jeudi 13 février 2014

Camille Tarot sur Levi Strauss et Girard

Voici un texte très utile de Tarot dont j'avais déjà travaillé le très utile cours ici même. Encore une fois, il nous aide à mieux percevoir la différence entre Girard et Levi Strauss. Pour un girardien, il est difficile d'être séduit par les thèses de Lévi Strauss. On peut les trouver belles et humanistes, rationnelles, intéressantes, elles manquent définitivement de nerf. Bref, ci dessous sera le résumé du texte qui ne manque pas d'exemple et de clarté. 
Si avec Levi Strauss, nous sommes heureux de prendre les mythes du monde entier dans la ronde humaine... nous nous permettons de demander, mais qui est la victime ?

Tarot voit une importance cruciale pour les sciences sociales dans le conflit Levi Strauss et Girard.

Prenons d'abord conscience du conflit
Oui, conflit entre les deux anthropologues sur leur questionnement, leurs méthodes et analyses. Il y a deux positions, Levi Strauss a été un classique de son vivant, un grand sage. Girard est l'outsider, le marginal. Levis Strauss n'a pas eu besoin de Girard, Girard s'est construit dans cette opposition. Levi Strauss a surfé sur la sécularisation, Girard évoque au contraire à la modernité le retour du religieux. Mais leur débat n'est pas seulement d'actualité. Girard renoue avec les grandes thèses de Durkheim sur le religieux comme premier et fondateur alors que Levi Strauss en fait l'ablation. Ce débat doit nous permettre d'en revenir à ce carrefour.
Contre Girard, Levi Strauss ne distingue pas société et culture, la société n'est qu'un phénomène d'échange, de circulation sans économie du désir ni théorie mimétique. La culture n'est qu'une activité organisatrice d'un intellect collectif. Les activités culturelles sont fondées par la linguistique, le religieux est un élément périphérique, le mythe est antérieur et prédominant au rituel. Le mythe est une pure construction intellectuelle. Enfin Levi Strauss avoue qu'il n'y a rien d'essentiel à découvrir sur le sacrifice.

Au contraire pour Girard, le sacrifice est le moyen de rappeler et de fonder les différences, de protéger le groupe contre la violence interne et les risques de l'indifférenciation. Le mécanisme sacrificiel est la matrice du rite, des institutions et cultures.

Levi Strauss et Girard sont d'accord sur le fait que la culture est un système de différence  sans recourir à une pensée symbolique.
Le débat repose sur l'origine des différences et de leur production.
Pour Levi Strauss, la condition nécessaire est la langue, base qui fait des signes des mots et est le reflet de la structure de la pensée. Il explore les mythes en reconstituant les axes pardagmatiques et syntagmatique (le signifiant et le signifié). Le mythe est différenciateur car il constitue l'activité classificatrice et différenciatrice de la langue.

Girard objecte : Levi Strauss ne voit pas la violence et le sacrifice. Il néglige l'histoire et la part de réalité dans le mythe qui parle de violence fondatrice et le mécanisme victimaire, producteur de discontinuité et de différence. Il y a idéologisation du mythe pour légitimer la violence fondatrice.

Prenons exemple du mythe d'Oedipe. Pour Levi Strauss, ce mythe aide à sortir de la contradiction sur les origines de l'homme face à l'opposition entre discours généalogique et ceux qui le font sortir du sol. Pour Girard, Œdipe représente les deux phases du destin d'un roi devenu bouc émissaire et révèle les origines de la royauté, sa genèse et son enjeu. Bref, la culture n'est pas advenu par jeu de langage et actes de pensée, la culture et la société se sont imposées par le réel, les relations intersubjectives des hommes. Si, pour Levi Strauss, les différences sont des qualités fixées. C'est une cécité pour Girard.

Tarot pense qu'il faudrait vérifier les thèses de Girard, ne plus en avoir peur et ensuite relire Levi Strauss.
Tarot prend ensuite beaucoup de temps pour relire les théories de Levi Strauss sur des cas pratiques. (Bororo, Objiwa, Sherenté...). Il met en exergue la poésie des mythes, leur talent différenciateur mais Tarot montre bien que Levi Strauss s'approche, sans les atteindre, des détails qui permettraient de nous approcher de Girard, il oublie pratiquement les rituels, il fait des monstres et des handicapés les symboles de la tension vers "l'être". La critique de Girard serait légitime, le structuralisme fait l'impasse sur les faits religieux et sur tout un tas d'informations précises. Comme pour le feu des Sherenté, il refuse que le feu puissent être ambivalent, et voit toujours deux feux, un bon et un mauvais, un feu de cuisine et un feu de sacrifice. Tarot y voit la logique et la fonction "pharmakologique" du religieux et du rite, aussi bien poison et remède, c'est l'ambivalence du sacré qui apprend la bonne distance. Pharmakos comme le bouc émissaire que ce soit une plante, animal, l'important est la médiation et la victime qui permettent de rétablir l'équilibre de la bonne distance avec le sacré, la violence et la communauté. Pour Tarot, il faudrait relire les mythes et les rites à la lumière de Girard, la logique mimétique de l'ambivalence du sacré qui reste largement à décrypter.

Les cas choisis (à l'origine par Levi-Strauss) semblent confirmer pour Tarot, les deux thèses de Girard, l'antériorité du rite sur le mythe et la "centricité" du sacrifice et permet d'éclairer l'hypothèse girardienne du sacrifice  comme origine des institutions humaines. Cette analyse permet de constater que le structuralisme ne voit pas tout des mythes qu'elle a étudiées.

Il confirme que le choix du mythe contre le rite  continue les présupposés logocentriques, intellectualistes et idéalistes de la tradition rationaliste et de la marginalisation du religieux.
Elle est certes productive quand elle ne mutile pas l'objet. Elle a montré comment tous les mythes s'éclairent les uns les autres, Levi Strauss a été un passeur de sens entre les différentes cultures, en rendant hommage à la pensée "sauvage". Mais il n'a pas vu le problème de la médiation au sein des sociétés. Pour Girard il y a toujours une médiation qui compte plus que les autres car elle a un caractère d'unicité, car elle ordonne et hiérarchise toutes les autres. Elle polarise les relations humaines concrètes et elle exerce une emprise sans pareil sur les désirs. Dans les sociétés traditionnelles, cette médiation s'appelait le sacré. Pour Tarot, ceci est la plus grande différence entre Levi-Strauss et Girard : la multiplicité ou l'unicité principielle de la médiation.... En ne voyant pas l'unicité de la médiation, Levi Strauss n'a pas vu cette médiation unique et ce risque de la violence, il rejoint aussi l'optimisme des lumières (malgré son pessimisme sur le monde contemporain...), il a conjoint un message post moderne sur le monde contemporain sans remettre en cause le dogme de la modernité de l'ablation du religieux et l'auto-fondation de la raison. La nature est bonne, le mal vient de l'histoire. Il tient à distance le mal et la violence au nom d'une tradition rationaliste de la terre vierge, loin de la contingence.
Tarot suggère une piste historique pour réfléchir ce fait. Il y a une analogie entre Descartes et Levi Strauss. Deux hommes ayant poussé la distanciation à l’extrême, l'exil avec un désir de retrouver un objet pur.
Levis Strauss a exclu Durkheim, la religion et la violence... 

Mais en regardant cette vidéo notamment, il est si difficile de lui en vouloir...

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