jeudi 17 octobre 2013

Pokłosie et discussion sur la mémoire, l'histoire et la violence

Wladyslaw Pasikowski 2012
Nous sommes autour des années 2000, un polonais revient des Etats Unis, il souhaite y passer quelque temps, son frère semble avoir quelques problèmes. Avion, train, bus, voyage à pied, il sent une ombre dans la forêt. Il se blesse et perdra son sac. L’accueil de son frère au fin fond de la campagne est rustre tout comme le portrait du monde rural polonais. Monde de la campagne au début des années 2000. La forêt, les champs, les petites maisons, une population vieillissante, des hommes qui boivent, une violence qui couve déjà. Notre héros perd ses bagages… Il passera les trois quart du film en costume chemise dans cet environnement.



Que se passe t il ? Son frère s’est passionné pour les tombes juives retrouvé dans les parages. Tombes, reliques de maison, il s’est mis à lire l’hébreu et est fasciné par ses recherches associés aux martyres juifs lors de la seconde guerre mondiale. Mais depuis le malaise rode autour de lui. Sa femme l’a quitté, son frère sent une forte agressivité contre lui dans tout le village. Son frère l’aide malgré tout dans les travaux des champs, à apporter sur leurs terrains les tombes juives découvertes. La violence rode autour d’eux, un prêtre catholique les protège des menaces populaires. Leur champ est brûlé, puis ils découvrent que leurs champs et ceux de leur voisin appartenaient dans le passé à des familles juives. En poussant leur recherche (ignorée et même vue d’un mauvais œil par la population locale), ils découvrent un charnier juif. Alertés par une vieille dame et confirmés par un vieux voisin, ils comprennent que ces tombes, ce charnier, ces expropriations sont dues à la population locale, à leur propres parents et grands parents et non aux allemands comme ils le pensaient. Cela les tourneboule. Alors que le jeune frère voudrait arrêter ses recherches et tout oublier. Le second veut faire éclater la vérité. Ils se battent et manquent même de se tuer. Le second veut partir, il exprime toute sa violence contre un tag antisémite et va repartir… Mais... Il est alerté en chemin….



Il y a foule autour de leur maison, tout le village est là (sauf le bon curé curieusement décédé…), son frère vient d’être assassiné dans un simulacre de crucifixion. Le temps pour lui de partager le deuil de quelques touristes juifs près des tombes redécouvertes par son frère, il s’en va.


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Ce film montre tout l’ambiguïté de notre époque mais il demeure un film important au moins pour caractériser celle-ci. Ce film pose tout simplement la question de la victime dans notre société. Car les deux frères dans leurs recherches de vérité, cherchent aussi la place des victimes dans leur société, ainsi que celle de la violence. Leur découverte est girardienne. La société est fondée sur le sacrifice (les cadavres sont retrouvées dans les sous-bassement de leur maison d'enfance). Ils découvrent les mythes de la constitution de la société. Cette recherche de vérité déstabilise la fondation de la société qui lui oppose la menace, la violence, l'exclusion puis la mort. La crucifixion ayant but de montrer que tout apôtre de la vérité peut connaitre la mort du Christ. La mort de celui qui dénonce la violence, les structures de mensonge et qui simultanément révèle et présente la violence telle qu'elle aurait voulu être cachée. En tant que chrétien, je crois que Jésus et son Évangile est le premier à montrer et à propager cette idée de la victime impossible à transformer en mythe.

Au-delà de l'antisémitisme polonais, ce film est très ambitieux sur toute ces questions, le climat de violence perpétuelle et consubstantielle à l'homme, la menace est très bien rendue dans ce film. La notion de communauté, de sacrifice est développé. 
Ce film fut bien sur difficilement accueilli en Pologne (mais ce ne fut pas non plus un drame national...) mais il pose encore beaucoup plus de questions. Pour les français ayant vécu en Pologne, il est toujours surprenant de voir la passion de l'histoire des Polonais.  De voir leur fierté de nation martyr surtout lors de la seconde guerre mondiale. Tout ceci est bien représenté par la passion remémorative de l'insurrection de Varsovie. Le martyr des juifs n'est pas oublié mais il est souligné comme allemand (Je fus étonné du scandale que provoqua en Pologne la phrase d'Obama sur "les camps de la mort polonais".). Il y a évidemment une guerre de la victimisation entre les juifs et les polonais dont l'article du monde du célèbre héros de solidarnosc et actuel directeur de presse de centre gauche Adam Michnik est révélatrice. Il dit, non, les polonais ne tentent pas de voler aux juifs les habits de la victime de la seconde guerre mondiale. Ce sont les leurs aussi.

Intervient ici la question de la mémoire historique. Dans le passé, j'eus un réflexe critique contre ce concept qui me semblait seulement une arme de domination empêchant de penser l'histoire.
Je crois pourtant maintenant qu'elle est essentielle mais que c'est un outil dangereux. La mémoire historique dans son concept n'est rien d'autre que la relecture de l'histoire officielle à la lumière de la victime. C'est la recherche de l'histoire sous le point de vue du Christ et de la victime émissaire. Elle est cette recherche de vérité contre la violence fondatrice. Pourquoi est elle dangereuse ? On peut le voir dans cette citation en dessous de René Girard dans cette interview :





Par ailleurs, la question de la victime, aujourd'hui, fait l'objet de déviations redoutables, nous sommes confrontés à deux formes de totalitarisme qui sont deux prises de position par rapport au christianisme.

Nous sommes confrontés au totalitarisme de type nazi, qui doit, à mon avis, pour être pensé pleinement, être pensé à partir de Nietzsche. Nietzsche a dit : "le christianisme c'est le mensonge dangereux d'un univers sans victime" et les nazis ont repris ça, au fond. Ils ont voulu montrer qu'on pouvait toujours faire des victimes, enterrer en quelque sorte le rêve judéo-chrétien sous des monceaux de victimes. Ce premier totalitarisme va peut-être réapparaître sous d'autres formes mais il me semble bien fini.

Quant à l'autre totalitarisme il est beaucoup plus vivant aujourd'hui, c'est celui qui consiste à faire de la victime une force de pression...



La mémoire historique non maîtrisée peut devenir une arme elle-même. Un bon exemple me parait celui de l'Espagne et l'utilisation de la mémoire historique pour raviver les souffrances de la guerre civile et mettre le camp anti-franquiste comme les héros de l'histoire. Cela ne nous fait pas un admirateur du franquisme que de mettre en doute certaine utilisation du concept de mémoire historique. 




C'est aussi par cet aspect que le film Poklosie est ambigu. En voulant retourner les polonais de leur sécurité victimaire, ne veut il pas les mettre dans une situation de domination ? Pour le chrétien, la victime innocente sera toujours le Christ et tout déchiffrage de l'histoire entre violence et vérité se fera au pas de loup car inspiré par cette phrase de Pascal (que je ne cesse de répéter ces derniers temps, mais elle me semble capitale...)


C'est une étrange et longue guerre que celle où la violence essaie d'opprimer la vérité. Tous les efforts de la violence ne peuvent affaiblir la vérité, et ne servent qu'à la relever davantage. Toutes les lumières de la vérité ne peuvent rien pour arrêter la violence, et ne font que l'irriter encore plus. Quand la force combat la force, la plus puissante détruit la moindre ; quand l'on oppose les discours aux discours, ceux qui sont véritables et convaincants confondent et dissipent ceux qui n'ont que la vanité et le mensonge ; mais la violence et la vérité ne peuvent rien l'une sur l'autre. Qu'on ne prétende pas de là néanmoins que les choses soient égales : car il y a cette extrême différence que la violence n'a qu'un cours borné par l'ordre de Dieu qui en conduit les effets à la gloire de la vérité qu'elle attaque, au lieu que la vérité subsiste éternellement et triomphe enfin de ses ennemis ; parce qu'elle est éternelle et puissante comme Dieu même.



Pascal expose en quoi la violence est le double mimétique de la vérité, la vérité risque de se transformer en violence dès qu'elle accepte le conflit... C'est pour cela qu'elle "ne peut rien pour arrêter la violence". 



A noter sur le film

 Les outils
Les vieux polonais
Le sac et les cigarettes
La police, les prêtres, les pompiers
La pierre tombale familiale
L’hôpital, les archives du cadastre.
Les paysages polonais, l’intérieur de maisons polonaises. Tous peuvent s’y reconnaître.





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