mardi 25 septembre 2012

Carrère et Tolstoï, jugement de l'homme et miséricorde

Hasard des lectures.


En un court laps de temps, deux livres m'ont été conseillés par deux personnes différentes. Je les ai lus l'un  à la suite de l'autre et l'ensemble des points communs ne cesse de m'étonner. Comme si c'était un dialogue à travers le temps que le hasard me proposait.
Ces deux livres sont La mort d'Ivan Ilitch de Tolstoï (voir tout en bas pour le résumé par chapitre...) et D'autres vies que la mienne d'Emmanuel Carrère.


A priori, c'est très différent. D'un coté, nous avons un poids lourd adoré par une grande partie de l'humanité, une "star" qui écrit là une nouvelle sur la mort d'un fonctionnaire vaniteux. De l'autre coté, un écrivain français (avec des origines russes...) habitué aux romans glauques et qui écrivit en 2009, le récit de deux deuils apparus près de lui en peu de temps. il explique comment les familles ont vécus ces expériences et comment cela a changé sa propre vie.


Alors quels points communs ? Les deux livres s'attachent aux petits détails de la vie intime. Le point de vue d'un petit point sur le monde entier, la relation entre sa vie et ses proches. Nous nous retrouvons près du monde de la justice. Ce n'est pas le même pays, ni les mêmes tribunaux mais cela à son importance. (Plus chez Carrère of course.)
Et puis bien sur, les deux livres parlent de la conscience de la mort apparaissant dans ces deux univers.


Alors Tolstoï et Carrère même combat ? Même vertige de l'homme face à l'inéluctabilité de la mort ramenant tout à la réalité-des-vraies-choses-de-la-vie-et-de-la-mort-et-des-familles-et-de-la-vanité-du-monde.......................................................... ?

Oui et non.

Je résumerai ainsi.
L'un prend le parti du procureur, le second, le parti de l'avocat de la défense


Juge, oui, car Tolstoï juge son héros. Il crée un prototype pour l'analyser en entomologiste et pour mieux le tuer. Oui, nous ne croyons pas une seconde à Ivan Ilitch. Il est tellement évident que Tolstoï a pris tout ce qu'il déteste dans la société russe de son époque (fin XIXème). Le fonctionnaire parasite à esprit bourgeois, privilégié indu, arrogant, narcissique, méprisant, artificiel, compliqué et conformiste. Mais surtout il maîtrise la correction. Art de la pudeur et de la morgue bourgeoise qui vous établit homme de qualité.
Il a des malheurs cet homme-là, mais les malheurs d'un égoïste et d'un juge seulement mu par la vanité et cette fameuse correction. 
Et puis, il tombe malade, est ce du à ce petit choc reçu un jour ? Quoi qu'il en soit sa vie ne sera plus qu'un long chemin vers la souffrance, la mort et la torture des questionnement métaphysique qu'il n'avait jamais eu auparavant. Il ne trouvera de consolation nulle part, amis, femmes, enfants, aucune relation véritable. Un simple serviteur par son attention et le soin physique. Il mourra dans d'atroces souffrances et comme nous le dit le premier chapitre, il sera vite oublié... Mais, Tolstoï lui laisse tout de même une chance à la toute fin...
Oui, Tolstoï créa, Tolstoï jugea, Tolstoï condamna. Je pense à cette citation de Hébreux 10, 30 :
Car nous connaissons celui qui a dit :C'est à moi de faire justice,c'est moi qui rendrai à chacun ce qui lui revient ;et encore : Le Seigneur jugera son peuple. Il est redoutable de tomber entre les mains du Dieu vivant !
Carrère, lui, raconte des évènements qui sont arrivés à ses proches. Il témoigne, il rassemble de l'information, il répond à une commande plus ou moins explicite.
De quoi témoigne-t-il ? D'abord de faits. Du tsunami de 2005 dans l'océan indien, et plus principalement au Sri Lanka où il passe ses vacances. Il assiste au chaos sur place et au drame d'une famille ayant perdu son enfant.
Peu après il perd sa belle-soeur. Jeune femme, juge au tribunal d'instances de Vienne, déjà handicapée des jambes, mère de trois enfants. Nous recueillerons son histoire de juge courageuse (défendant au mieux les ménages surendettés et perdus.) Le premier mot qui me vient en pensant à ce livre est indulgence. La délicatesse de l'auteur vis à vis des personnes, des situations, de leur récit est incroyable et de tout instant sans artificialité. Non, ce n'est pas un livre mièvre, c'est un livre d'un auteur qui pense avoir fait des progrès sur la compréhension de l'amour humain et qui le met en oeuvre dans son livre et l'applique au moment où les plus fortes détonations émotives sont en place, la proximité de sa propre mort ou celle de proches. Que découvre t il sur l'amour ? Indulgence donc, fidélité, attention, simplicité. Comment vous jugerez le monde, ainsi vous serez jugé. Miséricorde, émotion et beauté des vies que l'on ne voit pas, qui ne se signalent pas. L'amour est discret.  C'est un vrai remix de l'ode à l'amour de Saint Paul aux Corinthiens appliquée à la vie. De même, ce livre, en plus de révéler l'amour dont il est témoin, n'est il pas une déclaration d'amour à sa propre femme ? Sur ces trois cents pages, nous entendons plus ou moins explicitement Carrère dire à sa femme : "Je t'aime, je veux t'aimer, je veux vieillir avec toi, tu donnes sens à ma vie, je suis bizarre, mais avec toi, je commence à comprendre ce qu'est l'amour."
Ce livre est une déclaration d'amour aux vertus humaines pour ensuite, par un questionnement de la mort et du deuil, descendre au sens ultime de l'amour de l'être élu.

Est ce chrétien ? Oui, si on considère que l'auteur descend dans la réalité de son livre, il vient incarner les risques des personnages. Son regard sur les hommes les sauve. Voir l'amour comme sens ultime, le sacrifice de soi (et non des autres) comme objectif de vie. La mort et le péché sont liés. (Page étonnantes de méditations sur le cancer.)
Je mettrai un bémol dans le sens où une grande tristesse résonne. La mort est vécue avec la noblesse des anciens mais non avec le Christ. C'est la photographie de la noblesse ultime de notre temps. Elle n'est pas  à mépriser (et dans bien des mesures, ne faut il pas s'en inspirer?).

alors que Tolstoï pense nous dire tout de ce que fut cet homme, Carrère écrit :
Et encore, on ne sait pas ce qui se passe à la dernière minute, il doit y avoir des vies dont l’apparente déroute est trompeuse parce qu’elles se sont retournées in extremis ou que quelque chose d’invisible en elle nous a échappé. Il doit y avoir des vies en apparence réussies qui sont des enfers et peut être, si horrible qu’il soit de le penser, des enfers jusqu’au bout.
Nous ne savons jamais tout d'un homme.
Quand Tolstoï semble nous dire qu'il est content d'être loin de cette homme vain et vulgaire, Carrère écrit :

Ah, et puis : Je préfère ce qui me rapproche des autres hommes à ce qui m’en distingue. Cela aussi est nouveau.
Ou bien la différence entre le pharisien qui condamne et prouve son orgueil, sa colère de ne pas être Dieu condamnant, l'autre nous dit : "qui suis je pour juger?", et rend grâce pour la vie des autres hommes et pour l'existence de la femme qu'il aime....

Le hasard de la lecture concomitante de ces deux livres m'ont peut être aidé à comprendre la différence entre un pharisien et un coeur de pierre brisé.

Ou bien, ne voit on pas là deux aspects de la divinité ? L'esprit consolateur et l'esprit de vérité qui plonge l'humain dans sa vanité pour mieux l'en détourner ? C'est possible....


NB: J'espère que le lecteur comprendra que je ne voue pas Tolstoï aux gémonies, ni ne pense que Carrère soit le génie de la littérature des temps nouveaux. Je souhaitais mettre en valeur une découverte que le hasard  des lectures m'a prêtée.

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Résumé de la mort d'Ivan Ilitch
1) Réaction sans pathos (et presque indifférence) des amis et de la femme à la mort d’Ivan illitch
2) Résumé de la vie jusqu'à 30ans, vie de fonctionnaire bourgeois vain
3) Petit problème mais toujours croissance de la richesse et de la mondanité. correct
4) Maladie, aigreur, début de lucidité et de tristesse
5) Prise de conscience de la mort et de la vanité de ses proches
6) La douleur et la mort est omniprésente. Comment est ce possible alors qu’il est, qu’il a aimé la vie, et été sensible ??? La mort, ce n’est pas pour lui.
7) Il se meurt et il sent qu’il dérange. Il trouve réconfort auprès de Guerassime qui l’aide. Il trouve en lui ce qu’il a perdu dans sa famille. Pitié, vérité, simplicité et charité. La correction tant recherché n’amène qu’au mensonge et à la dureté de cœur.
8) Déchéance, tristesse, corps tombe, famille va au théatre, honte et mensonge partout.
9) Seul, il médite sur sa vie. Il en vient même à prier Dieu. Il veut vivre comme avant. Mais avant c’était vil malgré quelques moments de joie… N’a-t-il pas mal vécu ? questionne t il ? Non, ce n’était pas possible, il était la correction même…
10) Il médite sur la mort et de la solitude, la vie est un enchainement de souffrance grandissant. Nous tombons sans vraiment savoir quand sera le choc ? Est-ce parce que je n’ai pas vécu comme il le fallait ? Non, ce n’est pas possible…
11) Non, réflexion faite, il n’a pas vécu comme il le fallait. Toute sa vie n’est que mensonge, il voudrait pourtant vivre, tout lui devient insupportable
12) Il crie, il geint, la mort lui est insupportable, la possibilité du pardon (envers son fils) lui donne un début de béatitude et le dernier mot laisse place au mystère.

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