Trouvé par hasard de mes pérégrinations d’internet, l’auteur du blog, « je suis une merde
», Joachim Bel Mokhtar a, pour moi, écrit le manifeste de l’homme
moderne. Six notes brèves et un résumé impeccable, implacable et
essentiel.
On ne décrit bien seulement les enfers dont on a su se sortir. Je lis donc ce blog comme le récit d’un homme libre qui raconte avec vérité et lucidité son ancien emprisonnement. (enfin, j'espère...)
On ne décrit bien seulement les enfers dont on a su se sortir. Je lis donc ce blog comme le récit d’un homme libre qui raconte avec vérité et lucidité son ancien emprisonnement. (enfin, j'espère...)
Il y a une généalogie évidente entre ce blog et les notes dans un sous-sol de Dostoievski. Le temps est passé, l’homme moderne a évolué mais il demeure ce dont Dostoievski a cerné. Dans le monde moderne sans roi, ni dieu, ni classes, nous sommes condamnés à une course à « l’être » dont nous sommes tous les perdants sauf l’autre, le rival si proche qui nous expose sa réussite, son « être » qui ne cesse de nous humilier. L’abolition des frontières interhumaines met tous les hommes sur la même ligne de départ. La victoire nous échappe que par notre propre faute, manque de volonté, faiblesse, paresse et enfin toujours cet autre, toujours, sans cesse, partout. « Je suis une merde » est le cri intériorisé de notre monde. La procrastination, l’hypocondrie, l’art vaniteux, sont les conséquences naturelles des hommes dont la défaite hante, blesse mais qui ne peuvent plus vivre sans, sauf en croyant quitter le jeu où alors ils se créent un personnage misanthrope au code personnel élaboré mais laid et toujours aussi vaniteux....
Le jeune homme est passé d’une enfance choyée à un monde adulte pris dans cette course vers le néant aux relations d’autorité pervertie. Notre misanthropie est à la hauteur de notre déception et de notre fascination pour la violence de ces relations perverties.
Nous associons toute recherche de vérité à ce combat vaniteux, nous nous satisfaisons de notre retraite de ce combat, par simplisme ou au mieux par sa relativisation, hypothétique troisième voix à la mesure de notre mépris pour la vérité, la science et les religions.
En lisant ce texte, je pense que nous sommes tous des « Icare ».... Un être autonome qui se tourne vers le soleil. Détaché de tous liens terrestres et sociaux, nous cherchons à atteindre le soleil, à arracher « l’être » par nos propres forces. Nous nous écrasons alors et la seule marque de noblesse qui nous restera est de citer ce vers de René char. "La lucidité est la blessure la plus proche du soleil."
D’un point de vue chrétien, cette description de l’homme moderne est le piège d'une société chrétienne qui a perdu la foi. Cet homme "moderne" est le descendant du chrétien. C’est à dire l’homme qui peut faire connaissance de « l’être » depuis l’Incarnation mais qui a oublié que cet « être » nous était donné. Nous cherchons à le prendre par tous les moyens alors qu’il ne cesse de se proposer.
Le chrétien vit ce chemin paradoxal de la possibilité de la réalisation de soi (Incarnation) à la découverte de abolissement de soi (la crucifixion).
Notre vanité peut être combattu par la reconnaissance que l’« être » seul se situe vraiment dans ce Dieu crucifié, qui nous a donné la possibilité de la vanité (invasion de la médiation interne) ou de la communion avec lui... L'apocalypse (la révélation) n'est pas seulement historique, elle est devenu individuelle. La création de l'individu moderne par le christianisme nous conduit au sous terrain ou au Golgotha.... A la possibilité d'une perversion plus grande des relations comme à la possibilité de la rencontre véritable en passant par une conversion qui peut ne pas être seulement chrétienne.
Pour plus de détails, je conseille la lecture de critique dans un sous terrain de René Girard.
Ci dessous, une tentative de résumé des 6 parties du blog "Je suis une merde".
1 L’homme moderne est l’homme du souterrain de Dostoievski. Le médiateur interne est partout. Ce dernier est cool, visible, il vit dans le confort et la sécurité.
Je ne sais pas ce que je veux faire. Mais j’essaie d’être cool ou au moins de faire semblant.
Je commence tout, ne finit rien. Blog, donc, comment le communiquer, le rendre visible ?
Etre quelqu'un, avoir l’impression de contrôler sa vie, écran plat, crédit, cadre avec cdi pour faire bonne impression... Ou pour être un individu moderne important, qui lui au moins arriverait à atteindre cette visibilité virtuelle.
2 Je procrastine, je culpabilise
La procrastination, c’est clé ! Flemme, compulsivité. Culpabilité face à l’ordre et au sens. Bonne résolution insuffisante car demain sera comme aujourd’hui.
3 Hypocondrie, mérite.
Hypocondrie, vous ne vous sentez pas bien, après doctissimo, vous savez que vous allez mourir ce soir. Mais tout cela est mérité... Mais il y a pire, quand nous nous sentons bien. "Pour l’homo merdicus cet état de grâce n’est en fait qu’un prélude à un désastre imminent, la trêve avant le jugement dernier de sa piètre existence au panthéon des merdes."
Somatisation systématique car la maladie... Il la mérite au moins.... Joie cache du cercle vicieux et de la malédiction. « Soudain je réalise que je ne suis que ce cercle vicieux qui s’autodétruira sans un bruit »
4 pour se cacher à soi même son conformisme, on s’invente un style anticonformiste à la mesure de notre ennui et de notre vanité. Élaboration de l’artiste vaniteux, faussement hors du monde et de la torture de ne pas "être"...
Si on se déteste, on doit sa survie à se sentir hors du monde. Ne s’affirmant pas et conformiste par anti conformisme. Création de ses propres codes à la lumière de son ennui. Fantasme de reconnaissance par la catharsis de l’être torturé. « L’art est ainsi échappatoire et souffrance de celui qui ne se sent pas à sa place dans le monde actuel. » La reconnaissance est un skandalon, ce qui l’attire et ce qu’on veut repousser infiniment.... Ma création me repousse sans cesse vers le néant...
5 La fin de l’enfance est une chute. L’être choyé arrive dans un monde où personne ne l’attend et où il n’est pas une autorité, une voix qui compte. Puis, de toute façon, toute relation est le fruit d’une perversion de la domination. Ce refus de ce jeu nous conduit à la misanthropie et à la solitude. La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil.
Apres l’enfance et l’amour parental, nous cherchons la légitimité et l’amour d’autrui... Naïf, la déception arrive très vite. L’amour est le bonheur s’étant dérobé... La perversion de la domination prend le dessus et nous mêmes ne respectons que ceux qui se croient supérieurs à nous...
« Vois-tu lecteur soumis, l’ombre de l’autre affecte tes premiers pas dans ce bas monde. Exclu avec violence et incompréhension, l’on choisi de ressembler à l’autre, adoptant son message, imitant ses intentions.» Ensuite, on peut se sentir coupable, tout retour à la liberté nous exclut du jeu social. La merde devient cet équilibre entre cette déception primaire et du refus du jeu de la domination. Ses propres codes et quelques amis peuvent le consoler de son isolement. Posture misanthropique et souvent lucidité de n’être rien.....
6 Derrière tout cela, il y a la recherche de la vérité qui devient combat entre les hommes. Mais l’endormissement, la simplification paresseuse nous guettent. Devant ce combat violent, on va vers les nuances et on va vers le néant puisqu’on ne rend pas grâce à la vérité. Mépris de la science et de la religion.
Face au mystère de la vie, nous essayons d’en contrôler un bout en mettant tout dans des cases. Le monde entier participe a ce jeu, cherche la vérité et combat pour elle. L’espèce humaine cherche la simplification et se résout à un choix unique, la croyance ou la consommation. La mort ou l’endormissement des sens, mais toujours la haine de l’autre. Alors, la merde cherche sa troisième voie vers le néant.... Doute, nuance et aucune prise de position... Lutte pour la vérité alors que tout semble hasard. La merde sait que ses espaces infinis ne sont pas réductibles à la science et à la religion. La merde se disqualifie de la bataille sanglante de la vérité.
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