mercredi 3 avril 2013

René Girard - Ratzinger a raison

J'appris la renonciation de Benoit XVI en commençant à traduire en français cette interview en anglais du Huffington post de René Girard sur l'actualité de Benoit XVI en 2007. Girard montre les ponts entre sa pensée et les actions et les interventions du Pape Benoit.
Cette note sera une manière pour moi alors de rendre hommage à ce Pape que j'ai écouté tant de fois et pour lequel je me suis souvent senti en communion.
(Je pense à lui dans sa retraite et souhaite la bienvenue à François. (et beaucoup de courage....) )

Cette interview est aussi l'occasion d'entendre Girard parler sur certains sujets plus pratiques qu'habituellement et de donner certains avis plus tranchés, tout particulièrement sur le relativisme ambiant.

-----------------------------------


Ratzinger a raison


En échos aux gros titres de ce matin du huffington post dans lequel le pape dit que Dieu va l'emporter contre satan (est ce nouveau?). Jetez un œil à cette conversation avec le célèbre anthropologue et catholique René Girard avouant que la pape a raison de défier la « dictature du relativisme »

RENÉ GIRARD:LE PAPE BENOIT A RAISON DE DÉFIER LA DICTATURE DU RELATIVISME


René Girard, éminent  catholique conservateur et auteur du livre pionnier "La violence et le sacré", est un professeur émérite de Stanford. Parmi ses livres les plus récents on peut trouver « des choses cachées depuis la fondation du monde » ou encore « Je vois Satant tomber comme l'éclair » :

il parle avec l'éditeur de Global view point Nathan Gardels chez lui près du campus la semaine dernière.

Nathan Gardels : Quand le pape Benoit XVI a dénoncé récemment ce qu'il voit comme la dictature du relativisme, particulièrement dans la culture européenne, cela a causé une grande controverse. Le pape a-t-il raison de dire que nous vivons dans une dictature ?

René Girard : Oui, il a raison. Cette formule - la dictature du relativisme- est excellente. Cela fonde un nouveau discours sur la même ligne que Jean Paul II et son rétablissement de « la culture de la vie » face à une « culture de la mort » et permet d'encadrer toute une série de questions de l'avortement, des recherches sur les cellules souches à la peine de mort et à la guerre.
Cela fait d'autant plus sens que cette formule vient d'un homme – l'ancien cardinal Ratzinger- dont la spécialité est le dogme et la théorie.
Le règne du relativisme qui est si frappant aujourd'hui est du, en partie, à la nécessité de notre temps. Les sociétés sont si mélangés avec une telle variété de gens. Vous devez garder un équilibre entre les diverses croyances. Vous ne devez pas prendre parti. Chaque conviction doit être supposée d'égale valeur. Inévitablement, même si vous n'en êtes pas un, vous devez paraître relativiste et agir ainsi.
Le résultat est que nous avons de plus en plus de relativisme et que nous avons de plus en plus de personne qui haïssent toute sorte de foi. C'est particulièrement le cas en université. Et cela nuit à la vie intellectuelle. Car toutes les vérités sont traitées à valeur égale, depuis qu'il a été dit qu'il n'y a pas de vérité objective ; vous êtes alors forcé d'être banal et superficiel. Vous ne pouvez vraiment être engagé dans quoi que ce soit, d'être pour quelque chose- même si ce n'est que pour un moment.
Comme Ratzinger, cependant, je crois à l'engagement. Après tout, nous sommes tous les deux convaincus par l'idée que la responsabilité exige de nous de devoir être engagé sur une position et d'être cohérent.

Gardels: Pendant toute la controverse que les commentaires du pape ont causée, nous étions très proches de la situation de la sortie de l'une des dernières encycliques (la splendeur de la vérité ) de Jean Paul II, celle-ci critiquait la société postmoderne comme devenue indifférente aux valeurs au nom de la tolérance. Il craignait qu'un nouveau nihilisme oriente le monde vers une volonté de puissance semblable aux épisodes du XXème siècle des désastres du nazisme et du communisme.

Girard : Le postmodernisme est dramatique en disant qu'il n'y a pas de valeurs absolues, qu'il n'y a pas de vérité, que le langage ne puisse atteindre la vérité. Comme le pape Jean Paul II dans l'encyclique que vous avez mentionnée, le pape Benoit s'engage dans la bataille en attaquant la vogue du scepticisme dans le monde d'aujourd'hui et particulièrement en Europe. Comme Jean Paul II, il sait de sa propre expérience que sans la religion la société part à la dérive. Et il n'hésite pas à le dire.
J'espère que ce message se propage. Son défi contre le relativisme est important non seulement pour l'Eglise et l'Europe mais aussi pour le monde entier.

Gardels : Même Jean Baudrillard approuva (dans une de nos conversations, il y a 15 ans) que « le monde entier, Chine et Japon inclus, est impliqué dans la fragmentation et le déracinement post moderne abandonnant les valeurs. Il y a une seule exception. L'Islam se lève comme un défi face à l'indifférence radicale qui balaye le monde. »
N'est ce pas vrai que l'Islam demeure la seule civilisation basée sur la foi et est ainsi en lutte avec notre culture séculière postmoderne comme peut l'être aussi Benoit XVI ? Après tout, malgré les efforts déterminés de Jean Paul II, les rédacteurs de la constitution européenne ont rejeté toutes mentions de l'héritage chrétien de l'occident. Tous les états dans le monde islamique mentionne l'Islam comme leur fondation culturelle.

Girard : La civilisation occidentale est, sans aucun doute, principalement du coté du relativisme séculier. Ce n'est pas vrai dans le monde islamique, où la foi domine. La victoire du relativisme est précisément ce pourquoi le pape Benoit a fait de la défense de la vérité chrétienne sa mission centrale.
Disant cela, je dois aussi dire que le sécularisme américain – qui est né de la défense de la liberté de religion- et la laïcité française -qui est née de l'opposition jacobine face à l'église- sont plus proches l'un de l'autre que ce que les gens veulent reconnaître car ils sont expérimentés de la même manière au niveau personnel.
Je craignais qu'après le 11 Septembre, le projet de l'intégration des jeunes musulmans dans la société française allaient se briser. Certains on prédit que le bannissement du foulard pour les jeunes filles dans les écoles publiques françaises causerait des tourments sans fin. Cela n'a pas eu lieu. Les jeunes filles se sont adaptées, s'occupant de leur croyance religieuse de telle manière qu'elles n'entraient pas en conflit avec l'etat. Elles sont vraiment le coeur de l'intégration, trouvant les moyens de vivre dans les deux mondes. En France, et je pense dans les sociétés musulmanes généralement, les femmes sont du coté de l'occident.

Gardels : Ce n'est pas seulement le pape qui n'aime pas le relativisme qu'il voit en Europe, où les églises peuvent être vide et les mosquées remplies. C'est aussi les musulmans radicaux comme le jeune marocain qui a tranché la gorge de Theo Van Gogh au Pays-Bas, probablement la capitale mondiale du relativisme.

Girard : Ce conflit, vous avez raison, est plus sensible en Europe, particulièrement aux Pays-Bas où l'idée postmoderne de l'égalité des cultures a été le plus approfondie en politique. Dieu sait s'ils sont libéraux, ce qui explique pourquoi cette violence n'aurait pas du arriver. Aux Etats-Unis, On n'a pas encore reconnu le mesure de ce qui se passe en France par exemple où un enfant sur trois qui nait est musulman. Au même moment, encore, quant vous voyez ces femmes musulmanes avec leur foulard débattant avec Mme Badinter à la télévision française, leur niveau culturel est élevé. Elles sont brillantes et claires. Je ne renoncerais pas à l'intégration même si la dynamique d'aujourd'hui va dans la direction opposée. Que ferions nous si l'Europe devenait musulmane ?

Gardels: Comme il existe un scission à l’intérieur de l'islam entre tradition et modernité. Est ce que la croisade de Benoit XVI contre le relativisme n'annonce-t-elle pas un scission à l'intérieur de l'occident ? Mais le problème de l'occident n'est plus d’accommoder la foi et la raison. Elle se situe plus dans la lutte contre le matérialisme et l'incroyance en insistant sur les valeurs, comme le pape l'a présenté : au delà « de l’égoïsme et du désir. » Métaphoriquement le combat est entre le pape et Madonna.

Girard:C'est une guerre culturelle. Je suis d'accord. Mais ce n'est pas Ratzinger qui aurait changé et soudainement devenu réactionnaire et conservateur ; c'est la culture séculière qui a dérivé trop loin.
Souvenez-vous, Ratzinger était un supporter du concile Vatican 2 qui a réformée l'Eglise dans les années 60. Il s'est opposé à l'idée que l'Eglise devait se tenir tranquille dans un monde se modernisant. Pour lui, être catholique c'est accepter que l'Eglise a quelque chose à enseigner au monde. Parallèlement  il y a une vérité qui ne change pas, l’Évangile. Aujourd'hui, il réaffirme seulement cette position. Il se tient seulement sur son terrain.

Ratzinger est un conservateur intelligent. Il veut échapper au fondamentalisme de quelques musulmans et chrétiens –ce sont les mêmes-- mais aussi échapper à l'idée que tout ce qui peut être nouveau est forcément meilleur à ce qui est vieux. Il veut résister à la dissolution de l'Eglise quelle que soit la direction où va le monde. En ce sens, je suis pro-Ratzinger.

Gardels : Peu après le 11 Septembre, le premier ministre italien Silvio Berlusconi, un catholique, a été largement condamné pour avoir dit que le christianisme était supérieur à l'islam. Quand Ratzinger a dit, il y a quelques années que le christianisme était une religion supérieure, il a causé une grande controverse. En 1990, dans l'encyclique « Redemptoris Missio », le Pape Jean Paul II disait la même chose. Cela ne devrait pas être une surprise que les croyants présentent leur foi comme la seule vraie. Cela est peut-être la marque de la dominance du relativisme :que sa condamnation par le pape Benoit puisse être controversé.

Girard : Pourquoi seriez-vous chrétien si vous ne croyez pas au Christ ? Paradoxalement  nous sommes devenus si ethnocentriques dans notre relativisme que nous sentons qu'il est seulement bon pour les autres et non pour nous de penser que sa religion est supérieure. Nous sommes les seuls à ne pas avoir de centre. ("We are the only ones with no centrism.")

Gardels:Est ce que le christianisme est supérieur aux autres religions ?

Girard : Oui, tout mon travail fut un effort pour montrer que le christianisme est supérieure et non pas une mythologie supplémentaire. En mythologie, il y a toujours une foule furieuse se mobilisant contre un bouc-émissaire tenu responsable d'une vaste crise : Le sacrifice de la victime coupable à travers la violence collective conclut la crise et atteint un ouvel ordre construit par la divinité.
C'est vrai que la structure des Evangiles est similaire en cela aux mythologies dans laquelle la crise est résolue par la victime unique qui unit tout le monde contre lui et ainsi reconcilliant la communauté. Comme les grecs le pensaient, le choc de la mort de la vicitme entraîne la catharsis qui réconcilie. Elle éteint l'appetit de violence. Pour les grecs, la mort tragique du héros permet au peuple ordinaire de revenir à sa vie pacifique.
Cependant, dans ce cas, la victime est innocente et les persécuteurs sont responsables. La violence collective contre le bouc-émissaire comme acte fondateur sacré est révélée comme un mensonge.Le Christ rachète les persécuteurs en endurant ses souffrances, implorant Dieu de leur « pardonner car ils ne savent pas ce qu'ils font. » Il refuse de supplier Dieu de le venger par la violence réciproque. Au contraire, il présente l'autre joue.
La victoire de la croix est une victoire de l'amour contre le cycle de violence du phénomène victimaire. Elle détruit l'idée que la haine est un devoir sacrée.
Les Évangiles fait tout ce que (l'ancien testament) la bible a fait auparavant, réhabilitant les prophètes persécutés et la victime faussement accusée.Mais ils universalisent sa réhabilitation. Ils montrent que, depuis la fondation du monde, les victimes de Passion-meurtres ont été victimes de la même contagion de la foule comme Jésus. Les Evangiles complètent la révélation car ils donnent à la dénonciation biblique de l’idolâtrie une démonstration concrète de la manière dont les faux dieux et leur systèmes de violence culturelle sont générés. C'est la vérité manquante de la mythologie, la vérité qui subvertit le système violent de ce monde. La révélation de la violence collective comme mensonge est le signe distinctif du Judéo-christianisme. C'est en quoi le judéo-christianisme est unique. Et cette unicité est vraie.

Gardels : Leszek Kołakowski, le philosophe marxiste humaniste qui agé, fit dans un livre nommé « La revanche du sacré », une distinction entre « tolérance pluraliste » -le respect des autres croyances- et la « tolérance indifférente » qui refuse de croire qu'il puisse y avoir une quelconque vérité supérieure. On peut être comme vous et Ratzinger opposé à la notion d'indifférence mais est ce que cela implique une certaine intolérance théocratique ?

Girard: Ce serait insensé. Les chrétiens ne peuvent pas transformer des personnes en bouc-émissaires au nom d'une victime innocente ! Vous n'avez pas à approuver Charlemagne convertissant les saxons par la force ou les croisades afin d'être un bon chrétien. Ratzinger n'est pas pour cela.

Gardels : A l'inverse de ses prédécesseurs, qui étaient perçus comme oecuménique, Benoit est perçu comme un sectaire qui ne tendra pas la main aux autres religions. De telles vues contre le relativisme ne limite-t-il pas l'approche oecuménique ?

Girard : Je n'ai pas trouvé la rencontre d'Assise scandaleuse – quand le pape Jean-Paul II invita les autres leader religieux pour le dialogue et qu'il embrassa le coran- comme d'autres conservateurs le pensèrent.Je ne vois aucune contradiction entre Benoit affirmant fermement ses croyances chrétiennes en présence des autres qui croient aussi fermement en leurs propres croyances. Personne devrait imaginer que l'oecumenisme signifie l'abandon de la croyance de la supériorité de sa foi.

Gardels : Le pape Benoit a aussi critiqué la globalisation, comme propagatrice du relativisme séculaire, il la voit en tant que telle comme une grande menace pour le monde entier. Voyez-vous ce lien ?

Girard : Oui, je le pense aussi. C'est très difficile pour le Christianisme de se défendre lui-même, de résister contre la démagogie déclarant que nous devons allez jusqu'au bout et abandonner la supériorité du Christianisme parce que, après tout, c'est ce que chaque culte dans notre civilisation globale dit à propos de lui-même.
Dans ces temps d'information globale, le Christianisme n'a pas ces protections contre la science que les sociétés archaïques possèdent. Il favorise la vérité, il ouvre la porte à la science, comme Jean-Paul II l'a montré, par exemple, quand il a dit qu'il n'y a pas de problème avec l'évolution si vous la concever dans un contexte chrétien.

Gardels : Une de vos plus fameuses théories est la « rivalité mimétique » - ce ne sont pas les différences qui guident les conflits mais le désir de posséder ce que l'autre possède. La mondialisation, n'est elle pas la « rivalité mimétique » à l'échelle planétaire – pure rivalité compétitive sans intermédiaire au nom de la dignité des personnes conferrés par le Christianisme. Ratzinger n'a t il pas raison de s'inquièter de la mondialisation de ce point de vue ?

Girard : Oui. Nous vivons dans un monde mimétique. Il y a un siècle, toutes ces grandes expositions universelles à Paris ou à Londres anticipaient la mondialisation en envisageant un monde où chaque personne serait l'ami de tout le monde. Aujourd'hui, nous sommes plus réalistes. Nous sommes conscients que la mondialisation ne signifie pas amitié globale mais compétition globale et ainsi donc le conflit. Cela ne veut pas dire que nous allons nous détruire les uns les autres mais ce n'est pas l'heureux village globale non plus.
On peut dire que la globalisation a commencé au XVème siècle quand les portugais ont navigué autour de l'Afrique pour atteindre l'Asie. Mais désormais le processus est accompli tout autour du monde. C'est une conséquence de la civilisation occidentale, et ainsi, c'est bien le Christianisme qui a unifié le monde. Mais si le monde n'est pas unifié dans la plus grande responsabilité d'apporter la paix, elle le met en danger.

Gardels : Comme vous le suggerez dans votre théorie, la dillution des différences ne met pas un terme aux conflits, d'une certaine manière devenir les mêmes intensifie la rivalité. Regardez les récents problèmes en Asie maintenant que la Chine se modernise de la même manière que le Japon.

Girard : Exactement, c'est un peu effrayant et c'es une rivalité dans lequel l'occident n'est pas engagé. De mon point de vue, cela vient de l'auto-affirmation de la Chine. Ce qui est arrivé au Japon est un mystère. L'occident les critiquaient toujours pour avoir été trop compétitif. Maintenant, ils ne veulent plus entrer en compétition. N'y a-t-il pas là une sagesse ?

Gardels: Que pensez vous de la montée de la droite religieuse aux Etats Unis ?

Girard : Ce qu'on voit en Amerique aujourd'hui est plus la montée du parti républicain que celui de la droite religieuse. Je ne pense pas qu'il y ait plus de chrétiens fondamentalistes aujoud'hui qu'il y a trente ans, c'est juste qu'ils se sont politisés. Les républicains se sont concentrés sur les sujets qui les amènent à l'urne. Et c'est un grand changement en effet.
Le problème avec les chrétiens fondamentalistes, mais pas autant qu'avec les musulmans, est leur perception de la violence de Dieu. Ils parlent souvent ces jours ci de l'apocalypse. Et il y a certainement des raisons d'être concerné par la direction où le monde se dirige. Mais la violence ne viendra pas, comme ils le suggèrent, de Dieu. Cela n'est pas crédible. C'est nous les humains qui sommes responsables. C'est, d'une certaine manière, l'un des messages clés des Evangiles.
Tout l'objectif de l'incarnation est de dire que l'humain et le divin sont interdépendants d'une manière qui est propre à la théologie chrétienne et impensable dans les autres religions, et à mon avis absolument supérieur. Que ce soit le cas des musulmans concentré sur le martyr ou des fondamentalistes chrétiens concentrés sur l'apocalypse, cette conception grecque d'un dieu en dehors du monde n'est pas suffisante. C'est vraiment la signification de tout mon travail.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire