lundi 10 septembre 2012

Le puritain et le pornographe - Drac, Lasch, Houellebecq...


Je pars de ce texte, trouvé sur le site scriptoblog, riche en fiches de lectures de grandes qualités et en analyses originales.
Michel Drac a surtout une expertise dans le domaine économique mais ses analyses diverses et variées sont basées sur une culture générale diverse et exigeante.

Le puritain et le pornographe ? Opposition radicale entre celui qui dit refuser toute représentation du sexe par obsession de pureté et le pornographe qui ne fait que représenter le sexe pour traduire son obsession. Mais Drac part de deux constats (relativement) empiriques, il existe une corrélation forte entre ancien pays calviniste et puritain et les pays qui ont lancé la pornographie de masse. Ensuite, « le sexe montré est l’ennemi du sexe agi ».

Son hypothèse. La Pornographie est un nouveau puritanisme qui veut enfermer le sexe dans sa représentation. 

Drac souhaite vérifier cette hypothèse par une généalogie de la pornographie et par l’évolution de l’homme moderne plaqué sur la structure mentale puritaine.





Le puritanisme né au XVIIème siècle en Angleterre et développé en Amérique est une doctrine appelant à une perfection spirituelle et de purification hygiéniste rappelant le catharisme avec qui il partage la même étymologie. Drac pense qu’il n’est pas purement protestant, il navigue dans un flou doctrinal où la notion de responsabilité domine. Responsabilité face à Dieu, à la cité. C’est un système d’encadrement strict du surmoi bourgeois (privatisation de l’encadrement clérical) tel que Tocqueville l’avait perçu (tyrannie de lui-même, pilier de la liberté américaine). La pureté sexuelle n’étant qu’une part de cet encadrement plus général d’une société « parfaite ».


Ensuite Drac utilise le travail de Lasch pour parler de l’individu puritain à travers l’histoire. Du puritain (aisance comme opportunité du perfectionnement spirituel) par le franc maçon bourgeois (aisance matérielle acquise honnêtement, signe d’une vie digne) à l’affairiste (culte de l’argent en tant que tel, quelques soit les manières de le gagner). Lasch (dans La culture du narcissisme) regarde comment nous sommes passés du bourgeois à Narcisse par l’éloignement du premier de la production et de sa transformation en bureaucrate soumis aux règles fluctuantes du désir. Nous sommes passés d’une sensibilité religieuse à une sensibilité « thérapeutique ». (Terme de Lasch, résumant le régime narcissique du bureaucrate moderne ne devant qu’à lui-même et visant la satisfaction de ses besoins immédiats matériels ou affectifs, la recherche d’un bien-être ou tout du moins son impression est la priorité) Mais si la sensibilité a changé, le principe de responsabilité individuelle gérée par l’intériorisation de la répression n’a pas changé. Ce qui compte maintenant c’est l’intériorisation des règles "thérapeutiques".


C’est en 60 que la crise de l’intériorisation religieuse explose. L’impératif de jouissance prend la place. Celle-ci devient la performance sociale de l’homme responsable de lui-même devant lui-même. Voici le nouveau puritanisme : l’exigence hygiénique du jouir sans entrave.


Le paradoxe est que cette exigence de jouissance va déboucher, concrètement, sur une répression de la jouissance : il se trouve en effet que la société de consommation réserve ses délices à ceux qui ont les moyens de se les payer, par leur sex-appeal (marché du sexe non tarifié) ou par leur portefeuille (marché du sexe tarifé)… et donc, avant de jouir, il faut le mériter.


Oui, le mériter par des multiples sacrifices afin d’accumuler du capital monétaire ou corporel afin d’obtenir la jouissance promise.

Au final, tout a changé, mais pour que rien ne change : les structures fondatrices du puritanisme restent en place, et c’est désormais l’inversion du puritanisme qui les porte.

Cette sensibilité néo-puritaine portant sacralisation du désir a déferlé sur nous et a contaminé notre imaginaire. La pornographie a toujours existé mais son originalité actuelle est son invasion de tous les domaines de représentation. (média, pub etc…) Aussi l’amour passion bref adolescent devient un ideal, le sexe comme objet de consommation est une norme, draguer est normal.

Il faut lire « extension du domaine de la lutte » de Houellebecq pour mieux comprendre les catastrophes intimes et sociales de la transformation du sexe en objet de consommation.



Le sexe est devenu un second système de différenciation sociale, parallèle à l’argent – et exactement comme l’argent fut, avec la dégénérescence de l’éthique puritaine en morale des affairistes, le marqueur de substitution d’un principe d’élection irréligieux, le sexe est devenu, avec la dégénérescence de cette même morale des affairistes en néo-puritanisme des bureaucrates narcissiques, le marqueur d’un principe d’Election thérapeutique. Le contrôle social se poursuit, selon des procédures directement inspirées du vieux puritanisme américain, mais tout est renouvelé quant à la forme des acteurs : en Europe aussi, les féministes castratrices ont remplacé les ligues de vertu, le statut de « tombeur » avec grosse berline et fringues « mode » s’est substitué à l’ancienne valorisation du bourgeois enrichi, la condition du « ringard » « qui ne baise pas » est équivalente à celle du « pauvre » qui, forcément, « était victime de ses vices », etc. Toutes les figures de la répression et de l’incitation sont présentes, mais toutes ont été renouvelées.

Vus sous cet angle, La pornographie n’est jamais que l’iconographie de la nouvelle religion du désir, le bréviaire de ce puritanisme thérapeutique.Le client de la pornographie est le nouveau bigot puritain, par soulagement et par habitude. 

Exactement comme dans l’ancien monde, le curé était chargé de faire tenir tranquille le serf médiéval en lui promettant l’Eden dans l’Au-delà, le pornographe contemporain doit, pour jouer pleinement son rôle social, maintenir dans le jeu les damnés de l’ordre nouveau – ceux à qui l’on promet perpétuellement la jouissance, et à qui jamais on ne l’accorde vraiment.
En plus d’un univers mental envahi par l’idée de sexe, une certaine idéologie caractérisée par mai 68 en France en promettant la liberté a donné « l’universelle frustration des êtres pour qui le sexe est devenu un domaine de compétition parmi d’autres. »

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Cette réflexion sur la pornographie ne l’attaque pas par le flanc «morale» mais essaie plutôt de la percevoir sur un plan religieux et social, fruit d’une évolution moderne de l’homme dans la société (que Lasch appelle société thérapeutique) alliée avec une perception du monde limitée à un contrôle social strict. Mais celui-ci est retourné dès qu’il y a dégénérescence de l’idée initiale du puritanisme.

Car l’auteur, je crois, montre (sans développer autant qu’il le voudrait) qu'une bonne partie de la pornographie (pas toute évidemment... on ne peut pas seulement l'expliquer ainsi) est le triste rite d’un puritanisme dégénéré. Ne montre t-il pas aussi que le ver est déjà dans la pomme puritaine?

cet article nous permet de nous poser plusieurs questions. Comment percevoir le puritanisme ? Comment avoir une vision équilibrée de la sexualité….

D’abord, ce puritanisme me fait penser au vers de Baudelaire dans le spleen de Paris :
Il faut être toujours ivre. Tout est là : c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise.  
Je me le présente comme des gens ivres de vertus, comme on peut s’oublier dans l’alcool, ne peut on pas s’abrutir de vertus. Limiter sa vie à des règles intérieures strictes pour mieux ignorer les questions importantes.

Or la sexualité est une question importante, elle condense nos désirs de reproduction, d’attention et d’amour. Toute blessure sur ces trois critères peut fragiliser. S’enivrer de vertus ou de pornographie ne fait que nous fermer les yeux sur cette question et aggraver les blessures.

Il est intéressant encore de creuser ce que Tocqueville dit sur les origines puritaines des Etats-Unis. Il dit que le puritanisme mélange le politique et le religieux. Les commandements religieux y sont la politique de la société. La religion a une influence décisive sur les mœurs américaines, mais le pouvoir de la religion est devenu le pouvoir que la société exerce sur elle-même par le moyen de la religion. N’est ce pas adorer Jésus pour mieux s’adorer plein de vertus et encore plus substituer le désir de Dieu à un désir de société de gens vertueux. La foi est remplacée par une compétition comportementale. Vertueuse ou non selon les critères, l'époque etc... 

On peut retrouver ici l'illusion d'une morale chrétienne ou laïque pouvant maîtriser la société par des formules et un ensemble de contrôle social. 

Plus que vouloir que notre société échappe totalement à la pornographie (un peu d’illusoire), ne peut on pas désirer une société non puritaine ?

Qu’est ce que cela serait ? Une société d'hommes responsables, des individus libres mais se sentant responsable vis à vis de la communauté. (La vraie morale se moque de la morale.)
Une société de miséricorde, connaissant et prenant en pitié nos fragilités sexuelles sans les justifier. L'humilité (car le puritanisme est un orgueil très séduisant...) sachant que toute disposition aux concours de vertus est dangereuse. Une société consciente d’une sexualité qui aurait un sens à protéger. 
Comme don de Dieu parlant du mariage entre Dieu et son Eglise ?

Addendum 01/11/2014
http://www.lesinrocks.com/2014/10/30/actualite/eva-illouz-11532931/

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