lundi 11 avril 2016

Le temps messiannique par Agamben

Ici vous trouverez une très belle conférence de Giorgio Agamben tenue à Notre Dame de Paris. En plus de se permettre d'admonester les catholiques afin de retrouver le sens du temps messianique, j'y trouve une compréhension intime d'un sens politique dans son histoire chrétienne et des ses dérives modernes. 

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Comment vivre après la venue du Christ ?
Cette question se pose au niveau de la conversion personnelle mais se pose au niveau de l'histoire.
Comment vivre en temps messianique, comment vivre l'attente du retour du Christ ?
Le séjour en temps messianique peut durer, cela n'enlève rien à la nature de ce temps. Certains disent : l'institution Église stable serait une réaction à la parousie ne venant pas aussi vite que prévue.Si cela était vrai, cela impliquerait que l’Église aurait perdu l’expérience du temps messianique qui lui est consubstantielle.  
Le temps du messie n’est pas une durée chronologique, mais, avant tout, une transformation qualitative du temps vécu.
I thessaloniciens 5, 1-2. Le jour du seigneur vient (au présent) comme un voleur. Le messie est celui qui ne cesse de venir.
Quelle est la structure de ce temps selon Paul ?

Ne pas confondre l'apocalyptique et le messianique. Apocalypse, le dernier jour, fin du temps et description. Ce n'est pas le temps que vit l’apôtre. C'est le temps de la fin. 
Le temps messianique est la relation de chaque instant avec le temps de la fin. Paul s'intéresse à ce temps qui reste depuis la résurrection du Christ. L'expérience du temps qu'implique le temps messianique trouble la géométrie du temps. Ce n'est plus la ligne homogène et infinie, ce n'est pas un point ni un segment. C’est un temps qui pousse à l’intérieur du temps chronologique, qui le travaille et le transforme de l’intérieur
C’est, d’une part, le temps que le temps met pour finir, mais de l’autre, le temps qui nous reste, le temps dont nous avons besoin pour faire finir le temps, pour venir à bout, pour nous libérer de notre représentation ordinaire du temps. Alors que celle-ci, en tant que temps dans lequel nous croyons être, nous sépare de ce que nous sommes et nous transforme en spectateurs impuissants de nous-mêmes, le temps du Messie au contraire, en tant que temps opératif (kairos) dans lequel nous saisissons pour la première fois le temps (le chronos), est le temps que nous sommes nous-mêmes. Il est clair que ce temps n’est pas un autre temps, qui aurait son lieu dans un ailleurs improbable et à venir. C’est, au contraire, le seul temps réel, le seul temps que nous ayons. Et faire l’expérience de ce temps implique une transformation intégrale de nous-mêmes et de notre façon de vivre.

Le temps s'est contracté. Ce temps révoque tout ordre, change toute expérience et toute condition factuelle pour les ouvrir à un nouvel usage.
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Comprenant le temps messianique, se pose la question du radicalisme ou du compromis. 

Radicalisme : Le fait de vivre qu'en vue des choses dernières ou Compromis : faire attention aux avant dernières.  C'est une fausse alternative selon Bonhoeffer. On ne peut séparer ces réalités (condition sociale et humaine de tous les jours et apocalypse) L'eschatologie ne peut être que transformation des choses avant-dernières. Celles-ci ne peuvent être traités à la légère ou niées. Mais ces "avant-dernières" ne peuvent être invoqués contre les dernières. Bref refusons le radicalisme et le compromis. Pour utiliser le mot de Paul, la réalité dernière rend inopérante les pénultièmes et les transforme. Mais elle se met en jeu dans celles-ci. Le temps du messie n'est pas le futur mais le présent. Maintenant est le jour du Salut, le temps à saisir.
Il n'y a d’Église que dans ce temps et par ce temps.


Qu'en est il de ce temps aujourd'hui ? 

On n'en parle plus trop... "On nous a promis la communion, nous avons eu l’Église" dit Loisy. mais ne condamnons pas le compromis au nom du radicalisme (encore des frères jumeaux)
Mais est ce que l’Église est capable de saisir les signes des temps, de les partager, de permettre de vivre pleinement le temps messianique ? Il faut reconnaitre dans le cours de l'histoire la signature de l'économie du salut.
Selon les pères de l’Église et les philosophes, l'histoire est écartelée par deux courants opposés.
Le Catekon, tel que Paul en parle est ce qui retient et diffère la fin du monde sur la ligne homogène du temps.
Et, d'autre part, ce qui, en mettant en tension l’origine et la fin, ne cesse d’interrompre et d’achever le temps. 
Appelons Loi ou Etat la première polarité, vouée à l’économie, c’est-à-dire au gouvernement infini du monde ; et appelons Messie ou Eglise la seconde, dont l’économie - l’économie du salut - est essentiellement finie. Une communauté ne peut survivre que si les deux co-existent en même temps.

Aujourd'hui, la tension est brisée. Quand l’économie du salut est oubliée, l'économie prend les devants et étends sa domination dérisoire. L'exigence eschatologique délaissée revient sous une forme parodique et ne cessant de prophétiser des catastrophes.
ex :  L’état de crise et d’exception permanente que les gouvernements du monde proclament aujourd’hui est bien la parodie sécularisée de l’ajournement perpétuel du Jugement dernier dans l’histoire de l’Église.
A l'oubli de l'expérience messianique, arrive une hypertrophie du droit. Excès de légalité qui trahit la perte de toute légitimité véritable.
" aujourd’hui il n’ y a plus sur terre aucun pouvoir légitime et les puissants du monde sont tous eux-mêmes convaincus d’illégitimité. " 
Exhortation à l’Église !

La judiciarisation et l’économisation intégrale des rapports humains, la confusion entre ce que nous pouvons croire, espérer, aimer et ce que nous sommes tenus de faire ou de ne pas faire, de dire ou de ne pas dire, marque non seulement la crise du droit et des Etats, mais aussi et surtout celle de l’Église qui doit vivre et se penser proche de sa fin... Seul l'Enfer ne peut pas connaitre la fin et le désœuvrement, la fameuse inopération. (dimension infernale de l'économie qui se voit sans fin). Que l’Église ne brise pas son lien avec la Paroika au risque de se perdre dans le temps.
Eglise, renoue avec ta dimension messianique. Au moins pour survivre à la ruine qui menace tout gouvernement et institution. 

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