samedi 26 octobre 2013

Accident de Smolensk, Pologne et René Girard par Michal Luczewski


Permettez-moi de vous présenter un travail personnel de traduction du polonais vers le français d'un texte girardien analysant les phénomènes de réaction en Pologne après la mort de Lech Kaczynski dans un accident d'avion. C'est un texte de  Michał Łuczewski La première partie reprend les thèses des grands commentateurs polonais actuels puis une des thèses du texte est de rapprocher Lech Kaczynski au bouc-émissaire girardien, l'auteur recense les rapprochements et tout en montrant la puissance des thèses de René Girard, enfin il permet de prendre une photo de la situation politique polonaise.

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Le bouc émissaire. Une perspective socio-théologique de Lech Kaczynski. Texte de Michal Luczewski

« Dans beaucoup de sociétés primitives, les jumeaux réveillent une frayeur exceptionnelle. Il arrive même que l’un d’eux soit tués, ou encore plus souvent que les deux soient abattus. »
(Girard, Violence et sacré)

La catastrophe de Smolensk a lancé un mécanisme social qui exige une analyse. Elle a surpris tous les commentateurs de la vie publique par l’étendue du deuil national provoqué ainsi que par la mise en valeur et la sacralisation des victimes, tout particulièrement de la personne du président Lech Kaczynski. D’un leader politique impopulaire pour une grande partie de la société, critiqué même par son propre camp, il est devenu après sa mort un héros national, jouissant d’un respect général et pleuré par tous ses rivaux (voir dans cette revue le texte de Mariusz Drozdowski et de Tomasz Żukowski). Parmi les nombreuses théories formulées, je n’en ai pas trouvées qui expliqueraient cette transformation dans tous ses détails. C’est pourquoi, j’aimerais proposer une perspective qui – à mon avis- est la plus complète : la théorie du bouc-émissaire, élaborée par le professeur de littérature et anthropologue franco-américain, René Girard.
Théories existantes  sur la métamorphose de Lech Kaczynski
Parmi les théories existantes, formulées par les commentateurs, nous pouvons distinguer deux groupes.
Les analyses métaphysiques constituent ce premier groupe. Dans cette perspective, on  a vu par exemple Marek Horodniczy recherchant dans la catastrophe le symbole de la croix et de la providence divine « qui jette des perles aux cochons » (Boncza-Tomaszewski et Horodniczy 2010 : 19, 23). Nikodem  Boncza-Tomaszewski, lui, a parlé de « forces mystérieuses » et d’ « esprit national ». (Boncza-Tomaszewski et Horodniczy 2010),  Wojciech Wencel (2010) de  manifestation divine dans l’histoire. A son tour Tomasz Terlikowski (2010a) a vu dans la tragédie de Smolensk « l’expression du rappel qu’il ne nous sera pas donné d’être une nation « normale » qui peut vivre dans une paix tranquille ; que de nous, Dieu exige de temps en temps la contribution du sang, du sacrifice de nos meilleurs fils », Zbigniew Stawrowski (2010) a analysé du 10 Avril, « l’aube de l’histoire » et le commencement de « la purification des démons » politiques polonais. Mais ailleurs, le même événement a été interprété comme le réveil  des démons du patriotisme (expression de Grzegorz Miecugow dans Szkle Kontaktowe), comme « la sombre émanation du pseudo messianisme polonais » ou bien le culte de Thanatos propre aux Polonais qui cherchent toujours l’accomplissement providentiel de leur instinct de mort collectif ». (Bielik-Robson 2010a, 2010b). Dans leurs écrits et leurs éclairages de la mobilisation populaire, ils font appel à des catégories philosophiques de l’Etat d’urgence (Kaczorowski 2010) et de l’Évènement (Nowak et Rymkiewicz 2010).
Le deuxième groupe d’analyse rassemble les analyses empiriques, ils se constituent  par des perspectives macros ou micro.
La perspective macro, dans sa recherche des principales variables d’analyses, regarde le phénomène  dans un contexte social : Politique, Media et culture. Les partisans de l’analyse culturaliste affirment, par exemple, que la mobilisation est l’expression du style de vie des polonais,  que ces types de comportements sont des codes culturels durables (Szawiel 2010), tout comme le deuil est la langue naturelle du drame social en Pologne (Tokarska-Bakir 2010). Dans ce contexte, on reconnait l’importance inhabituelle de l’activité médiatique qui avant le 10 Avril était très critique vis-à-vis du président et qui l’a soudainement porté aux nues (voir Nosowski 2010). Les médias envoûtaient les spectateurs (Sulek 2010) et voulaient formater le deuil (Tokarska-Bakir 2010). Il a été même suggéré que la mobilisation dès  le 10 Avril était devenue un spectacle médiatique (Krzeminski 2010). Enfin, le facteur clé de l’analyse a été la politique.  Toutes les sensibilités politiques se devaient de «thésauriser » sur la mobilisation (voir Nosowski 2010).
La perspective micro donne la part belle à l’activité individuelle. En accord avec les classiques de la différenciation de Weber, ils attirent notre attention sur :
(a)    L’émotion (« l’effet Lady Di »comme Ireneusz Krzeminski [2010] l’a analysé sur l’étendue du deuil ; « agressivité hystérique » [Bielik-Robson 2010a] ; « exaltation », comportement moutonnier » [Szumowska]) ;
(b)    La tradition (retour au messianisme Bielik-Robson 2010a, Boncza-Tomaszewski et Horodniczy 2010] ainsi que les formes de comportement connus pour le deuil de Jean Paul II ainsi qu’au moment du premier Solidarnosc(1980-1981) [Stawrowski2010]) ;
(c)    L’intérêt (d’un coté, nous avons la « technique du chantage » de Jaroslaw Kaczynski  qui a été responsable de la participation massive au cérémonie de deuil [Kuzniar 2010], de l’autre, les politiciens ayant pris part au deuil qui se sont « malproprement agenouillés pour des nécessités d’ingénierie sociale. » [voir Nosowski 2010], des politiciens remplis de cynisme et d’hypocrisie [Krasnodebski 2010b, Rymkiewicz 2010] ;
(d)   Les valeurs (réconciliation [Lisicki 2010, Terlikowski 2010b], républicanisme, patriotisme [voir Smolar 2010], la mort [Bielik-Robson 3010a ; Tokarska-Bakir 2010], la maturité citoyenne [Gawin 2010]).
Ce qui est surprenant, c’est que parmi  les analyses citées, peu se servent de la langue de la théorie. Même si beaucoup de ces analyses citées ont été rédigés par des diplômés en sciences sociales, ceux-ci ont écrit comme des personnes publiques et non comme des scientifiques. On peut cependant indiquer la plus intéressante tentative, celle d’Agata Bielik Robson (2010a, 2010b) qui a proposé un exemple d’analyse psychanalytique, faisant appel à Freud avec « Totem et tabou ». Dans cette optique, Lech Kaczynski est « l’incarnation totémique du père, mais aussi symbole du passé que les polonais ont décidé de passer à la trappe afin d’avoir enfin la force de commencer à prendre part à la vie normale de la civilisation occidentale. […] Le père représentant le type archaïque de pouvoir souverain étouffant tout mouvement de liberté sur ses propres enfants. Les fils, afin de prendre le chemin de l’émancipation et de la civilisation, doivent l’achever mais en même temps, subsister dans le sentiment indélébile de la culpabilité liée au meurtre. […], la plupart des polonais, en effet, a tuée le père qui ne lui permettait plus de vivre. Laissons les morts enterrer les morts, les polonais cependant ont choisi la vie ». (Bielik Robson 2010b). Antoni Sulek (2010) a mis en pratique une optique sociologique d’une manière très rigoureuse. Le chercheur polonais fit appel en particulier aux concepts de rituel, de sainteté et de héros national, mises en rapport par Stanislaw Czarnowski avec le culte national de saint Patrick en Irlande. A son tour, Pawel Kuczynski (2010), puisant dans d’autres traditions sociologiques,  a utilisé la théorie des mouvements sociaux dans son analyse de la mobilisation sociale. Enfin, s’appuyant sur les conceptions de « drame social » et de liminalité de Victor Turner, Joanna Tokarska-Bakir (2010) a présenté une photo anthropologique de l’événement très suggestive.
Malgré les nombreuses qualités des analyses présentées ci-dessus, chacune d’entre elle n’est pas exempte de tout reproche.
Premièrement, il existe une tendance à réunir son attention sur un seul aspect : individuel, social ou métaphysique. Les métaphysiciens faisant abstraction de l’empirisme et les empiristes des valeurs ou bien encore des catégories philosophiques. De plus, cette tendance se reproduit à chaque niveau. Si au niveau métaphysique le démonisme est perçu, alors l’action de Dieu ne l’est pas. Si quelqu’un voit dans la mobilisation sociale le résultat de l’émotion, il n’en voit pas ses valeurs. Mais s’il les voit, c’est en y distinguant les valeurs positives (républicanisme) mais n’y voyant pas les valeurs négatives (par exemple, la fascination de la mort). Si quelqu’un affirme que « les médias manipulent les polonais », il négligera la part des politiciens du camp du président défunt dans la mobilisation sociale. Mais s’il voit, dans l’activité de ces derniers, des gens « thésaurisant » du capital politique à partir du deuil, il ne sera pas aussi vigilant sur les medias.

Deuxièmement, les analyses mentionnées sont toutes très localisés dans le temps. Cela veut dire qu’elles ne contiennent pas toutes les étapes de la divinisation de Lech Kaczynski, elles ne se focalisent que sur un aspect donné. Par exemple, Joanna Tokarska-Bakir (2010) s’intéresse au deuil, à « ce carnaval d’affliction » et au processus de «sanctification » du président après sa mort, évitant la question de son inculpation avant la catastrophe. Cet aspect ne fait pas partie non plus de la réflexion d’Agata Bielik-Robson (2010a, 2010b), même si l’auteur remarque que Lech Kaczynski a été soumis à un meurtre rituel par la majorité des polonais. Ils n’expliquent pas quel caractère a cette mort et ce qui a mené vers elle. Et si Antoni Sulek (2010) décrit le processus de dédommagement envers le président après sa mort traumatisante pour l’opinion, il n’est pas montré comme le sujet théorique principal.

Troisièmement, la plupart des explications courantes sont ad hoc. Elles partent de leur aboutissement. Elles ne résultent pas d’un approfondissement de la pensée sur la réalité sociale, elles subissent l’influence du moment. Même les analyses théoriques n’en sont pas totalement libres. Aussi bien Tokarska-Bakir (2010), que Bielik-Robson (2010a, 2010b) unissent leurs analyses avec des explications ad hoc. Chez la première, la théorie du drame social et son analyse sont liés en imputant aux polonais une « inadaptation a la vie » et à des « fantasmes de vengeance ». Et chez la seconde, Freud lie la métaphysique de Thanatos avec la diabolisation.

Par ces trois raisons, les analyses ne sont moins fausses qu’incomplètes. Elles voient seulement une partie de la réalité mais la totalité leur est voilée à leur insu.
En conséquence, la dimension des significations leur est cachée (ou trop manifeste ?).
Il est clair – on le voit par exemple dans les analyses de Bielik-Robson et de Tokarski-Bakir – que la science ne sert pas tant à définir, à décrire et à éclairer la réalité sociale qu’à l’estimer. Il me semble que dans le cas qui nous intéresse, l’évaluation négative ( Bielik-Robson ou encore Tokarska-Bakir) est un reflexe de base qui ensuite prend la forme de la structure guidant les explications. Dans cette situation, la théorie apparaît non pas comme ce qui nous permet de mieux comprendre, mais comme un accessoire scientifique que nous donnons à nos appréciations initiales. Je souligne encore une fois : je ne pense pas que les explications présentées soient fausses – les chercheurs ont donné en effet de bons arguments- je pense seulement qu’ils ont omis l’explication concurrentielle.

René Girard : La perspective socio – théologique.
Dans le présent texte, j’aimerais vous présenter une explication qui sera, du moins en partie, libre des défauts cités ci-dessus. On restera d’abord aussi bien attentif à la dimension métaphysique qu’empirique, deuxièmement, on intégrera les deux phases en une seule narration : l’inculpation et la divinisation de Lech Kaczynski. Enfin, il n’y aura pas de théorie ad hoc. Je crois que la théorie du bouc émissaire de René Girard remplit tous ces critères. Sans doute, elle est une théorie empirique mais elle ne fait pas abstraction des processus de divinisation et de diabolisation sur lesquels théologiens et philosophes attirent notre attention. Elle porte le même soin à l’impopularité initiale qu’ensuite à la divinisation d’un membre de la communauté. Enfin, elle touche véritablement aux processus de sacralisation. En effet, son hypothèse de base proclame que ce type de transformation du symbole du mal en symbole de divinité s’est accompli et s’accomplit continuellement depuis la fondation de l’histoire des hommes. La théorie de Girard n’est certes pas parfaite, mais – comme je le pense – dans notre contexte, elle est plus complète que toutes les théories concurrentes.
Le fait que l’approche Girardienne unit les perspectives empiriques et théologiques en une formulation d’une explication complète est une qualité essentielle.

D’abord, elle attire notre attention sur le fait que la théologie existe. En effet, les sociologistes, aspirant à un idéal scientifique Wébérien libre de toutes valeurs, évitent très souvent (cette fois contre Weber) la religion dans leurs analyses. La religion leur apparaît comme un épiphénomène, cependant les questions de la diabolisation et de la divinisation sont cruciales pour les processus dont nous voulons nous occuper.
Deuxièmement, Girard établit que la perspective théologique est décisive. La théologie décrit la réalité sociale et historique comme une lutte entre le bien et le mal mais la sociologie fait abstraction de ces types de considérations et à ce propos ne remarque pas ce que distingue la théologie. Dans l’exemple de la catastrophe de Smolensk, cette perspective, attentive à la morale, semble plus qualifiée que, disons, l’analyse structurelle de classe.
Troisièmement, Girard rappelle que la théologie est vraie, mais pas toute la théologie – seulement la théologie judéo-chrétienne.
Maintenant, je ne vais plus suivre Girard pas à pas, mon analyse sera sur le modèle d’une interprétation libre. En particulier, nous lirons en elle les bases théologiques de la diabolisation puis celle de la sacralisation du bouc-émissaire, phénomène basé sur l’ignorance de la communauté.
La théorie girardienne a déjà été fréquemment commentée et expliquée par l’auteur lui-même (voir aussi Bolewski 2007). Ici, je me bornerai à quelques traits principaux : le mimétisme et le bouc-émissaire. Girard comme littéraire a découvert le « mécanisme mimétique », il a ensuite identifié comme anthropologue le « mécanisme sacrificiel » (voir les origines de la culture 2004). Voici les différentes phases élémentaires.
1 Le désir humain a un caractère mimétique. Dans toutes les sociétés les gens ne convoitent pas les choses compte tenu de leur valeur indépendante, mais par le fait qu’ils imitent le désir des autres. L’argent, le pouvoir, la renommée sont seulement importants pour nous dans la mesure où cela l’était avant pour d’autres.

2 Ce mécanisme de départ conduit à un mimétisme rivalitaire. Puisque les biens que nous visons sont toujours trop peu nombreux, nous devons nous retourner les uns contre les autres. Nous devons constamment expulser ceux qui se lèvent comme des obstacles à notre désir. Cela conduit à la situation où nos opposants commencent à se confondre avec nous-mêmes. En quelque sorte, ils deviennent nos sosies. Et plus nous devenons semblables et plus l’hostilité entre nous devient forte. Le conflit devient le but en lui-même. La crise mimétique, c'est-à-dire sacrificielle, est la dernière de ces phases. Les rivaux en désaccord commencent à chercher la personne responsable de ce chaos emportant tout sur son passage.

3 Si la vie commune ne s’est pas encore transformée en une interminable lutte du tous contre tous, c’est seulement parce qu’il existe un mécanisme qui rétablit la paix et l’équilibre : Le mécanisme du bouc-émissaire. Les adversaires ne se réconcilient jamais d’eux-mêmes, parce qu’ils se battent pour la même chose, ils s’unissent cependant rapidement dans une action commune contre une victime dans un rituel mortuaire. Quand nous concentrons notre agression mutuelle sur l’anéantissement d’une victime commune, nous recouvrons l’unité perdue. Le bouc-émissaire est assassiné par la communauté comme source du mal, elle devient divinisée comme source de l’unité. Tel est le passage de la première métamorphose de persécution (diabolisation) à la deuxième transformation de persécution (divinisation).

Dans cette perspective, nous voyons très clairement que Lech Kaczynski se prête parfaitement au rôle de bouc-émissaire et qu’instantanément l’unité nationale s’est reconstruite autour de lui.
Afin de rendre possible l’expulsion des victimes, doivent apparaître les « stéréotypes de persécution » (Le bouc-émissaire 1982). Le premier est « le stéréotype de la crise » qui rapporte l’état où la communauté est plongée dans une situation mortelle pour elle, établie sur la perte des différences et des hiérarchies, c'est-à-dire la crise d’indifférenciation. Le second stéréotype est le «stéréotype accusatoire ». La communauté cherche « le crime de l’indifférenciation», responsable de la crise existante. Sur la base supplémentaire des « signes victimaires» - et c’est le troisième stéréotype - la communauté retrouve la victime qui a commis ces crimes et jette sur elle toute responsabilité. Ces stéréotypes lancent le mécanisme qui au final conduira au crime sacrificiel communautaire.

Tous ces stéréotypes, dans une forme adoucie et appropriée pour une société moderne n’acceptant plus les meurtres rituels de par ses racines chrétiennes (Les origines de la culture 2004), nous les retrouvons en Pologne en 2005 après que le parti Prawo i Sprawiedliwosc (droit et Justice, « PiS ») pris étonnamment le pouvoir, et que Lech Kaczynski fut élu président. Evidemment, le mécanisme sacrificiel ne peut plus prendre la même progression comme dans les cultures humaines archaïques marquées par la violence. Mais il est étonnant de voir que les mêmes éléments apparaissent. Elles prennent une autre forme – généralement elles ne sont pas présentées sérieusement, mais avec ironie, distance. Néanmoins, ce sont à chaque époque, les mêmes stéréotypes. Et de tout temps, aussi on déshumanise la victime à venir. Pour le rôle de « prêtre », les leaders archaïques des sociétés plus agressives, nous prenons aujourd’hui des « bouffons » ou « des comiques »(voir Kolakowski 1989 : 161-180), et dans le rôle de la violence physique – le rire. Ainsi, pendant des siècles l’élimination de la victime fut physique, elle est aujourd’hui symbolique, utilisant l’humour comme une « sorte d’armes » (Zygulski 1976 : 117). Ses cibles sont les mêmes caractéristiques qui attirent la violence. « Chaque rigidité de caractère, de pensée et même corporelle sera suspecte pour la société parce que c’est le signe supposé d’une force déclinante qu’on voudrait expulser du centre de la société, car c’est – en un mot- un symptôme d’excentricité, et le rire en est sa répression. » (Bergson, dans : Zygulski 1976 : 7). Comme la violence, l’humour échappe à tout contrôle. « Au moment, où nous acceptons la possibilité des transformations existantes et reconnus comme un sujet important, nous ouvrons grandes les fenêtres à l’éventualité de toutes les critiques, critiques ne se basant sur rien, absolues, interminables, destructrices, afin qu’en retour, rien ne demeure » (Bystron, dans Zygulski 1976 : 8). Enfin, comme dans un meurtre rituel dans une société primitive, le rire régule l’activité sociale, « elle réduit les inévitables tensions résultant de l’activité politique, elle favorise l’intégration, parfois en ridiculisant. » (Zygulski 1976 : 117). La communauté du rire est la communauté d’une énorme force unificatrice similaire à la force du meurtre.

Première métamorphose de persécution


Commençons à partir du stéréotype de crise. L’idéologie exprimée par les créateurs de Pis est une idéologie morale (ses devises : « la révolution morale » et « IV république» (note du traducteur : concept et slogan politique créé par le philosophe Rafal Matyja en 1997 et repris par PiS pour la campagne présidentielle de 2005, considérant que la troisième république actuelle n’est qu’une création post communiste dont la quatrième s’éloignerait par une révolution morale.) avaient véritablement cette nuance.) et se trouve en conflit avec l’idéologie faisant appel à l’unité, exprimée par exemple par PO (Platform Obywatelstwo, plateforme citoyenne) (« le gouvernement de l’amour »). Selon cette dernière idéologie, qu’avec Jadwiga Staniszkis nous pouvons appeler nominaliste, les polonais constituent une communauté homogène – nombreuse et unie- dont tous les membres sont égaux entre eux. On est polonais ou on ne l’est pas. En conséquence, il faut voir les polonais comme un ensemble homogène et non comme un patchwork. La représentation concurrente – faisons appel de nouveau à Staniszkis : se rapproche plus de l’esprit thomiste.- présente les polonais comme une communauté hétérogène dont on peut être plus ou moins membre selon notre niveau de moralité et d’implication. La polonité devient graduelle : On est plus ou moins polonais. Dans la langue de la psychologie cognitive nous dirions que l’idéologie nominaliste construit une vision catégorielle de la nation, et que l’idéologie thomiste – une vision prototypique.

L’utopie et la notion de révolution étaient les traits caractéristiques de base de l’idéologie morale, elle visait bien à dépasser la situation sociale actuelle. C’est donc dans sa nature même que l’idéologie des frères Kaczynski s’en prend aux hiérarchies consacrées et aux différences sociales (« ordre», « corporation », « système », « pseudo-intelligence», « Postcommunisme », « autorité », « réseaux affairiste en politique », « pseudo élite ») et conduit à une incessante indifférenciation de la société et donc à sa crise. Plus personne ne savait qui se situait en haut ou en bas de l’échelle sociale. Ceux, qui à cette époque appartenait à l’élite devenait soupçonnés et les simples polonais devenait le sel de la terre. La crise provoquée par les Kaczynski, renforcée par l’interprétation de ses opposants politique était très profonde, car d’un coté, elle divisait la société à un tel point que même Jaroslaw Kaczynski parlait de la « guerre polono-polonaise », mais encore cette crise d’abord locale devenait internationale car la politique étrangère polonaise, réalisant l’idéologie morale, conduisait elle aussi à une indifférenciation de l’équilibre des forces présentes : La Russie et l’Allemagne, de « frères aînées » de la Pologne devaient devenir des partenaires commençant à respecter la Pologne. Ainsi, sans doute, le « stéréotype de la crise » a pu apparaître – et est apparu (« les polonais sont las de la guerre »). Il faut à cela se rappeler, que « le plus petit changement dans les classifications et hiérarchisation des créatures vivantes et des êtres humains transporte en lui le risque de la perturbation du système sacrificiel » (La violence et le sacré, Girard)

En présence d’une crise continuelle, la communauté commence à chercher les personnes qui l’y ont entraînée. Les stéréotypes de persécution s’unissant avec les recherches de « signes de sélection victimaires »qui apparaissent dans de telle situation, convergent vers les frères Kaczynski. Cependant il ne s’agit pas seulement d’une attribution de responsabilité mais d’exclusion de la communauté et de condamnation morale. Comme les frères Kaczynski ont exclu de la communauté ceux qui ne répondait pas à leur profession de foi par leur modèle d’engagement (il faut se souvenir du mannequin à l’effigie de Lech Walesa incendié (En 1993, les frères Kaczynski ont mené une manifestation contre la tiédeur de Lech Walesa à transformer la Pologne. Ils ont à cette occasion brûlé un mannequin à son effigie) ), ils ont commencé à être exclus de la société. Dans l’arène politique, les politiciens et les commentateurs qui s’attaquaient mutuellement, devenaient de plus en plus semblable. Dans des conflits politiques enflammés autour des frères Kaczynski, ils sont apparus comme leurs propres sosies agressifs. La différence entre les parties s’effaçait.



Une condition nécessaire à la mise en marche du mécanisme sacrificiel est la perception de la victime à venir comme différente, comme une personne se détachant du groupe mais en même temps semblable à elle. La victime, afin de devenir victime, doit avant tout appartenir à la communauté. Elle doit être notre victime. (La violence et le sacré, Girard) Les frères Kaczynski remplissaient ces critères sans problème.


Cependant, aussi longtemps que les institutions d’état leur appartenaient et leur servaient à la réalisation de leur idéologie morale, ils n’étaient menacés en rien. En raison de leur puissance, ils étaient toujours dangereux pour leurs opposants. La situation s’est changée radicalement, quand en 2007 PiS a été écarté du pouvoir par PO (qui de plus a systématiquement bénéficié du soutien populaire), et quand Lech Kaczynski a perdu graduellement sa popularité et avait apparemment anéanti toute chance de réélection. Les frères Kaczynski, de leader de la majorité grâce à laquelle l’appareil d’état les avait élevés, sont devenus les leaders d’une fraction réduite de citoyens. Ceux qui étaient jusqu'à présent la force ont commencé à montrer de plus en plus grand signe de faiblesse.


Parmi les membres de leur groupe (et donc de leurs sosies), tendant tous au même but, ils ne se différencient en rien les uns des autres, la victime est alors sélectionnée de manière arbitraire mais elle doit porter les signes de sélection victimaire. «Plus un individu possède de signes victimaires, plus il a de chances d’attirer la foudre sur sa tête. » (Girard, Le Bouc-émissaire,). Les frères Kaczynski sont devenus nominés au rôle de Bouc-émissaire, puisqu’ils rassemblaient un grand nombre de ces signes.


Comme l’a établi René Girard, il arrive souvent qu’au moment précédant la mort rituelle de la victime, la foule la suréleve. Les marginaux, comme les rois peuvent être l’objet de la persécution (La violence et le sacré, la route antique des hommes pervers, Girard) En effet, la surélévation la sépare du groupe et de tout rapport avec elle ; si elle lui est déjà liée, elle passera doucement de l’amitié à l’hostilité. Le chemin menant de l’amour à la haine est significativement plus court que celui vers l’indifférence. Il suffit de se souvenir du Christ qui est entré à Jérusalem comme un roi pour finir crucifié par la foule une semaine plus tard. La surélévation a joué un rôle semblable dans le cas de Kaczynski, dont l’élection comme président l’a mise à part du reste de la population et a fait de lui une cible facile et manifeste aux attaques. D’autant plus que son élévation l’a mis dans une situation encore plus dangereuse car elle lui a donné un mandat social colossal et lui a certifié que ses diagnostiques étaient universellement approuvés. En effet, plus les accusations formulées par la future victime contre la foule sont vraies, plus il démasque les péchés de la communauté (Corruption, échelle sociale bloquée, pouvoir corporatif, peur d’une politique internationale indépendante etc., le bouc émissaire), alors plus grande sera alors l’agression des adversaires.


La future victime ne doit pas obligatoirement commettre un péché contre la communauté, il suffit d’un petit défaut de son corps, un incident fictif ou peu important afin de lancer sur lui la suspicion. Les adversaires de Kaczynski ont commencé à affirmer des faits apparemment objectifs, tel que : les Kaczynski étaient…frères jumeaux. Mais derrière la constatation de fait, une connotation négative guettait quelque part dans l’arrière plan. Jaroslaw Kaczynski l’a parfaitement senti, lui qui après l’élection de son frère comme président a décidé de ne pas être premier ministre car selon lui les polonais n’étaient pas prêts à cela. Dans la bouche des critiques, les mots « jumeaux » et « frères » perdaient alors leurs valeurs descriptives et devenaient une constatation d’anomalie et même d’accusation. Un des membres les plus importants de PO avait organisé un jeu-concours afin de trouver les dix différences entre les frères et il a expliqué une autre fois, mi figue- mi raisin, son appréhension envers eux car « il est deux ». Cela peut sembler une remarque innocente, mais ces petits et innocents commentaires mirent en marche les mécanismes victimaires et ont leur propre analogie latente dans les cultures archaïques. Dans les cultures primitives, il règne universellement « la phobie religieuse des jumeaux » qui mène aux accusations de terribles épidémies, maladies mystérieuses, disputes entre les proches, du déclin des rituels, de la violation des interdits (La violence et le sacré) et en dernière étape à la mort rituelle des jumeaux (Les origines de la culture). Pourquoi cela se passe t il ainsi ?

Puisqu’on ne peut les différencier, ils deviennent les symboles de l’indifférenciation et donc de la crise profonde de la société. (La violence et le sacré, Girard) De même, « ils semblent annoncer le plus grand des dangers, celui menaçant les sociétés primitives : la violence aveugle. »


Ce n’est pas également un hasard, si on a reproché usuellement à Lech Kaczynski sa petite taille et sa laideur (« kartofel » patate). En conséquence, le président commence à nous rappeler « les monstres mythologiques » dans lesquels la dimension physique et morale sont inséparables. (Le bouc-émissaire: 53). Les indications sur ses défauts physiques suggèrent simultanément les vices moraux (Sikorski « Prezydent moze byc niski, ale nie moze byc maly» Le président peut être de petite taille mais il ne doit pas être petit). On s’amuse aussi avec le nom du président (« Kaczory » Canards, « dwuglowa kaczka » canards a deux têtes). Par conséquence, quoique de manière humoristique et ironique, mais parfois brutale, on le déshumanise systématiquement, dupliquant inconsciemment les motifs archaïques des êtres qui s’avèrent dangereux pour la communauté puis qu’ils brouillent la frontière entre l’humain et l’animal. En effet dans les sociétés archaïques, « cela constitue la modalité la plus importante et la plus spectaculaire de la monstruosité mythologique. » (Girard Le bouc-émissaire : 75).


Les erreurs de prononciation insignifiantesIrasiad » (NdT : Irasiad est la contraction de l’injonction « Ira siad », (Ira, assis toi !) prononcée par un maitre chien à son animal et qui a été ensuite répétée par erreur par Lech Kaczynski comme le véritable nom du chien), « Borubar » (NdT : Borubar est le nom qu’a donné Lech Kaczynski au gardien super star de l’équipe polonaise de football au lieu de Boruc, lors d’une interview lors de la coupe d’Europe de football en 2008)) qu’a commises le président n’auraient apparemment pas le même caractère. Pourtant, « le langage – comme le souligne Girard- est l’indicateur le plus sûr de l’« être avec » […] Celui qui a de l’accent, un accent, est toujours celui qui n’en est pas» (Girard Le bouc-émissaire : 225). Une petite erreur de prononciation suffit à allonger la note du président qui « n’est pas d’ici », qui «n’est pas notre président ».


Sur le même principe, on lui a attribué des maladies inventées et réelles. Un de ses adversaires (Ndt : Janusz Palikot) a dit directement que le président était « à moitié vivant », qu’il est « un cadavre a roulette ». Au cours de la campagne électorale 2007, on l’a accusé, lui et son frère de « nécrophilie politique » (se basant sur la « thésaurisation » politique sur la mort de Barbara Blida (NDT: femme politique du parti de gauche. En 2007, figurant parmi des personnes faisant l’objet d’une enquête sur des pots-de-vin impliquant des fonctionnaires publics, elle met fin à ses jours lors d’une perquisition à son domicile de Siemianowice Śląskie par l'Agence de la sécurité intérieure).). Ce type d’accusation dans les sociétés primitives était, au contraire, très graves. On avait en effet une peur panique de ceux qui franchissaient la frontière entre la vie et la mort. « Le mort vivant » étant une figure exceptionnelle de terreur (Le bouc-émissaire : 246).


Les signes de sélection victimaires se transforment très rapidement en formulation directe de l’accusation. Bien que dans la société, tous deviennent un obstacle pour tous, la victime à venir commence à être vu comme obstacle principale, comme pierre d’achoppement, comme « skandalon » qui tout ensemble repousse et attire (Le bouc-émissaire : 194). En ce sens, la stratégie politique des opposants de Kaczynski avait pour but principal de le présenter comme celui qui dérange, fait figure d’obstacle (Krasnodebski 2010). On s’est donc plaint de lui comme celui qui empêche la réalisation des reformes économiques (c’est a dire : avec Kaczynski, nous ne pouvons pas être riche), qui ridiculise la Pologne sur la scène internationale (c'est-à-dire : avec Kaczynski, nous ne somme pas pris au sérieux), qu’au lieu de construire un état efficace, il gesticule (c'est-à-dire : Avec Kaczynski, nous ne pouvons pas être fort), qu’au lieu d’unir les polonais, il exacerbe les inimités (c'est-à-dire : sous Kaczynski, nous ne pouvons pas finalement nous aimer, nous sommes divisés), il est enfin un obstacle pour l’unité européenne (son abstention pendant la signature du traite de Lisbonne). En conséquence, le président paraissait comme « embarrassant » et « risible » (Wisciski 2010).

Afin de renforcer les accusations, on attribue souvent à la victime des péchés visant, en particulier, l’existence de la société et les tabous sexuels. Dans le cas de Kaczynski, on l’accusait de briser les règles démocratiques, par exemple en manquant de respect pour les électeurs et surtout pour les plus faibles (« spieprzaj dziadu », « Va te faire foutre, vieillard » envers le sans abris provocateur Hubert), ou alors en ne participant pas aux rituels sociaux et même en les outrageant. On l’a critiqué aussi sur le fait que, à l’encontre des règles officielles, il ait fait flotter les emblèmes polonais et non le drapeau national au-dessus du palais présidentiel.

Sa méconnaissance du gardien de l’équipe polonaise de football, son écharpe « Polska » portée dans le mauvais sens, ainsi que ses fausses notes pendant l’hymne national ont été des signes fâcheux puisque le sport est devenu un des principaux rites de nos sociétés contemporaines. Les accusations d’antisémitisme et d’homophobie, qui sont devenus tabous dans l’Europe moderne, remplissent aussi une fonction semblable. Enfin, il est suggéré que Lech Kaczynski avait des relations malsaines avec sa mère et son frère, l’homosexualité a été même supputée pour ce dernier (« J’invite Jaroslaw Kaczynski et son mari », Parmi les jumeaux monozygotes, l’un des deux est souvent homosexuel »), son coté efféminé aussi (« est ce que Jaroslaw est Jaroslawa » ?) et enfin la zoophilie (« faites tout afin que la première dame ne pisse pas dans la litière ! »). Il est intéressant de noter que pendant les chasses aux sorcières, on portait de telles accusations. (« Si la sorcière présumée possède un animal familier, un chat, un chien ou un oiseau, elle passe aussitôt pour ressembler à cet animal », Le Bouc-émissaire, p 75). Les péchés du frère deviennent également ses propres péchés.


La dernière étape est l’anéantissement de la victime. « Le processus de persécution exerce une telle pression sur les individus soumis à son action que l’individu n’a aucune chance de prouver son innocence » (La violence et le sacré). Si dans les cultures anciennes, ce processus aboutit sous forme de meurtre rituel, il prend la forme de mort imaginaire, symbolique dans les sociétés contemporaines. L’élimination du président s’est fait imaginairement. Plus une personne était semblable à Kaczynski, c'est-à-dire, plus elle désirait le pouvoir et obtenir ce dont Kaczynski constituait l’obstacle, plus elle était brutale.Ce n’était pas un hasard que le rire de la communauté cachait une rhétorique agressive vis-à-vis du président. Ainsi, une escalade de violence hors du contrôle de quiconque suivit soudain. On a alors souhaité aux polonais que Kaczynski ne soit plus président. Encore vivant, il a été dit de lui (« l’ex-président, Lech Kaczynski »). On a même recouru au lieu commun archaïque de la fixation de la violence. Un leader du camp politique concurrent avait promis qu’ « il ne ferait pas de tort aux Kaczynski», et un de ceux qui étaient un ancien collaborateur et qui avait changé de couleur politique, exhortait à « achever la meute ». Il lui a semblé peut être que la violence imaginaire était le prix de son acceptation dans son nouveau parti. Il est particulièrement intéressant de noter que le plus agressif était son futur opposant à la course présidentiel (et donc son « double » par excellence). C’est lui qui rêvât que « peut-être le président volera quelque part et tout cela changera », et qui par le bon mot «Jaka Wizyta, taki zamach » (Tel fut la visite, ainsi fut l’attentat (NDT : en 2008, Lech Kaczynski fit une visite de soutien au président géorgien Saakachvili. Le convoi présidentiel polonais a essuyé des coups de mitraillettes. Provocation ou attentat, on ne l’a jamais su. Mais ici, B. Komorowski estime que si c’était un attentat, il fut autant raté que la visite du président).suggérât en même temps que pour un tel président, cela ne vaut même pas le coup d’organiser un attentat ou bien de l’assassiner. Afin de revenir à une analogie antique, dans la Rome impériale, comme le rappelle Giorgio Angamben (2008), le plus bas des échelons sociaux était le homo sacer, c'est-à-dire celui dont la vie valait si peu qu’on ne pouvait même pas le sacrifier. Il semblerait que Kaczynski était tombé aussi bas. Il est devenu si petit et insignifiant qu’il ne vaut même pas le coup de le tuer. Lisant les remarques des critiques de Kaczynski, on peut donc montrer qu’ils ont franchi la frontière suivante et qu’ils sont tombés dans une sorte d’ivresse de la violence (Krasnodebski 2010a).
L’étrangeté du drame, qui s’est déroulé à Smolensk, est que les mots exprimés finalement sans sérieux sont brusquement devenus réalité. Soudain, nous sommes passés de la mort imaginaire à la mort réelle. Il s’est passé dans la société, un court-circuit qui a conduit à un changement radical.

Seconde métamorphose de persécution

Bien qu’éclairée par le mécanisme sacrificiel dans sa pleine compréhension, la mort tragique de Kaczynski restaurant l’unité sociale est un fait étonnant. En effet, l’unité n’était pas seulement intérieure, mais elle a aussi conduit à une réconciliation entre les polonais avec une autre société pour qui Lech Kaczynski était une pierre d’achoppement : les russes. Tous ensemble dans le même processus, la communauté a changé d’opinion sur la victime. Tout comme avant sa mort, elle paraissait responsable de tout mal, ainsi maintenant, on commence à l’identifier avec la bienheureuse et extatique unité qui règne soudainement. C’est à ce moment que commençât le processus de divinisation de la victime.
Ce qui était avant tout frappant, c’était le changement d’ambiance, car – comme l’écrit Girard (le Bouc-émissaire : 131)- ce sont les mêmes persécuteurs passés (« les meurtriers ») qui divinisent leurs propres victimes. Les voix de toutes les critiques précédentes adressées à Lech Kaczynski disparaissent. Même son opposant le plus acharné « a changé » au moment du deuil national. Cela ne fait rien qu’il l’ait fait pour des raisons tactique ou non. Il ne pouvait se comporter autrement à cette époque. Au milieu de cet événement passionnel, Zdzislaw Krasnodebski a montré cette profonde transformation, écrivant que les opposants de Kaczynski avaient entièrement transformé leur identité et « ne sont déjà plus les mêmes », car au lieu de railler et de s’amuser comme auparavant, ils étaient soudain devenus « le chœur des pleureuses nationales ». Jaroslaw Marek Rymkiewicz (2010) l’a jugé très sévèrement : « les gens qui le détestaient, qui le méprisait, qui le dédaignait pleurent maintenant sur son cercueil ». Tel que nous pouvions parler plus tôt d’ivresse de la violence (Krasnodebski 2010a), on parlerait maintenant de l’ivresse du deuil (Bielik-Robson 2010a).
Le deuil est devenu un fait social possédant un poids incroyable, il devenait une sorte de contrainte non seulement pour ceux qui n’accordait pas leur respect jusque là à Kaczynski, mais aussi avant tout pour ceux qui étaient le plus proche de lui. Ils ont ressenti une pression sociale, « afin de rayer le passé à gros traits pour se réconcilier, pour ne pas perturber l’atmosphère de deuil » (Krasnodebski 2010a). Même s’ils pouvaient apparaître de leurs camps des voix critiques sur la fausse « rhétorique de réconciliation nationale », voilant la culpabilité des probables auteurs (Krasnodebski 2010a, 2010b, Lisicki 2010, Rymkiewicz 2010, Terlikowski 2010b), ils ont finalement succombé à la pression de la société. Jaroslaw Kaczynski et son camp n’ont pas essayé de perturber cette unité nationale, ce qui était déjà en soi sidérant pour ses opposants. Autant que ses adversaires, « il a changé » d’une manière stupéfiante et a transformé son identité. Ce guerrier agressif s’est transmuté en partisan de la réconciliation avec la Russie et de la fin de la guerre polono-polonaise, cette même personne reprenant l’idéologie nominaliste, la combattit à cette époque. Le prix de l’acceptation de Jaroslaw Kaczynski d’être un membre égal de la communauté et donc d’être une personne qui comme les autres et avec les autres maintient l’entente nationale était simple : « l’oubli » de la première transformation persécutrice et du fait que les présents prêtres du deuil étaient autrefois ses propres persécuteurs. En d’autres termes, Kaczynski devait abjurer son frère (voir le bouc émissaire : 226). Cela s’est reposé, entre autres, sur son détachement de ceux qui étaient ses partisans jusque la. (« L’électorat ferme de PiS », « les anticommunistes », Radio Maryja) et a cherché le soutien de ceux qui avaient été jusque la ses ennemis (« les postcommunistes », les enfants posthumes de Gierek). Ce changement était si profond, qu’avec le temps, il peut sembler que ce n’était pas le fruit d’une décision individuelle mais un processus social de grande force, agissant presque au dehors de la conscience de ses membres. Aujourd’hui, ceux qui avaient participé à ce changement, ne peuvent l’éclairer autrement qu’en faisant appel à un facteur extérieur tel que l’intervention d’un calmant puissant.

Avec le temps, les commentateurs, se retournant vers ces jours importants, ont vu le même phénomène : l’unité. Zbigniew Nosowski (2010) a rappelé « l’écrasant sentiment national ». Michal Bardel (2010 : 56) lui, a écrit qu’il était enclin à y voir une chance de « nouvelle ouverture » et « un changement de la spiritualité polonaise ». La société s’est montrée comme une communauté si sincère que même des idées antipolitiques come une présidence au delà des partis est apparue (Bugaj 2010 : 49-50).
Et l’unité, comme l’a montre Durkheim, à qui ici Girard demeure attaché, est interprétée par la société comme sainte (voir Sulek 2010). Cela ne pouvait donc être un hasard si les cercueils du président et de son épouse, exposés au regard public au palais présidentiel est devenu le but de pèlerins de toute la Pologne. C’était une chose naturelle, que devant le palais présidentiel, une croix, des fleurs et des bougies étaient placées, que les gens y priaient, chantaient des chants religieux, qu’ils s’agenouillaient devant les cercueils des morts. Cela semblait également naturel d’ajouter à la robe de la Vierge noir de Czestochowa des petits fragments de l’épave de l’avion. De cette manière, a pu se poursuivre la double divinisation. La plus importante des icones polonaises a prêtée sa sainteté aux morts, et sa nouvelle robe est devenue du même coup l’ex-voto de la nation polonaise. Enfin, il a semblé naturel que l’enterrement du couple présidentiel devait avoir lieu lui aussi avec tous les honneurs à Wawel, le plus important des sanctuaires polonais, à cote des rois et des prophètes. Ce qui est important est que cette décision a été prise non par des partisans de Kaczynski, mais par des personnes qui par le passé ne le soutenait pas : Le cardinal Stanislaw Dziwisz et le maire de la ville de Cracovie, Jacek Majchrowski (Magierowski 2010). C’était la touche finale de la divinisation du bouc-émissaire.

Afin que ce processus soit possible, il convenait cependant de refouler les transformations victimaires, et avant tout de cacher le meurtre collectif. « Les religions et les cultures dissimulent cette violence pour se fonder et se perpétuer » (Girard, Le bouc-émissaire p141). Evidemment, on ne revient généralement pas sur cette affaire, mais une angoisse apparait parmi les persécuteurs (Girard 1987 : 136-137), le souvenir de la victime ne veut pas les abandonner, ils ne peuvent croire en sa mort définitive (Girard 1987 : 215). Ils résultent de cette situation, toute une série de stratégies qui doivent minimaliser leur responsabilité présumée.

Premièrement, Elles présentent les conflits, ayant eu lieu avant sa mort, avec la victime comme de « pur et simple malentendu » (Girard, Le bouc-émissaire p123), comme quelque chose d’involontaire (Girard 1987 : 120). Dans notre cas, les responsables de toutes ces « incompréhensions » devaient être les medias qui présentaient Lech Kaczynski avec un miroir déformant, et c’est seulement après sa mort qu’ils l’ont montré « tel qu’il l’était vraiment » (Sulek 2010, Wisciski 2010). Ce qui a pu apparaître avec le temps comme une attaque brutale, se présente alors comme « une déclaration malheureuse », presque l’expression d’un sens de l’humour et le rire, après tout, n’est que quelque chose innocent et inoffensif.

Deuxièmement, même si la responsabilité de l’attaque contre la victime est assumée, elle se présente comme justifiée. Si on a exclu Lech Kaczynski de la communauté, c’est seulement car lui, en premier lieu a exclu. Si on l’a attaqué c’est parce qu’il a attaqué. Les actions contre lui étaient donc seulement des réactions de légitimes défenses. Comme l’écrit Girard (La violence et le sacré) : « La vengeance veut être une revanche, et chaque revanche réclame sa revanche. Le crime que la vengeance sanctionne n’est jamais examinée comme l’œuvre originelle – il venge toujours un quelconque crime préexistant.» 

Troisièmement, enfin, s’il est avoué que les attaques n’étaient pas, au bout du compte, justifié, il s’ensuit une indistincte culpabilité. Bien que tous aient pris part à l’anéantissement de la victime, personne n’est rentré en contact direct, physique avec elle. Puisque le groupe est coupable, personne n’est concrètement coupable. On ne peut donc attribuer à personne une responsabilité morale et politique directe (voir Le bouc-émissaire : 258, les origines de la culture : 85).

Par conséquence personne ne voit sa propre culpabilité. Le mécanisme du bouc-émissaire peut ainsi seulement marcher si les participants sont inconscients de ce même mécanisme, s’ils en sont ignorants. Il me semble que cette condition élémentaire ait été remplie. L’idéologie nominaliste dominante n’est pas capable de remarquer qu’elle exclue aussi, et même plus que la théorie de l’idéologie morale. En effet puisqu’elle ne peut partager les polonais entre les meilleurs et les moins bons, si elle veut réaliser une exclusion efficace hors de la société, elle doit exclure de manière plus radicale encore. Dans la vision thomiste, on sépare les membres de la nation conformément à leur proximité ou bien leur éloignement du prototype du polonais moral et engagé, mais dans la vision nominaliste, une telle opération ne peut s’effectuer. Afin d’accuser quelqu’un de manière efficace, il faudrait l’éliminer entièrement de la société. La personne accusée n’est plus le pire des polonais, il devient non-polonais et même non-homme. De cette manière, on peut croire à sa propre tolérance et sans s’apercevoir dans le même temps de son intolérance radicale. Commettant un méfait, on peut rester persuadé de sa propre hauteur morale (Les origines de la culture).

Ce type de communauté ne refuse pas seulement la prise en compte du point de vue des victimes mais impose aussi sa propre perspective. Si quelqu’un ne désire pas être soumis par cette pression, on ne traite pas sérieusement ses arguments, on effectue sa psychanalyse, ce qui est une autre manière de lui intenter un procès (Le bouc émissaire : 226). Dans l’optique de Girard (1999), ce type de société est démoniaque, cela signifie qu’elle est telle qu’elle ne peut prendre conscience de ses propres démons. Ce n’est pas par hasard que les mots, en partie humoristique de Jaroslaw Kaczynski (pris d’un poème de Kornel Ujejski) « d’autres démons étaient la-bas actifs »ont été universellement raillés. « Avec le temps qui passe, la signification du mot diable dans la pensée sociologique s’est affaibli. Satan disparait cependant au moment inopportun, dans le sens où il est étroitement associé au mimétisme conflictuel » (J’ai vu Satan tomber comme l’éclair). En remettant en cause l’existence de l’univers démoniaque, la communauté perd la possibilité de se regarder elle-même d’un œil critique. Puisqu’il n’y a plus de diable, nous ne pouvons plus commettre le mal.

Conclusion 

Comme le montre Girard, on ne peut jamais cependant effacer toute violence et culpabilité. Puis dans de telles situations, commencent alors à apparaître des théories conspirationnistes. En particulier, les foules aiment à rependre des rumeurs non vérifiées sur la réalisation du meurtre (Le bouc-émissaire : 130). C’est le début d’un processus qui conduira jusqu'à la déconstruction de l’unité de la société. Ceux qui se sentaient menacés et sur qui dépendaient en particulier la concorde nationale réagirent très violemment à ce type d’insinuation. En conséquence, cela a entraîné une réaction en chaîne à propos de la recherche de coupables, le documentaire « Solidarni 2010 » d’Ewa Stankiewicz entre autres en a clairement donne l’expression. C’était le premier signe que la communauté rentrait vers son état naturel de la lutte du tous contre tous.

L’enterrement du couple présidentiel à Wawel fut le second moment décisif. L’instant de la dernière divinisation du héros national devint simultanément le début de sa dédivinisation. La « provocante » chanson « Po trupach do celu (NdT :“Par les cadavres vers l’objectif” que l’on peut traduire aussi par « être prêt a tout pour réaliser ses ambitions », La chanson dit notamment que les gens sont désormais  prêt à tout pour reposer au Wawel)  »  qui a cet évènement pour sujet, fut le retour (souhaité paradoxalement par Zdzislaw Krasnodebski, 2010a) au ricanement et à la ridiculisation de Lech Kaczynski, et simultanément l’annonce de la fin du consensus national. De ce qui aurait du être le couronnement naturel du deuil, au cours duquel la communauté célèbre son unité, ce fut le commencement de sa re-division. Ce qui, comme attendu devait unir la mort du président et le monde sacré a finalement conduit à sa profanation. Ce même moment, et d’une manière encore plus intense, fut répété dans le combat pour la croix installée par des scouts devant le palais présidentiel. Semblablement à l’enterrement au Wawel, la croix commémorant les morts, juste après l’accident, semblait quelque chose de naturel et unissant la communauté, rapidement cependant après la décision de Bronislaw Komorowski de son éloignement, elle a commencé à être vu comme porteuse de division et arbitraire. Tout comme l’enterrement au Wawel, elle devait diviniser le président, mais en fin de compte, elle est devenue le prétexte de sa remise en question

Le processus de la seconde désacralisation de Lech Kaczynski fut également imprévisible, tout comme celui de sa sacralisation. Il exige une explication que – comme je le pense- la théorie girardienne peut procurer. Je dois ajourner à une autre occasion ce type d’analyse. Le fait important est que l’expulsion de Lech Kaczynski ne fut pas parfaite. Le frère jumeau est resté, celui-ci est bien plus «menaçant » et bien plus approprié à être bouc émissaire.



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