J'ai trouvé il y a quelque temps cette interview de Marc Fumaroli.
(à peu près au milieu de la page...)
Je la trouve formidable. Il faut au moins la lire pour goûter la subtilité du français de Mr Fumaroli. La forme de son discours ne cesse de rejoindre son fond. Lors de cette interview, j'ai pu définir quatre messages importants. Permettez moi de parcourir ici cette interview réjouissante.
(à peu près au milieu de la page...)
Je la trouve formidable. Il faut au moins la lire pour goûter la subtilité du français de Mr Fumaroli. La forme de son discours ne cesse de rejoindre son fond. Lors de cette interview, j'ai pu définir quatre messages importants. Permettez moi de parcourir ici cette interview réjouissante.
I Eloge de la rhétorique
Selon Marc Fumaroli, la base de son travail, c’est l'étude de la rhétorique, l’art de convaincre. Le premier grand représentant est
Cicéron. Puis viennent ensuite les lectures des maîtres grecs, des romains et des médiévaux (venant eux même de
St-Augustin, venant lui-même de Cicéron.)
La mode en 60-80, c'est que le littéraire doit tout apprendre des sciences dures. Mais lui
préférait les humanités, dont le sujet est l’homme qui ne se connait non par
les mathématiques mais par les approximations du langage, par la parole, par
les symboles et les signes. L’étude de la rhétorique à travers les siècles
révèlent une unité de la sagesse et de l’interactivité humaine (et non des
sciences).
Greco-latin surtout, l’art de convaincre est un exercice public et petit à petit devenant privé. Le Moyen age missionnaire l’a ensuite adapté à la prière et à l’examen de
conscience. A la Renaissance, la rhétorique greco-latine est adapté dans la
société laïque des villes et des cours. La rhétorique des moines médiévaux est adapté au monologue intime des chrétiens. Dès l’antiquité, on observe que l’art de
persuader peut se décliner dans les arts. Proportion, convenance, un geste, une
figure de pensée (métaphore, synecdoque…) ou un symbole peuvent résumer toute
une théologie ou une pensée. Ils permettent encore de rassembler un maximum des
facettes du réel.
« Art de mettre en œuvre toutes les cordes de l’esprit et de l’imagination humaine, la rhétorique peut faire dialoguer entre eux les arts du langage, les arts visuels et la musique, leur donnant pour fin commune de surmonter le chaos, le malentendu, le tintamarre, l’incommodité, la violence, et de faire régner une certaine entente, un degré d’harmonie compatible avec les troubles inhérents à la condition humaine. »
Le moyen Age chrétien concentré sur la liturgie eucharistique a poussé très
loin cette correspondance des arts entre eux. La renaissance transpose et
adapte tout cela pour la gloire du prince, image du Dieu vivant à la tête de
l’état.
La rhétorique n’est pas une séduction mais un art et une sagesse, comme un
artisanat ayant pour but l’évitement des malentendus et la paix des relations,
là où la violence rôde...
Versailles est la matérialisation artistique et institutionnelle de cette
passion et de ce sommet qui est la rhétorique française du temps de Louis XIV.
Vatican d’un gallicanisme, centre guerrier mais aussi diplomatique, centre d’un
pouvoir absolu paradoxalement tendu exclusivement vers une paix générale. Paix
européenne et paix des foyers par une administration orientée vers le confort,
de l’ordre de sa population. Versailles par ses arts (de la musique, à
l’architecture en passant par les rideaux et les jardins) est la métaphore de
ce grand désir.
« Et de fait, à ce prodigieux acte de foi dans la bonne volonté royale que fut Versailles répondit la foi des Français dans leur pape-roi,et sans autre révolte notable que celle des Camisards, ils supportèrent les sacrifices que les guerres décidées par le roi, et notamment la plus cruelle, la plus longue (1701-1713) dite de la Succession d’Espagne, confiants qu’ils étaient devenus qu’elles étaient nécessaires à la sécurité future du royaume et à la paix en Europe, dont la beauté de Versailles était comme une promesse. C’était un formidable édifice de fiction, mais cet édifice fut conçu en accord avec une expérience millénaire, tant antique que chrétienne, de la nature humaine et des moyens de conférer un sens plausible à son histoire terrestre. Cet édifice de fiction harmonisatrice créa pendant un demi-siècle le terrain commun où s’entendirent tous les Français. »
Cette clarté française a pu paraître comme un paradis perdu, Jean Paulhan
dans les fleurs de Tarbes, oppose cet art de la conversation sans
malentendu (mais aussi art de consensus autour de critères et de convention) à
la « Terreur moderne » né de Rousseau où il faudrait se délivrer du
commun pour « communiquer » qu’à partir de soi son ineffable
expérience subjective.
Fumaroli s’aide aussi de Levi-Strauss qui en partant de ses études des
« primitifs » découvre des niveaux de complexité rhétorique n’ayant
rien à envier aux civilisés. Finalement, Levi-Strauss et Paulhan partant tous
les deux paradoxalement de Rousseau dans le sens inverse se retrouvent dans la
critique d’une modernité se croyant civilisé mais finalement sauvage d’une
destruction de ses racines communicationnelles et donne l’illusion à chacun
d’être « un commencement absolu ». En refusant la rhétorique, l’homme
devient un gibier de la manipulation (divertissement et publicité.)
II Classicisme Français ?
Qu'est ce que c'est ? C’est certes la centralisation versaillaise, mais c’est aussi tous ces artistes, penseurs écrivains qui demeurent malgré la fin de cette époque, qui lui ont même échappé pour aller à l’universel
« Ces écrivains et ces artistes, chacun à sa façon singulière, et dans un langage qui pour nous Français, en dépit de l’évolution de notre langue et de notre regard, reste étonnamment limpide, lisible, audible, délicieux, s’adressent à nous, à notre conscience et à notre liberté d’une façon immédiate. Ils nous font participer à une conversation intense qui nous touche et qui nous grandit, alors même qu’elle nous rappelle sans cesse combien il est difficile, quoique enthousiasmant, d’être digne, d’être libre, d’être heureux, d’être sage, d’être généreux, et combien il est facile de nous laisser aller à la pente inverse et de nous rendre odieux et malheureux. Ils tiennent ouverte une école d’humanité par laquelle il est fort souhaitable d’avoir fait ses classes. »
Les barrières entre nous et eux ? D’abord un certain pédantisme
érudit, un utilitarisme éducationnel (marché du travail et c’est tout ?) Tout nous conduit à l’atrophie
de notre mémoire littéraire qui mène elle-même pourtant au tribalisme et souvent même à l’incompréhension
d’œuvres plus récentes.
III Initiation à l’otium
Fumaroli commence par regretter l’omniprésence des images. Nos mémoires,
nos imaginations sont conditionnées à une source extérieure et inclines à la
dispersion de l’attention et à la consommation et donc conduit à une absence de
construction personnelle, de repères.
Trop d’écran, de vitesses et perte de gout pour la lecture et de la
contemplation. Or l’école ne fait pas contrepoids. Fumaroli appelle à un retour
aux intentions même des pédagogues humanistes du XVIIIe, créer des
personnalités fortes à la volonté libre sachant lire un texte littéraire exigeant
et goûter une œuvre d’art.
« Dans une démocratie digne de ce nom, chaque enfant est un petit prince, non par les gâteries, mais par l’éducation qui le prépare à se gouverner lui – même, afin de n’être l’inférieur de personne parmi tous les autres. »
Il prend l’exemple de Fénelon, précepteur du duc de Bourgogne, petit fils de
Louis XIV présentant deux œuvres de Poussin, les funérailles de Phocion et
Diogène jetant son écuelle. Beauté plastique, beauté des paysages mais
cependant des drames se niche dans leur détails (l’expulsion d’un
bouc-émissaire, le refus du moindre des conforts pour un philosophe.)
Enseignement subtil de l’humilité, du soupçon des gloires et des richesses et
de l’ombre tragique de la vie.
Fumaroli introduit la notion d’otium. Venant de Cicéron et développé par Sénèque,
elle n’est pas la passivité mais le retrait
de l’agitation quotidienne par la contemplation intérieure et
extérieure. Savoir bien prendre de la distance afin de mieux revenir vers la
foule et les sujets de l’actualité. Mais toujours aller vers l’essentiel. Tout dans
notre monde moderne nous éloigne de cette notion, même ce qui devrait nous y
conduire. (loisirs, vacances, amitiés, amours). Tout est jetable et on nous
vend une vie hâtive « qui ignore la saveur du vrai repos, la douceur des
lentes joies du cœur, les haltes et les mesures dont ne peut se passer la
volupté. »
A l’inverse de l’otium est la consommation, impératif brûlant de la
religion de l’abrutissement empêchant tout détachement et intimité. Nous nous
croyons dynamique, nous ne sommes que rouage, « nous ignorons le
contrepoids intérieur qui permettrait de nous soustraire à cette roue, et qui
nous donnerait le temps de regarder, d’écouter, de sentir, de goûter, d’aimer,
de nous faire aimer. C'est toute une longue cour attentive au sens
érotique du terme qu'il faut faire aux êtres et aux choses pour les connaître
vraiment et se faire connaître et apprécier d’eux. »
Nous devenons des atrophiés des relations humaines, notre papillonnage éreinte
nos possibilités d’amour, de fidélité, de loyauté, de confiance, de tendresse.
Compagnon de l’otium est l’eutrapélie, la disposition d’humeur heureuse,
notion hellénique transporté dans la théologie morale chrétienne, joie
contagieuse (que l’on retrouve dans l’art à partir du XIIIe) qui a été laïcisée
par la renaissance. Bref, tout le contraire de nos foires d’art contemporain.
IV Phineas Barnum, père spirituel de l’art contemporain
Enfin, Fumaroli cherche à comprendre l’art contemporain avec nous. Il le cherche dans
sa relation avec l’argent et le marché. S’il y a toujours eu une économie des œuvres
d’art, c’était dans le passé plus une affaire de donateur, de mécène, de l’Eglise,
de prince, d’état qui soustrayait l’œuvre au marché. Les artistes ont pu ainsi
quitter l’atelier de l’artisan mais aussi la boutique pour trouver la noblesse
de leur métier dans leur atelier et les musées. Les romantiques ont senti la
menace de l’argent et se sont défendu en plaçant l’art au niveau d’une
religion, d’un absolu à protéger du commercial et du marché tout en en faisant
trop. Finalement le modernisme au départ a été fidèle à cette idée sacrale de l’art,
en amplifiant la dimension sacré de l’art (contre l’art académique vendu aux
bourgeois) pour lutter contre les marchands du temple pourtant leur propres
clients. Marcel Duchamp est peut-être le premier à s’être moqué de cette foi,
il a toujours trouvé des admirateurs de son rien que les musées exposant
suffisait à transfigurer en œuvre d’art.
C’est dans ce sens, que l’art moderne est le fils de Phineas Barnum,
directeur de cirque et maître en communication. Puisque les gens aiment être
charlatanisés, mystifions les ! C’est la psychologie du marché-roi.
« Le mystificateur, le prestidigitateur, sont des héros modernes, de rien ils savent tirer un grand profit, en dupant les naïfs ébaubis. »
Fumaroli voit la barnumisation de l’art s’envoler à partir de 1960,
académisme mercantile et épate bourgeois. On essaie de faire des ponts entre
les chefs d’œuvres de ce passé et cette nouvelle tradition… Mais c’est de plus
en plus difficile à croire que nous tenons là les fils de la grande tradition.
En conclusion…
Quel espoir contre la pollution artistique ?
Prendre conscience de la pollution communicationnelle même si moins visible
que la communication écologique. Méfions-nous des publicités, des injonctions à communiquer, de la nouveauté pour
la nouveauté. Redialoguons avec le passé avec ce qu’il nous a laissé de
meilleur, brisons l’idole du contemporain, connaissons nous nous même.
Nous redécouvrirons peut être ainsi les sagesses personnelles, les méthodes d’éducations
expérimentées afin de redevenir des personnes libres, prudentes et inventives.
conclusion de Marc Fumaroli |
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La défense du classicisme par Fumaroli me comble toujours, sa défense de la rhétorique nous invite à une réflexion sur la forme de notre communication, de la puissance des mots et des arts et de la merveille de l'homme conscient de ces trésors fragiles qu'est l'homme classique. Rhétorique, le chemin naturel de l'homme sage, rationnel et sensible, pour ne pas dire de l'homme religieux dans son sens le plus large. Un chemin vers la liberté et l'unité.
Sa réintroduction du terme Otium est pour moi une révélation. Cela me permet de mettre un mot sur une passion personnelle et de caractériser aussi l'objectif de ce blog.
Merci Mr Fumaroli.
La défense du classicisme par Fumaroli me comble toujours, sa défense de la rhétorique nous invite à une réflexion sur la forme de notre communication, de la puissance des mots et des arts et de la merveille de l'homme conscient de ces trésors fragiles qu'est l'homme classique. Rhétorique, le chemin naturel de l'homme sage, rationnel et sensible, pour ne pas dire de l'homme religieux dans son sens le plus large. Un chemin vers la liberté et l'unité.
Sa réintroduction du terme Otium est pour moi une révélation. Cela me permet de mettre un mot sur une passion personnelle et de caractériser aussi l'objectif de ce blog.
Merci Mr Fumaroli.
Pour développer la notion d'otium, voici une très bonne fiche de lecture de son dernier livre qui développe cette notion. "Paris-New-York et retour"
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