mardi 24 avril 2018

Alain, Fumaroli, Illich à la recherche de la compassion

Je me régale depuis quelques temps de la lecture de Paris New York et retour de Marc Fumaroli. Plongeon dans le monde, l’image et méditation sur l’art ancien et notre monde d’image. Il y a des trésors magnifiques à chaque chapitre et une invitation à l’otium et à la sagesse. Je ne l’ai que trop peu repris dans ce blog. Permettez-moi de m’appesantir sur un chapitre. "La souffrance des autres : Leurres de la compassion contemporaine". Recherche de la compassion et analyse de l'hubris de la compassion qui disparaît par sa structure injonctive et sans limite. Cela nous permet de faire le lien avec la lecture d'Illich de la parabole du bon samaritain. Tout en bas, en annexe, vous lirez un extrait du livre de Kavanaugh (Comme un hôpital de campagne) qui servira de base à la partie sur Illich, puis vous lirez mes notes sur le chapitre de Paris-New York qui est ici travaillé.
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Fumaroli analyse le lien entre l’engouement contemporain pour le bon sentiment et la compassion et comment cette dernière s’est enfui des arts.

Il voit une corrélation, la réalité de la recherche égoïste de son propre intérêt avec la mise en avant de la compassion et de l’émotion publique dans un environnement où la violence des images prend la place de tout l’imaginaire.

Il oppose ces bons sentiments compassionnels avec l’humanitas et la caritas.
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Humanitas antique, représenté par Cicéron comme éducation à la beauté et considération de la beauté des liens non-politiques caractérisée par l’indulgence entre égaux et la bonté des plus riches. La caritas chrétienne s’est inspiré de cette humanitas pour les relier avec sa vocation divine.

L’humanitas et la caritas, et contrairement dans l’art religieux occidental et antique, ne sont plus représentés dans l’art contemporain.

Fumaroli appelle le philosophe Alain. Celui-ci, bien qu’athée, rend grâce à l’art chrétien d’avoir laissé une place forte à certains lieux communs, dits « populaires », lieux de l’éducation de cette humanitas et caritas, il pense particulièrement au sourire mystérieux du bébé près de sa mère et des vierges à l’enfant. Moments où la raison aussi bien que l’imagination retrouvent leurs origines. Alain dit encore que l’art Chrétien avait un travail d’éducation, de maitrise des désordres de l’imagination, d'autonomisation de l’individu et d'éveil des sentiments.
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Nous n’avons plus de lieux communs, mais des concepts et l’alliance de l’art avec la technosphère.



Les bases de la compassion ont été échangés. Le Christ en croix rappelait notre prochain souffrant, Rousseau et les modernes voient dans le prochain souffrant le Christ. La compassion n’a plus sa source dans le très haut. Cette souffrance était assumée par Dieu qui rappelait à l'homme qu’il y avait quelque chose de fou dans celui-ci. Il y avait au cœur de l’univers un abime de souffrance et de compassion auquel chaque être humain pouvait prendre part. La croix divinise l’humanitas et la caritas. Petites brises, à peine réelles, qui donnent le suc de notre vie par l’attention qui nous est possible de donner. Cela me fait penser à la perspective d’Ivan Illich sur ce qu’il estime la mauvaise lecture de la parabole du bon samaritain (voir plus bas, la citation de Kavanaugh de son livre comme un hôpital de campagne.) Le samaritain face à l’homme blessé est bouleversé dans ses entrailles et agit en toute spontanéité, librement et non sur un sens universel du devoir. Le prochain se transforme en tous nos frères humains. Ce qui est pour Illich une perversion du Christianisme. (Ce qui lui faisait dire quand on lui parlait de famine en Ethiopie : I don’t care. Devons-nous intégrer cette réaction ?) Le prochain devient dans la modernité économique un espace infini et virtuelle bien représenté par l’amitié facebookienne. Paradoxalement, le christianisme ouvre un espace sans borne à l’hubris industrielle et aux institutions qui veulent faire le bien sans limite. Illich disait qu’il fallait faire autant attention aux méchants qu’aux institutions qui prétendent faire le bien en grand, à toutes les cléricatures et institutions contreproductive.


Dans l’art ancien, la souffrance est présente en forme de litote, mise à distance par la réflexion. Désormais plus rien ne nous est épargné dans un fracas de cris de témoignages d’horreur, de sang, d’images. Tout concourt à l’appel de notre compassion et de notre angoisse. (les réseaux sociaux et twitter en particulier sont un magnifique exemple.)
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Je laisse enfinla parole à Fumaroli qui dans son style magnifique dit combien ces appels ne sont rien et sont le syndrome de notre perte de charité face à la contradiction que nous devons supporter entre la tragédie humaine permanente et la tendre humanité

P371 La théologie en sait long sur les limites du connaître et du sentir humain. Seul un Dieu a pu avoir un cœur si gros et doué d'une empathie si inépuisable qu'il ait pris sur lui toute la misère du pauvre monde, dont on nous explique par ailleurs, cartes, photographies et épreuves scientifiques à l'appui, qu'il s'entretue dans le sang, qu'il se fendille, se dessèche ou se noie dans la fonte des glaces. Seule une fiction euphorique et flatteuse, de force et d'effets égaux à ceux des informations qui nous rapportent la déliquescence de la planète et l'agonie de tant de nos frères et sœurs humains, peut nous faire croire que nous puissions, individuellement ou collectivement, endurer tant d'éprouvante et de plaies d'Egypte. En réalité, faute de vivre à la fois selon ces deux régimes d'émotion contradictoires, ce glas incessant qui fait frémir notre sensibilité altruiste ou naturiste produit, autour de la plupart de nos cœurs, des cals épais qui les protègent et les dispensent de s'émouvoir autrement qu'en bonnes paroles écologiques et donations humanitaires affranchies d’impôt. Et nous nous replongeons aussitôt dans l’alléluia universel des publicités euphoriques, des clips paradisiaques, et de l’éternel sourire engageant, toutes dents en poupe, d'un escadron de majorettes frétillantes et ravies qui apportent sur la table un gâteau d'anniversaire, enjoy ! Happy birthday to you




plus bas citation de Cavanaug dans "comme un hôpital de campagne."







P188 "Être en communion avec quelqu'un, c'est recevoir avec lui le Corps du Seigneur." A mesure que l'accent était mis sur la présence sacramentelle, la dévotion à l'Eucharistie s'individualisa, et la tache de lier les gens les uns aux autres fut laissée à l’état, cette forme nouvelle d'intégration sociale qui marqua au bout du compte le passage du médiéval au moderne. Pour Lubac, tout cela était plus que de l'histoire. Il pensait que l'incapacité de beaucoup de catholiques à résister au fascisme de Vichy était dû à l'individualisme de leur piété sacramentelle et à la séparation du naturel et du surnaturel, que la néo scolastique encourageait, mais qui avait sa racine dans la séparation médiévale du mystique et du réel. La théologie politiquement consciente de Lubac allait à l'encontre des fascismes collectivistes et des individualismes séculiers de son époque. C'était l'action du Christ, et non pas l'action d'un souverain décisionniste terrestre, qui lui permettait de souligner la communion horizontale des catholiques par-delà les frontières nationales. En même temps, Lubac écrivait que "notre tentation principale est de faire de Dieu un symbole de l'homme, le symbole objectivé de lui-même". Seule l'action continue du Dieu homme dans l'histoire humaine serait à même de dépasser les aliénations des fictions que nous nous imposons. Si Lubac ne l'a jamais lui-même approfondie de façons systématique, il nous offre une vision de l’Église comme « tertium quid » politique, un type d'action sociale dont la source transcendante dépasse l'Etat tandis qu'elle rassemble les individus au-dessous de l'Etat dans la réalisation d'une communion et d'une solidarité.

La meilleure façon de donner corps à cette sorte de politique de l'Incarnation pourrait être de se pencher sur les commentaires qu'Ivan Illich, catholique radical, fait de la parabole du bon Samaritain, que Charles Taylor reprend vers la fin de son immense livre « L’âge Séculier ». Selon Illich, le sécularisme occidental n'est ni l'accomplissement ni la négation du Christianisme mais plutôt sa corruption. La lecture que l'on fait ordinairement aujourd'hui de la parabole du bon Samaritain est celle d'une fable de l'universalisation du soin porté aux personnes. Les liens de l'identité de groupe sont relâchés et le prochain se transforme en tous nos frères humains; Cette universalisation devient le fondement de l'Etat providence moderne et motive la régularisation et l'institutionnalisation d'un code éthique. Le Christianisme est le fondement sur lequel l'institutionnalisation d'une conscience morale horizontale et universaliste repose sur une conscience qui cherche à prendre soin de tous sans exception. Pour Illich, cependant cet état de choses est une corruption de la parabole du Bon samaritain, fondée sur la spontanéité et sur la liberté, et non sur des normes ou sur un sens universel du devoir. Le bon samaritain a pris soin du juif blessé non pas parce qu'il reconnaissait qu’ils partageaient quelque propriété, quelque identité nationale ou quelques droits de l'homme universels. Il a pris soin de lui simplement parce que comme dit l'Evangile, il a été remué dans ses entrailles", selon la traduction d 'Illich. Il s'est trouvé jeté dans cette situation de façon purement contingente, et il a réagi comme un être de chair envers un autre être de la même chair. Sa réaction a en outre permis ce que Taylor appelle une chaine de relations qui articulent des personnes particulières uniques incarnées". Ces relations ne pouvaient être établies que si le juif blessé pouvait reconnaitre que cette action était gratuite, non obligatoire. Pour Illich, cette chaine de relations n'est pas établie sur la base de quelques récit universel, horizontal et fictionnel à propos de ce que nous partageons. Il est établi par l'incarnation de Dieu dans la chaire de l'homme. Selon Illich, le christianisme établit la contingence, parce qu'il reconnait la pure gratuité de la création du monde par Dieu et de l'incarnation de Dieu sous la forme de Jésus Christ (P74). C'est l'axe vertical ou transcendant qui ouvre cette possibilité de quelque chose de nouveau et de libre dans l'espace des relations humaines. En outre, le fait que Dieu se soit fait chair est précisément ce qui ouvre la possibilité de relations, lesquelles commencent avec le corps dans lequel on vit. Illich dit : Je crois, et j'espère que vous aussi, en un Dieu qui a pris chair, et qui a donné au Samaritain, en tant qu'être plongé dans la charnalité, la possibilité de créer une relation par laquelle une rencontre inconnue, fortuite, devient pour lui la raison de son existence, comme il devient la survie de la survie de l'autre -non pas seulement dans un sens physique, mais dans un sens plus profond, en tant qu'être humain. Ce n'est pas une relation spirituelle. Ce n’est pas un rêve de l'imagination. Ce n'est pas simplement un acte rituel qui engendre un mythe. C'est un acte qui prolonge l'Incarnation. De même que Dieu a pris chair et que dans cette chair il nous relie les uns aux autres, de même vous êtes capables de relation dans la chair, comme quelqu'un qui dit ego, et qui, quand il dit ego, indique une expérience qui est entièrement sensuelle, incarnée, et de ce monde, à cet autre homme qui a été roué de coups."

A la différence de Schmitt, pour qui l'incarnation établit la visibilité et le caractère institutionnel de l'Eglise, Illich voit l'incarnation de Dieu comme ce qui rassemble des personnes en une seule chair, acte qu'il lie directement à l'eucharistie. Prendre soin de l'étranger c'est prendre soin du Christ, et c'est aussi prendre soin de son propre corps, car l'Eucharistie les rassemblait tous dans le corps du Christ (1co 12). La chair est précisément le lieu où le transcendant et l'immanent deviennent inséparables.





Fumaroli



4 LA souffrance des autres : leurres de la compassion contemporaine.

Phrase de Baudelaire en exergue, sur le journal et le sang partout.... / Médiatisation va avec bonne volonté et bon sentiment et de compassion. Tout le monde a du "cœur", dévouement pour souffrance et solidarité, compassion pour malheur public et privé. Idée de Rousseau comme compassion premier mouvement, la société ayant entravé ce mouvement. "Dans notre société démocratique, à l'exemple de la société américaine, où l'acquisition de richesse privée est asymptotique d'un déploiement ostentatoire de générosité publique, tout se passe comme si la poursuite acharnée de l'intérêt personnel trouvait son contrepoint, sincère ou non, dans une dépense spectaculaire et collective d'émotions humanitaires et dans un évergétisme compassionnel à la mesure des moyens de chacun. Égoïsme collectif et générosité public, caractère sociologique de cette mécanique. soupçon intéressé. Barnum doublé de Tartuffe. Hommage de vice à la vertu. Il y a pourtant des bénéficiaires de ces hommages à "l'humanité". Système de balancier spectaculaire que l'on retrouve à la télé par la violence, la musique rave dont on loue le défoulement, mis on raisonne encore sociologiquement, pas de vie intime. Bonté du cœur fruit de calcul prévisionnel et collectif. La parabole est évangélique et rousseau et Kant sont d'inspirations chrétiennes avec l'antiquité préparant le chemin. l'humanitas est une fruit de l'éducation selon Ciceron, à la beauté des liens non politique, indulgence des égaux, et bonté des riches.



La caritas prends ses vertus en gerbes vers leur vocation divine. En art moderne pas de reconnaissance pour la semence de l'humanitas. Texte d'Alain sur le sourire mimétique et mystérieux (le "je" naissant dans le retour du sourire à la mère. Comme Comte, "Alain admire t'il l'Eglise d'avoir déféré à la piété populaire, contre la logique de ses théologiens, et laissés croitre, avec le culte de la Vierge Marie, la représentation, dans le miroir des arts, de la Vierge à l'enfant, byzantine et latine, lieu commun de l'humanitas en bouton, héritière d'Isis et Osiris, d'Aphrodite et d'Eros, mais lieu commun aussi de la caritas évangélique et paulinienne. P367, lien entre vierge à l'enfant et essence des arts qui sont des faits de nature qui s'accordent avec la raison qui sont plus la raison que la raison. Dit Alain, Fumaroli dit comme la Passion.



L'absence de ces lieux communs religieux ou laïcs et le tout donné à la technosphère et au concept rendent difficile l'éducation des sentiments et imaginations avec l'art. La famille et l'école sont là pour aider mais sont face à l'industrie des images préfabriquées qui flattent et inculquent passions tristes, peur et agressivité, difficile à guérir. Alain est persuadé que les images chrétiennes données à l'art concourent à leur principal bienfait : l'apprivoisement des désordres de l'âme sensitive et leur acheminement à l'autonomie de l'esprit et à l'éveil des sentiments. Croix et entourage. Rousseau retrouve dans le semblable souffrant le christ en croix chrétiens. Homme de douleurs dont Manet a peint en dernier. des icônes, on allait au contrapuncto, effet que l'église espérait pour les illettrés par les images de la passion. émotion sur la souffrance qui pouvait être la sienne pour connaitre le Christ pour prendre sa conversion. Émotion inséparable de l'acte d'intelligence théologique et d'un retour méditatif sur soi. Plus simple face à face rousseauiste où on découvre son humanité, elle introduit tiers et divinité du Christ, cette souffrance est assumée par le très haut pour le salut de tous. il y a qqchose de fou dans l'homme. Le don de la croix divinise l'humanitas et la caritas, "La contrapuncto chrétienne suppose au cœur de l'univers et envers l'homme un abîme de souffrance et de compassion divines auquel le monde du vivant tout entier prend part, et auquel chaque être humain est appelé à prendre part à sa mesure.

XV latin, art de la délectation, et réflexion sur la représentation de la souffrance. Avant que par litote, Timanthe sur Agamemnon, de même art profane du XV introduit dans les tableaux d'histoires violentes des figures préparant la distance entre regard et cruauté de ce qu'ils voient. Elle la soumet à la réflexion. Transportés de la chapelle et la liturgie au musée, les icônes ne sont plus qu'histoire de l'art. Désormais représentation brutes des cruautés par l'art sans parler des gazettes diverses. Rien n'est épargné pour prétendre être témoin des malheurs et du chaos. Comme et info se sont donné pour mission d'éveiller notre compassion et angoisse.

P371 LA théologie en sait long sur les limites du connaitre et du sentir humain. Seul un Dieu a pu avoir un cœur si gros et doué d'une empathie si inépuisable qu'il ait pris sur lui toute la misère du pauvre monde, dont on nous explique par ailleurs, cartes, photographies et épreuves scientifiques à l'appui, qu'il s'entretue dans le sang, qu'il se fendille, se dessèche ou se noie dans la fonte des glaces. Seule une fiction euphorique et flatteuse, de force et d'effets égaux à ceux des informations qui nous rapportent la déliquescence de la planète et l'agonie de tant de nos frères et sœurs humains, peut nous faire croire que nous puissions, individuellement ou collectivement, endurer tant d'éprouvante et de plaies d'Egypte. En réalité, faute de vivre à la fois selon ces deux régimes d'émotion contradictoires, ce glas incessant qui fait frémir notre sensibilité altruiste ou naturiste produit, autour de la plupart de nos cœurs, des cals épais qui les protègent et les dispensent de s'émouvoir autrement qu'en bonnes paroles écologiques et donations humanitaires affranchies d’impôt. Et nous nous replongeons aussitôt dans l’alléluia universel des publicités euphoriques, des clips paradisiaques, et de l’éternel sourire engageant, toutes dents en poupe, d'un escadron de majorettes frétillantes et ravies qui apportent sur la table un gâteau d'anniversaire, enjoy ! Happy birthday to you

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