mercredi 7 novembre 2012

Hadjadj et la raison - Clownerie, contemplation et corps

Après un premier post sur Fabrice Hadjadj, j'ai écouté cette conférence donné à Rimini à une rencontre de communion et libération. Mouvent catholique et intellectuel, très présent en Italie et à peine connu en France. 
Le thème est "les images de la raison". Il va finalement peu développer le concept d'images qui appelait probablement les notions d’idolâtrie et de rationalisme. Mais son développement sur l'enfant, le clown, le rationalisme athée, le cri et la raison du corps sont originaux, vivifiants et très lumineux. A la fin son appel à la raison comme contemplation des visages et à la croissance de la raison comme étonnement à ce qui est est plus que convainquant et rejoint l'otium de Fumaroli. 

Donc.. Raison qui nous rend clown, qui est plus proche de la contemplation et de l'étonnement que de l'opération ou d'un quelconque travail d'adaptation au combat de la vie. Cri de l'injustice, signal majeur de la raison connaissant sa source bonne. Raison à retrouver dans l'unité de notre corps et de notre âme. Sexualité, exemple du lieu de cette unité.



Intro
Le titre de la conférence "image de la raison", montre  que la raison ne se connait pas tout de suite elle-même.   nous sommes des êtres de sens, de perception. Nous faisons l'expérience par notre sensibilité que notre raison se connait elle-même, C'est une connaissance lente et difficile.  C'est donc par des images et non des concepts que nous allons approcher d'elle.

Qu'est ce que l'on connaît avec la raison et l’intelligence humaine, quel est son objet formel ? Nous devenons bête face à cette question. Cette bêtise est le signe de notre raison. Si nous étions des animaux, nous réagirions automatiquement et aboierions la bonne réponse sans penser. (Aristote, "je suis un animal doué de raison.) L'animal agit par instinct, nous, nous devons raisonner, poser des questions, trouver des maîtres, nous tromper....

La raison est ce qui vous distingue et pourtant nous ne savons pas ce que l’on connait par la raison… Le fonctionnement des choses à produire des machines ? Cela est l'image de notre époque : Pouvoir technique, comment cela marche pour créer des trucs qui marchent. Par exemple l’éducation affective, c’est le préservatif.
Pour contrer cette image, il faut reconnaître que ce que connait la raison c’est "pourquoi cela ne marche pas." Le tragique des choses. Le rire (comme la tristesse) sont le signe de la raison. Quand elle saisit le comique de l’existence, quand face à ce qui dépasse, elle va plus loin que réduire ce qui marche à des mécanismes.
Bref la raison nous fait entrer dans un drame, de prendre conscience de celui-ci. Comme le tigre est splendide, nous, nous sommes maladroits, cette maladresse est le signe de notre raison. De ce fait, la raison  est plus la capacité du clown que celui de l'ingénieur. 

I Première image, le visage de l'enfant signe de l'étonnement et de la contemplation
La raison est ce qui rend la vie plus étonnante et étonnée. Pour Hadjadj, la première image de la raison est le visage de sa petite dernière quand sa raison s'éveille et se déclare. Pourquoi le cerveau, les religieuses, pourquoi le bébé dans le ventre, pourquoi la mort. Le petit enfant pense que les parents sont capables de répondre. Mais les parents sont  préoccupés par la raison sociale et utilitaire… Ils ont cessé de se questionner, perdus leur élan contemplatif. 

Quand les enfants posent leur questions, les parents voient leurs édifices se fissurer. Joie et angoisse de voir que l’enfantillage soit plus profond que leur activité de grandes personnes affairées. L'enfance peut être la rationalité à l’état pure, cherchant sens de toutes choses, cherchant les causes premières. Image de la  rationalité joyeuse de l’intelligence. Ce n‘est pas de l’absence de solution que le monde meurt mais de désir  de solution finale. Le totalitarisme est l'effort plein de bonnes attentions pour régler les problèmes humains, élimine ce qui fait drame et reste immaîtrisable, on élimine l’inefficacité et représente le surnaturel dans l’histoire, nous croulons sous  des solutions en tous genres. 
Pour sortir de la crise, on ne parle que de redoublement d’efficience et donc de redoubler l’exclusion de ce  qui est faible et fait primer l'avoir sur l’être. On pense alors que cette efficience est rationalité. Alors que la raison est d’abord sabbatique. Elle s’exerce le jour du repos, elle est "receptabilité" active et gratitude devant le fait de l’existence. Avant d’agir, elle contemple. Nous faisons toujours l’inverse. Dieu plante des arbres dans l’Eden, leurs fruits sont beaux et bon à manger. Lorsque la femme tend la main vers le fuit, elle dit qu’il était bon et beau. Elle mange avant de voir. Tout est inversé, on agit avant de contempler, l’efficacité précède la réceptivité, la volonté de puissance l’emporte sur le sens de gratitude.  Mais qu’est qu’une action qui n’a pas connu la grâce d’exister ? Une action qui se fait complice du néant. Qu’est ce qu’une action qui n’a pas reconnu l’ordre objectif du bien ? Ne donnons pas seulement ce dont l’autre a besoin, mais reconnaissons que l’autre est une merveille. 

Nos actions souvent favorisent le désordre malgré les bonnes intentions, on reste obsédé par la maladie et nous oublions le visage. Aider avant d’avoir admiré, c’est tomber devant une aide narcissique  et perd la finalité originelle. Nous n’avons pas besoin de solutions expéditives mais de poser les bonnes questions, de poser des yeux contemplatifs avant de jeter des mains prédatrices. 

Aristote a dit : le commencement de la spéculation se trouve dans un émerveillement enfantin. Comme devant un spectacle de marionnette. Toute les sciences commencent par l’émerveillement que les choses sont ce qu’elles sont, telles les marionnettes qui se meuvent d’elle même au regard de ceux qui n’ont pas évalué les causes. La raison s’étonne devant Polichinelle et cherche la main invisible qui l’anime. Il faut remarquer, l’émerveillement n’est pas quelque chose d’exceptionnelle que les choses sont telles qu’elles sont.  On s’étonne d’un gros nez ou d’un nez unique, mais la raison dans sa fraicheur s’étonne que les hommes aient un nez. (Chesterton) Après pourquoi ce nez ? Il faut  revenir vers la physiologie, l’esthétique, puis remonter vers la cause première, le nez vient d’une liberté divine, de la très haute fantaisie du créateur, chaque nez devient improbable comme un nez de clown, chaque nez a été fait pour la joie et par la joie.

II La raison athée, image trompeuse de la raison
Pour la raison athée, la ligne de partage entre la foi et la raison correspond a celle qui sépare le théisme et l’athéisme. On retrouve l’idée que la raison est démystificatrice et centrée sur elle-même car existence de Dieu est irrationnelle et hors de l’intelligence la foi devient opinion privée.
C'est une contradiction et un mépris de la raison .

1 En abandonnant le religieux vers l’irrationnel, elle favorise le fondamentalisme, car champs religieux n’est plus susceptible de la recherche rationnelle, elle se fait complice du fidéisme délirant. Rationalité reste dans l’étroite cloison de l’athéisme, et quitte le questionnement sur Dieu.

2 elle la méprise car face au mystère du mal, cette image de la raison perd confiance en la raison ou la piège et démolit son dynamisme. Croire en la raison pour atteindre le réel, suppose de croire qu’elle est bonne dans sa source, bonne à la base, qu’elle n’est pas le produit du hasard ou d’une adaptation pratique. Comme pour le darwinisme, la rationalité ne peut être qu'une adaptation pour une lutte de la vie. La raison n’est plus ouverte sur les choses elle-même mais un moyen de les connaitre pour nos moyens matériels, donc enfermé dans le monde subjectif de la survie individuelle, elle n'est plus contemplative mais opérative et technicienne. Si on ne croit pas en une providence, difficile de croire à la bonté de la raison humaine, bricolage à dépasser par neuro sciences etc… La raison est donnée par la nature, quand puissance de calcul devient vite dépassé par les machines, on lui préfère une machine plus performante. Mais on se trompe sur la nature de la raison. 


Comment se fait il que le monde soit intelligible ?
Remarque d’une collègue communiste mais logique. Je lui disais que l’intelligence pouvait connaitre le réel, sinon intelligence n’est pas, elle disait qu'on ne pouvait élucider la nature de la relation entre la raison et les choses, on ne peut pas dire si elle connait les choses en elle-même. Alors, si l’intelligence peut vraiment connaitre le réel, il faudrait affirmer l’existence de Dieu. C‘est à dire d’un esprit qui aurait coordonner notre intelligence et les choses. Alors, si l’intelligence connait le réel, la connaissance est toujours un évènement.  Car la moindre connaissance suppose la fraternité entre ma raison et les choses, cela nécessite une coordination externe. Cela a été vu par François d’assise. Einstein a dit que ce qui est vraiment mystérieux, ce n’est pas que le monde soit inintelligible, c’est qu’il le soit qui l’est. La lisibilité du poème du monde (physicien) nous laisse entrevoir le poème invisible. La raison est résonance avant d’être raisonnement, capacité d’accueillir dans mon être, d’autres êtres sans les déformer, ni les absorber. 

Accueillir la couleur, les effets des êtres, mais leurs êtres même, leur saveur profonde. Dès que le savoir perd le sens de la saveur, il se détache de la vie et voudra la réduire à des abstractions creuses et tronquées. 
L’élan de la raison qui découvre cette résonance la conduit à chercher la vérité non seulement dans la démonstration mais aussi le témoignage.

III Raison comme cri face au mal

Raison est un cri. La raison est le principe de notre cri devant l’injustice et qui réclame la justice. Notre raison se heurte au mystère de mal ; Prétendre le comprendre à partir de la rationalité humaine est scandaleux. En ayant parlé après l'harmonie et l'émerveillement, n’est ce pas scandaleux aussi ?
Au contraire, les horreurs ne sont si horribles que sur le fond de cette harmonie brisée si nous n’avons pas vu la beauté du monde, les horreurs n’apparaissent pas aussi horribles. Si nous n’avons pas vu les joies de la vie, la mort et l’injustice ne nous apparaît pas si horrible. Le mal présuppose la splendeur de l’être. Mais nous n’y comprenons rien. Cette détresse pousse la raison à ouvrir un chemin au cri de la détresse, à l’appel d’un sauveur, à passer sans cesse de la gratitude à la supplication.


IV raison et corps humain

Une image de la raison donnée par notre temps est la capacité spirituelle indépendante et indifférente au corps sexué. Un tel spiritualisme est très présent aujourd'hui, par exemple dans le consumérisme et le gender. Le corps se réduirait au biologique, le sexe étant une détermination matérielle. Chacun par ce qu’il serait une raison spirituelle et une conscience libre, chacun peut modifier le matériel du corps à sa guise.
Ainsi, notre société n’est pas matérialiste mais plutôt spiritualiste, mais un spiritualisme avorté, qui ne s’ouvre pas au véritable esprit. Sous des dehors d’hyper sexualisation, c’est une société de haine du corps tel qu'il peut être donné par la nature. Les mots nous trompent. Le sexe est devenu la négation de la sexualité ; Et ce qui est montré comme sa répression, comme l’affirmation la plus haute de ce qu’est la sexualité. (il cite son dernier livre, "la profondeur des sexes") Eglise contre le sexe ? Non pour a fond, experte même. Libération sexuelle est pour ? Non contre ! La preuve, le mot paradigmatique de l’accomplissement sexuel est le mot préservation, accomplissement, dans le latex, l’industrie, l’inquiétude d’avoir un enfant… La rencontre sexuelle d’un homme et d’une femme, qui devrait être une plénitude de l’offrande pour que la semence puisse semer, devient une rencontre embarrassante. Date ? Pilule ? Hostie du préservatif. Comment ne pas voir que c’est haïr le sexe dans sa sexuation, dans sa fécondité, dans son union et sa communion. Pasolini, avait aperçu cela. Après « trilogie de la vie », il crut à la libération sexuelle, mais dans Salo, la libération sexuelle se découvre fasciste et consumériste. Libéralisation  du divorce, de l'avortement et de l'industrie pharmaceutique. Pasolini a compris que c’était réduire la sexualité à un acte de consommation. La chaire n’est plus vu dans son ordre, sa beauté, sa bonté providentielle. Elle devient comme un matériel qu’il faut manipuler à sa guise selon ses caprices. La société n'est pas matérialiste  Pour l’être il faut croire en Dieu, qui a créé la matière, en son ordre, notre corps a quelque chose à dire, que notre corps et chaire  est aussi spirituel que notre esprit car tous deux viennent du même esprit créateur, mon corps est comme l’ânesse de Balam.
Balam sur son chemin va pour maudire Israel, son ânesse voit un ange exterminateur sur le chemin et ne veut plus avancer. Il la frappe à mort et soudain une voix lui dit ce que l’ânesse a vu et qu'elle a résisté pour lui. Notre corps est un guide spirituel. Si nous nous opposons aux déterminations de notre corps, nous devenons schizophrène, dualiste et suicidaire. La raison est toujours incarnée, charnelle. Elle se manifeste dans la gloire du corps. (Titien, Veronese) ou dans la charité incarnée de Mere theresa plus que dans un dossier administratif.

Conclusion

La raison est d’abord contemplative plutôt qu'opérative. Elle s’accomplit mieux dans la défaillance de la louange que dans la maîtrise trop sure d’elle-même car la raison est là pour rayonner dans un corps agissant par amour.
On peut faire le lien avec le mot grec Logos, parole et pensée. Or logos est le nom propre d’un personne divine, le fils. Il est le logos fait chaire. Ce que dit le catholicisme c'est que la raison par excellence est filiale et va à l’écoute d’un père et se manifeste d’abord dans le visage du crucifié ressuscité. Pour le chrétien, la raison n’est pas abstraite et idéologique, elle est toujours personnelle et désigne de la personne non ce qui la dissout dans un système mais ce qui l’ouvre à  la communion avec les choses et les autres.
La raison est connaissance et affirmation d’une loi mais Moïse en redescendant du Sinai avait un visage rayonnant. La vérité se manifestait dans sa vie et s’accomplissait dans un amour. Dante : "Amour qui résonne dan mon esprit..." (il convivio) chant repris par Casella à l’entrée du purgatoire. La purification de toutes les images de la raison implique de prendre conscience de cette rationalité amoureuse.
L’image la plus pure de la raison n'est pas dans la théorie ou discussion sans fin ou la maîtrise des forces de la nature. C’est toujours un visage que l’amour fait rayonner.


Merci Mr Hadjadj.

A propos de visage à faire rayonner, difficile de ne pas penser à l'ouverte de la flute enchantée de Mozart tournée par Bergman. Le visage de sa fille puis le visage des hommes du monde entier. A contempler, mais nous manquons de temps malheureusement à mesure que le rythme s'accélère.

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