'y a pas de vérité. En face il y a les scientistes qui croient aux faits, qui ne perçoivent pas la différence de nature irréductible entre le réel et sa représentation.




Mais pourtant, Salmon s’engage et tente ce difficile voyage de la recherche de la réalité. Il décrit les récits modernes et la tendance au Storytelling, véritable marque déposée qui décrit l’ingénierie (surtout américaine) essayant de monopoliser nos attentions et nos consentement. Il analyse avec  percussion le marketing, le monde des marques, la communication d’entreprise et enfin la communication politique en faisant quelques embarquées dans la politique française. Dans une postface de 2008, Christian Salmon fait comprendre que les français se sont trop énervés sur le décryptage de la politique française à partir de son bouquin. Il appuie alors sur le terme de nouvel ordre narratif. Il dit en gros : je n’invente rien, l’humanité n’a rien inventé de nouveau mais il y a une complémentarité du monde moderne avec ses nouvelles histoires. Nous pouvons voir que nous vivons une nouvelle époque par la manière dont on nous raconte les histoires et comment on fabrique le consentement. 

Les lieux d’observation  de cette nouvelle narration et que Salmon visite ?
Le marketing, le management, la politique.
Dans ces trois domaines, raconter des histoires est un sacerdoce. Faire consentir les consommateurs, les salariés et les électeurs-citoyens. Les marketeurs, les théoriciens de la gestion et de la politique sont allés très loin dans la réflexion du besoin d’histoire et savoir comment remplacer le monde intérieur de la population, sa représentation du monde. Manipulation de la foule émotionnelle ? En partie, adaptation de la préfiguration de la pensée humaine au monde capitaliste, entrepreneurial, « impériale » américaine et mondialisé. Nous sommes tous touchés. Est-ce une invention ? Non, ce sont des vieilles recettes que Salmon compare aussi à la religion. L’exemple des marques et des dieux grecs est très parlant, la comparaison de la consommation capitaliste qui serait comme une consommation « catholique » aux symboles des Etats Unis.
Le management ? Comment faire concilier deux éléments contradictoires chez les salariés ? Autonomie et interdépendance. Un homme capable de changement perpétuel et pourtant soigné émotionnellement. Adaptable et individualiste. Tout le management actuel et les histoires tendent à adapter le salarié. Il ne s’agit plus de faire consommer et faire travailler mais de combler et « saturer les champs de production et d’échange symbolique ». La narration envahit toutes les dimensions de l’entreprise. Même la communication financière (Enron).
La politique ? En prenant l’exemple des USA, nous voyons la prépondérance des spin doctors, quelle histoire raconter aujourd’hui ? C’est la campagne présidentielle permanente, la pré-production du journal de 20h. La permanente recherche du consentement des citoyens sur une politique définie et de moins en moins claire.


Tout cela, est ce grave ? Salmon a un peu honte à la dire, mais on comprend que oui. Car si le récit fait partie intégrante de l’homme, il touche des points essentiels. Je l’ai déjà cité sur ce site. Je me souviendrai toujours d’un conférencier chrétien disant que la Bible est le seul conte qui soit vrai. Je fus choqué, mais il semblait dire ainsi que tout est conte, tout est consentement à une histoire mais il existe malgré tout une histoire vraie.
Ce que nous montre Salmon c’est l’éloignement, soit voulue soit subie, des histoires racontées avec toute recherche de vérité. Ce n’est pas un hasard que le sujet de Salmon se tourne rapidement vers les religions. Le rêve américain est plus qu’un système, c’est une religion dans lequel il y a bien plus qu’un territoire, une économie mais bien une communion de foi sur des valeurs, des mythes, des martyrs. Ce qui me choque aussi est l’abrutissement nécessaire à ce nouvel ordre narratif. Brouhaha, changement perpétuel, émotions. Le refus de l’attention à la réalité est au summum. Je pense à l’interview de Fumaroli. Il est aisé de voir combien le monde décrit par Salmon est loin de l’idéal de la rhétorique et de l’otium. C'est-à-dire d’une communication lente, claire, orientée vers la compréhension raisonnée de son argumentation par son interlocuteur. L’art de convaincre contre les techniques de consentement.  
Comment devenir libre et user de notre raison pour rencontrer l’histoire vraie celle qui nous parle de la réalité ?

Pour ceux qui sont intéressés, la fiche de scriptoblog existe
Après avoir lu ce livre, on ne regarde plus jamais hollywood de la même manière....
ceci est un bon exemple....


Quelques citations plus bas
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P16 Les grands récits qui jalonnent l’histoire humaine, d’Homère à Tolstoï et de Sophocle à Shakespeare, racontaient des mythes universels et transmettaient les leçons des générations passées, leçons de sagesse, fruit de l’expérience accumulée. Le storytelling parcourt le chemin en sens inverse : il plaque sur la réalité des récits artificiels, bloque les échanges, sature l’espace symbolique de séries et de stories. Il ne raconte pas l’expérience passée, il trace les conduites et oriente les flux d’émotions. Loin de ces « parcours de la reconnaissance » que Paul Ricoeur décryptait dans l’activité narrative, le storytelling met en place des engrenages narratifs, suivant lesquels les individus sont conduits à s’identifier à des modèles et à se conformer à des protocoles.


P40 L’idée d’être envahi de choses sentimentales n’est pas forcément réjouissante, surtout si ces choses sentimentales sont des formes réifiées de la société marchande, une perspective qui rejoint l’analyse de georges Lewi, professeur à HEC, lequel légitimait ainsi en 1998 l’enfermement de nos contemporains dans l’univers mythique de la marchandise : « les consommateurs d’aujourd’hui ont autant besoin de croire en leurs marques et mythes, il affirmait que la saga Microsoft fonctionnerait suivant les mêmes ressorts que le mythe d’Apollon. Le mythe d’Intel relèverait d’un miracle dionysien, tandis que Bouygues présenterait des affinités avec Héphaïstos… dans cette optique, la marque deviendrait mythe lorsqu’elle entre en résonance avec les croyances des consommateurs. Trois temps scanderaient, selon lui, le cycle de vie d’une marque : au temps de l’héroïsme, la marque s’impose par sa différence ; au temps de la sagesse, elle obtient la confiance ; et, au temps du mythe, elle acquiert une conscience. La marque aurait désormais prouvé sa légitimité. S’ouvrirait alors pour elle une porte vers l’éternité… « La résurgence des mythes au sein de notre société contemporaine, affirmait Lewi, se confirme plus particulièrement en périodes d’insécurité mondialisée qui stimule notre besoin de recherche de vérité, de sens à la vie ainsi que notre soif de magie et de mystère », dont témoigneraient les succès commerciaux en Occident des livres de R.R.Tolkien et J.K.Rowling : « Il s’agit là en effet d’histoires et de contes qui s’alimentent dans notre patrimoine féerique et qui parlent à notre imaginaire mondialisé tout en nous fournissant un sentiment d’appartenance. »

P43 Ainsi le marketing narratif s’avoue comme une entreprise de synchronisation de « vision du monde » qui peuvent être antagoniques en termes politiques ou religieux, mais qui se réconcilient sur la grande scène du marché mondial. L’acte de consommer devient alors un exercice de communication, voire de communication, planétaire : « Aussi blasphématoire que cela puisse paraître, écrivait Ashraf Ramzy en 2002, les consommateurs dans une économie de marché obéissent à une même logique que celle qui préside à la communion des saints dans l’Eglise catholique : en consommant les symboles de l’Amérique, nous faisons corps avec le mythe le plus puissant de tous les temps, le rêve américain. »
L’adoption du storrytelling par le marketing va donc beaucoup plus loin qu’un simple réaménagement dans la promotion des marques. Il inclut une « vision dumonde » et il  la projette dans toute la société. Ce n’est pas un simple outil marketing, mais une « discipline » managériale selon Stephen Denning, qui fut au milieu des années 1990 l’un des premiers à expérimenter des techniques de storytelling à la Banque mondiale. Car c’est là que tout à commencé…

P81 Du coup, le néomanagement doit faire face à des exigences contradictoires d’autonomie et d’interdépendance. Il doit favoriser chez des acteurs dispersés des attitudes apparemment incompatibles : l’individualisme et le fonctionnement en réseaux,  l’esprit d’initiative et une extrême adaptabilité. Cela suppose moins de hiérarchie, mais plus de contrôle. Une forme de conduite des conduites qui laisse aux agents une part d’autonomie suffisante pour s’ajuster à des situations complexes et imprévisibles dans le cadre d’un scénario qui les contraint.
Economie mimétique, fictionnelle –plutôt que libidinale comme l’écrivait Jean François Lyotard-, car elle a pour objet, à travers la manipulation des pulsions et des émotions, la production et la circulation de modèles de comportements et de courants d’imitation. « Nous appelons l’esprit du capitalisme écrivent Boltanski et Chiapello, l’idéologie qui justifie l’engagement dans le capitalisme. »

P83 De surcroit, la fiction communautaire contribue à justifier l’existence d’une entreprise japonaise qui rapatrie des profits réalisés en Amérique. « Pour dire les choses de manière plus formelle, écrit Richard Sennett, le pouvoir est présent sur les scènes superficielles du travail en équipe, mais l’autorité est absente ».

P88 Le roman de Don DeLillo identifiait avec une remarquable lucidité l’idéal type de l’entreprise postindustrielle, flexible et agile, organisée en réseaux et orientée vers la satisfaction de besoins immatériels, culturels ou humains. Une organisation « maigre » (lean production) et mutante, capable de s’adapter aux aléas de la conjoncture et aux contraintes de la concurrence sur un marché devenu mondial. Grief Management nous permet ainsi d’identifier les trois éléments qui vont structurer la rhétorique du nouveau capitalisme à partir des années 1990 :
-         Le premier de ces éléments (son ethos, si l’on veut) va se manifester sous la forme d’une injonction constante au changement ;
-         Le deuxième (son pathos) concerne le management des émotions, inscrit dans un processus général de manipulation et de marchandisation qui accompagne la constitution d’un nouveau « sujet » du capitalisme (consommateur, salarié ou manager) en tant qu’ego émotionnel ;
-         Le troisième (logos) souligne le rôle du langage et en particulier de l’utilisation des histoires dans la gestion de ce moi émotionnel.

P 89 Dans l’entreprise éclatée, soumise aux aléas boursiers et aux menaces de délocalisation, où tout horizon de carrière s’est effacé, quoi de plus naturel en effet que de « se sentir à l’orée d’un merveilleux changement » ? Quoi de plus engageant que la promesse d’un récit merveilleux ?

P90 De son observation des nouveaux hauts lieux anglo-américains du nouveau capitalisme, richard Sennett a tiré la conclusion suivante : « la philosophie actuelle du capitalisme a ceci de particulier que le désordre y semble souhaitable : la restructuration permanente d’une entreprise est ainsi vue comme une marque de dynamisme et, sur le marché boursier, le changement institutionnel a une valeur en soi. »

P103 La puissance souvent incomprise du néocapitalisme (et sa violence symbolique) ne tient plus, comme c’était le cas depuis la révolution industrielle, à la seule synchronisation du capital et du travail : elle consiste à créer des fictions mobilisatrices, à engager tous les « partenaires » (ou « parties prenantes »), salariés et clients, managers et actionnaires, dans des scénarios prémédités. A la place des chaînes de montage, des engrenages narratifs.  Plutôt que le contrôle et la discipline, le prétendu partage d’une histoire collective. Le storytelling management peut donc être défini comme l’ensemble des techniques organisant cette nouvelle « prolixité » productive, qui remplace le silence des ateliers et des usines : le néocapitalisme ne vise plus seulement à accumuler des richesses matérielles, mais à saturer, à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise, les champs de production et d’échange symboliques. Une fois adopté par un service de l’entreprise, le storytelling gagne les autres : marketing, communication interne, gestion des ressources humaines, formation au leadership, stratégie, gestion de projets et, plus surprenant encore, le management financier.

P109 Plus le monde de la finance s’éloignait des estimations rationnelles et des performances économiques, plus la cosmétique d’entreprise consistant à rendre une entreprise belle et désirable pour les investisseurs a pris de l’importance dans la gestion des nouvelles organisations. La « beauté » des organisations reposait en fait sur des histoires qui parlaient de restructuration, de dégraissage, de délocalisation. […] Dans un monde rationnel, ce fiasco exemplaire (enron) aurait signé la mort du storytelling et de ses vertus hypnotiques. Et pourtant, près de dix ans plus tard, il reste plus que jamais la bible des gourous du management. Mais aussi celle des spin doctors, ces gourous du politique » qui-avec plus de succès- ont importé de longue date aux Etats-Unis (puis dans bien d’autres pays) les méthodes du storytelling management.

P129 On voit bien le danger d’une telle pratique du pouvoir, écrivait John Antony Maltese dès 1994 : « une démocratie moins délibérative, des citoyens inondés par le spectacle symbolique de la politique, mais incapables de juger ses leaders et le bien-fondé de leurs politiques. » Selon Richard rose, auteur en 1988 du livre The postmodern president, « la clé d’une présidence potmoderne est la capacité à conduire (au à fabriquer) l’opinion. Le résultat en est une sorte de campagne électorale permanente. »

P130 Comment fédérer l’explosion des pratiques discursives sur internet ? Comment communiquer dans le chaos des savoirs fragmentés sans le secours d’une figure commune de légitimation ? Comment donner un sens à des expériences sociales et professionnelles caractérisées par l’effondrement du temps long et la précarité ? Comment constituer des ensembles, une suite logique ou chronologique ? Comment traiter les conflits d’intérêts, les collisions idéologiques et religieuses, les guerres culturelles ? Ce sont quelques unes des questions auxquelles sont confrontés la parole politique et tous ceux qui sont en charge de son expression, qu’ils soient journalistes ou hommes politiques, conseiller du prince, spécialistes du marketing politique ou rédacteurs de discours. C’est ainsi que le storytelling s’est imposé comme la formule « magique » capable d’inspirer la confiance et même la croyance des électeurs-sujets. […] Le chaos des savoirs fragmentés a favorisé le tournant narratif de la communication politique et la venue d’une ère nouvelle, l’âge performatif des démocraties, qui n’aura plus pour figures de proue les conseillers du prince, les Talleyrand ou les Mazarin, mais des prophètes et des gourous, les spin doctors des partis, enivrés par leur pouvoir de narration et de mystification. Et pour modus operandi le storytelling, seul capable d’enserrer dans une prise unique la dispersion des intérêts et des discours. Jamais sans doute n’a été prégnante la tendance à considérer la vie politique comme ne narration trompeuse ayant pour fonction de substituer à l’assemblée délibérative des citoyens une audience captive, tout en mimant une socialité qui n’aurait plus rien en commun que des séries télévisées, des auteurs et des acteurs, et à construire ainsi une communauté fictionnelle et virtuelle. Cette dérive est si étonnement fluide, diffuse dans l’esprit du temps, mêlée à notre atmosphère la plus intime comme au climat général de l’époque, qu’elle passe inaperçue. C’est même la clé de son irrésistible succès.

P165 Ce dispositif d’ensemble articule des formes discursives et des pratiques(d’entrainement, de formation, de recrutement), des scénarios et des logiciels, des investissements et des pratiques (d'entrainements, de formation, de recrutement), des scénarios et des logiciels, des investissements et des marchés, que Tim Lenoir et Henry Lowood ont qualifiées en 2002, dans un article souvent cité, de « complexe militaro entertainment », en référence à ce que le président Eisenhower (1953-1961) avait qualifié aux lendemains de la guerre de « complexe militaro industriel »-lequel n’a pas disparu, comme on l’a cru un peu vite à la fin de la guerre froide, mais s’est en partie restructuré autour des nouvelles technologies et des industries du virtuel. « Des esprits cyniques, écrivent ils, pourraient affirmer que, si le complexe militaro industriel était plus ou moins identifiable pendant la guerre froide, il est aujourd’hui partout et invisible, pénétrant notre vie quotidienne. »

P167 Il ne suffit plus désormais de redéployer le champ de bataille en modifiant les perceptions, mais de créer pour la guerre ce que les théoriciens de la réception des récits appellent « un horizon d’attente ». Une formidable entreprise de mise en fiction accompagne l’effort de guerre, légitime la torture, met en scène les forces spéciales sur le terrain, procède à l’exposition et à la démonstration des armes nouvelles, teste et met en valeur les technologies de transmission et de visualisation…. Le cinéma, les jeux vidéos, les séries télévisées, les médias sont les vecteurs fictionnels de cette entreprise de mobilisation. Le storytelling est son mode opératoire, en temps réel et 24h sur 24, comme le revendique crânement la série « culte » du héros Jack Bauer, 24h chrono

P171 Celui-ci, mécontent d’un article que Suskind venait de publier dans le magazine Esquire à propos de l’ancienne directrice de la communication de Bush, Karen Hugues, le prit à partie d’une manière inattendue : « il m’adit que les gens comme moi faisaient partie de ces types « appartenant à ce que nous appelons la communauté réalité » [the reality-based community] : « vous croyez que les solution émergent de votre judicieuse analyse de la réalité observable. » J’ai acquiescé et murmuré quelque chose sur les principes de lumières et l’empirisme. Il me coupa : « Ce n’est plus de cette manière que le monde marche réellement. Nous sommes un empire maintenant, poursuivit-il, et, lorsque nous agissons, nous créons notre propre réalité. Et, pendant que vous étudiez cette réalité, judicieusement comme vous le souhaitez, nous agissons à nouveau et nous créons d’autres réalités nouvelles, que vous pouvez étudier également, et c’est ainsi que les choses se passent. Nous sommes les acteurs de l’histoire.[…] Et vous, vous tous, il ne vous reste qu’à étudier ce que nous faisons ». »
Ces propos tenus par un responsable politique américain de haut niveau (sans doute Karl Rove) quelques mois avant la guerre en Irak, ne sont pas seulement cyniques, dignes d’un Machaivel médiologue : ils semblent s’élever d’une scène de théatre plutôt que d’un bureau de la maison blanche. Car ils ne pas seulement un probleme politique et diplomatique. Ils ne se contentent pas de reconduire les vieux dilemmes qui agitent depuis toujours les chancelleries, opposant les pragmatiques et idéalistes, réalistes et moralistes, pacifistes et bellicistes, ou, en cette année 2002n défenseurs du droit international et partisans du recours à la force. Ils affichent une nouvelle conception des rapports entre la politique et la réalité : les dirigeants de la première puissance mondiale se détournent non seulement de la Realpolitik, mais du simple réalisme, pour devenir créateurs de leur propre réalité, maître des apparences, revendiquant ce qu’on pourrait appeler une realpolitik de la fiction.



P174 Paradoxalement, c’est le magazine du publiciste d’extrême droite Pat Buchanan, The american Conservative, qui s’interrogeait en Octobre 2006 avec une certaine lucidité dans un article intitulé « renouer avec la reality based community » : »comment le réalisme est il devenu une philosophie presque dissidente parmi les élites américaines et comment sont opposé a-t-il pu  triompher si rapidement ? A moins de mettre le phénomène sur le seul compte d’un caprice de l’histoire – la présidence Bush combinée avec le 11 Septembre-, il faut considérer les motivations des principaux donateurs [du candidat élu] et la myriade de facteurs qui déterminent les limites acceptables de ce que les gens pensent dans les think tank. Si les élites américaines voient le monde d’une autre manière que dans les années 1940 et 1950, il faut chercher une explication. »

P212 L’essor du storytelling et de ses différent modes opératoires dessine donc un nouveau champ de luttes démocratiques : ses enjeux ne seront plus seulement le partage des revenus du travail et du capital, les inégalités au niveau mondial, les menaces écologiques, mais aussi la violence symbolique qui pèse sur l’action des hommes, influence leurs opinions, transforme et instrumentalise leurs émotions, les privant ainsi des moyens intellectuels et symboliques de penser leur vie. La lutte des hommes pour leur émancipation, qui ne saurait être ajournée par l’émergence de ces nouveaux pouvoirs, passe par la reconquête de leurs moyens d’expression et de narration.



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