vendredi 15 janvier 2016

Le Diable probalement - Robert Bresson

Le film passait il y a peu au Champo. Ma curiosité pour cet auteur est né aussi d'une présentation de Jérôme Thélot sur l’œuvre de Bresson, et d'un ciné club organisé par L'ARM.
Dans son élocution, Thélot s'arrêtait particulièrement sur la voix blanche que demandait Bresson à ses acteurs. (et que nous retrouvons dans ce film) Bresson prenait comme acteurs des anonymes qui le demeuraient. Il leur demandait de ne pas être acteur mais d'être modèle.

C'est le premier étonnement quand nous découvrons le film. Les acteurs parlent d'une manière qui expriment peu d'émotion. Souci d'authenticité et souci de refuser d'inspirer des émotions. C'est un refus de faire sonner au spectateur les cloches du mimétisme sentimental. Le spectateur éminemment respecté peut être décontenancé. Il reste avec les faits et des acteurs, notes d'une symphonie.

Quels faits ? Formellement il faut signaler deux autres choses.
Une narration pas commode. Il y a des trous, des parties non clarifiés, des détails trop observés. Ce n'est pas linéaire et pourtant très claire. Il y a ici un rapport avec l'art moderne abstrait et paradoxalement avec le travail d’icône. le montage est relativement rapide.
Le plan. Comme la voix est respectueuse du spectateur et de l'acteur, le plan est subtil, construit, il accueille des réalités, les acteurs voyagent dans le plan, nous voyons les jambes, les silhouettes, ils arrivent, ils partent. Des morceaux d'acteur. Non, des acteurs qui participent à l'élaboration d'un travail cinématographique.
Oui, tout surprend.

Mais quel est le sujet ?
Un jeune homme, Charles, est mort. Il s'est suicidé par deux balles de revolver au cimetière du Père Lachaise.
Nous repartons 6 mois en arrière et suivons son chemin vers la mort que nous connaissons déjà. 
Nous suivons son regard sur le monde, ses histoires d'amour, ses amitiés et son cheminement...

Son cheminement est un refus de l'anarchisme par refus d'une violence débridée, son observation du monde de l'industrie et de la pollution destructrice. Son départ de l'Eglise pour cause de débat stérile, son observation du monde du travail et du livre où tout est pornographie objective et morale. Il trouve un peu de refuge chez des chanteurs des rues au bord de la Seine où il trouve du réconfort et des méditations sur la mort. Il observe les tièdes et un monde où tout est pollution et sacrilège. 

Au départ nous le voyons s'engager avec Alberte, jeune et jolie fille avec qui il mène une passion. Alberte est poursuivie par un rival, homme tiède pour notre héros. Cette histoire d'amour ira à vau-l'eau malgré les bonnes volontés de Charles et le sens de la passion et du sacrifice d'Alberte.
Mimétisme et gâchis, tel est ce qui me fut proposé pour la vie sentimentale.
Parallèlement, Charles mène une vie de plus en plus en marge et commence à penser au suicide (balles dans Seine, fausse noyade dans la baignoire.). Ses amis se rendant compte, il l'invite à voir un psychologue. Il y voit l’âpreté aux gains, méconnaissance et conformité sociale. C'est même ce psy qui lui soufflera la manière de son suicide. L'esclave... comme dans l'empire romain.
Il se fera tuer par un camarade, Judas, drogué et pilleur d’église à qui il confie la tache de le tuer pour quelques billets. Le film se termine abruptement dans la nuit du cimetière où le tueur part comme une ombre.



Tout est noir. 
Le constat de Charles est terrible, la beauté est perdue, tout est bruit, destruction de la nature, des relations humaines des relations entre les sexes, tout est aspiration à la violence, à une domination qui n'est plus ordre bon mais exploitation. Charles, même, est prisonnier, ses amours ne peuvent vivre dans le mimétisme ou le gâchis d'une beauté qui ne sait plus à qui se donner, la responsabilité n'est pas atteinte,  la beauté est sacrifié, son suicide se révélera être de la logique même de ce pourquoi il se suicide, argent, esclavagisme moderne. Sa mort devient celle de sa génération. Un suicide assisté, un meurtre par suicide. 

A qui la faute ?
Voici la discussion qui donne le titre au film.
-Ce sont les masses qui régissent les évènements ; des forces obscures dont il est parfaitement impossible de connaître les lois. 
-Qui est-ce donc qui s'amuse à tourner l'humanité en dérision ? Oui, qui est-ce qui nous manœuvre en douce ?
 -Le diable probablement.


Ce film donne un drôle de sensation, un émerveillement face aux beautés de la création, à la beauté des personnes et des plans sur la brutalité de la destruction présente dans le monde. Le Christ semble absent ou pris par un pouvoir de destruction plus fort que lui, la croix ne semble plus sauver. Cela donne un ton désespérant à ce film. N'est ce pas proclamer une victoire indue ?
On peut aussi se moquer du film ou en être indifférent, je ne crois pas que ce soit malin.
Ne faut il pas nommer l'ennemi ?


A noter
Oui, je l'avais vu adolescent, sans le savoir...
le bébé phoque
Edwige et Alberte, beautés menacées.
Les bouteilles de coca
Le dialogue avec le psy
Monteverdi dans l’Eglise. Les disciples dorment...
Le bruit des voitures qui empêchent d'écouter certaines conversations.
Le baiser d'Alberte et de Michel, ombre idyllique sur fond d'embouteillage
La scène d'espoir au bord du fleuve
La discussion sur le nucléaire
L'enfer des rencontres anarchiques
Les papiers pornographiques dans les églises.
Michel qui achète de la drogue pour son futur tueur
Le cours de mathématiques rapide sur les quais du vert galant.
Deux liens qui m'ont inspirés. Ici , et encore
Cette citation de Xavier Tillette.
Xavier Tilliette : "Robert Bresson, le plus original peut-être de cette liste, fait appel à des non-professionnels inexpérimentés. Dessinant leur jeu avec une rigueur presque abstraite, il encourt le risque de les traiter en objets, afin de les modeler et de les disposer dans une construction dont ils sont les éléments principaux. Ils sont des figurants, au même titre que la lumière, le décor, les sons et les choses. Leurs physionomies s'inscrivent comme des valeurs dans la succession des plans, dans la synthèse constituée par le montage. Ce n'est pas leur talent, leur brio qui compte, c'est l'expression du visage, celle-ci, d'ailleurs, procédant de la liaison des images. Le réalisateur oblige ses portraits d'inconnus à avouer. Mais ce que l'on gagne ainsi en dépaysement en en mystère a pour limite le degré d'intensité des révélateurs."
(Cadrages sur Antonioni, Etudes n°7-8, juillet 1961)

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