dimanche 11 janvier 2015

La menace nucléaire, notre nouveau sacré - Dupuy partie VI la marque du sacré.

Et ici, la somme des chapitres...

La désacralisation du monde n'est pas un phénomène progressif qui irait comme par nécessité vers l'élimination complète et définitive de la religion. Des resacralisations secondaires viennent constamment ponctuer ce long retrait du sacré primitif en en perpétuant la caractéristique principale : le sacré contient la violence dans les deux sens du mot. 
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Dupuy s'attaque au sixième chapitre au sacré de la bombe atomique et de la dissuasion nucléaire.
L'apocalypse nucléaire est à la pensée stratégique ce que la crise sacrificielle, dans la théorie de René Girard, est à la science de l'homme : un centre absent et néanmoins rayonnant, dont tout ce qui est découle ou un trou noir, invisible mais qui s'aperçoit par l'attraction immense qu'il exerce sur tous les objets de son voisinage.

Ben Laden dans son interview de 1997 parle comme un métaphysicien, il annonce ses actions terroristes comme des réponses aux bombes d'Hiroshima et c'est ainsi, pense Dupuy, que beaucoup d'américains l'ont pris. "Les américains ont commencé, nous devons utiliser avec simplicité le principe de réciprocité. Et au Japon aussi, les bombes ne faisaient pas de différence entre les enfants et les adultes." dit Ben Laden en substance.

Ben Laden prend la position de Levy-Strauss dit encore Dupuy. La loi qui impose la réciprocité de l'échange serait la manifestation d'une nécessité d'ordre logique, et par là même mécanique. Ben Laden révèle ce que Bourdieu et les autres ne voient pas, à savoir que cette logique est celle du mal, de la violence et du ressentiment. Le terrorisme islamique se montre comme le reflet monstrueux de l'occident qu'il déteste. Logique victimaire, fin de la guerre juste, fin des principes de proportionnalité et de discrimination.

Gunther Anders, le théoricien de l'ère atomique
Pour Anders Le tribunal de Nuremberg fut d'une ironie monstrueuse car ce fut aussi le début de l'ère où les vainqueurs développent des armes qui rendent les guerres criminelles.  Hiroshima n'est il pas perçu comme un mal nécessaire. Les normes morales s'effacent devant le calcul des conséquences (conséquentialisme). Dans ce cas là pourquoi n'avons nous pas tué les enfants et femmes de la Ruhr pour accélérer la défaite allemande ?
Pourquoi cette exigence minimale morale n'a pas écarté l'option nucléaire ? Le jugement moral découler des évenements tels qui'ils se sont déroulés, c'est la fortune morale des vainqueurs.
Selon Dupuy, les recherches historiques tendent à nous faire penser que les bombes atomiques n'étaient pas fondamentalement nécessaires, Truman aurait du accepter l'aide soviétique et la permanence du rôle sacré de l'empereur. Il voulait impressionner les russes, les japonais furent des cobayes. Les américains furent même surpris par la reddition après seulement deux bombes...
Quel sens a ses deux bombes ? Comment l'habillage conséquentialiste a t il pu fonctionner ?
Pour Anders, le 6 Aout est le départ d'une nouvelle phase humaine, celle où l'homme sait qu'il peut se détruire. La dénucléarisation ne marchera pas, cela existe, cela sera utilisée. "L'apocalypse est inscrite comme un destin dans notre avenir, et ce que nous pouvons faire de mieux, c'est de retarder indéfiniment l'échéance." Réfléchir sur la rationalité de Hiroshima, c'est encore traiter l'arme nucléaire comme un moyen au service d'une fin, or elle les excède toutes. Pourquoi l'aveuglement face à l'apocalypse ?
Parce qu'il y a un décalage, nous ne pouvons sentir, imaginer la disproportion entre notre capacité de destruction et notre condition.

L'impuissance de la dissuasion ?
La réussite de la dissuasion est elle comme la blague de la poudre aux éléphants ? "Vous voyez bien que cela marche". Dans le reportage the fog of war, de nombreuses fois cités, Mac Namara sur qui le film est centré affirme : La dissuasion ?  Quelle blague ! Quarante fois nous sommes passés à ça (un petit écart des doigts) d'une guerre atomique. We lucked out ! (Nous nous en sommes sorti par la chance !)



MAD (Mutually assured destruction) fut la première stratégie pendant la guerre froide. Chaque nation offre en holocauste sa propre population à l'autre. (Cf : discours de Clinton à la Russie, nos boucliers atomiques sont à l'encontre des états voyous mais pas de vous...) Les nations nucléaires se présentent comme vulnérables et invulnérables.

NUTS (Nuclear utilisation Target Selection) La doctrine d'une frappe précise contre les armes nucléaires de l'autre tout en s'en protégeant par un bouclier antimissile.
Tout le monde a pris ces deux stratégies comme de la sagesse et nos garants de paix. Pourquoi ? Tout est dans l'intention et personne n'ose jeter la première pierre. Moralement, elles sont comme les divinités primitives, elle conjoint la bonté puisque c'est grâce à elle que la guerre nucléaire n'a pas eu lieu, et le mal absolu, puisque l'acte dont elle est l'intention est une abomination sans nom.
Mais si on ne croit pas à la destruction mutuelle car aucun dirigeant ne prendrais le risque de détruire l'humanité, c'est finalement avouer que la menace nucléaire n'est pas crédible...
La dissuasion n'a pas empêché le surarmement nucléaire.
Pour que la dissuasion marche, il aurait fallu abandonner la notion d'intention dissuasive. La simple existence de l'armada gigantesque aurait du suffire... Cette dissuasion existentielle fait de l'anéantissement un destin. Bref Anders et la pensée stratégique sont d'accord, nous sommes dans l'ère du sursis.

Si on suit cette dissuasion existentielle, la dissuasion nucléaire a maintenu un temps de paix en projetant le mal hors de la sphère  des hommes en en faisant une extériorité maléfique mais sans intention mauvaise pouvant fondre sur l'humanité comme un tremblement de terre. Cette menace suspendue aurait donné aux princes la prudence pour éviter l'abomination de la désolation.
Le paradoxe donc de la dissuasion intentionnelle est la marque du sacré. 

Dupuy pense que ce paradoxe de la dissuasion est aussi celui de Jonas (le philosophe et le prophête....). Il dit voici l'avenir pour inviter les habitants de la planète à changer pour que l'avenir prédi ne soit pas celui qu'il prédisait. Il parle pour un avenir qui ne se réalisera pas s'il fait bien son travail. Mystère et paradoxe. Dupuy pense que la dialectique du destin et de l'accident peuvent nous aider à comprendre la chose. L'apocalypse nucléaire est à la fois nécessaire et improbable, le hasard et le destin viennent s'y confondre. L'accident est à la fois le contraire du destin et sa condition de possibilité. C'est donc un accident que nous ne voulons pas et que nous cherchons à éviter.
Sauf si nous renonçons complétement à la violence, nous ne pouvons que jouer avec le feu, pas trop près (dissuasion existentielle) et pas trop loin pour ne pas oublier le danger. Il ne faut pas trop croire au destin, ni trop refuser d'y croire. Cela nous permet d'être à distance du trou noir qu'est l'apocalypse nucléaire.

Cette structure est exactement celle du sacré primitif tel que l'a vu Girard : Il ne faut pas trop s'approcher par ce qu'il déchaine la violence, il ne faut pas non plus s'en éloigner car il nous protège de la violence. Le sacré contient la violence, dans les deux sens du mot.

La fin de la haine et du ressentiment
Le mal dans le christianisme est relié à l'intention de ceux qui le commettent. Or la dissuasion nucléaire ne tente t-elle pas de disjoindre les deux ? Dupuy présente le désarroi de Anders au Japon où il lui semble  que les japonais ont confondu la bombe avec une catastrophe naturelle comme s'ils éloignaient d'eux-même toute possibilité de ressentiment. Il écrit alors que dans un monde apocalyptique, par notre faute, offre l'image d'un paradis habité par des meurtriers sans méchanceté et par des victimes sans haine. Prophétie d'un monde de guerre contre lui même, sans haine. Dupuy pose cette question pour finir ce chapitre, L'inhumanité de la violence sans haine n'est elle pas la seule transcendance qui nous reste ? 

Le film avec Mc Manara en entier est ici




Plus bas, résumé plus détaillé...




VI La menace nucléaire, notre nouveau sacré.
De Ben Laden à Hiroshima.
La désacralisation du monde n'est pas un phénomène progressif qui irait comme par nécessité vers l'élimination complète et définitive de la religion. Des resacralisations secondaires viennent constamment ponctuer ce long retrait du sacré primitif en en perpétuant la caractéristique principale : le sacré contient la violence dans les deux sens du mot. Bombe atomique, nouveau sacré ? L'apocalypse nucléaire est à la pensée stratégique ce que la crise sacrificielle, dans la théorie de René Girard, est à la science de l'homme : un centre absent et néanmoins rayonnant, dont tout ce qui est découle ou un trou noir, invisible mais qui s'aperçoit par l'attraction immense qu'il exerce sur tous les objets de son voisinage.
Ben Laden et Hiroshima
Un grand théoricien des sciences humaines est Oussama Ben Laden. Origine du ground zero ? Site de la première bombe atomique du nouveau Mexique. Les américains ont comparé l'attentat du 9/11 aux frappes nucléaires. C'est ce que voulait Ben Laden. Interview BL de 98 par ABC, sur la fatwa pour l'extermination des américains, réponse : Ils ont commencé, la vengeance doit s'exercer en respectant scrupuleusement le principe de réciprocité. Les américains ont commencé avec la bombe A au Japon, et le bombes ne font pas de différence entre les enfants et les adultes. Il semble qu'il utilise les concepts de Levi Strauss. Ben Laden en 2002 : Nous ne commettons pas de terrorisme. Tuer ceux qui tuent nos enfants n'est pas du terrorisme. Tuer le roi des infidèles, le chef des croisés et les civils infidèles en échange de nos enfants mis à mort, cela est permis par la loi coranique et par la logique. Dans le débat constitutif de la science sociale à la française, Ben Laden prend la position de Levy-Strauss. La loi qui impose la réciprocité de l'échange serait la manifestation d'une nécessité d'ordre logique, et par là même mécanique. Ben Laden révèle ce que Bourdieu et les autres ne voient pas, à savoir que cette logique est celle du mal, du violence et du ressentiment.
Le terrorisme islamique apparait comme le reflet monstrueux de l'occident chrétien qu'il abhorre. Logique victimaire aussi. Ben Laden nous montre la mise à mort des principes de la guerre juste, rituel violent et mesuré, un rituel qui contenait la violence par la violence. Mise à mort commencée par l'occident. Le principe de discrimination, de proportionnalité explosent Ces principes sont mort à Hiroshima. (Même si les bombardements de Dresde et Tokyo les avaient mis Ko déjà...)
Günther Anders, le théoricen de l'ère atomique.
Entre les deux bombes atomiques, il y a le tribunal de Nuremberg. Elle peut juger des crimes contre la paix, les crimes de guerre, et les crimes contre l'humanité. "Ironie monstrueuse" pour Anders, les vainqueurs de la guerre mondiale ont ouvert une ère où puissance des armes rendent inévitables les guerres criminelles. (Brecht, lui conseilla de signer autrement). Faire de la philosophie pour les autres philosophes, c'est comme un boulanger faisant du pain pour les autres boulangers. Il pense l'entrée du monde dans sa possibilité de se détruire. Il rapproche Auschwitz et Hiroshima, passé certain seuil le mal moral devient trop grand pour les hommes qui pourtant en sont responsables, aucune norme, éthique peut diagnostiquer la chose. Pourtant Hiroshima est vu comme le mal nécessaire souvent en Amérique s'investissant de pouvoir déterminer le meilleur ou le moins pire des mondes. Entre les morts et ceux de l'invasion nécessaire de l'archipel, on ne peut pas ne pas choisir la fin de la guerre même au prix de la considération de tout ce que pouvait être guerre juste. Les normes morales s'effacent devant le calcul des conséquences. Cela serait la différence entre Hiroshima et Auschwitz.
Certains ne cessent de clamer l'ignominie de l'acte. Elisabeth Anscombe a utilisé une comparaison juste pour parler de l'horreur de la morale conséquantialiste. Pour briser l'obstination allemande en 1945, pourquoi ne pas avoir tué femmes et enfants de la Ruhr; Mais en quoi est ce différent de l'Allemagne en Pologne ? En quoi est différent des bombardements atomiques japonais ? Pauvre analogie mais elle n'a que cet outil logique...
Pourquoi cette exigence minimale de consistance n'a pas suffi à écarter l'option nucléaire ? Il y a la fortune morale du vainqueur...  Le jugement moral dépend de ce qui en a découlé, des évenements, des vainqueurs etc. Dans The fog of war, dans le reportage consacré Mc Namara secrétaire de la défense de Kennedy et conseiller du général LeMay, responsable de nombreux bombardements sur le Japon. Il dit à LeMay si nous avions perdu la guerre, nous aurions été jugé comme criminel de guerre.
La morale conquentialiste a pu être servi comme alibi. Le japon allait déjà capituler selon certains. Il eut fallu que l'URSS s'engage dans cette guerre et de laisser la place à l'empereur. Truman refusa les deux. (Potsdam 1945). La thèse d'Alperovitz est que Truman voulait impressionner l'URSS avant que ceux ci interviennent. Les japonais son devenus les cobayes. La bombe n'était pas nécessaire pour la reddition.
Barton Bernstein affirme après Nagasaki, le chef marine nippon propose à l'empereur des "attaques spéciales" au prix affichés de 20 Millions de morts. Les américains sont surpris par la reddition des japonais (fait encore assez peu expliqué) et préparait la troisième... C'était le plan le plus prisé parmi les 6 possibles. Le seul à ne pas être discuté.
Ces interprétations "révisionnistes" conduisent à deux interrogations. 1 Comment donner sens à ces deux bombes ? 2Comment l'habillage conséquentialiste a t il pu fonctionner ?
Anders y répond. Le 6 Aout, l'histoire est parti dans une nouvelle phase. La catastrophe appelle des répliques, l'histoire devient obsolète, l'humanité est capable de se détruire elle-même. Rien, pas même la dénucléarisation lui fera perdre sa toute puissance négative. "L'apocalypse est inscrite comme un destin dans notre avenir, et ce que nous pouvons faire de mieux, c'est de retarder indéfiniment l'échéance." La mise en obsolescence de l'avenir signifie non que le passé n'a plus de sens mais qu'il n'en aura jamais eu. S'interroger sur la rationalité d'Hiroshima, c'est encore traiter l'arme nucléaire comme un moyen au service d'une fin. La bombe excède toute les fins. La bombe a été utilisée parce qu'elle existait. Son existence était une menace, pourquoi l'horreur morale n'a pas été perçue ?  Pourquoi aveuglement face à l'apocalypse ? Parce que décalage prométhéen : après certains seuils, notre pouvoir de faire excède notre capacité de sentir et d'imaginer. Cette incapacité est de tous les hommes quand leur capacité de faire, de détruire devient disproportionné par rapport à l'humaine condition. Il n'existe pas d'humain capable de se représenter l'effroyable élimination de millions de personnes.
L'impuissance de la dissuasion
La légende de la dissuasion nucléaire est même que celle de la blague de la poudre à éléphant qui marche. Un pacifiste dirait qu'il faudrait n'avoir aucune arme nucléaire... Certes mais pas possible. Elles existent...
Dans The fog of war, On demande à McNamara pourquoi il n'y a pas eu d'holocauste nucléaire pendant la guerre froide ? La dissuasion ?  Non quelle blague ! WE LUCKED OUT !!!! Nous en sommes sorti par la chance ! Trente fois, nous sommes passés à un cheveu de l'apocalypse. Dupuy souhaite résumer son travail sur ce sujet ici tel qu'il l'a développé dans Petite métaphysique des tsunamis. Pendant la guerre froide, la situation de vulnérabilité mutuelle ou destruction mutuelle assurée aura donné à l'intention dissuasive. un rôle majeur dans la stratégie et l'éthique. Discours de Clinton et Rice, boucliers que nous construisons est contre les états voyous mais vous vous pourrez détruire les USA... Cette extravagance révèle que rien n'a changé après la chute du mur, logique de dissuasion est toujours démente. Chaque nation offre à l'autre sa propre population en holocauste. La sécurité y est fille de la terreur. Si l'un semble montrer qu'il se protège. L'autre pourrait frapper comme prévention. Cette logique est MAD (Mutually Assured Destruction). Les nations nucléaires se présentent comme vulnérables et invulnérables.
La doctrine d'une frappe précise contre les armes nucléaires de l'autre tout en s'en protégeant par un boulier antimissile a reçu le nom de NUTS "cinglé" (Nuclear Utilisation Target Selection). Les américains disent jouer à MAD avec les russes et peut être les chinois, tout en pratiquant NUTS avec les coréens du nord, les iraniens...Que MADS et NUTS aient pu passer pour de la grande sagesse et dire que cela nous a assuré la paix est fou. Rare s'en sont émus... Pourquoi ?
Ce n'est que de l'intention et non un passage à l'acte. L'adversaire étant dissuadé d'attaquer le premier, personne ne jette la première pierre. C'est l'intention auto validante. Ce qui peut lui échapper à la condamnation éthique est ce qui la rend nulle sur le plan stratégique. Moralement elle est comme les divinités primitives, la dissuasion parait conjoindre la bonté puisque c'est grâce à elle que la guerre nucléaire n'a pas eu lieu, et le mal absolu, puisque l'acte dont elle est l'intention est une abomination sans nom.
Certains ne croient pas à la destruction mutuelle, car aucun dirigeant ne prendrais le risque de la destruction humaine. Donc menace nucléaire n'est pas crédible.
Autre argument, une dissuasion ne marche que si elle ne marche pas à 100% mais ici la première transgression est une transgression de trop, la dissuasion n'en est pas une, elle préfigure la prophétie du malheur.
Le signe le plus flagrant que la dissuasion n'a pas marché (si l'on renonce bien sur au mythe qu'elle serait pour quoi que ce soit dans le fait qu'un holocauste nucléaire ne s'est pas produit) c'est qu'elle n'a pas empêché une fuite en avant suicidaire dans le surarmement. (alors qu'il en suffit de peu)
Pour que la dissuasion marche, il aurait fallu abandonner la notion d'intention dissuasive. Tout le mal vient du fait que l'homme, par sa volonté et sa conscience pussent commander à cette machine terrifiante de la dissuasion. La simple existence de ces arsenaux auraient du suffire à ce que les jumeaux de la violence restent cois. L'apocalypse et une certaine transcendance ne disparaissait pas de cette dissuasion "existentielle" qui apparaissait comme un jeu dangereux faisant de l'anéantissement mutuel un destin. Il y avait une chance pour que le destin nous oublie. Bref Anders et la pensée stratégique sont d'accord, nous sommes dans l'ère du sursis.
Si on suit cette dissuasion existentielle, la dissuasion nucléaire a maintenu un temps de paix en projetant le mal hors de la sphère  des hommes en en faisant une extériorité maléfique mais sans intention mauvaise pouvant fondre sur l'humanité comme un tremblement de terre. Cette menace suspendue aurait donné aux princes la prudence pour éviter l'abomination de la désolation.
Paradoxe donc de la dissuasion intentionnelle est la marque du sacré.
Reprenons les deux arguments contre elle
Menace pas crédible (si dissuasion échouait, on ne mettrait pas sa menace en exécution) ensuite une dissuasion s'anéantit dans le paradoxe de l'auto réfutation. Il faut pour échapper à ce paradoxe inscrire la réalité de l'apocalypse tel un destin. Mais c'est la même chose... Revenons à McNamara. Il s'en est donc fallu de peu. Echec de la dissuasion ? Non, c'est parce que nous avons côtoyé le trou noir qui a donné à MAD son pouvoir dissuasif et qui nous a sauvés.  Il faut des accidents pour précipiter le destin apocalyptique mais contrairement au destin un accident peut ne pas se produire.
La forme étrange de du paradoxe de l'autoréfutation se retrouve dans toute une série de paradoxes que Dupuy appelle le paradoxe de Jonas, ils sont face au dilemme de tous les prophètes du malheur. Il annonce la catastrophe à venir comme avenir inéluctable pour que celui ci ne se produise pas. C'est aussi la figure du juge meurtrier celui qui tue les meurtriers avant qu'il commettent un crime qui ne sera donc pas commis. Mais avec Jonas annonçant, pas de bouclage paradoxal, l'avenir n'a pas à coïncider avec l'avenir actuel, l'anticipation n'a pas à se réaliser. L'avenir annoncé n'est pas l'avenir du tout, mais un monde possible qui et restera non actuel. Comment donc prophétiser un avenir dont on ne veut pas afin qu'il ne se produise pas ?  Tel est le paradoxe de Jonas et même structure que paradoxe de la dissuasion parfaite qui s'auto réfute.
La clé se trouve dans la dialectique du destin et de l'accident qui est au cœur de la dissuasion existentielle. Il s'agit de tenir l'apocalypse nucléaire comme à la fois nécessaire et improbable. C'est la figure du tragique. Le hasard et le destin viennent à s'y confondre (Oedipe et Meursault). L'accident est à la fois le contraire du destin et sa condition de possibilité.
Or c'est un accident dont nous ne voulons pas et qu'il faut écarter. L'accident instrument du destin et sa négation nous permet de l'écarter.
Si nous refusons le Royaume, cad le renoncement complet de tous à la violence, il ne nous reste qu'à jouer constamment avec le feu : pas trop près (dissuasion existentielle)  mais pas trop loin non plus de peur que nous oublions le danger (c'est le paradoxe de Jonas). Il ne faut pas trop croire au destin, ni trop refuser d'y croire. Il faut y croire comme une fiction.
Cela nous permet de nous tenir à distance du trou noir de l'apocalypse nucléaire qui est notre destin. Cette structure est exactement celle du sacré primitif tel que l'a vu Girard : Il ne faut pas trop s'approcher par ce qu'il déchaine la violence, il ne faut pas non plus s'en éloigner car il nous protège de la violence. Le sacré contient la violence, dans les deux sens du mot.
La fin de la haine et du ressentiment.
J'ai voulu faire analogie entre théorie de la dissuasion existentielle et la structure du sacré primitif.
Et le mal ? Avec le christianisme, celui ci est rapporté aux intentions de ceux qui le commettent. Le mal de la dissuasion nucléaire est un mal déconnecté de toute intention, comme la bombe est un sacré sans dieu. C'est une mauvaise nouvelle.
Anders au Japon avec des survivants note qu'ils parlent de l'évènement comme s'il était déconnecté de l'humanité. Ils ne veulent pas nourrir de ressentiment. Ils en parlent comme d'un phénomène naturel.
Le mal de la paix nucléaire n'est le produit d'aucune intention maligne. Dans son livre Hiroshima est partout : à l'instant où notre monde est apocalyptique,  et par notre faute, il offre l'image d'un paradis habité par des meurtriers sans méchanceté et par des victimes sans haine.  La guerre par télémeurtre qui vient sera la guerre la plus dénuée de haine qui ait jamais existé dans l'histoire. Ce sera une absence de haine inhumaine. Absence de haine et absence de scrupules ne feront plus qu'un. La violence sans haine est si inhumaine qu'elle en devient une transcendance peut etre la seule qui nous reste.

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