Vous en avez peut-être entendu parler ces derniers jours, Il est jeune et bien de sa personne, il vient d'écrire un livre, "la théorie de l'information" qui a plu à certains critiques influents. Le peu de ce que j'ai lu dessus me rend curieux. La généalogie avec Houellebecq est présente, il y a aussi un désir de mettre en avant et de se battre avec les questions technologistes et la manière dont elles influencent notre monde et les hommes.
Interview intéressante ici.
Puis, ma mémoire m'aide ! mais oui ! J'avais lu quelques textes de lui, il y a quelques temps et avait été séduit. Quelle chance, je retrouve ce texte. Il me plait toujours autant.
Le texte d'Aurélien Bellanger est long, relativement difficile d'accès malgré la clarté de son style mais il vaut la peine d'être lu. Il me donne une nouvelle perspective sur la modernité en générale, celle de a France et me permet de toucher certains thèmes technologistes qui me laissaient pourtant froid.
Voici le texte.
L'intro est étrange, elle relativise son texte, elle relativise la dimension technologiste de la France (plutôt californienne) mais la suite n'est pas un divertissement et présente une thèse qui se défend très bien
Tentons un résumé malgré le torpillage du texte par son intro...
1) Au coeur du texte, il y a la notion de "singularisme technique". Prenons un peu de temps dessus.
Cette notion s'inspire du singularisme physique, selon celle ci il existe un point à partir duquel certaines quantités deviennent infinis (ex : masse des trous noirs), de même dans le singularisme technique, il existe un point où le développement technologique arrive à un certain point où il cesserait d'être conduit par les hommes. L'humanité pourrait enfin se laisser aller. Mais se pose la question de son ambivalence, est ce une fin de l'histoire et la rencontre de l'humanité avec un paradis douillet sur terre ou bien est ce un esclavagisme destructeur du principe historique ?
Est ce de la science fiction ? Non si l'on croit le terroriste scientifique Ted Kaczynski dit Unabomber lui même confirmé par un des fondateurs de Sun Microsystems, ou encore par google et son séminaire annuel "singularity university".
La guerre avec les robots aurait commencé, nous l'avons déjà peut être perdu sans le savoir. Les robots sont certes inconscients mais leur stratégie n'est rien d'autre que l'absence de stratégie des humains et, qui sait, leur inconscience cache des vertus philosophiques (argument métaphysique Leibnizien, intelligence artificielle... passage le plus difficile du texte...). Mais un constat s'impose, alors que le monde informatique parvient à penser la complexité des tâches et pouvant les raconter, les scénariser, les humains sont sommés d'aquérir des automatismes et d’appliquer des process.
Ceci expliqué, nous pouvons présenter la thèse de Bellanger :
Se demander dans quelle mesure la singularité technique est perceptible, c’est reconnaître qu’elle existe déjà, et que notre temps lui appartient. Nous pouvons défendre l’hypothèse suivante : les ondes gravitationnelles de la singularité ont commencé à atteindre la France dans les années 70, quand la modernité intellectuelle et la modernité technologique se sont mises à fusionner. (NdPC c'est moi qui souligne)
2a) Auparavant, et avec beaucoup de talent, Bellanger aura décrit la modernité technologique française, née autour de la seconde guerre mondiale et dont les haut fonctionnaires des commissaire au plan auraient été les chevilles ouvrières. La France est devenu à partir de cette époque un état moderne, un pays en état de veille technologique du fait de son organisation technique complexe et indébranchable (du TGV, au minitel, de Total au nucléaire, du rafale à la bombe nucléaire). Tout est fait pour cette pyramide, capitalisme d'état, politique d'immigration, Cac 40, grands fonctionnaires interchangeables, capitaine d'industrie qui ne sont que le symbole du Colbertisme français et des présidents de la république VRP du rafale, le tout couronné par la sécurité sociale. La France comme hôpital dont on ne peut plus couper l'électricité.
2b) Ensuite Bellanger prend du temps pour définir la modernité intellectuelle.
il montre surtout comment elle a accompagné la modernité technique en se nourrissant d'elle et la nourrissant.
Aux industries matérielles devaient répondre l'industrie intellectuelle. C'est le début d'une vivacité intellectuelle incroyable.
Ce sont souvent des intellectuels révoltés de la technique qui veulent devenir des ingénieurs de l'âme (Foucault, Deleuze, Althusser) avec à l'origine une perception renouvellée de l'histoire introduite par Kojève (personnage clé au parcours étonnant, réinsertion de Hegel) et Hyppolite. C'est de cette lignée que vient le structuralisme, pure pensée du machinisme et du "je suis agi" et de l'histoire comme mécanisme inexorable. On y rajoutera un peu de tragique et un peu de critique, elle deviendra noblesse et mystique de substitution. C'est le temps de Deleuze, et de la déconstruction de Derrida, le monde est un discours à déconstruire. il est difficile de se souvenir de la passion de cette époque pour ses philosophes. Ils sont tous révolutionnaires
(l’état et sa force ne sont pas à la hauteur des découvertes cognitives, il
faut imposer une gouvernance nouvelle) et fonctionnaires.
En 80, reflux des théories critiques, on doute de la révolution. Bourdieu intervient.
La bonne organisation de la société française sera l’ultime eschatologie que les intellectuels français défendront.
En 98, Houellebecq confirme avec mélancolie l'état de fait, le modernisme a gagné malgré nous. Son kitsch, son ennui, sa sociale democratie se répend.
La France est entrée dans un processus fermé de totalisation, que la mondialisation ne fera que reproduire, à plus grande échelle. Ses standards de vie s’étendent naturellement, et tout ce qui retarde leur extension devra être réduit. L’âge critique est terminé. Les intellectuels français redécouvrent les vertus douceâtres de l’universalisme. La France se prend pour une démocratie exemplaire. La gouvernance se déploie sur le monde.
3) Tout cela dit, Bellanger peut enfin développer sa Thèse
L'état français depuis la guerre ne gouvernait pas les citoyens mais la modernité. (Plan calcul à l'éducation nationale, Bull, le Cern, WWW, étude de l'ADN).
Mais quand tout a presque été fait ? C'est l'heure des Messier, des Pinault et Arnauld, du luxe, il ne reste plus qu'à habiller et divertir les Sims.
L'auteur conclut en développant des thèses très ambitieuses et tente de retrouver la source de cette modernité. Il tente une comparaison entre le XVIIème siècle et la modernité. Epoque de renouveau mystique nourrissant des découvertes mathématiques et physiques majeurs.
Spinoza faisait coïncider la plus grande liberté à la compréhension la plus grande du déterminisme La nécessité était devenue une drogue, la prédestination une grâce. Le quiétisme et le jansénisme sont des mystiques de la nécessité. Pascal est le premier adorateur des machines.
La modernité est un rêve de programmation de prédestination afin de maximiser le bonheur humain. Le mysticisme de la modernité est un désir de paradis qui ne peut accepter les religions. C'est le culte de la singularité technologique.
Dieu n’est pas mort au XX ième siècle, il a changé de nature pour devenir un objet technique.
La modernité est donc une révolution quiètiste ici et maintenant. Paradoxalement cette révolution n'est pas tranquille, c'est le signe de son impatience, agitation merveilleuse car aspiration à la fin de l'histoire.
Pourquoi cette agitation ? Elle veut achever et verrouiller le monde ancien (Ballanger rejoint les thèses de Muray)
La modernité aura donc été une pensée de la singularité, ou plutôt une passion prolongée et secrète pour la stratégie d’un monstre sans stratégie, dont on rêvait en secret qu’il ressemblasse à Dieu. L’histoire était sacrifiée en offrande aux machines. Tous les systèmes philosophiques du grand siècle s’achèvent sur cette ultime question : Dieu est-il soumis aux vérités mathématiques? La modernité va soumettre cette interrogation à un protocole expérimental irréversible et massif.
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Texte passionnant, très éclairant et pour ma part très convaincant...
On peut voir la modernité comme cette tentative de hâter l'apocalypse. Détruire l'ancien monde, un messianisme technologique détruisant la trace du monde ancien.
N'est ce pas la tentative de voler ce que Dieu veut donner. (la promesse de la fin de l'histoire, sa parousie). La modernité n'est elle pas un exemple parfait du péché originel ? La globalisation, le libéralisme (et même le communisme) ne sont ils pas des simples symptômes de ce singularisme technique tant désiré.
Au lieu d'une recherche du royaume de Dieu, nous jouons sur tous les mécanismes de la violence. La modernité comme la précipitation diabolique de l'apocalypse, d'une fin de l'histoire fantasmée et rêvée.
Mais... Aurons nous assez d'énergie ? cette guerre avec les robots existe-t-elle ? Est elle le symbole de notre perte d'humanité. Peut-elle tenir ? Notre crise actuelle n'est elle pas aussi une fissure dans ce grand rêve ?
Bref, je n'ai pas fini de penser à ce texte que je vous encourage à lire...
De mon coté, j'espère lire (mais pas tout de suite) le premier roman du monsieur...
En attendant il y a aussi cet interview à l'époque où il écrivait son premier livre sur Houellebecq.
Pour la bonne bouche, un bonus éclairant sur la grande époque moderniste française.
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