mardi 13 novembre 2012

Rohmer, Truffaut, Chesterton et Les femmes

Je vous propose aujourd'hui deux extraits de film. Je crois qu'ils s'approchent tous les deux avec honnêteté et   fragilité sur le questionnement masculin à propos de la femme. Ils sont incroyablement proches par la nature de leur réflexion et incroyablement éloignés par la réponse du héros et probablement du réalisateur. Ici, Rohmer et Truffaut ne s'amusent pas seulement avec deux subjectivités nous sentons un engagement sur cette question si tendre qui englobe la beauté, le mariage, la fidélité et la différence sexuelle.

Le premier est un extrait du film de "L'homme qui aimait les femmes" de François Truffaut 1977

Le héros médite sur l'indispensabilité de la présence des femmes près de lui. Au moins de leur vision. Justement,  nous les observons avec lui. Nous partageons son émerveillement, sa contemplation. ("rien n'est plus beau...") Il parle de notre désir de les connaitre toutes et même de les posséder toutes. Et puis, ne veulent elles pas la même chose que nous ? L'amour ! Mais de toutes les sortes, dit il. Eh, oui, nous ne sommes jamais d'accord sur ce mot, tout en concevant sa prédominance... 
"Tout le monde veut l'amour, toutes sortes d'amour, l'amour physique et l'amour sentimental ou même simplement la tendresse désintéressée de quelqu'un qui a choisi quelqu'un d'autre pour la vie et ne regarde plus personne.
Je n'en suis pas là, moi !
Je regarde tout le monde..."
Ensuite, le héros se plaint de la trêve hivernale où les robes disparaissent.
Il médite encore sur l'importance des femmes en comparant leurs jambes filant dans le monde entier aux compas créant l'harmonie du monde. Il termine en magnifiant les femmes inconnues car.... elles sont inconnues...

Ensuite, voici un extrait du film de 1972, L'amour l'après midi de Eric Rohmer. 
Il n'existe aucune confirmation, mais je ne serais pas étonné de savoir que ce film a influencé le premier...




Notre héros commence à parler livre, lecture, il se rend compte qu'il a besoin d'une présence pour lire chez lui. (comparaison entre le livre et la femme, véritable rivalité ???) il commence alors à se poser la question, pourquoi elle ? Pourquoi ma femme ? Et pas une autre beauté ? Qu'est ce qui l'a dirigé vers elle. Après son mariage, il a commencé à trouver toutes les femmes belles. Chacune a son propre mystère. Nous sommes curieux de la vie de chacune que nous croisons.
Nous comprenons que cet homme vit une crise lancinante et discrète. Il n'a aucune envie de faire la coure aux filles mais "le mariage l'ennuie", il a envie de s'évader, la perspective du temps long l'assombrit.
Il voudrait une vie qu'avec des premiers amours qui ne seraient que durables.... impossibilité...

Face à la foule parisienne, il pense au monde des possibles, à ces femmes qu'il ne reverra plus, son regard posé sur elle qui comme un miroir les conforte et dont un accord tacite de leur part accorde cette discrète admiration.
Mais il ne s'éloigne pas de sa femme. "Ces beautés sont le prolongement de la beauté de sa femme, elle l'enrichissent tout en recevant un peu de la sienne. Leur beauté est le garant de la beauté du monde. En étreignant Hélène, j'étreint toutes les femmes du monde.
MAIS d'autres vie que la mienne se déroule parallèlement  Quelle frustration d'être éloignée de ces vies, de ne pas avoir retenu chacune de ces femmes dans leur marche précipitée et je rêve que je les possède toutes effectivement."

A la fin de cet extrait, nous pouvons voir la rêverie de notre héros. Il rêve de la possibilité d'un monde où toutes les femmes succomberaient à ses avances. (sauf, si....) Alors que nous empêcherait il de tout goûter ? Il est amusant de voir que dans ces rêveries, toutes les femmes ont participé à un opus de la série des contes moraux dont le présent film est le dernier. Une manière notamment de filer la réflexion sur les relations hommes femmes au coeur de cette série de films.

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Beaucoup de points communs. Deux hommes méditant sur la foule de femmes surgissant devant eux. Leur désir fou de s'intéresser à chacune d'entre elles, de les regarder, de les contempler, de participer à leur vie, de les retenir, de communier avec elle, de les posséder. Oui. Si la rêverie de Rohmer montre le caractère absurde de ce désir de globalité (ainsi que le rôle de la fidélité dans la séduction), les deux extraits touchent incroyablement juste sur la passion masculine des femmes. Que vous êtes belles, je ne peux vivre sans vous et il faudrait s'arrêter devant chacune de vous et vous admirer et combien il me tarde de vivre et d'aimer parfaitement chacune de vous.
"Leur beauté est le garant de la beauté du monde"
"Les jambes de femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens lui donnant son équilibre et son harmonie."
Ces deux phrases veulent dire la même chose. Femmes, je ne suis rien sans vous. Par votre beauté, vous êtes le vecteur du sens de ce monde. Vous êtes le signe de la transcendance.

Mais les deux extraits s'écartent ensuite mais se pose la même question. Comment goûter ce fruit ?

Truffaut semble répondre, goûtez les tous. Les grandes tiges comme les petites pommes. Elle veulent être adorées et dévorées. L'amour durable tendre et fidèle ? Il me fermerait de la vue des autres femmes....

Rohmer semble dire : C'est surtout marié que nous regardons toutes les femmes. Si cet extrait qui est l'introduction du film plante le sujet de l'ennui du mariage, des tentations des horizons innombrables, il donne aussi la réponse dans cette même introduction qui prend un tour contradictoire.
En étreignant ma femme, j'étreins toutes les femmes. En connaissant (bibliquement aussi...) ma femme et l'aimant, je participe à la communion à la beauté dont l'ensemble des femmes forment le portrait.
Regarder les femmes est un exercice bon et louable si l'on est marié (cela permet de mieux aimer sa femme) et si l'on ne l'est pas, il aiguise notre appétit pour aimer la femme que nous aurons élu et peu importe au final pourquoi nous l'aurons élu finalement puisque nous saurons goûter sa beauté et son humeur.
Il rejoint ici le discours de Hadjadj sur la raison. Le péché originel tel qu'il fut représenté chez Eve fut d'avoir goûter avant de contempler. il y a donc des regards qui goûtent avant d'admirer. Savoir voir la source avant de goûter le fruit. Source probablement d'une chasteté bien comprise et bonne. (Importance de la silhouette et du visage chez Rohmer, Truffaut s'arrêtant plus sur les détails. A noter l'importance "fétichiste" des jambes des femmes pour Truffaut, en y repensant on pourrait faire un catalogue infini de jambes de femmes dans ses films.)
Que faire alors de cette frustration de ne pouvoir toutes les embrasser ?
Comme Rohmer en se moquant de nos désirs de puissance...
Ou encore méditer l’élection de Dieu de son peuple, son amour pour celui-ci qui conduit enfin à la rentré de toute l'humanité dans cette élection. Méditer l'amour de Dieu, dans le cantique des cantiques, Méditer sa fidélité. Comprendre en quoi cette vertue est ce qui rend toute histoire une histoire sainte....



Pour la fin, quelques citations de Chesterton. Il résume tout cela très bien.



 Tous les adorateurs de la volonté, de Nietzsche à M. Davidson, sont totalement dépourvus de volition. Ils ne peuvent vouloir, ils peuvent tout juste désirer. Et si l’on en veut une preuve, il est facile de la trouver. Elle se trouve notamment dans ce fait qu’ils parlent sans cesse de la volonté comme d’une expansion et d’une évasion. Or c’est tout le contraire. Tout acte de volonté est un acte d’autolimitation. Désirer l’action, c’est désirer la limitation. En ce sens, tout acte est un acte d’auto-abnégation. Dès qu’on choisit quelque chose, on rejette tout le reste. L’objection que des hommes de cet école avaient l’habitude de faire à l’acte de mariage est en réalité une objection à tous les actes. Tout acte est une sélection et une exclusion irrévocables. De même qu’en épousant une femme, on renonce à toutes les autres, de même en s’engageant dans la voie d’une action, on renonce à toutes les autres. Orthodoxie P64, ed. Climat

 Etre fidèle à une femme est un faible prix à payer pour le prodige de voir une femme. Me plaindre de ne pouvoir me marier qu’une fois  revenait à me plaindre de n’être né qu’une fois. C’était disproportionné avec l’effarante exaltation qu’on éprouvait à en parler. Cela témoignait non pas d’une sensibilité exagérée, mais d’une curieuse insensibilité envers le sexe. Un homme n’est qu’un idiot de ne pouvoir accéder à l’Eden par cinq portes à la fois. On est polygame faute d’épanouissement sexuel : C’est comme si l’on cueillait cinq poires par inadvertance. P92Orthodoxie ed. Climat
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Souvent femme varie et c'est là une de ses grandes qualités. Cela évite à l'homme d'avoir recours à la polygamie. Tant que vous aurez une femme, vous serez sûrs d'avoir tout un harem. - Gilbert Keith Chesterton

Quelques photos mais il y en aurait tant à mettre....












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