mercredi 23 décembre 2020

Eclairage illichien sur la crise du Covid


Vous trouverez sur ce lien, un texte de David Cayley sur la crise du covid. Le texte date d'Avril 2020, lorsque le Canada lui aussi se mit en confinement. 



David Cayley, est un intellectuel canadien, plus particulièrement connu pour son livre d'entretien avec Ivan Illich, Corruption of Christianity. 

Ce texte pourrait justement être appelé "que penserait Ivan Illich du confinement et de la gestion du Covid ?" Je le trouve très juste et permets de réfléchir d'une autre manière.

Résumons alors ! (vous trouverez aussi un résumé plus large plus bas…)


Cayley commence par préciser la pensée d'Illich sur la santé en deux points.

Comment la santé est devenue une institution contre-productive et comment notre corps est entré dans l'âge des systèmes, l'être unique et sacré se confond désormais avec des taux de flux divers et processus décisionnel loin de toute loi naturelle

Notre réaction face à la crise correspond à tout ce qu'Illich avait prévue de pire. L'obsession du taux de mortalité est l'envers d'un décor d'une vie prise comme abstraction.

"Alors il faut laisser mourir tout le monde ?" se demande l'auteur. Non, il faut d'abord voir le monde d'être sans corps qui traversent ces mondes hypothétiques. Nous vivons dans une abstraction, la méfiance, l'idéalisation de la science (nous agissons seulement en fonction de ce qui peut être déguisé par la science), sentimentalité chaotique inopposable cachant un contrôle social envahissant.

La crise nous tient en otage, nous ne pouvons plus parler, la vie comme simple ressource est idolâtrée.

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Idolatrie de la vie ?

C'est bien sur le titre du tract d'olivier Rey, grand admirateur de la pensée d'Illich. 

Prenons en exemple cette vidéo où Olivier Rey précise son travail sur le sujet. 

Rey développe trois points. Voir plus bas pour un résumé plus épais. 

Notre paralysie actuelle vient des moyens dont nous disposons ainsi que de la lâcheté des générations occidentales occultant la mort et qui s'interdisent alors d'exposer leur vie.

Ensuite, il développe un point ardu. Quelle est l'origine ce ce confinement pour des sociétés pourtant adoratrice de leur activité, de leur économie et de leur confort ? Pour Rey, au contraire la société d'individus se croyant sous contrat que nous formons retrouve leur fondation qu' Hobbes avait discerné, Nous ne tenons que par la garantie de la protection de la mort violente que le Léviathan, le souverain symbolique du tout de la société  promet. Son devoir de protection s'est étendu, le confinement vient de cette histoire.

Enfin, Rey voit dans cette crise un point qui lui tient à cœur, l'homme moderne est un parasite du passé. "Sauvez des vies" ? Cette interjection nait d'un malentendu. Le sentiment du salut de la vie vient d'un héritage ancien et chrétien, la vie qui est sauvé et celle d'une vision limitée propre à la modernité (mais pourquoi la sauver si nous étions vraiment cohérent ???). Nous en arrivons à sauvez des statistiques dans un monde qui n'est plus prêt à rien risquer. Redevenons des personnes remplis de gratitude pour le passé. Redevenons des mortels convaincus que des choses sont plus grandes que leur vie et que celle ci puisse être risquée pour ce qui les transcende. 


voilà, c'est tout pour ce retour, mais cette perspective illichienne est à écouter et à discuter. Le mal est profond.



Résumé texte Cayley

Ce qui se passe est une prudence ou un désastre du désir de contrôle de ce qui est incontrôlable ? Pourquoi est-ce si difficile de poser la question ?

             I Faisons un détour par l'œuvre d'Illich.

a Les contre-productivités propre de la médecine

Illich a souvent pris la santé comme exemple même de l'institution. Comme toutes les autres, et à l'encontre de l'idée d'un progrès moderne sans limite, non, il y a des effets de seuil après lesquels, la contre productivité apparait, les objectifs mêmes de l’institution joue contre elle-même, le dysfonctionnement apparait. 

En particulier dans Némésis médicale, Illich évoque les grands progrès de la médecine puis ses méfaits (l'iatrogénèse) qu'il classe en trois parties, clinique (dommages collatéraux, maladies nosocomiales...), sociale (de l'art médical à la science médicale) et culturelle (perte d'autonomie et perte de l'acceptation de la réalité souffrante, la mort n'est plus qu'une défaite privée de sens)

Illich part d'une perspective chrétienne, c'est en tant que créature mortelle qu'on peut connaître Dieu, non en rompant avec un soi-disant passé pour atteindre une humanité se croyant déjà libérée de la souffrance et de la mort.

Il note le nouveau pouvoir politique de la médecine, les budgets gouvernementaux, sa revendication de décision et d'évaluation exclusive en temps de crise.

En 1985, Illich va encore plus loin, Il parle d'iatrogénèse du corps. L'expérience de nos corps n'est autre que des concepts médicaux. La médecine tend à transformer le corps des hommes, nous arrivons au point où la grande menace pour la santé est la quête de la santé elle-même. Nous sommes à un âge des systèmes.

b L'advenue du Cyborg et de l'âge des systèmes

La prévention des risques désincarne tous les corps par l'indentification générale aux statistiques, et par l'auto algorithmisation de chacun, probabilisation des risques, éclipse des personnes par la population, les pré-malades sont partout, les médecins ne sont plus des conseillers intimes.

Il est intéressant de voir l'accord entre Illich et Dona Haraway et leur opposition frontale.

Finalement ces deux auteurs sont d'accord pour voir l'être humain actuel situés au sein d'une architecture systématique avec mode opératoire statistiques et probabilistes. Il n'y a plus de mystère mais il y a de simples interconnexions avec signaux en langage commun. Taux de flux, processus décisionnel, expertise et stratégie d'allocution des ressources font une vie. L'être unique stable et sacré s'est dissout en sous-système provisoire interagissant avec d'autres systèmes. Nous sommes des "cyborgs". Haraway nous invite à l'accepter et à jouer avec la confusion des frontières et la construction de soi par soi. Illich voyait venir un monde immanent sans autre cause que lui-même.  Alors, le bien y est la vie, ce n'est plus celle venant de Dieu mais une ressource à gérer. Cette vie naturalisée est la nouvelle divinité (L'idolâtrie de la vie), la santé et la sécurité sont ses soldats, la mort est une défaite finale.

Nous sommes loin de toute loi naturelle et de la nature humaine, c’est à dire : les normes d’après lesquelles nous devrions vivre correspondent à la recherche de ce que nous sommes. Cette loi naturelle devrait nous conduire à renoncer à l'état d'esprit sanitaire et vivre dans un état d'autolimitation et le vivre dans un esprit communautaire et courageux, loin de ce nouveau système qui fait de nous des êtres insensibles sur un roc de systèmes sans fondation éthique. Comment revenir de l'âge des systèmes ????

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               II Comment avons-nous réagi ?

Nous avons tout basé sur l’action préventive. Agissons pour éviter le tri parmi les patients d'un système médical risquant d'être dépassé.

Nous sommes tombés dans le piège vu par Illich : Idolâtrie de la vie et aversion de la mort. 

L'expression sauver des vies est à peine remise en question pendant que les conséquences du confinement sont incalculables, il faut faire face à ce paradoxe : « L’obsession actuelle au sujet du taux de mortalité n’est que l’envers du décor. La vie devient une abstraction – un chiffre sans histoire. »

Les politiciens ne peuvent pas faire autrement que de suivre le mouvement (et quoi qu'il en coûte), il n'y a plus d'alternative crédible.

En avril 2020, date de l'article, il est encore difficile de définir le niveau de gravité de la maladie mais la panique est moins née de la pandémie que des mesures prises contre elle. C'est aussi une construction médiatique. Nous sentirions nous en période d'urgence si le covid n'avait pas été caractérisé comme pandémie et si aucune restriction aurait été posée ?

Nous avons sacrifié pour des hôpitaux sans réfléchir ce qui aurait pu être fait par nous-mêmes.

 

 

 III Est ce qu'il faut laisser mourir tout le monde ?

Alors perdons nos libertés pour protéger la vie et cacher la mort ? Ou bien est ce que je veux laisser mourir tout le monde ??? Car si quelqu'un meurt c'est parce que quelqu'un l'aura laissé mourir ?

Nous sommes arrivés au monde qu'Illich espérait éviter.

Non, nous avons un monde de crise et d’urgence, un monde d’être sans corps qui traversent des mondes hypothétiques, babillage permanent de la communication.

Mais pouvait-il en être autre chose dans un monde d'hubris ? Le contrôle social, moins de confiance entre les gens, car les gestes barrières ne sont pas une mesure de solidarité mais un travail de méfiance. La crise est une abstraction (tout le monde veut aplanir la courbe). Dans notre expérience quotidienne, média et modèle statistique se confondent.

Idéalisation d'une science qui nous fait oublier nos sens grossiers, nous agissons seulement en fonction de ce qui peut être déguisé scientifiquement. La science décide... 

Sentimentalité épistémique : Face à la confusion, nous avons besoin de déverser des sentiments irréversibles (sauver des vies en temps de catastrophe) et que personne ne peut contredire mais cachant l'essentiel, l'expérimentation d'un nouveau contrôle social, conformisme, télé présence, biopolitique. 

 

Equilibre dynamique : Prenons le bon exemple de la disputatio entre Angamben et Anastasia Berg. Comment se retrouver avec ces deux visions opposées du confinement comme forme sacrificielle de solidarité ou comme l'entrée dans un monde où toutes les formes de vie héritées se trouve dans un éthos dominé par l'instinct de survie. Pouvons-nous supporter que tous les deux aient raison ? Pouvons-nous en discuter ? Mais il n'est pas question de savoir s'il faut sauver grand-mère ou l'économie si les deux restent des abstractions. Il nous faut parler autrement.

La crise tient la réalité en otage, et nous rend impossible de parler de la vie différemment qu'une ressource.

Et pendant ce temps-là, il faut continuer à noter la prise du pouvoir de la science médicale, des médias, de la perte de repères des politiques, la montée en puissance de la prévention des risques et l'idolâtrie de la vie et réfléchir comment ne pas s'y soumettre individuellement et collectivement

 


Résumé video Olivier Rey

 

1 Paralysie par nos moyens et lâcheté de l’homme se croyant immortel.

Le coronavirus est une vaguelette par rapport à notre histoire. Dans un passé pas si lointain, on n’aurait rien remarqué. Aujourd'hui elle paralyse tout. Car les moyens dont nous disposons nous interdit de ne pas réagir. Nos moyens nous obligent. 

Nous avons moins été bloqué par le souci de baisser le nombre des morts que de ne pas submerger le système de santé. C'est parce que nous avons des services de réanimation que nos vies ont été paralysée. C'est un fait.

Nous avons désappris à affronter les catastrophes

La mort est devenue différable, et elle nous est effrayante. On ne meurt plus de vieillesse. La mort n'est plus personnelle, elle n’est plus en soi. 

Rey évoque la génération 68, « impression de vivre pour ne jamais vieillir et de ne mourir jamais », nous sommes héritiers de ces gens. La mort devient dénuée de sens. Tolstoï le voit, les modernes ne savent plus mourir. 

Certes la mort est tragique. Mais comment faisons-nous face à cette tragédie ? Rien ne nous aide, nous avons perdu la tradition pour traiter avec la mort, avec le cadavre. Tout le monde fuit et est prêt à tout accepter. 

Si on habite la condition mortelle, la mort est inévitable, alors en risquant sa vie, que risque-t-on ? Perte de l'année de vie en échange de la gloire immortelle. Si on vit pour ne jamais mourir, on ne peut pas exposer sa vie, rien ne vaut ce que l'on perd. 

Plus la mortalité est refoulée, plus nous sommes lâches, sinon nous pouvons exposer pour ce qui vaut la peine.

 

2 Contrat social contemporain où l’explication du confinement par les obligations des institutions civiles dans le cadre de la société d’individu.

Nous vivons dans des sociétés d'individus. C'est récent, avant « je » était le singulier du « nous », désormais « nous » est le pluriel du « je » :

Nous avons vécu un bouleversement dans la vie collective, nous sommes passés en "société"

Au départ la société est une relation en contrat vers un but. L'individu préexiste et n'entre dans la vie en commun comme un acte délibéré. Ils le veulent et en attendent des bénéfices.

Seule la famille peut nous aider à comprendre la communauté précontractuelle. C'était là, et ne résultait pas d'une volonté.

Mais la société est une idée folle, nous avons besoin d'un préalable pour contracter.

Cette chimère a un effet considérable, toute institution sociale a une origine humaine, plus de dieu ni de loi naturelle. On se retrouve entre hommes. 

Différents philosophes ont proposé un cadre à cette nouvelle situation.

Locke : Profitons-en, jouissance de la liberté individuelle et propriété privée

Rousseau : souveraineté du peuple, obéissance à la volonté générale

Hobbes : état de nature isolé grevé par la peur de la mort violente, on passe contrat, on aliène sa liberté à un souverain (Léviathan), le fondement de la société est la peur de la mort, en échange l'état protège contre cette mort.

On peut repérer les trois modèles dans notre contrat social, mais la composante hobbesienne devient incroyablement pertinente

On ne peut plus sacrifier l'individu aujourd'hui. Prenons l’exemple de la première guerre mondiale, c’étaient des héros aujourd'hui, nous les comprenons comme des victimes. Beaucoup disent que c’est grâce à l'union européenne si nous ne sommes plus en guerre. Kundera dit non, les gens ne sont plus anthropologiquement capables de faire la guerre.

Alors, l'UE nous protège, mais son devoir de protection s'est étendu, veiller sur la santé, protéger contre la maladie, assurer un accompagnement hospitalier. Voilà pourquoi, ce fut un confinement général, c'est sa raison d'être. (Sauf UK a essayé autre chose).

Il devient impossible de sacrifier les individus à une cause quand la cause commune est la défense de l'individu.

Parenthèse sur la situation de la vie politique française. 

Mais bon, Comte a dit " passé non pas tissu de monstruosités" société aussi bien dirigé sous tous les rapports que la nature des choses le permettait.

Insuffisance et tares sont des signes généraux. Le gouvernement donne un état du spectacle d'une société as qu'n problème de gouvernement.

Election, vu comme dirigeant d'une sortie d'Egypte. On s'est remis à un système qui nous dépasse, attente d'un discours de toute puissance, pouvoir infantilisant et citoyens infantiles.

Contre-exemple de la suède (bien imparfaite) mais politique associant la population aux décisions.

Revivifions les petites parties, les maux ne sont solubles qu'à cette échelle. 

3 Nous sommes des parasites du passé ! Malentendu sur la « vie ».

Cela ne date pas d'hier, Péguy : Avec aplomb, la modernité vit sur les humanités passées qu'elle méprise et dont elle ignore les réalités.

Le covid ne fut qu’une confirmation, exemple de Macron : on mobilisera tous les moyens financiers pour sauver des vies quoi qu'il en coute. 

Mais pourquoi ? Qu'est ce qui justifie de faire de la vie ce qui prime sur tout ?

La définition de la vie comme unité du corps et de l'âme arrive jusqu'au 17e. Après, tous les dictionnaires parlent d’une simple substance organisée. La vie est devenue un terme objectif et fonctionnel. Pourquoi alors est-il essentiel de sauver des vies ? Est-ce un drame si ce n’est qu’une substance organisée. En réalité, la vie ne s'arrête pas à cela.

Nous sommes des héritiers de la chrétienté où la notion de vie résonne encore. 

Paradoxe moderne de la crise sanitaire du covid : C'est en vertu de cette tradition que nous considérons la vie comme à sauver, mais de l'autre, cette vie que nous sauvons, c'est la vie des dictionnaires, « simple fait d'être en vie ». 

On se démène pour sauver des vies tout en désavouant ce qui la rendrait digne de faire tous ces efforts. 

Nous pouvons utiliser une autre image de Kant, la colombe qui aimerait fendre l’air et sa résistance, mais si le vide était là, elle ne pourrait voler. Sans l'air, elle s'écrase, cela vaut vis à vis des humanités qui nous ont précédées, par le passé.

Nous devons tout à ces prédécesseurs, notre perpétuation dépend de notre gratitude. Ce dont nous héritons est ce qui permet de pas nous effondrer. 

Il faut des personnes prêtes à conserver pour pouvoir avancer, ceci n’est pas une invitation à un retour à l'état antérieur, mais la conscience des héritages qui donne forme à nos existences humaines. 

 

Ou dit autrement sur tv libertés :

Nos critiques contre l’empiètement de nos libertés ne peuvent être justifiées que si venant de la part de citoyens convaincus de leur caractère mortelle, convaincus que des choses sont plus grande que leur vie et que leur vie puisse être risquée au nom de ce qui les transcende.

 S’il s'impose une dictature, ce sera un consentement, et ce qui l’arrache c’est la peur.



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