dimanche 10 février 2013

Saint barthélémy - Denis Crouzet

Ma curiosité s'est posée il y a peu sur la Saint Barthélemy  Je suis ébouriffé par ce que j'ai pu en lire.  Lecture pourtant très limitée.
Qui connait en France l'aubépine miraculeuse, la mort de Coligny ? Le feu brutal de la  violence de cet événement ? La passion religieuse? Les petites et grandes différences entre les catholiques et les protestants ? Il nous est difficile d'imaginer la flambée de violence et d'intérioriser les raisons que chacune des parties se donne. L'évidence de la dimension religieuse de cet événement est terrible. Le roi et son clan sont les grands prêtres d'un sacrifice populaire afin de rénover la légitimité royale. Nous sommes en pleine politique caïphienne... Il vaut mieux qu'un seul homme meure plutôt que de laisser périr toute la nation. 
la saint Barthélemy semble ainsi le mimétisme démultiplié du meurtre de Coligny...


Et il y a surtout cette angoisse métaphysique languissante du XVIème siècle qui est décrite, par exemple, dans cet article du monde par Henri Tincq.

L'imminence de la fin des temps est attestée par les récits de prodiges, les pluies de comètes et de sang, les naissances de monstres, l'omniprésence de sorciers. Aux calamités naturelles s'ajoutent la pression démographique, le fossé entre les classes sociales, l'inflation découverte avec les métaux précieux d'Amérique. On est loin des clichés sur l'Europe heureuse de la Renaissance. C'est un siècle d'hivers rudes, de jacqueries ouvrières (la "grande Rebeyne" de Lyon) et de guerres paysannes qui, comme en Allemagne, font des dizaines de milliers de morts. Où les scènes macabres emplissent les murs des églises. Où les veilleurs de nuit, munis de leurs clochettes, crient dans les rues : "Réveillez-vous, vous qui dormez, priez pour les trépassés." Où les prêcheurs stigmatisent les vices du clergé, annoncent des catastrophes et réveillent les terreurs antiques.

 Peut on voir, alors, le protestantisme comme l'incapacité de l'Eglise de cette époque à répondre à cette angoisse énorme ? Dieu sauverait gratuitement. Il n'y a plus de culpabilité impossible mais un retour de l’espérance.
La violence est de tout coté cependant, il faut sentir aussi la peur hérésiarque des catholiques et la pression de la violence qui monte dans la cocotte minute prête à exploser.
Sentir aussi comment cette explosion française et européenne est l’épicentre de la déflagration moderne, d'un libéralisme empirique voulant se protéger de cette violence.
On ne saurait trop les comprendre et c'est avec une tristesse immense que je vois cet épisode si destructeur pour l'Europe et pour le monde de la pensée.


Un nom revient dans cette recherche : Denis Crouzet que l'on retrouve dans cet article de l'express au moment de la sortie de la reine Margot de Patrice Chéreau.


Il est bon encore de lire ce dossier pedagogique préparé par l'académie de Montpellier. Son coté pédagogique justement est énervant mais il résume et donne beaucoup de pistes intéressantes, et présente certaines thèses de Crouzet. Qu'est ce que l'humanisme s'il on ne peut le dissocier de la violence ?

 Enfin, pour reprendre les thèses de Denis Crouzet la Saint Barthélemy permet de revisiter la problématique de la Renaissance en France. Pas seulement qu’elle fut aussi un temps d’angoisse mais en remettant en cause son concept même pour la France. Il propose plutôt de parler d’un mince verni plaqué sur une profonde situation collective d’inquiétude. Il existe pour lui un écart qui s’accentue entre une cour pétrie d’humanisme, et d’autre part des populations qui vivent dans l’inquiétude et donc dans la quête d’un Dieu exclusif les appelant de part et d’autre à combattre. Dès les années 1520, des images de violence ont surgi, acquérant de plus en plus de puissance au fur et à mesure des années qui passent. Il existe bien un humanisme royal de François 1er à Henri III, y compris donc dans l’entourage de Catherine de Médicis (Michel de L’Hospital qui partage un imaginaire de concorde), mais une partie de ces humanistes se range du côté des massacreurs, comme Ronsard qui annonce vers 1562 que les faux prophètes seront châtiés. Après la Saint Barthélemy, un nommé Jean Touchard écrit à son ami Jacques Amyot, grand traducteur en français de Plutarque, qu’enfin la vie va pouvoir reprendre après l’extermination des malfaisants. C’est pour cela qu’il est difficile de dissocier l’humanisme de la violence pour Denis Crouzet.

En suivant toutes ces idées, il est bon de lire aussi ce texte du père Lecrivain, jésuite, sur la violence et la religion a la fin du 16ème siècle. Ce texte me plonge dans des réflexions sans fin sur l'histoire de France, le protestantisme.

Lecrivain, aidé encore de Crouzet, estime que la Saint Barthélemy est le paroxysme d'un "choix de la guerre" amorcé par deux styles de violence parallèles en essor. Violence d'un schisme qui trouverait son origine dans la résolution d'une problématique d'angoisse eschatologique trop lourde à porter....
L'origine de cette violence et de cette angoisse catholique ? Une attente eschatologique démesurée de la fin des temps et du salut saupoudré par une invasion dans toutes les catégories sociales de l'astrologie. Cela est lié aussi à un processus victimaire qui s’agrippe aux protestants de plus en plus présents et dont cette même présence choque par le mépris qu'ils affichent des traditions emblématiques de la culture catholique. La violence verbale portée vers la royauté s'affichant, nous comprenons que nous étions dans une société en très fort état d'indifférenciation  La saint Barthélemy se distingue de plus en plus comme une crise victimaire, une montée aux extrêmes  une crise mystique païenne incontrôlable....
Il faudrait noter aussi la violence huguenote et sa spécificité. Nous avons d'abord affaire a une révolution de la croyance. Dieu ne peut être qu’extérieur au monde. Dieu ne peut pas s'exprimer dans des actes humains comme le pensent les catholiques. De fait, la violence que vont produire les protestants viennent plutôt d'une réaction contre ceux qui adorent des idoles en croyant adorer Dieu. Ils peuvent tuer pour enseigner que Dieu est extérieure au monde. Il faut retrancher tout ce qui a été rajouté et a finalement rabaissé Dieu à la matière  Purifions l'espace du monde afin de purifier l'espace des superstitions et des fausses images de Dieu.
Cette conversion intime doit convertir le monde. C'est un défi au monde des images et de la hiérarchie, rêve d'une société sainte et sans différentiation. Ils sont mus par un sens de l'histoire qui les conduit a une mise en scène dramatique de ce qu'ils appellent le vieux monde.

 C'est dans cette situation de désir d'indifférenciation qu'il faudrait voir l’évènement du 24 août 1572.

Post fête du mariage d'Henri et Marguerite, aubépine, Coligny, tocsin de Saint germain...
Crise et résolution monarchique. Caïphe règne...

Mais après coup, la déception aussi règne... Il reste des protestants mais surtout, nous comprenons que le sacrifice n'a pas unifié la France.
Et voici qu’un nouveau questionnement s’impose : l’échec du 24 août n’est-il pas un appel à chercher la cause de la colère de Dieu non plus dans la présence des hérétiques, mais chez les catholiques eux-mêmes ? Une mystique pénitentielle s’impose. Un peu partout, en France, on aperçoit dans le ciel ce que l’angoisse suggère à chacun dans le secret de ses divagations.
Depuis cette période  la question de la laïcité apparaît par la querelle entre les monarchistes et les ligueurs. Le pouvoir doit être catholique et tout le pays avec lui  ou bien il est mieux de se concentrer sur le pouvoir  et un état-nation uni, puis Dieu reconnaîtra les siens.


Or il a fallu deux régicides pour trouver un peu d'équilibre. Celui d'Henri III et d'Henri IV. Clément et Ravaillac. Or, il faut voir le régicide du moine Clément comme le fruit de l'angoisse des "bons catholiques" à s'unir dans la passion du Christ. La royauté éternelle doit châtier la royauté temporelle. (et en cela les "bon catholiques" ne réalisent ils pas, mimétiquement,  le travail des protestants ?)
Or Lecrivain (ou Crozet ?) semblent dire que même s'il était le fruit d'un homme isolé (lors d'un temps de grande pagaille, où le roi cherchait à reprendre Paris aux ligueurs...) c'est le début du désengagement dans la violence. Le second régicide était plus ou moins annoncé par Henri IV lui même comme don de son corps à la France et à sa paix...
Ou bien le passage d'un catharsis loupée (Saint Barthélémy, le meurtre de Henri III) à :
l’instauration messianique d’un nouvel ordre politique dont l’acteur unique sera un monarque absolu. Alors « l’enchantement » se sera effacé devant la Raison.



Thèse ambitieuse ! Le régicide a t-il vraiment ce poids dans l'histoire de France et permet-il vraiment ce pas vers la gloire française de la monarchie absolue ? Jusqu'à la prochaine crise ?

Mais il est surtout très intéressant pour méditer l’évènement fou de la Saint Bartélemy, d'apprendre à connaitre les deux violences, de chercher à comprendre comment se vivaient les catholiques et les protestants. Et de voir leur violence...

Aucune des deux violences ne gagnera véritablement si on regarde plus tard (édit de Nantes 1598). Il n'y aura pas de"règne de l'Evangile" (hétéronomie avant l'heure ???, n'y aurait il pas a faire un lien avec la pensée de Gauchet?) ni unité papale restaurée, aucune purification globale catholique....

La saint Barthélemy montre le refus catholique de désacralisation globale (en particulier celle de la monarchie) par une violence paradoxalement sacrée mais non catholique. c'est une victoire paradoxale. Ils ont voulu incarner le sacré, la présence de Dieu dans ce monde mais n'ont montré que le visage du sacré violent...  Pour moi bête catholique de 2013............


Cette note n'existerait pas si je n'avais lu auparavant le blog de Benoit Girard et cette curieuse pensée sur notre monde moderne... Cette notion de désangoissement me passionne. Surtout, ne pas se désangoisser ?! Prenons la croix de la contradiction humaine et chrétienne....

Toute vision du monde est traversée de contradictions dont les poussées en sens contraire, momentanément, s'équilibrent et "font société". Alors que le présent équilibre menace de rompre sous son propre poids, j'observe que les seuls débats en cours opposent entre elles différentes stratégies de contournement de ces (de plus en plus insupportables) contradictions. Il n'y a plus, au sens propre, de pensée, mais seulement la quête collective d'un "désangoissement", le rêve d'une unité à reconquérir et qui s'alimente à l'infini des divisions que, désormais, il ne cesse de provoquer... Mon maître, Denis Crouzet, a décelé dans ce phénomène la cause première des Guerres de religion, déclenchées, dans la droite ligne des schismes politico-religieux du XVème siècle, sur les ruines d'une chrétienté agonisante. Ces guerres se sont temporairement résorbées dans l'émergence de la pensée libérale et de son bras armé, l’État absolu. Le même phénomène est en train de se reproduire sur les ruines de la "civilisation libérale". Ce à quoi nous assistons en ce moment ne constitue donc, probablement, que les prodromes d'une Saint-Barthélémy planétaire.

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