jeudi 1 août 2013

Tous ne périront pas - Berlioz, Les Troyens

Voici un extrait de l'opéra de Berlioz, les Troyens.
Extrait qui illustre ce que je peux aimer le mieux dans un opéra. La capacité de présenter et de nous faire vivre un moment extrême. Jesse Norman le comprend et vit pleinement la folie de Cassandre provoquant un suicide collectif... Mais qui ne le ferait pas sous ses injonctions ?


Troie se meure. Cassandre rejoint les femmes troyennes... Les grecs se sont engouffrés dans la ville. Enée a pu se sauver en gardant le trésor et l'âme troyenne.
Mais c'est la fin, les prévisions de Cassandre n'ont pas été écoutées.
Femmes, n'écoutez que votre honneur, refusez la loi, le viol des grecs. Suicidez vous  !
Flétrissons la victoire des grecs. Suicidons nous pour refuser la déshonorante défaite.
Et en ce dernier moment, jetons leur au visage "Italie" signe de notre victoire future.

Honneur, pureté, magnifiques autels de sacrifices terrifiants.




Paroles de l'extrait :



trouvé ici...
N° 15 – Récitatif et chœur
Entre Cassandre, les cheveux épars.

CASSANDRE
Tous ne périront pas. Le valeureux Énée
Et sa troupe, trois fois au combat ramenée,
Ont délivré nos braves citoyens
Enfermés dans la Citadelle.
Le trésor de Priam est aux mains des Troyens.
Bientôt en Italie, où le sort les appelle,
Ils verront s’élever, plus puissante et plus belle,
Une nouvelle Troie.
Ils marchent vers l’Ida.
CHŒUR
Et Chorèbe?
CASSANDRE
Il est mort.
CHŒUR
Dieux cruels!
CASSANDRE
De Vesta,
Pour la dernière fois, à l’autel, je m’incline.
Je suis mon jeune époux. Oui, cet instant termine
Mon inutile vie.
CHŒUR
Ô digne sœur d’Hector!
Prophétesse que Troie accusait de démence!
De nous sauver, hier, il était temps encor,
Quand elle prédisait cette ruine immense!
CASSANDRE
Bientôt elle ne sera plus.
CHŒUR
Ô désespoir! Ô regrets superflus!
CASSANDRE
Mais vous, colombes effarées,
Pouvez-vous consentir
A l’horrible esclavage? et voudrez-vous subir,
Vierges, femmes déshonorées
La loi brutale des vainqueurs?
CHŒUR
Faut-il bannir tout espoir de nos cœurs?
CASSANDRE
L’espoir! Ô malheureuses!
Dans ces ténèbres lumineuses
Ne voyez-vous, n’entendez-vous donc pas
Les cruels Myrmidons qui remplissent nos rues
Et ceux qui du palais gardent les avenues?
CHŒUR
C’en est fait, rien ne peut nous sauver de leurs bras.
CASSANDRE
Rien, dites-vous? Si l’honneur vous anime,
(montrant la galerie)
Pour qui donc cet abîme
Est-il ouvert devant vos pas?
(montrant son poignard et les ceintures des femmes)
Pour qui ce fer et ces cordons de soie,
Sinon pour vous, femmes de Troie?
(Un petit groupe se tait et manifeste une terreur profonde.)
UNE PARTIE DU CHŒUR, LA PLUS NOMBREUSE
Héroïne d’amour
Et d’honneur, tu dis vrai! nous te suivrons!
CASSANDRE
Le jour
Ne vous trouvera pas par les Grecs profanées?
LE GRAND CHŒUR
Non, Cassandre, nous le jurons!
CASSANDRE
Vous ne paraîtrez pas en triomphe traînées?
LE GRAND CHŒUR
Jamais! jamais! avec toi nous mourrons.

N° 16 – Final
Les femmes se parlent entre elles. Quelques-unes prennent des lyres et en jouent en chantant.
LE GRAND CHŒUR
Complices de sa gloire,
En partageant son sort,
Des Grecs par notre mort
Flétrissons la victoire!
Pures et libres nous vivions.
En cette nuit fatale
Pures et libres descendons
A la rive infernale!
CASSANDRE (interpellant le petit groupe)
Vous qui tremblez et gardez le silence,
Vous hésitez?
LE PETIT GROUPE
Ah! je me sens frémir!
CASSANDRE
Eh quoi! vous subiriez une vile existence
Indigne des grands cœurs?...
LE PETIT GROUPE
Hélas!... déjà mourir!
CASSANDRE (avec explosion)
Allez dresser la table et le lit de vos maîtres!
Esclaves, loin de nous!
LE PETIT GROUPE
Pitié...
CASSANDRE ET LE GRAND CHŒUR
Honte sur vous!
Descendez vers ces traîtres,
Jetez-vous à leurs pieds, embrassez leurs genoux!
(avec une violente expression de mépris)
Allez vivre! Thessaliennes!
Honte sur vous! sortez! vous n’êtes pas Troyennes!
(Elles les chassent. Le petit groupe recule en silence devant les autres femmes jusqu’à la coulisse et sort enfin de la scène. Toutes les autres redescendent la scène avec une exaltation toujours croissante.)
LE GRAND CHŒUR
Cassandre, avec toi nous mourrons!
On ne nous verra pas par les Grecs profanées,
Nous ne paraîtrons pas en triomphe traînées,
Non, non, jamais, nous le jurons.
(reprenant leurs lyres)
Complices de sa gloire
En partageant son sort,
Des Grecs par notre mort
Flétrissons la victoire!
Pures et libres nous vivions.
En cette nuit fatale
Pures et libres descendons
A la rive infernale!
Ouvre-nous, noir Pluton,
Les portes du Ténare!
Fais retentir, Caron,
Ta funèbre fanfare!
CASSANDRE (avec la plus grande exaltation)
Chorèbe! Hector! Priam! Roi! père! frère! amant!
Je vous rejoins! entendez leur serment,
Dieux des enfers!
(Elle saisit la lyre d’une Troyenne.)
Mourez dignes de gloire,
Et partageant mon sort
Des Grecs par votre mort,
Flétrissez la victoire!
Pures et libres nous vivions.
En cette nuit fatale
Pures et libres descendons
A la rive infernale!
(Un chef grec entre pendant la fin de cette scène; il s’avance rapidement l’épée haute, et s’arrête étonné à l’aspect des Troyennes.)
LE CHEF (pendant la fin du chœur)
Quoi: la lyre à la main!... de ce noble transport,
J’admire malgré moi la sublime ironie!
Cassandre!... qu’elle est belle ainsi chantant la mort,
Bacchante à l’œil d’azur s’enivrant d’harmonie!
(Entre une partie des Grecs.)
LES SOLDATS
Le trésor! le trésor! livrez-nous le trésor!
(Ils lèvent leurs épées sur les femmes.)
CASSANDRE
Nous méprisons votre lâche menace,
Monstres ivres de sang, troupe immonde et rapace!
Vous n’étancherez pas, brigands, votre soif d’or!
(Elle se frappe et tendant le poignard à Polyxène:)
Tiens! la douleur n’est rien!
(Polyxène se frappe à son tour. Cassandre se soutient toujours.)
AUTRE TROUPE DE GRECS (entrant)
Dieux ennemis! Ô rage!
Couverts de sang, du milieu du carnage,
Énée et ses Troyens échappent à nos coups.
Et, maître du trésor, ils sortent!...
CASSANDRE (mourant) ET LES FEMMES (Quelques-unes dénouent leur ceinture et tirent leur poignard.)
Malgré vous,
Aux chemins de l’Ida les voilà tous,
Et nous bravons votre furie.
(Toutes agitant leurs voiles et leurs écharpes du côté de l’Ida.)
Sauve nos fils, Énée! Italie! Italie!

Quelques-unes se précipitent, d’autres s’étranglent et se poignardent. Cri d’horreur des Grecs s’élançant vers la galerie. Pendant cette dernière scène, Cassandre, après s’être frappée, et voyant les Troyennes monter sur le parapet pour se précipiter, s’avance en chancelant vers le fond du théâtre; mais les forces lui manquent avant de parvenir à la galerie. Elle s’affaisse aux genoux, puis se relevant par un suprême effort et tendant les bras vers l’Ida, elle s’écrie: Italie ! et tombe morte.

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