Avez-vous entendu parler de Ayn Rand et du libertarisme américain ? Ils ont apparemment une influence solide aux Etats-Unis (souvent sollicités par les républicains dans une partie de leur mythologie) mais sont pratiquement inconnus en France.
Faisons connaissance ? Egoïsme vertueux ?
Je pense qu'Ayn Rand est moins la fondatrice d'une philosophie qu'une libératrice de pensée philosophique implicite dans une culture ou dans un système humain particulier. Libératrice laissant place à un culte très particulier....
Mais le personnage est fascinant, juive russe bourgeoise émigrée dans les année 20, furieuse du traitement et de l'expérience communiste et des étoiles pleins les yeux des stars, des films américains qu'elle a étudiés en profondeur et pour qui elle travaillera comme petite main des studios et enfin en tant que scénariste.
Puis elle écrira ses livres les plus célèbres (Atlas Shrugged, la vertu d'égoïsme) qui deviendront les étendards de l'objectivisme, du libertarisme...
Plusieurs manières d'en parler. Soyez égoïste, c'est la meilleure manière de travailler pour le bien global ? Individualisme roi ? Ce n'est pas, bien sur, si simple.
Plusieurs manières d'en parler. Soyez égoïste, c'est la meilleure manière de travailler pour le bien global ? Individualisme roi ? Ce n'est pas, bien sur, si simple.
Ici, on trouve, un résumé de la philosophie Randienne par elle-même.
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1. Métaphysique : la réalité objective2. Epistémologie : la raison
3. Ethique : l’accomplissement de soi
4. Politique : le capitalisme
Si vous déteniez ces concepts dans une totale cohérence, comme la base de vos convictions, vous disposeriez d'un système philosophique complet pour orienter le cours de votre vie. Mais les maintenir avec une cohérence totale, les comprendre, les définir, les prouver et les appliquer, exige des heures de réflexion.
Ma philosophie, l'objectivisme, soutient que :
1. La réalité existe comme un absolu. Les faits sont les faits, indépendamment des sentiments humains, des souhaits, des espoirs ou des craintes.
2. La raison (la faculté qui identifie et intègre les éléments fournis par les sens de l'homme) est le seul moyen de percevoir la réalité, sa seule source de connaissance, son seul guide d’action et son seul moyen de survie.
3. Tout homme est une fin en lui-même, et non un moyen pour les autres. Il doit exister pour lui-même, et non se sacrifier pour autrui, ni sacrifier autrui à lui-même. La poursuite de son intérêt rationnel ou de son propre bonheur est le plus haut but moral de sa vie.
4. Le système politico-économique idéal est le capitalisme de laissez-faire. C'est un système dans lequel les hommes se considèrent entre eux, non comme des victimes et des bourreaux, ni comme des maîtres et des esclaves, mais comme des commerçants, par des échanges libres et volontaires, dans leur intérêt mutuel. C'est un système dans lequel aucun homme ne peut obtenir quelques chose des autres par le recours à la force physique, et dans lequel aucun homme ne peut user de la force physique contre les autres. Le gouvernement agit seulement comme une agence de protection des droits, il n’utilise la force physique que pour des représailles et seulement contre ceux qui prennent l'initiative de son usage, tels que des criminels ou des envahisseurs étrangers. Dans un système de capitalisme intégral, il devrait y avoir (mais, historiquement, cela n’a jamais existé) une séparation complète de l'Etat et de l'économie, de la même manière et pour les mêmes raisons que la séparation de l'État et l'Eglise.
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C'est très curieux. Je suis tout à fait d'accord avec les deux premiers concepts et suis paniqué par les propos des deux suivants et par l'innocence avec laquelle elle les expose.
En effet, elle commence comme saint Thomas d'Aquin et finit en guide capitaliste pour winneur épris de réussite et d'accomplissement de sa vie.
Elle commence très simplement et sainement. Partons de la réalité, faisons confiance à nos sens c'est la seule manière qui nous a été donné d'appréhender la réalité. Tout homme est une fin en lui-même. Ici encore, je suis d'accord et rien, ni aucune idéologie doit utiliser l'homme comme un outil ou comme la part d'un rouage. Nous sentons ici, la légitime révolte d'une femme qui a vu la naissance du régime communiste en Russie. "La poursuite de son intérêt rationnel ou de son propre bonheur est le plus haut but moral de sa vie." Ici encore, comment ne pas être d'accord aussi ? Comment aller contre l'intuition générale que nous sommes faits pour le bonheur et que même les actes les plus masochistes sont tendus vers ce concept si difficile à définir...
Finalement mon désaccord avec Rand se trouvera sur la manière d'atteindre son propre bonheur. Pour elle, tout se passera sur le refus du sacrifice de soi et par le régime capitaliste le moins contraignant possible. Il n'y a plus de violence car il n'y a plus ni esclave, ni maître, ni victime, ni bourreau et un Etat réduit à minima.
Premièrement, il est difficile de ne pas voir dans les théories de Rand, un négatif du communisme qu'elle hait trop pour ne pas l'imiter. La violence (et donc pour les deux, grâce à l'égalité) se résorbera dans une société sans classe, prolétarienne pour les communistes et entrepreneuriale pour Ayn Rand.
Si dans un cas, par contre, il faut mettre en avant la dimension sociale de l'homme et brimer l'individu, Rand fera l'inverse, il faut brimer tout sens de communauté et magnifier l'individu.
Bref, nous sommes encore face au syndrome de la pièce maléfique, aux frères jumeaux mimétiques s’entre tuant.
Mais dans les deux cas il y a une recherche d'égalité forcenée, l'une trouvée sur les modèles du travailleur manuel pauvre et solidaire et de l'autre sur le self made man autonome, prospère et responsable.
Dans les deux cas, les systèmes ne voient pas que cette uniformisation n'est pas possible (et même pas souhaitable) et que face à cette réalité, nous nous retrouvons avec une guerre de classe épique où tout sens de la dimension sociale de l'homme est brutalisé.
Comment ne pas voir la séduction et l'influence de Rand (ou de ce que Rand a théorisé) dans notre monde
Ne vivons nous pas tous dans notre occident moderne, non dans le paradis du self made man mais dans le mythe de celui-ci. Livre de développement personnel, carriérisme, culte de la célébrité.... Qui est épargné ?
Toute cette culture, ne nous rend que plus visible le kitsch de ce mythe. Le culte de l'individualisme soit disant rationnel et autonome n'est d'abord qu'une illusion. Quels sont les critères de ce succès et du bonheur ? Le dollar, les sourires, l'auto-satisfaction ? En cherchant la réalisation de soi, nos contemporains ne finissent ils pas à célébrer le vide ? C'est cette célébration dont Hadjadj se moque avec raison et y voit le socle de bien des malheurs. (Fuyons les winneurs, ce sont les pires loosers...) Nos contemporains ne sacrifient ils pas le monde sur les autels du dieu dollar et d'une image de soi, une icone sacrée faite pour être regardé par les autres.
Les autres justement.... On ne les évite jamais....
Et le sacrifice ? Non plus.
C'est encore une autre erreur de Rand, de croire qu'il existe une place sans sacrifices. (erreur si tentante où même Girard est tombé à une époque.)
C'est le thème de cet article de Thierry Paulmier, paru il y a quelques années.
L'article est très intéressant mais il absolutise trop à mon gout la différence des deux sur la question du sacrifice. Rand ne prône pas le sacrifice des autres pour l'amour de soi. Elle a été traumatisé par le phénomène sacrificielle communiste "altruiste" et a pensé un monde non sacrificiel basé sur le thème de l'egoisme vertueux. Cela finit en sacrifice des autres car elle pense avoir trouvé un lieu non sacrificiel....
En pensant à Rand, je pense plutôt à ce grain de blé qui refuserait de mourir.
Après ma note sur Quignard, je vois des liens évidents entre les deux auteurs. Toute idée, même subtile, de communauté chez l'homme est un liaison directe avec le sacrifice. Oui, il y a de bonnes idées pour le croire.
C'est ici qu'en tant que Chrétien, on peut se sauver de la relation entre solidarité et violence. L'eucharistie ne nous invite t elle pas à cette communion de l'humanité réunie avec l'agneau ?
L'Eglise comme ce qui préserve et sauve l'individu et la communauté humaine, ce qui fait de nous des individus non vains et une communauté non violente....
On ne peut pas sérieusement réfuter Ayn Rand en la mettant face à Jésus... c'est ridicule. A ce compte-là, on pourrait récuser tous les philosophes, à commencer par Aristote qui a d'ailleurs été vilipendé par bien des chrétiens avant Thomas d'Aquin. Par ailleurs, vous prétendez réfuter une philosophe sans avoir lu ses œuvres, sur la base de 15 lignes. Franchement, vous croyez que vous faites honneur à l'intelligence catholique ?
RépondreSupprimerComme vous l'avez vu, je ne suis pas philosophe. Je ne suis pas un spécialiste ni de Rand, ni de la pensée libertarienne. Mais cela ne doit pas m'en interdire ni de m’en approcher ni d'en être curieux. (surtout, compte tenu de son influence.)
SupprimerFais-je honneur à l’intelligence catholique ? Ce n’est pas mon objectif. Ce blog est un cahier personnel de réflexion que je médiatise peu. Mais que je mets à disposition des passants. (et merci à vous de passer...)
Je ne suis ni autorité, ni génie de la pensée catholique, simple catholique curieux. Le nom porte-cierge veut dire notament que je ne suis pas une lumière mais que j’espère en apporter.
Je ne prétends pas réfuter irrémédiablement Ayn Rand, mais souhaite mettre en valeur quelques intuitions (à discuter avec qui le veut bien) sur sa pensée telle qu’elle l’a elle-même présentée et résumée (en 15 lignes certes...) et qui me semble porteur de perceptions anthropologiques radicales et, qui de fait, la mettent elle-même face à Jésus. Devant ce qu’elle présente comme un résumé de sa pensée, j’essaie de formuler ce qui me choque et où je crois voir des erreurs. (je ne developpe surement pas assez, certes.)
Si je suis prêt à vous accorder que le comparatif en anglais est caricatural, il a le mérite de poser la question sur la possibilité de suivre Jésus (qui est le sens même de se dire chrétien) et de suivre en même temps la pensée de Ayn Rand. J’ose émettre des doutes mais ne me considère nullement comme le magistère...
Je propose des liens sur votre site qui lui font honneur. Le lecteur n’est pas pris en otage.
Jésus contre les philosophes ? Vaste débat... Si on fait confiance à Jesus quand il dit qu’il est la vérité, comment lire les « les amants de la sagesse » en chrétien, c’est à dire avec la foi et la raison ?
Quant à Aristote, c’est une des gloires de Saint Thomas d’Aquin que de l’avoir baptisé. (dixit Chesterton). Mais, vous avez raison, l’histoire de la pensée chrétienne est toujours en évolution pour tenter de se rapprocher au plus près du verbe fait chair.
Je regrette que votre comentaire ait été aggressif.
Bonjour,
RépondreSupprimerJe viens de découvrir Ayn Rand et son Objectivisme tout à fait par hasard. Je ne suis moi aussi pas d'accord avec cette pseudo-philosophie orpheline et basée sur une pure réaction d'opposition (au communisme).
Je trouve les premiers postulats d'Ayn Rand sur la question de l'objectivité intéressant, mais le reste me paraît décousu et n'avoir aucune relation avec les constats qui prétendent en être le fondement.
J'ai 29 ans, j'ai commencé à réfléchir dès mes 3 ans, et j'ai eu une intense activité de réflexion ces 10 dernières années. Je suis sensible aux questions métaphysiques, et sur la correcte définition des concepts, tels que l'objectivité et la subjectivité, ainsi que tant d'autres concepts qui sont aujourd'hui reniés ou même pervertis.
Bien que non chrétien, j'ai une profonde admiration pour cette religion, tout en étant prudent face à ce qu'a révélé l'histoire des religions. Toutefois je sépare l'origine et l'essence des choses de leur histoire, de leurs dérives. Je suis conscient du coeur et des émotions face à la Nature des choses (égotique, cruelles), et suis très curieux et intéressé par les pensées qu'on peut trouver dans la théologie, dans les paroles des prophètes.
Je tenais simplement à témoigner du plaisir que j'ai eu à vous lire.
Je trouve que vous avez le sens de la mesure, et vous êtes suffisamment précis à mon goût dans les objections que vous faites, sur les questions du sacrifice, de la manière d'atteindre son propre bonheur, du paradoxe des systèmes antagonistes, etc... Personnellement j'aurais d'autres points à explorer, mais dans un commentaire sur un blog la chose serait futile. A moi aussi d'écrire un article ;)
Vous avez raison de révéler le caractère "orphelin" de la pensée égoïste, qui fait l'impasse sur la notion de RELATION entre l'individu et le groupe, isolant le mouvement de l'âme, ceci en contradiction avec le concept de société lui-même. On ne peut défendre la suprématie du groupe ni de l'individu, et seule une philosophie qui arrive à mélanger de manière astucieuse ces antagonismes peut s'ériger en véritable inspiration à même de guider les êtres humains à la fois de l'intérieur et de l'extérieur.
Romarain.
Merci Romarain pour votre passage et votre message,
SupprimerPrévenez-moi si vous publiez cet article.
Votre dernier paragraphe exprime très clairement ce que je voulais approcher sur cette note ou sur d'autres. La théologie catholique propose une "dialectique" (il y a peut être un meilleur mot) entre la communauté et l'individu sans en mettre un devant l'autre. Cette perspective me semble libératrice et nécessaire dans notre époque déséquilibrée. Est elle laïcisable ? Vaste débat...