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lundi 11 avril 2016

Le temps messiannique par Agamben

Ici vous trouverez une très belle conférence de Giorgio Agamben tenue à Notre Dame de Paris. En plus de se permettre d'admonester les catholiques afin de retrouver le sens du temps messianique, j'y trouve une compréhension intime d'un sens politique dans son histoire chrétienne et des ses dérives modernes. 

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Comment vivre après la venue du Christ ?
Cette question se pose au niveau de la conversion personnelle mais se pose au niveau de l'histoire.
Comment vivre en temps messianique, comment vivre l'attente du retour du Christ ?
Le séjour en temps messianique peut durer, cela n'enlève rien à la nature de ce temps. Certains disent : l'institution Église stable serait une réaction à la parousie ne venant pas aussi vite que prévue.Si cela était vrai, cela impliquerait que l’Église aurait perdu l’expérience du temps messianique qui lui est consubstantielle.  
Le temps du messie n’est pas une durée chronologique, mais, avant tout, une transformation qualitative du temps vécu.
I thessaloniciens 5, 1-2. Le jour du seigneur vient (au présent) comme un voleur. Le messie est celui qui ne cesse de venir.
Quelle est la structure de ce temps selon Paul ?

Ne pas confondre l'apocalyptique et le messianique. Apocalypse, le dernier jour, fin du temps et description. Ce n'est pas le temps que vit l’apôtre. C'est le temps de la fin. 
Le temps messianique est la relation de chaque instant avec le temps de la fin. Paul s'intéresse à ce temps qui reste depuis la résurrection du Christ. L'expérience du temps qu'implique le temps messianique trouble la géométrie du temps. Ce n'est plus la ligne homogène et infinie, ce n'est pas un point ni un segment. C’est un temps qui pousse à l’intérieur du temps chronologique, qui le travaille et le transforme de l’intérieur
C’est, d’une part, le temps que le temps met pour finir, mais de l’autre, le temps qui nous reste, le temps dont nous avons besoin pour faire finir le temps, pour venir à bout, pour nous libérer de notre représentation ordinaire du temps. Alors que celle-ci, en tant que temps dans lequel nous croyons être, nous sépare de ce que nous sommes et nous transforme en spectateurs impuissants de nous-mêmes, le temps du Messie au contraire, en tant que temps opératif (kairos) dans lequel nous saisissons pour la première fois le temps (le chronos), est le temps que nous sommes nous-mêmes. Il est clair que ce temps n’est pas un autre temps, qui aurait son lieu dans un ailleurs improbable et à venir. C’est, au contraire, le seul temps réel, le seul temps que nous ayons. Et faire l’expérience de ce temps implique une transformation intégrale de nous-mêmes et de notre façon de vivre.

Le temps s'est contracté. Ce temps révoque tout ordre, change toute expérience et toute condition factuelle pour les ouvrir à un nouvel usage.
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Comprenant le temps messianique, se pose la question du radicalisme ou du compromis. 

Radicalisme : Le fait de vivre qu'en vue des choses dernières ou Compromis : faire attention aux avant dernières.  C'est une fausse alternative selon Bonhoeffer. On ne peut séparer ces réalités (condition sociale et humaine de tous les jours et apocalypse) L'eschatologie ne peut être que transformation des choses avant-dernières. Celles-ci ne peuvent être traités à la légère ou niées. Mais ces "avant-dernières" ne peuvent être invoqués contre les dernières. Bref refusons le radicalisme et le compromis. Pour utiliser le mot de Paul, la réalité dernière rend inopérante les pénultièmes et les transforme. Mais elle se met en jeu dans celles-ci. Le temps du messie n'est pas le futur mais le présent. Maintenant est le jour du Salut, le temps à saisir.
Il n'y a d’Église que dans ce temps et par ce temps.


Qu'en est il de ce temps aujourd'hui ? 

On n'en parle plus trop... "On nous a promis la communion, nous avons eu l’Église" dit Loisy. mais ne condamnons pas le compromis au nom du radicalisme (encore des frères jumeaux)
Mais est ce que l’Église est capable de saisir les signes des temps, de les partager, de permettre de vivre pleinement le temps messianique ? Il faut reconnaitre dans le cours de l'histoire la signature de l'économie du salut.
Selon les pères de l’Église et les philosophes, l'histoire est écartelée par deux courants opposés.
Le Catekon, tel que Paul en parle est ce qui retient et diffère la fin du monde sur la ligne homogène du temps.
Et, d'autre part, ce qui, en mettant en tension l’origine et la fin, ne cesse d’interrompre et d’achever le temps. 
Appelons Loi ou Etat la première polarité, vouée à l’économie, c’est-à-dire au gouvernement infini du monde ; et appelons Messie ou Eglise la seconde, dont l’économie - l’économie du salut - est essentiellement finie. Une communauté ne peut survivre que si les deux co-existent en même temps.

Aujourd'hui, la tension est brisée. Quand l’économie du salut est oubliée, l'économie prend les devants et étends sa domination dérisoire. L'exigence eschatologique délaissée revient sous une forme parodique et ne cessant de prophétiser des catastrophes.
ex :  L’état de crise et d’exception permanente que les gouvernements du monde proclament aujourd’hui est bien la parodie sécularisée de l’ajournement perpétuel du Jugement dernier dans l’histoire de l’Église.
A l'oubli de l'expérience messianique, arrive une hypertrophie du droit. Excès de légalité qui trahit la perte de toute légitimité véritable.
" aujourd’hui il n’ y a plus sur terre aucun pouvoir légitime et les puissants du monde sont tous eux-mêmes convaincus d’illégitimité. " 
Exhortation à l’Église !

La judiciarisation et l’économisation intégrale des rapports humains, la confusion entre ce que nous pouvons croire, espérer, aimer et ce que nous sommes tenus de faire ou de ne pas faire, de dire ou de ne pas dire, marque non seulement la crise du droit et des Etats, mais aussi et surtout celle de l’Église qui doit vivre et se penser proche de sa fin... Seul l'Enfer ne peut pas connaitre la fin et le désœuvrement, la fameuse inopération. (dimension infernale de l'économie qui se voit sans fin). Que l’Église ne brise pas son lien avec la Paroika au risque de se perdre dans le temps.
Eglise, renoue avec ta dimension messianique. Au moins pour survivre à la ruine qui menace tout gouvernement et institution. 

lundi 7 septembre 2015

Le paradoxe orthodoxe - traduction d'une interview de John Milbank

Veuillez trouver ci dessous une traduction d'une interview de John Milbank que je trouve très intéressante. Il présente ici une part de sa compréhension de la modernité, de la politique et de théologie.

Avec dans le désordre :
 Saint-PaulCharles Taylor (philosopher).jpg

(NB : Je ne suis pas si doué que cela en langue anglaise, il y a surement des passages à améliorer..., work in progress)

Milbank est un théologien anglican dont les idées se distinguent par un profond scepticisme sur la raison séculière. Ayant donné forme à la théologie de la Radical Othodoxy et fourni les fondements des mouvements des Tory rouge et des labour bleus  dans la politique britannique.
Son livre le plus récent, la monstruosité du Christ, est une collaboration avec le philosophe slovène Slavoj Zizek édité par Creston Davis et publié en 2009 par le MIT press. Il est aussi un contributeur à Varieties of secularism in a secular age, une série d'engagements critiques avec Charles Taylor A secular age récemment publié par  Harvard University press.

Nathan Schneider : Vous écrivez de Slavoj Zizek, "en un sens important, il porte un témoignage théologique" Comment un athée auto-proclamé peut il porter un témoignage théologique ?
John Milbank : Dans le roman de Dostoïevski, les démons, un personnage, Kirilov, parle à la fois de la nécessité de croire en Dieu comme la réalité de la bonté infinie et de l'impossibilité de le faire. Sa résolution de ce dilemme est un suicide délibéré et sans aucune autre raison que dans une monde athée, il est lui-même désormais un dieu, comme possesseur de la volonté souveraine et que le suicide est la plus haute démonstration de cette volonté. Zizek essaie d'échapper à ce dilemme par un autre chemin en montrant la figure du Christ, dont la tradition considère qu'il est l'incarnation de Dieu dans une vie humaine particulière. Bien que, pour Zizek, Dieu ne peut pas être présent dans une apparence incarnée, sinon il n'existerait pas, il insiste pourtant qu'en dehors de l'héritage chrétien, nous n'aurions pas eu le sens de l'exigence d'absolue excédant toutes les lois et les habitudes humaines. En effet, la notion d'incarnation soutient, pour Zizek, l'idée de cette exigence d'absolue, qui oriente notre humanité, est plus qu'humaine même si elle vient, dit il, de "nulle part".

NS : Contre Zizek, vous insistez sur la notion de théisme. Quelles sont pour vous les perspectives pour une rencontre philosophique avec la théologie qui ne consent pas à une divinité transcendante ?

JM : Je crois que, à la fin,  ces perspectives sont inexistantes. Dostoïevski a vu plus loin que Zizek parce qu'il a dramatisé les positions existentielles alternatives face au nihilisme, même un nihilisme christologique. Kirillov essaie l'affirmation de soi, mais conclue logiquement que le seul et irréfutable acte d'affirmation de soi divin est le suicide (self-slaughter). Stavroguine, dans le même roman, adopte au contraire une malicieuse indifférence qu'il déploie avec séduction pour déranger la vie des autres. Mais à la fin, cela conduit à un suicide de pur désespoir. Le Christ de Zizek est simplement un clown, le tout un chacun rejeté, la scorie du monde. "Le bien" est réduit à l'instance de ce qui excède la réalité, qui ne trouve aucune maison. Cela place l'amour sous l'être, même si en un sens, c'est au delà de l'être pour Zizek comme l'impossibilité du désir réalisé. Mais à la fin des Démons, Dostoïevski suggère dans la bouche de Verkhovenski mourant que l'amour excède l'être dans le sens que le réel est orienté par le bon. Ici, la foi aimante seule ferme le cercle de la controverse ontologique. Le plus élevé, ce qui inclurait l'existence, doit en effet exister. Sans l'idée de bonheur parfait pour toute la réalité, que la plus extrême misère ne peut perturber, Dostoïevski affirme que l'être humain perd son orientation définie. Les derniers épisodes du roman essaient de décrire des scènes de reconnaissances révélatrices et de pardon entre les personnes, qui montrent comment nous pouvons authentiquement participer en cette perfection infinie et ainsi transfigurer le monde.
La philosophie athée se trouve encore elle-même prise dans une version théorique de l'aporie nihiliste décrite par le romancier russe du XIXème. Aussi, comme Kirilov, elle peut affirmer  la raison ou la liberté humaine contre le pouvoir du vide - mais ensuite elle ressemble à un vœux pieux fanfaronnant ; ou encore comme Stavroguine, elle peut dénier toute la réalité finale de toutes suppositions humaines sur la base d'une nature indifférente. Mais dans ce cas, la réalité de la raison elle-même est menacée. Le logos athée manquera toujours soit d’Être ou de raison, sans lequel il n'y a pas de philosophie, ni d'exercice de l'amour de la raison.

NS : Vous avez maintenant un livre à paraître, encore avec Creston Davis et Zizek, sur saint Paul, qui a été un sujet populaire pour la philosophie continentale dans ces récentes années. Pensez vous qu'il est légitime pour les théoriciens séculaires de prendre Paul comme modèle d'action politique.

JM : Certainement dans le sens où Paul a provoqué les premières "Lumières" occidentales, les premières idées pour une humanité universelle, pas seulement pour les élites. Il a aussi suggéré que les normes pour une vie humaines reposent au delà de tout code de droit coutumier. C'est à mettre au crédit de ces penseurs séculiers s'ils voient Paul comme le constructeur du paradigme pour tous les gestes révolutionnaires à venir. En même temps, ils sous-estiment souvent ses paradoxes et la manière dont il est aussi une figure conservatrice : ce qui ne veut pas dire de retourner la vérité de l'élection juive par Dieu ou la loi juive mais la rappeler à ses fondation profondes. Il y a quelques dangers dans la lecture marcionite de Paul, déniant le Dieu de l'ancien testament comme dans les évocations de Ernst Bloch et d'Alain Badiou, par exemple. Paul, par contre, appelle en même temps à la tradition et aussi aux bases cachées de la tradition, ce qui permet qu'on les dépasse respectueusement. Pour être juste, Zizek et Agamben admettent plus cela. Mais ensuite, ils sont aussi gnostiques dans leurs suggestions que Paul est pris entre l'aspiration à échapper du domaine quelque peu sinistre de la loi et d'un autre coté de l'impossibilité de le faire. Alors parce que il a foi dans la possibilité de la médiation, Paul ne fait pas seulement le geste radical ; il ne fait pas non plus comme Marx qui propose la nécessité de la destruction de l'ordre présent. Au lieu de cela, il établit systématiquement une nouvelle sorte de communauté internationale à l'intérieure, à coté -et alors au delà- de l'état. Cette communauté est en même temps démocratique et hiérarchique, en même temps nouvelle et cosmopolite et pourtant aussi archaïque parce qu'elle retourne à la base pré légale  d'un ordre de l'échange de don.(gift-exchanging order)

NS : Cet intérêt renouvelé pour Paul, pourquoi pensez vous qu'il survient maintenant ?

JM : Cela coïncide avec un sens nouveau de la futilité tragique. Si j'étais athée, je pense que je devrais en fin de compte condamner cet intérêt comme un désespoir annonciateur. Pourtant Paul, lui-même, était éminemment pratique. C'est, ironiquement, son mode de pratique que les athées ne peuvent saisir ou embrasser, parce qu'elle est fondée sur la possibilité d'imaginer la foi et la confiance
en l'infini bonté sur terre. Paul ne l'attribue pas à une dialectique de la loi et du désire ou bien à celle de la mort et de la vie. Il croit plutôt, en insistant sur la résurrection, que la vie est infinie et éternelle.
Sa science politique de la résurrection est la seule possible pour un espoir illimité en la venue de la coexistence harmonieuse par l'incarnation de l'amour et de la justice.

NS : Voyez vous votre participation à ce dialogue comme de l’évangélisation ? Qu'est ce que vous espérer accomplir ?

JM: Oui, la victoire.

NS : Adam Kostko, in "Zizek et théologie", soutient que les chrétiens ont à apprendre quelque chose des gens comme Zizek. Pensez vous que la conversation pourrait aller dans les deux sens ?

JM : Bien sur, il y a des choses à apprendre de Zizek - il nous rappelle que la logique du Dieu-Homme est plus universellement humaine que la logique de Dieu seul. En ce sens, il refuse, comme athée, le relativisme paresseux de tellement de théologie chrétienne contemporaine, qui trahit l'incarnation en voyant le Dieu-Homme seulement comme une sorte d'ajout optionnel à l'idée de Dieu. Cet ajout pourrait bien être également pour eux la Torah ou le Qoran. Mais penser cela est aussi trahir la spécificité de l'héritage occidental. Zizek est ici un rectificateur crucial. Cependant la posture de quelqu'un comme Kostko peut seulement produire un sourire ironique chez quelqu'un de ma génération. C'est exactement la sorte de théologie pusillanime de celles de 60's dont nous avons longtemps cherché à sortir. Pourquoi ? Parce que c'est de la mauvaise foi. Si vous tendez à devenir un athée et un nihiliste, alors soyez le. (If you are going to be an atheist and nihilist, then be one.) Seul les médiocres répètent les panacées séculaires sous une apparence pieuse. Une telle théologie ne peut jamais possiblement améliorer les choses, par définition. C'est un triste et saisonnier écho de ce qui a pu être puisant dans le passé. Toute véritable théologie chrétienne, par contraste, émerge de l’Église qui seul est la médiatrice de la présence du Dieu Homme qui est la présupposition de toute pensée chrétienne. Kostko craint que l'Eglise soit une institution, mais bien sur elle ne l'est pas -ou pas premièrement- comme Graham Ward l'a bien indiqué, c'est plutôt, l'évènement continu de l'ingestion du Corps du Christ. Ce fait fournit une auto correction critique bien au delà de toute remontrance, faites par les gens extérieurs à elle, de toutes les insuffisances et abus de l’Église et dont j'espère être parmi les premiers à reconnaitre et dénoncer.

NS : Vous avez noté le virage de la théologie dans la direction de la sécularisation, via son adoption des méthodes des sciences sociales laïques. Comment assume-t-on une véritable théologie dans un temps séculaire ?

JM : Je suis critique d'une théologie utilisant les sciences sociales quand cela veut dire adopter des positions théologique ou athées sans critique et déguisé. la théologie dans un age séculier doit rendre compte de la laïcité et pourquoi la sécularisation a-t elle eu lieu. Cela doit inclure la reconnaissance de la manière comment le christianisme sécularise (dans un bon sens) en désacralisant la politique, la loi et la nature à un certain degré - mais sans désenchantement total. Au même moment, nous avons besoin de nous rendre compte des raisons pourquoi le sécularisme (dans un mauvais sens) a laissé l'occident en royaumes autonomes indifférents au sacré. Les personnes, les pays, et l'argent sans référence à Dieu deviennent, comme Karl Polanyi l'a annoncé, soit des idoles soit de simples instruments à exploiter -ou les deux à la fois. Charles Taylor, je pense, a une partie de la réponse sur les raisons de cet évènement ; l'occident est devenu sur discipliné et l'éthique a remplacé la religion. l'autre partie de la réponse est la manière par laquelle la mauvais théologie a inventé paradoxalement une "pure nature" de sorte que une notion plutôt simpliste de Dieu comme quelque chose de surnaturel et interférant pourrait d'autant mieux se démarquer. Défendre la médiation, par contraste, est de nouveau crucial ici.

NS : Pensez vous qu'un athée n'a rien à faire dans un département de théologie ?

JM : Je recommande des départements mixtes de théologie et d'études religieuses dans les université laïques et le recrutement de personnes de toutes les croyances religieuses, rien de plus. Mais, bien sur, si on respecte les connaissances liées aux traditions, ensuite l'adhérence à ces traditions peut parfois être pertinentes pour déclencher un recrutement, c'est une question de tact, pas de scandale.

NS : De plus en plus, des personnes en viennent à se décrire eux-même comme "spirituel mais non religieux". Pensez vous, cependant, qu'il y a une utilité -peut-être même un potentiel pour les mouvements politiques- dans le détachement croissant de la vie religieuse des gens des autorités traditionnelles, et dans cette autonomie retrouvée ?

JM : Il est bon que les gens ne puissent être plus si facilement contraint à la religion. La foi, elle-même, doit accueillir cela sur des raisons basées sur la foi. En un sens, nous sommes retourné à la situation des siècles des premières communautés chrétiennes. En même temps, cependant, l'autonomie et la liberté de la tradition ne peut jamais être réelles. On doit se réconcilier avec son propre héritage et les enfants doivent bien apprendre quelque chose. L'idée qu'il leur pourrait être seulement offert le "choix" est bien sur folle. Avant de choisir, nous sommes établis dans une mode de vie et d'habitude.

NS : Un autre aspect du libéralisme moderne -et de la religion libérale- dont vous avez été très critique est sa soi disant révolution sexuelle. Pourquoi l'appelez vous fascisme alors que beaucoup de personnes la considère comme une avance de la liberté.

JM : En un sens, la libération du sexe de la loi a toujours été laissé supposé par le christianisme ; la libération des années 60 reste un évènement à l'intérieur de l'histoire chrétienne. En même temps, ce que nous avons vu là était une sorte de démocratisation et commercialisation des morales "bohémiennes" qui a été elles-mêmes légitimé et normalisé pour une élite, comme Phillip Blond l'a souligné. Le problème ici est que l'auto plaisir peut aussi devenir explicitement ou tacitement un but en lui-même. Quand les romantiques parlaient avant de l'importance du mariage à devenir "libre" comme un objectif, cela me semble le signe le plus proche.

L'épanouissement humain repose plus dans la direction de l'amour fidèle et dans sa propre insertion dans la continuité des générations. Le mariage et la famille, malgré toutes leurs corruptions et leur usage impropres sont à la base des institutions démocratiques. Le fascisme arrive dans le cadre car je pense (suivant Adorno, parmi d'autres) que la séparation graduelle du sexe et de la procréation est regardé naïvement si nous ne réalisons pas que c'est ce que l'état veut. Discrètement, elle veut sécuriser le contrôle "malthusien" sur la reproduction et traiter avec l'individu directement, plutôt que par la médiation des couples. Beaucoup du féminisme libéral est, en fait, en pratique, du coté du néolibéralisme politique et économique. Il est trop rarement noté que la permissivité sexuelle est devenu aujourd'hui une sorte d'opium qui secrètement concilie le peuple à la perte de ses autres libertés -en lien avec l'état et le marché.

NS : Est ce que cela signifie que le progrès du féminisme, comme celle des minorités sexuelles, doit être renvoyé ?

JM : Ce dont nous avons besoin n'est pas un retour à une forme légiste de coercition et d'ostracisme social sur le champ sexuel, mais un changement d'esprit, qui promouvrait la fidélité de la relation et l'encouragement de la créativité humaine et à la participation dans les lieux de travail et dans la vie civile. Dans ce contexte, je pense qu'il est important de soutenir l'engagement civil gay mais de s'opposer à l'idée de "mariage gay". De plus en plus de personnes gay en Europe  ou aux USA approuvent cette combinaison.

NS : Et enfin : capital. Qu'est ce que la crise économique actuelle signifie pour vous, théologiquement ? Jusqu'à où un penseur athée, comme Zizek, peut il aller vers une analyse significative de celle-ci ?

JM : Pas très loin, car il tend à combiner refusism et nostalgie staliniste. La crise actuelle n'est pas finale mais nous rappelle ce qui arrive quand on arrache la signification des choses hors de ces choses elles-mêmes, qui est une conséquence aussi bien de la sur abstraction que de l'individualisme tournant à l'émeute. Je pense que nous avons besoin d'un sens nouveau de la sacralité des pays, des peuples et même de l'argent comme des biens réels quoique non comme des choses à être adorées pour elles-mêmes. Nous avons aussi besoin de réaliser que les humains sont des donateurs (gift-exchanged) cherchant la reconnaissance mutuelle plutôt que des opportunistes cherchant leur propre intérêt. Non seulement, les procédures d'un marché éthique sont plus viables mais ils permettraient aussi un marché plus libre et conduit plus par la confiance et la compréhension tacite. C'est en fait le marché néolibéral qui a besoin du titanic, l'état interventionniste.

NS : Que pensez vous des perspectives pour un mouvement politique informé théologiquement dans le monde moderne d'aujourd'hui ?

JM : Le Conservatisme rouge (The red Toryism) est un vieux courant dans la politique canadienne qui a été transplanté et relancé en Grande Bretagne par mon ancien élève Phillip Blond. A travers lui et d'autres, incluant les travaillistes bleus (blue labourites) avec Maurice Glasman à leur tête, une politique des paradoxes émerge et fait son bonhomme de chemin en Grande Bretagne. (En Grande Bretagne comme en Europe, le "rouge" désigne la gauche et le "bleu" désigne les conservateurs). Donc, les conservateurs rouges montrent le paradoxe d'un conservatisme mélangé avec un associationnisme non étatique et un distributisme - avec du "socialisme" en un certain sens- et les travaillistes bleus indiquent le paradoxe d'un socialisme non étatique.avec une nuance conservatrice. Basiquement, nous avons ici une tentative d'élaborer en pratique une politique comunautarienne (communitarian politics) mais une politique qui intégrerait intégralement une dimension économique. Une polarité libertarienne et comunautarienne commence à détourner la domination de la polarité gauche contre droite au cœur de la politique britannique. Cette nouvelle pensée se concentre du think tank de Phillip Respublica, et -ne faites pas d'erreur- c'est quelque chose de gros. Déjà, les principaux partis ont adopté des aspects des idées de Phillip pour un "état propriété"(ownership state) qui impliquerait un contrôle professionnel plus décentralisé dans le domaine public-mais avec des fins sociales et sans bénéfices. En complément avec ce nouveau mode d'état, la nouvelle position "paradoxale"plaide aussi pour un "marché moral" dans lequel le contrat doit avoir lui-même un objectif social. et où le business sera souvent un partenariat entre propriétaires, travailleurs et consommateurs. Ces idées sont influencés par Luigino Bruni et Stefano Zamagni qui ont aidé au brouillon de Caritas in veritate, l'encyclique récente du pape Benoit XVI. On peut aussi lier cela à un mélange d'éléments de Polanyi et de Marx. L'argument est qu'un marché encore plus libre (encore plus que ce que veulent les néolibéraux) est aussi un marché moral (comme ils ne prétendent même pas d'y penser). Pourtant de nombreux arguments sur le rôle exact du gouvernement dans tout cela n'ont pas encore été épuisé. En aucun cas, il n'en est sorti que la seule chose qui puisse casser avec le Thatcherisme et le blairisme soit une nouvelle fusion ou encore une recréation soit du old labour ou du vieux Taylorism.

NS : En quoi consiste, politiquement parlant, ce paradoxe ?

JM : Il y a trois temps.
D'abord, en Grande Bretagne aujourd'hui, comme aux USA nous voyons qu'un marché libéré a en fait augmenté le rôle de l'état-qui-sauve et maintenant des grandes banques, en tant qu'aide sociale réparatrice, en polissant l'anarchie individualiste. La confiance morale est exigée par le marché, mais le neolibéralisme ne théorise jamais l'entreprise comme impliquant une telle confiance et a n'a pas réussi à éviter de le remplacer par plus de mesures d'incitations et de surveillance.
Ensuite : C'est un cliché de dire que la droite a gagné économiquement et la gauche culturellement. Mais c'est, en fait la victoire d'une seule force- le libéralisme. A cela nous opposons un communautarisme associationniste qui joint un égalitarisme de gauche avec un conservatisme concernant valeur culturel et éthique. Elle est pour la haute culture et pour l'excellence scolaire en éducation mais veut que ces choses soit disponible démocratiquement. Éthiquement, cela est pro famille mais ne désire pas revenir sur les gains de l'égalité des femmes et sur la tolérance sur l'homosexualité-le point important est plutôt le fait que le mariage stable est le meilleur chemin pour la plupart. Il est aussi critique sur la technologisation de la médecine et l'approche, en croissance, calculatrice des vies et des vieux. Elle prend pour sures que toutes les personnes décentes sont opposées à l'euthanasie volontaire.
Le troisième paradoxe est qu'une démocratie égalitaire exige une hiérarchie des valeurs et des personnes d'excellence.
Autrement, l'argent et la sophistique conspirent ensemble pour le détruire comme ils l'ont fait dans les dernières années. La démocratie peut seulement être soutenue que quand il y a en parallèle, une préoccupation non démocratique avec la Paideia - la formation de bon caractères qui relie le talent et la vertu et les met en position pour des influences sociales appropriées. Sans l'inculcation extra démocratique de caractère, la démocratie ne peut pas entrer en débat avec le bon qui est le seul débat légitime et non corrompu qui peut être tenu.

NS : Quelles sont les sources de ce caractère ? Est ce que ce sont nécessairement des chrétiens ?

JM : Les conservateur rouge ou les travaillistes bleus refusent ensemble la déontologie de la droite et l'utilitarisme de la gauche en faveur d'une vue que l'état, la société et l'économie doivent tous voir leur rôle comme la construction d'un fleurissement individuel d'honneur et de vertu. Le rôle de médiateur des corps religieux dans tout cela est clairement crucial. Nous espérons que beaucoup de musulmans, de juifs, comme des chrétiens embrasseront une politique du Bien, enraciné dans la Bible et les antiquités classiques. C'est l'héritage repensé et démocratisé (conformément à l'élan biblique) qui seul peut sauver l’Amérique et le monde.