vendredi 14 septembre 2012

De Rohmer à Guilluy - Une géographie de la France

Si vous le permettez, passons un peu de temps avec Eric Rohmer.
Il y a des bonnes raisons de le mettre à distance, de le trouver étrange. Je crois que regarder du Rohmer demande une certaine conversion. Il nous invite à découvre une nouvelle voie méconnue du réel. Convertir notre regard et voir en quoi il propose un réel plus réel que notre propre regard quotidien.
On peut trouver artificiel son art du dialogue, mais n'est pas nous qui le sommes dans notre propre art quotidien du dialogue?
Quoi qu'il en soit, son oeuvre est d'une richesse folle. Entré dans son jeu, ses films sont pour moi maintenant des merveilles d'humour, de poésie et de recherche de réalité.


Commençons avec la vidéo ci-dessous.

Mapping Rohmer from Richard Misek on Vimeo.





Je crois que c'est une bonne introduction à son cinéma. Se basant moins sur les intrigues, ce documentaire anglais d'une vingtaine de minutes, montre surtout un ensemble de plans variés anodins. Les gens marchent, réalisent leur parcours quotidien, partent en vacances, prennent un café, rencontrent par hasard des gens ou se retrouvent en rendez vous. L'auteur montre avec beaucoup d'élégance le plaisir de Rohmer à toucher cette réalité des gens. Il montre la cartographie Rohmerienne. Paris, un peu de province, la banlieue, les héros à travers le temps. Il développe la thèse que tous les films de Rohmer n'en font qu'un et où chaque personne représente un thème, une variation sur un thème plus globale qui serait la cartogaphie de la France à travers le temps, sa géographie. Cartographie ayant pour ambition la compréhension de l'homme et de la réalité. Je trouve cela très juste.


Surtout, ce documentaire m'a permis de mettre deux choses en exergue qui ne sont pas fondamentalement ce qui retient l'attention dans son cinéma.


Le gout du témoignage


Rohmer comprend le cinéma comme la possibilité de transmettre des informations sur l'histoire de la vie quotidienne des gens. Je me souviens d'un documentaire sur un bonus d'un DVD (le signe du lion) où Rohmer faisait l'éloge du cinéma des frères Lumière pour le don qu'il nous faisait de rendre proche nos aïeux de cette époque et nous aider à comprendre leur vie en voyant leur visage, leur maintien, leurs habits, leur mouvements. tout le cinéma de Rohmer est englobé dans cette perspective. la part qu'il laisse aux décors, à la vie qui se laisse vivre autour des personnages principaux est souvent magnifique et rend ces films encore plus agréables


Il témoigne enfin de l'histoire des relations. Car Rohmer a un talent fou pour montrer et faire saillir les points principaux d'une génération. Les années 50 (le signe du Lion), les années 60 (La collectionneuse, Ma nuit chez Maud), les années 70 (le genou de Claire, l'amour l'après-midi), les années 80 (tous le films de la série Comédies et proverbes), les années 90 (les contes des quatres saisons). A chaque fois, je suis impressionné par la capacité du cinéaste à résumer une génération.
On peut voir certaines faiblesses à partir des années 90, un décalage plus fort entre la représentation de Rohmer et le comportement de la génération en question. Je crois que Rohmer a été bien embêté face à la non expressivité de la toute nouvelle génération, sa limitation culturelle, ses loisirs et ses moyens d'expression (ou plus prosaïquement, qu'il ne les comprenait pas...) . Ce n'est donc pas pour moi un hasard qu'il s'est réfugié dans ses derniers films dans l'histoire de France (l'Anglaise et le Duc, triple agent) et les vieux romans champêtres français (Les amours d'Astrée et Céladon) ou bien faire de la cartographie par d'autres moyens...

Le gout de la géographie


Oui, Rohmer aime la géographie. Comment les hommes interagissent avec leur environnement selon leur travail, leur loisir, leur réseaux ? Si Paris a la part belle, c'est l'évolution de la France qui est questionné, le comportement des français. La beauté et l'idiotie des vacances (Le rayon vert, Pauline à la plage, conte d'été, les paysages de la campagne français (Conte d'automne), le nouveau monde du travail (l'amour l'après midi), les banlieues (la nuit de la pleine lune, l'amie de mon amie). Il existe même un film dont le sujet même est le mécanisme des évolutions géographiques. (L'arbre le maire et la médiathèque).

Complètement par hasard, j'ai trouvé ce film reportage réalisé par Rohmer dans les année 50 : Les métamorphoses du paysage.


Eric Rohmer - Les Métamorphoses du paysage: l'ère industrielle (1964) from Guillaume Bergonzi on Vimeo.


Je le trouve extrêmement lyrique et même un peu brouillon (pas vous ?). Il médite sur la transformation géographique donné par la révolution industrielle et moderne. Il voit la laideur nouvelle mais il espère aussi une beauté nouvelle (en regrettant l'ancienne aussi...) à la fin du film, il met énormément d'espoir dans l'architecture moderniste et hygiénique à venir dans ces annnes (le hlm ???...)
Ce film confirme et indique une direction que prendra le cinéma de Rohmer.
Je pense particulièrement au film "L'amie de mon amie". (mais pas seulement, chacun de ses films est un exemple... et une méditation sur le sujet...) Ce film se passe (presque) entièrement à Cergy Pontoise. On peut voir en lui une certaine fascination de ce lieu, comme un petit paradis urbanistique où se regrouperait à merveille, logement, loisir, art, étude travail, nature et rencontres. Pour avoir bien connu Cergy, je me demande si Rohmer n'oublie pas un peu vite la dimension commerciale de cette ville étrange où je ne me suis jamais senti à l'aise. Ne retrouvons nous pas ce qu'appelle Bellanger sur la France moderniste qui n'a plus que la gestion du troupeau et la gouvernance en tête? (cf: note précédente)


Et après Rohmer ??


La suite ? Elle me fait penser au film "voie rapide" de Christophe Sahr sortie il y a peu. Le magazine Slate en a fait un article intéressant sur la manière qu'avait cet auteur de filmer ce que Télérama appelait la France moche, la france du périurbain. La France des centres commercialos-indistrielles. No mans land citado-campagnard.


(Le petit film préparé par le journal "le parisien" dans le lien est bien aussi.)
C'est une chose que Rohmer n'a pas pu tourner et qui pourtant est une dimension géographique nouvelle de la France
Il est intéressant de penser qu'aux dernières élections présidentielles françaises, jamais je n'avais entendu parler autant de géographie. En effet, Christophe Guilluy, par l'intermédiaire de son livre, "fractures françaises", a pu orienter le débat sur cette nouvelle identité géographique française.
Je recommande fortement la lecture du lien ci dessous. C'est de plus en plus nécessaire pour connaître la France d'aujourd'hui.

En quelques mots trop brefs et maladroits, je résume....


Mr Guilluy note tout simplement une profonde modification de la métropole française. Les anciens quartiers populaires et sociaux sont envahis par la bourgeoisie, pour des raisons souvent patrimoniales. L'ancienne classe populaire est coincée entre cette invasion bourgeoise et la nationalisation des bâtiments sociaux, le changement du quadrillage industriel et une arrivée massive d'immigration familiale. Elle part dans ces zone périurbaines. La ville ressemble de plus en plus au monde mondialisé. Les populations populaires sont remplacées dans les villes par une population immigrée. Les inégalités des villes se font de plus en plus fortes (question de la cohabitation de la jeunesse des deux groupes...) Les villes gèrent cette société de plus en plus inégalitaire "en substituant la question ethnoculturelle à la question sociale"
On comprend dans ce contexte l’attachement de plus en plus marqué des classes dominantes des pays développés à une diversité qui rend acceptables les inégalités en faisant disparaître toute concurrence. La lutte des classes pour l’égalité sociale laisse ainsi la place à un combat pour la diversité et à une légitimisation de l’inégalité.


La question sociale a été délocalisé dans le périurbain et en zone rurale, permettant de continuer les débats sociétaux sans être dérangé. De plus la ville devient un monde de déraciné où la mobilité est sacrée, il se crée une certaine dénationalisation qui explique que "les métropoles mondialisées sont les régions qui plébiscitent le plus la gouvernance européenne en attendant la gouvernance mondiale."


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Nous n'avons plus Rohmer mais la France vit de telles modifications à notre époque... 

Qui pourraient nous en parler, nous les raconter ????
Et alors que la France de Rohmer permettait quantité de moments de grâce relationnel (et de folie bien sur...), quelles sont les relations que notre France nouvelle permet ?


Pour la bonne bouche, une note sur le blog (e)space et fiction, blog géographico-cinématographique sur le même sujet avec d'autres reportages de Rohmer sur la ville nouvelle.

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