vendredi 21 juin 2013

Alain Supiot - point de vue juridique sur la modernité et la mondialisation

Extension du domaine de la compétition

Je vous propose deux conférences passionnantes d'Alain Supiot, récemment entré au collège de France.
Elles permettent, pour ma part, de mieux appréhender le droit et sa manière de décrire note modernité. Le droit est présenté par Supiot comme dogmatisme ou scolastique laïc pour le salut de la société.
Ainsi Supiot discute de la modernité juridique, de la mondialisation (conférence de Nantes) ou de l'importance grandissante des contrats dans la modernité. Ici encore recherche d'autonomie conduisant à une hybridation des systèmes juridiques. Ces conférences semblent illustrer à merveille cette phrase de Chesterton. Soit l'homme a des dogmes, soit il a des préjugés.
Remplacer loi par dogme et contrat par préjugé et vous comprendrez. Que faire quand les hommes sont devenus leurs propres Dieux ? Tout dénigrement de la loi et de l'Etat ou de Dieu ignore la nécessité des bases anthropologiques. C'est ce que nous enseignent, selon Supiot, les analyses des dernières évolutions juridiques. A force de croire qu'il n'y a pas de transcendance (humaine ou divine), chacun de nous se prend pour son dieu et pense pouvoir choisir ses propres chaines. La folie nous guette semble dire Supiot.

La féodalité probablement aussi. Nous créons des situations juridiques uniques. Nous plaquons les vertus de liberté et d'égalité extrême sur des situations tout simplement humaine, avec lutte d'influence et de pouvoir... Nous rétablissons une féodalité naïve....

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Conférence de l'université de tous les savoirs.


Intro
Nos paroles nous attachent aux autres. La société est un ensemble de lien de parole (c'est pourquoi il n'y a pas de sociétés animales...)
Il y a mes propres paroles qui m'attachent et celles des autres qui m'attachent. En droit, il y a donc le contrat et la loi.
Mais la loi préexiste toujours à moi. Ce moi procède donc des institutions.... Et même, Supiot prend comme axiome que les institutions sont les conditions de la raison humaine.

On entend souvent parler de contractualisation de la société. Les liens consentis reculent, on appelle cela en droit, le recul de l'hétéronomie face à l'autonomie. Cela semble le sens de l'histoire, il n'y a pas d'autres chaines dans le monde que celles que nous nous sommes choisies. Idée très occidentale comme celle de la parole liante que Supiot lie avec l'introduction de l’Évangile de Saint Jean. Au commencement fut le verbe. Comme Dieu, l'homme pourrait disposer de la puissance législatrice et même enfermer l'avenir dans ses paroles.... L'occident a pourtant mondialisé la possibilité du contrat.

La loi va être dévorée. Désormais les pays croient à un ordre transcendant qui les dépasse et qui se trouve dans l'économie. Mais même ceux contestant cet ordre parle de le réguler, ce qui revient au même, vision instrumentale du droit et fuite vers l'autonomie. Supiot tentera de faire une histoire de cette tendance dans laquelle il diagnostique un retour de la féodalisation.


I Histoire
Contracter ne va pas de soi pour l'homme, il a fallu penser que l'avenir pu être réglée par la parole. Dans le passé, dans les échanges et les alliances, on ne distinguait pas clairement les choses et les personnes. (patronat affranchisseur, alliance de sang, mariage) La chose avait un pouvoir sur lequel il fallait veiller (cadeau/don et poison, Marcel Mauss). Beaucoup de ses formes anciennes se sont laissés transporter jusqu'à la modernité. La retraite par exemple n'est pas un contrat entre génération. Si on trouve un ancêtre dans le droit romain (mais fondé sur la foi et non la parole des autres...), la véritable origine est le droit canon. L'acte chrétien étant basée sur la vérité. De la pensée médiévale au code Napoléon (1134 convention   légalement formée...), nous voyons bien que c'est parce qu'on a cru à un Dieu unique qui voit tout que l'on a fini à donner force juridique à la parole. Le monothéisme apporte la foi en un tiers garant. Or, depuis les lumières, l'Etat a pris la place de garant. Cette laïcisation ne signifie nullement que l'on puisse se passer d'un garant de la parole. 


Au coeur du contrat se trouve une croyance dans lequel seul l'objet a changé. (Tocqueville : Si l'homme n'a pas la foi, il faut qu'il serve et s'il est libre qu'il croit.) Cette figure du tiers est toujours présente dans le droit moderne, dans la loi (car le contrat est soumis à la loi) et dans la monnaie, elle aussi reposant sur la croyance des contractants l'utilisant.
Finalement on a sauvegardé la structure médiévale mais on a amélioré l'abstraction contractuelle (naissance de l'homo economicus). Naissance de l'empire de la quantité, et de la symbolisation de tout permettant le calcul de tout. L'abstraction des choses (personnes morales) permet de se débarrasser de la "concrètude" des choses et donc de permettre l'égalité, celle d'un monde où toutes les marchandises sont comparables. Tout peut être patrimoine, le temps devient chronométrique et l'espace est continu. Mais le contrat est créé que dans les conditions validées par l'état qui a lui-même une définition qualitative des choses, des personnes, du temps et de l'espace. L'Etat-providence comme ce qui permet à ses membres de devenir opérateur économique. L'Etat peut limiter le commerce et la négociation en disant que tout n'est pas négociable.


II Conséquences des dernières évolutions
Mais alors, au moment où le contrat semble s'éloigner de la tutelle des Etats, où tout, mis à part les sciences physiques, peut devenir contractuel, l'Etat serait un reliquat archaïque et peut s'effacer devant le contrat et le marché, régulation etc...

C'est cela alors? Non ! Car l'empire du contrat régnant a aussi sa face cachée, car plus il s'étend plus il se transforme. Voyons ces deux mouvements.

1) le contrat soumet les Etats et l'Etat des personnes.
Etat vu comme obstacle, le supra national devrait être la direction. Invitation à abandonner leur souveraineté. C'est le sentiment général du sens de l'histoire.

Il faut déréguler. Il faut passer de la loi au contrat. C'est la même chose pour les personnes....
Mais pour dire "je", il faut une institution quelconque... La situation de l'Etat est toujours représentatif de l'état des personnes; et notre identité est de plus en plus contractualisée. On le voit dans la remise en cause de l'Etat providence, du mariage, de la filiation. Or pour Supiot, c'est la porte d'entrée vers une folie certaine. Se penser comme une unité de compte ou mon identité est contractualisée par moi-même. C'est aussi la logique de l'égalité. Mais si tout est tout, tout devient indifférencié et on s'approche sans précaution des fondements de la raison.

2)Face à la profusion des contrats, ceux ci deviennent obligés de reprendre les questions dont ils dépouillent la loi. Et la loi perd de sa légitimité, et donc le contrat se retrouve avec toutes les questions de la "qualitativité" des choses et des personnes. Cela va renforcer la pullulation des contrats...
Et le tiers ? Si l'Etat est trop petit et l'Etat mondial absent, alors on découpe en petit morceau, monnaie, commerce etc....

Reprenant les thèses de son maître, Legendre, Supiot développe enfin la réféodalité du monde.
Car si le contrat nécessite l'égalité des contractants, le contrat n'oblige pas la réflexivité, C'est à dire qu'un contractant peut ne pas s'appliquer les obligations qu'ils contractent avec l'autre. Puis souvent ces contrats obligent des groupes.
Le contrat devient un mode de gouvernement. Pensons au contrat de sous traitance industrielle. Puis certain contrat sont imposés par la loi dans le cadre du remplacement de l'Etat providence. Nous avons seulement le choix des concurrents. Tout est hybride et signe d'un grand changement encore difficile à nommer.
Seul devient certain l'exercice d'un pouvoir.
Selon Supiot, le principe d'égalité, le passage de l'autonomie à l'hétéronomie ne se fait pas sans brouillage et sans mixe des deux. Le contrat s'est imprégné de la loi et crée ainsi des nouvelles formes d'allégeance. Prendre le contrôle en laissant l'autonomie.Vassal libre rendant service au suzerain.

Bref, il faudrait se défaire de l'illusion du tout contractuel. Il y a hybridation et non parfaite liberté des êtres contractuant. et il faudrait se défaire aussi de l'illusion que toute loi sauf scientifique est barrière.
Ce n'est pas en construisant des lignes Maginot de la mémoire que l'on se protégera de l'homme sans loi qui devient l'homme pervers.
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Dans les questions réponses je retiendrais ces quelques phrases
Il faut admettre la place dogmatique des constructions sociales. Quand on parle de monade, et d'unité de compte, on déraille... Comment revenir au dogme ?
L'Etat est une institution médiévale bâtie en prenant les anges pour modèles, personne qui ne meurt jamais et point d’imputation.
La question de l'Etat est fortement lié à la religion. La Révolution française amène la laïcisation de son Etat. Mais celui-ci reste en haut, en puissance. 19eme, crise majeure à répétition. Etat providence est le troisième moment, l'Etat dit je ne suis pas puissant, je suis ton serviteur. Cela a sauvé la construction juridique mise en cause. Maintenant ce modèle s’essouffle car compliqué, L'Etat perd de sa singularité à force de négocier en contrat, il veut reprendre la main et être garant de l’intérêt général... Mais trop difficile. Il fixe des principes et prépare les négociations à venir. Celles là même qui peuvent reconduire à la féodalité.






Conférence de Nantes

Ici, Supiot montre la déterritorialisation du droit.
Après le refus d'une loi universelle, on acceptait que chaque personne puisse avoir la loi de son coin, elle faisait contrepartie au désir impérial de l'homme.
L'hétéronomie et la modernité retirent toute territorialisation. Il y a libre circulation et réduction de tout à l'étalon monétaire. "Tout est liquidée".
Tout est libre choix de son statut et de sa loi. Les droits nationaux sont des droits soumis à la concurrence selon les investisseurs et l'état des personnes. Démantèlement des limites juridiques. Tout devient quantité mesurable et capital.
Pour l'économie de marché, il faut croire trois fictions : (Polanyi), faire comme si le travail, la terre et la monnaie était des produits. Comment faire quand toutes ces fictions sont attaquées de toute part ?
En conclusion, Supiot est encore prophète de malheur... On ne peut faire de la compétition le seul principe d'organisation du monde. Cela conduit pour lui aux pires totalitarismes et non à la liberté de tous. Dire que cela va vers la déraison et la violence est la raison d'être du droit.


Conférence Alain SUPIOT par IEANANTES Pour les plus courageux, il y a ici une interview du bonhomme et , une fiche de lecture scriptoblog.

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