vendredi 21 décembre 2012

L'Eglise et la migration des hommes par Marc Lambret

Ci dessous est la tentative de résumé personnel de deux conférences du père Marc Lambret sur la question de l'émigration. Je penses que celles ci élèvent le débat et nous permettent de réfléchir plus largement sur ces questions. Se les poser, c'est bien sur s'interroger sur notre pauvreté et la relation sociale des hommes entre eux. Tout en relativisant les nations, la géopolitique et nos situations sociales, il nous invite à réfléchir profondément sur le sens de nos communautés, de nos traditions et de nos peurs...

La version originale est ici et .


Lambret veut faire face à la question de l’immigration, L’histoire de Babel et celle de Caïn et Abel seront les histoires qui nous suivront tout au long des deux conférences.
Celles-ci se sont déroulées dans les années 90 peu de temps après les évènements médiatisés des sans-papiers de l’église Saint Bernard à Paris qui eurent un très large écho. Lambret profite de cet évènement pour se poser la question de l’émigration et comment l’Église nous invite à réfléchir sur tous ces sujets.
Lambret commence à expliquer pourquoi ce sujet est important ici et maintenant et quels sont les risques pour chacun de nous.

C’est un sujet médiatique, politique, sociologique, spirituel et historique. Les problèmes sont liés à chacune de ces caractéristiques.
D’abord, il faut se méfier des médias. L'émigration est un sujet merveilleusement fascinant, aussi exotique, attirant l’empathie que créant des peurs de l’autre, de l’invasion. Excitation d'émotions formidables. Or ces émotions (principalement la peur) ne nous aident pas à mener une réflexion indépendante. L’anxiété (une peur innommée)  fait de nous des gibiers de manipulation.

Ensuite il y a plusieurs risques.
1 Dégradation politique due à l’évolution vers l’angoisse de la population
2 Risque sociologique, le racisme et l’accusation de racisme, deux fléaux mimétiques.
3 Risque spirituel, comment rencontrer et accueillir l’autre ?
4 Risque de l’invasion. Comment résoudre le formidable déséquilibre démographique et économique mondial dans un monde globalisé ?

Mais d’abord quelques réflexions. La migration ? C’est une histoire de toujours. L’histoire des hommes est aussi une histoire de la migration. Pas de peuple stable définitivement. Les peuples ayant une histoire sont ceux qui ont bougé, les autres, les oubliés sont ceux qui ont été exterminés ou absorbés. Chez nous, Clovis est celui qui vient de l’est. La fin de l’empire romain ? Est-ce les grandes invasions ou les grandes migrations ? Rome s’est défendu puis a géré puis a disparu. Bref, la question de la migration est une tendance lourde qui nécessite un point de vue à long terme aussi.
Alors aujourd’hui, sommes nous face à une population inassimilable et remarquable par son nombre ? Non plus, notre monde n’a jamais été aussi mondialisé et les techniques anciennes de migrations structurées par le meurtre des hommes et le vol des femmes sont moins douces qu’aujourd’hui.
Alors quelle-est la nouveauté ? Nous ne savons plus ce qu’est la solidarité humaine élémentaire, ce que veut dire appartenir à un groupe, nous vivons un oubli profond de la dimension sociale de l’homme.
Nous appartenons toujours à un groupe. La rencontre de deux hommes est toujours la rencontre de deux groupes. La compénétration de deux groupes  n’est jamais facile, mais le carnage peut ne pas être la règle.
Ce qui nous parait incompréhensible (la difficulté de la rencontre de deux groupes) est normal. C’est un problème inattendu que dans la mesure où nous croyons que l’homme est un sujet de droit autonome. Nous sommes face à l’impensé de notre philosophie moderne (universalisme individuel). Nous sommes, en plus, des technocrates organisateurs qui ne comprennent pas pourquoi la réalité ne s’applique pas à leur modèle.
Rien de nouveau, certes, mais que faire face à tous ces risques et à nos nouvelles incompréhensions ?

A Ecoutons ce que l’Eglise peut nous dire

I la nature sociale de l’homme (la réalité la plus ignorée.)
Comme énoncé dans la doctrine sociale de l’Eglise, un homme ne se définit jamais par lui-même mais par le groupe auquel il appartient, de cette observation découle (et s’explique par) le bien commun (les éléments matériels ou non qui unissent et symbolisent ce groupe). Ceci dit, il nous faut nous opposer à la fraternité humaine assénée comme une obligation. C’est une idéologie non efficace qui contredit toute expérience humaine de la différence de l’autre. Chez les chrétiens, la solidarité humaine universelle est compréhensible à partir de la notion de nature sociale.
L’expression même de "nature sociale de l’homme" indique une dialectique anthropologique fondamentale entre l’individu et le groupe, entre la personne et la communauté. Une "dialectique" parce qu’on ne peut pas placer l’une de ces deux réalités absolument avant l’autre. Et, si la communauté est tout entière définie par le fait de servir les personnes - ce qui est assez admis généralement - réciproquement, la personne est toute entière définie dans le fait de servir la communauté.
II Doctrine sur la distribution universelle des biens


La modernité est un déséquilibre perpétuel entre universalisme et particularisme entre propriété et distribution universelle des biens. Selon l’histoire et les évènements, nous oscillons entre des extrêmes. L’Eglise souhaite montrer comment chacun de ces éléments sont subordonnés aux autres. Universalisme et particularisme se marient entre eux dans l’Église et la propriété est légitimée dans la doctrine de l’Église que dans la mesure où elle est subordonnée à la distribution universelle des biens.


Cela nous permet aussi de pouvoir savoir si nous faisons partie d’une communauté : en examinant si nous avons un bien commun régi par une autorité convenable en vue de l’heureuse existence du groupe et de ses membres.
Ainsi dans une communauté qui a pris conscience de sa réalité communautaire, la politique est le règlement du bien commun, c'est-à-dire respect des personnes, prospérité du groupe, durée et sécurité d’un ordre juste… Comme une famille.

III accueil de l’étranger (d’abord il faut le considérer ainsi et nous considérer comme non-étranger)
Partout dans notre monde, il y aura lutte contre les iniquités, pour la justice. De cette nature sociale des hommes, de l’amour de Dieu, découle alors la dignité de chacun de ses membres, et donc de l’égalité de chacun et même de ses droits dans la communauté. Mais cette réflexion se développe aussi entre les communautés dont les relations entre elles sont comparables, et dans cette réflexion, bien sur, les plus riches ont des devoirs de justice (et notamment d’accueil) vis-à-vis des plus pauvres.

IV Amour prioritaire des pauvres.
Cette idée est au-dessus de toute revendication égalitariste. "Des pauvres, il y en aura toujours parmi nous" (cf. Mt 26,11 - Mc 14,7-8 - Jn  2,8). Idée folle pour notre temps. Pourtant la pauvreté est le signe de la vérité de l’humanité. Détresse et besoin de salut. La création gémit dans les douleurs de l’enfantement. 
Le Christ ne fait pas l’apologie de la pauvreté (n’oublions pas le premier mot de Jésus ressuscité, shalom, paix mais aussi prospérité, allégresse, fécondité). Mais Jésus appelle notre refus de l’exploitation des petits et des faibles. Et l’Eglise nous dit que l’amour des pauvres est incompatible avec l’amour des richesses ou avec leur usage égoïste (N° 2443 à 2449). Il nous faut entendre cette phrase dans toute sa force. C’est parce que notre société met son espérance dans les richesses plus que jamais qu’elle est devenue tout à fait incapable de comprendre ce que signifie l’amour des pauvres.
La modernité ne comprend pas ce dernier point et ne lui permet donc pas de comprendre l’humanité. Or la migration est liée à cette pauvreté.

B Ensuite, il faut comprendre anthropologiquement la question de l’émigration.
I Car pourquoi la migration sinon l’espoir de passer du malheur au bonheur. Et pourtant, il y a toujours cette ambivalence : Grande migration ou grande invasion ? Que faire quand on est fort, jeune, nombreux et en mouvement ? La normalité humaine marquée par le péché conduit ces mouvements vers le vol et la destruction. Oui, la migration, comme la pauvreté dit la nature humaine. Ici bas, tout n’est que recherche perpétuelle de patrie, recherche perpétuelle de vie meilleure. C’est seulement à partir de ce point que l’on peut penser les valeurs de la stabilité, de tradition.


D’où un paradoxe humain, si l’homme est un migrant qui veut bâtir, quand il obtient cela, il obtient une négation de lui-même. Comment sortir de l’impasse ?
Oui anthropologiquement, la migration est un phénomène ambivalent. C’est, d’un côté, un mouvement de misère : on est poussé à migrer par l’indigence, ou du moins par l’espoir d’une vie meilleure, et l’arrivée de migrants provoque, en général, une perturbation. Et, de l’autre côté, la migration est une sortie de soi libératrice pour l’homme : un mouvement positif, un mouvement d’espoir, un mouvement d’entreprise, un mouvement de quête, un mouvement purifiant, parce que pour bouger, il faut être léger, donc il faut abandonner le superflu, il faut discerner le plus nécessaire, le plus important. C’est un approfondissement, qui fait aller à l’essentiel, c’est le risque de l’aventure, c’est la possibilité de rencontrer ce qui est différent, et ainsi de s’enrichir humainement.



De l’autre coté, la stabilité est une autre ambivalence, regardons les "grandes civilisations" : Sumer, Babylone, l’Egypte, la Grèce, Rome, la Chine. Que fait l’homme quand il réussit sa stabilité ? Il développe une concentration humaine qui représente un énorme potentiel dans tous les domaines. Et en même temps, il développe des vices insoupçonnés auparavant. C’est le paradoxe de la ville, c’est le paradoxe de la civilisation, que cette concentration, que cette accumulation d’hommes et de biens soient sous un aspect un développement humain merveilleux et, sous un autre, l’aggravation de l’injustice et de la perversion jusqu’à l’abomination.


II Autre aventure essentielle de l’humanité : la rencontre de l’autre.

Sa différence culturelle nous arrive violemment à la figure mais l’intérêt de la rencontre n’est elle pas de se reconnaître semblable et dépasser l’altérité. Mais si nous faisons un avec les autres, il n’y a plus d’altérité…
La capacité d’entreprendre intelligemment l’accueil de l’étranger est un baromètre de la véritable valeur humaine de toute société…

Parisiens que nous sommes en particulier, nous sommes l’Occident moderne. Nous sommes structurés par l’idéologie occidentale moderne : idéologie individualiste et universaliste, stabilisée par l’idée que nous représenterions l’âge de la maturité de l’homme. Voilà l’origine de tous nos problèmes spécifiques. Il y en quatre particuliers.


1 Le racisme est lié à l’occident moderne. A la base, il existe une xénophobie ordinaire, sorte de timidité et de peur de l’autre et pour être véritablement homme, il faut savoir le surmonter. Mais le racisme, c’est ajouter l’erreur scientifique et très moderne de la distinction des races humaines. On ne cesse de nous dire que le racisme va contre la modernité mais non, il faut simplement considérer le couple moderne racisme et antiracisme (négation vers l’absurde de la différence) qui se rejoignent en tant que frère ennemi se combattant éternellement dans l’individualisme et le refus de la doctrine de la nature sociale de l’homme. (Autre exemple de la misère de la pensée moderne est le couple machisme (race masculine en force !!) féminisme (indistinction des sexes))



2 Négation du lien social. L’homme est seulement pensé comme un individu autonome et suffisant. Ainsi, le fondement du libéralisme est de nier le lien communautaire. Nous n’avons plus que des caricatures de lien social. Nous sommes encore emprisonnés par un couple de frères ennemis. Libéralisme et Socialisme dans les deux cas, la communauté n’est plus qu’une unité d’intérêt soit par contrat, soit par classe. Bref, encore une fois, nous ignorons la nature sociale de l’homme.

3 Nous ne savons plus qui nous sommes. Perte de sens de la communauté. En France ou en Europe, nous ne pensons plus qu’en part de gâteau et en termes de communauté économique.

4 Problème de pensée, nous ne savons plus ce qu’est un argument de tradition, d’autorité. La conséquence est que nous ne pensons plus, nous négocions.



C Salut en Jésus Christ


Qui sommes nous alors ? Si nous parlons de capacité d’accueil alors nous ne sommes pas tout le monde ?
Nous oscillons sans cesse entre deux absurdités. « Je suis citoyen du monde sans frontières » et « nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde ».
Quel est donc notre histoire, notre valeur spirituelle, notre moral ? Est-ce une perte si nous disparaissons ?
Le père Lambret nous dit que la France a besoin d’une conversion, d’une sérieuse critique de notre culture. Comment comprenons-nous l’homme, la famille ? Comment et pourquoi les personnes et les institutions peuvent elles être récompensées.
Chrétiens, nous croyons à une histoire de Salut. Cette histoire est migration. Enfin, parlons de Jésus, d’Abraham, eux qui n’avaient pas une pierre pour poser leur tête. Nous ne sommes que des immigrés et des hôtes (Genèse 23.4) (existe aussi Hébreux 13,14, 2Co51-10). Oui, les chrétiens restent étrangers à ce monde, ils aspirent à leur véritable patrie. Le monde reste une perpétuelle recréation par le salut réalisé par Jésus-Christ. De Babel à la Jérusalem céleste, de Caïn à la Pentecôte.
Bref, n’oublions jamais le mystère de l’humanité.
Nous sommes des migrants, nous avons un désir d’ailleurs, de fraternité profonde. Pourquoi sommes nous si séparés ? La différence de langue en est un bon symbole. Même si nous avons la même, certains proches peuvent ne plus rien se dire. La rencontre véritable se fait toujours dans la pauvreté, dans la découverte d’une fraternité semblable, la fraction du pain en est un exemple.
De Babel à Caïn, on peut voir que toute malédiction, tout malheur est lié à notre péché et l’oubli de la parole du frère, du soupçon du mensonge sur lui, ce qui conduit à la méconnaissance du frère à la rupture du lien, à la perte de la parole et au meurtre. (Abel déjà signe de Jésus).
Oui, la migration est ambivalente. Malédiction et figure de rédemption dans la pauvreté. L’histoire de l’homme est l’histoire de la restauration de l’homme dans son rapport à Dieu et à l’homme. De même la prospérité est ambivalente, celle-ci vécue dans le meurtre de Caïn est vécu contre Dieu.
Babel, c’est cela, la prospérité vécue dans la perversion et multipliant le cercle des meurtres et des vengeances. (s’emparer de l’égalité avec Dieu contre Dieu alors que cela nous était offert). A Babel, les hommes construisent efficacement le monument de leur satisfaction de désir de puissance et de gloire, les hommes sont moulus dans le projet insensé de se faire Dieu en collectivité en opposition à la Jérusalem nouvelle qui descend du ciel comme un cadeau de Dieu.
Notre vie prend son sens dans notre salut et dans l’aventure de la reconstitution de la fraternité humaine. L’Eglise est le signe, la réalité et le moyen de cet accueil là qu’est notre salut. Les chrétiens devraient être en tête de cet accueil et que nous puissions revenir à notre première vocation qui est d’être sauvé ensemble.

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« Que notre société en soit à n’envisager la question des migrants que comme le problème de la gestion économique des émigrés, c’est effrayant. Comment n’avons-nous plus la passion de l’homme, la passion de l’autre ? »
« L’amour se nourrit de différence et de pauvreté. On ne peut aimer que pauvre, on ne peut aimer que l’autre. Comment rêvons-nous un monde où nous serions tous pareils et pareillement riches ? »
« Nous le savons, c’est là notre histoire humaine. Nous étions errants, perdus, sans terre, sans patrie, sans espérance d’en avoir jamais une. Nous étions comme Caïn. Et le Fils de Dieu est venu partager ces maudites conditions, afin de nous établir tous dans notre patrie, qui est le ciel, c’est-à-dire la demeure de béatitude qu’est Dieu lui-même. »

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