Combien de fois, ai je vu la couverture de ce livre dans la bibliothèque de mon enfance ? Ces deux enfants qui se font face, le coquillage et l'ile tropicale.
Après en avoir entendu parler deux nouvelles fois, je l'ai trouvé chez un petit bouquiniste. Que dire ? Suis je heureux de l'avoir lu cette année ou triste de l'avoir raté à ma jeunesse?
Une vingtaine d'enfants de six à douze ans (trente, quarante, on ne sait, ils n'ont pas compté, à ce propos, qu'est devenu l'enfant à la tache de vin ????) sont rescapés d'un accident d'avion sur une île déserte, il y a de l'eau, des fruits en abondance, des cochons qui rôdent mais surtout leur propre violence qui sommeillait et revient. Les enfants vont tenter d'organiser leur vie autour d'un chef respectueux (Ralph) qui tente d'établir les priorités, construire un abri et entretenir un feu pour se faire remarquer des adultes qui passeraient par là.
Petit à petit, leur jolie démocratie se fissure, certaines violences affleurent, leur bras et leurs comportements ne sont plus retenus par la civilisation de leur enfance et les sentiments violents sont éveillés par la chasse. La crasse, les masques et les peintures prennent le pas sur leur uniforme d'écolier ou de choristes. Jack sera le représentant et le chef de ce mouvement vers la violence, son gout de la chasse, du pouvoir, du prestige de chef va conduire le groupe à se transformer en tribu primitive, violente et rempli de superstitions.
Le mécanisme vu par Golding est implacable et pour tout dire très girardien... Certes, vous connaissez mes défauts, je vois Girard partout, mais ici, c'est un cas d'école, ce livre étant écrit en 56 avant l’œuvre du bon René reprend énormément de thèse et d'observations girardiennes. Malgré tout, ce livre n'est pas complètement girardien mais très informé en terme d'anthropologie.
Le mouvement vers la violence est très intéressant, le mimétisme de Jack envers Ralph est passionnant ("Et puis, il y avait ce lien indéfinissable entre Jack et lui ; à cause de cela, Jack ne le laisserait jamais tranquille, jamais."), mais décrit plus l'origine de la violence comme un mouvement seulement naturel sans origine lié au désir. Certains l'ont plus que d'autres et savent le disséminer, voilà tout... Certains aiment la chasse tout au début et sont originellement dangereux. N'est ce pas une trace de romantisme ?
Étrange, alors qu'il ne l'est pas du tout concernant la construction d'une société, comment gérer la violence humaine ? Certes, fabriquer des logements pour s'abriter et faire du feu est la chose la plus sensée et la plus adulte, mais une société est d'abord sa gestion de la violence... On peut pleurer la perte de pouvoir de Ralph et de Porcinet, gros garçon qui procure le feu grâce à ses lunettes, très raisonnables sauf sur son incompréhension de la raison des sociétés. Bref, nos "adultes" ne comprennent rien et vont devoir passer le relais à Jack qui lui propose un vrai projet de société. Certes il oublie de faire le feu alors qu'un bateau passait à l'horizon, mais il propose de l'amusement, des rites amusant comme la danse, une répartition des taches, il explique les peurs (le monstre de l'île, parachutiste en masque mort...) et gère la violence, il crée communauté par le festin et provoque le meurtre du bouc-émissaire à la suite d'un festin et des danses folles.
Certes, il y a Simon, garçon curieux, sage, faisant confiance, il est le petit garçon ne cherchant pas de fausses assurances, il va au bout de la rencontre avec la violence. C'est lui qui discute avec "Sa-Majesté-des-Mouches" tête de cochon offerte au monstre par les chasseurs avec qui il dialogue et qui symbolise le lien entre la violence et le sacré que les hommes ne veulent plus voir. Il est celui qui enquête sur le monstre, apprend la vérité et veut la proposer. Il est celui qui va se faire lyncher au moment du climax du rite de la danse des enfants qui vont le tuer et le dévorer. Simon, prend ici la figure du prophète bouc émissaire. Les enfants vont cacher l'assassinat et ne retenir que la version du mythe, seul Ralph parle d'assassinat.
Si ce repas et ce meurtre fondateur va relier tous les jeunes, il restera Ralph qui va se découvrir paria en raison de la rivalité entre lui et Jack. Au cours d'une chasse à l'homme, les enfants vont mettre le feu à l'île et chasser Ralph qui en courant désespéramment arrivera sur la plage où il rencontrera un marin anglais ayant vu le feu provoqué par la chasse à l'homme. Tous les enfants pleurent devant ce marin n'y comprenant rien et regardant son cuirassé où il va les reprendre.
Pour Golding, le sacrifice et le prophète viennent après le dieu, c'est une différence de taille avec Girard mais cette compréhension de la violence sacrificielle dans la politique est très forte, puissante et très naturellement mise en scène... Il n'a pas le temps de montrer la paix évidente de la communauté après le sacrifice, il se concentre sur la dimension dictatoriale de la tribu et sur la rivalité entre Jack et Ralph. Cela me semble être un contre-sens.
Ou plutôt, c'est le personnage de Ralph qui est le plus incroyable. Mais il est peut-être le plus nécessaire. Il est l'auteur ou le modèle que l'auteur souhaite donner aux lecteurs. Démocrate, sensible, apprenant, leader dans l'âme, défendant la loi et les légitimités de chacun, il reste concentré sur la fumée (ironie magnifique, c'est le feu de l'incendie qui retiendra l'attention du cuirassé), la dimension existentielle de leur présence sur l'île, s'il participe au festin, il ne participe pas au lynchage et sait y reconnaître un assassinat... Dans un certain sens, il est le meilleur de notre société et en même temps sa représentation parfaite dans son ignorance sur la violence fondatrice. Il suffit de se faire élire et d'être raisonnable et tout ira bien... Cette subtilité est elle voulu par l'auteur ?
Je ne sais, mais c'est extrêmement brillant comme tout ce livre merveilleusement construit, intelligent et plus profond que l'on peut le croire, malgré les défauts (?) que je viens de souligner.
Ps :Dans la violence révélée, Gil Bailie parle de ce roman. Même si le roman est symbolique, il voit la fin du livre comme un retour à la paix miraculeuse d'une sorte que l'humanité rêve de trouver, un rêve de retrouver ses esprits, le rêve d'une autorité morale surplombante. Mais Bailie cite William Auden parlant du livre. L'officier prenant les enfants dans son cuirassé ne joue t il pas le même jeu que celui des enfants sur leur île ? Qui va s'occuper de l'officier et de son cuirassé ? Et que se passerait il si les enfants se posait cette question et remettait en cause l'autorité de l'officier ?
Plus bas, certains extraits que je souhaite garder...
Edition, le livre de poche 1968
P23 Un garçon aux cheveux noirs, à peine plus jeune que
Porcinet, écarta des broussailles, déboucha sur le plateau et sourit
joyeusement à la ronde. Les nouveaux arrivants imitaient Johnny, inconscient de
l'exemple qu'il donnait et s'asseyaient sur les troncs tombés. Ralph continuait
ses brefs appels. Porcinet circulait entre les garçons et demandait leurs noms,
les sourcils froncés pour essayer de se les rappeler. Les enfants lui
obéissaient sans arrière pensée, comme ils l'avaient fait devant les hommes au
micros.
P24 Tout en soufflant dans la conque, Ralph vit les deux
dernier arrivants, côte à côte, dont la silhouette se doublait d'une ombre
noire flottante. Les deux garçons, aux cheveux filasse sur une tête ronde comme
une boule, se jetèrent par terre e restèrent étendus aux pieds de Ralph,
souriant et haletant comme des chiens. C'étaient des jumeaux et l'œil avait
peine à croire à une ressemblance aussi joyeusement arborée. Ils respiraient
sur le même rythme et souriaient ensemble; ils étaient trapus et plein de
vitalité. Ils levèrent vers Ralph leur visage aux lèvres humides ; comme ils ne
semblaient pas avoir assez de peau pour eux deux, leur bouche restait toujours
entrouverte et leur profil manquait de netteté. Porcinet se pencha sur eux avec
des lunettes étincelantes et, entre les appels de la conque, on l'entendit qui répétait
leurs noms : "Erik, Sam ; Erik, Sam." Il finit par s'embrouiller; les
jumeaux hochèrent la tête et se désignèrent mutuellement du doigt. Tout le
monde rit.
Dans l'air brouillé et scintillant de chaleur, quelque chose
de noir avançait en tâtonnant. Ralph fut le premier à le distinguer et
l'insistance de son regard attira sur le même point les yeux des autres
garçons.
P26 Porcinet ne demanda aucun nom. Intimidé par la
supériorité de l'uniforme et l'autorité qui se dégageait au premier abord de la
voix de Merridew.
P27 "Il ne s'appelle pas le Gros, cria Ralph. Son vrai
nom, c'est porcinet ! -Porcinet ! -Porcinet ! -Oh ! Porcinet !" Ce fut un
éclat de rire général auquel se joignirent même les plus petits. Pendant un
bref instant il se forma un circuit fermé de sympathie dont Porcinet était
exclu. Celui-ci rougit, baissa la tête et s'absorba dans le nettoyage de ses
lunettes.
P70 D'n accord tacite, ils tournèrent le dos aux cabanes et
s'en furent à la piscine. "Alors dit Jack, quand j'aurai pris un bain et
mangé un morceau, j'irai sur l'autre versant de la montagne pou voir s'il y a
des traces. Tu viens ? -Mais le soleil est presque couché ! -J'aurai peut être
le temps quand même..." Ils marchaient d'un même pas, mais isolés dans
leur univers d'expériences et de sentiments différents et incapables de communiquer
entre eux. "Si seulement je pouvais attraper un cochon ! -Je vais
retourner travailler à la cabane." Ils échangèrent un regard déconcerté, à
la fois violemment attirés et repoussés l'un par l'autre. Il fallut
l'atmosphère de la piscine, son eau tiède et salée, les cris, les rires et les
éclaboussements pour les rapprocher de nouveau.
P77 Roger piétina exprès les châteaux de sable, écrasant les
fleurs et dispersant les galets choisis avec soin. En riant, Maurice le suivit
et augmenta le désastre. Les trois petits interrompirent leur jeu et levèrent
la tête. Comme la destruction avait épargné par hasard ce qui les intéressait
le plus, ils ne protestèrent pas. Mais Percival, un œil plein de sable, se mit
à pleurnicher et Maurice se sauva. Dans son monde d'autrefois, Maurice se
souvenait d'avoir reçu une correction pour le même genre de méfait. Malgré
l'absence de parents pour le punir, il éprouvait quand même le malaise d'avoir
mal agi. De vagues excuses lui venaient à l'esprit. Il murmura quelques mots au
sujet de sa baignade et courut plus vite.
Comme les larmes avaient chassé le sable. Percival cessa de
pleurnicher et retourna à ses jeux. Johnny fixait sur lui un regard de
porcelaine bleue ; tout à coup il lui lança du sable en quantité et Percival se
reprit à gémir.
P79 Roger ramassa une poignée de galets et continua à le
bombarder. Mais il laissait autour du petit garçon un espace d'environ six
mètres de diamètre qu'il n'osait pas franchir. Là, invisibles mais puissants,
dominaient les tabous de sa vie d'antan. Autour de l'enfant accroupi planait la
protection des parents, de l'école, du gendarme et de sa loi. le bras de Roger
était retenu par une civilisation qui ne se préoccupait aucunement de lui et
tombait en ruine.
P81 Près de la flaque d'eau, son corps nerveux était
surmonté d'un masque qui exerçait sur les autres une fascination mêlée
d'effroi. Il se mit à danser et son rire se changea en un grognement de bête
assoiffée de sang. Il sautilla vers Bill et le masque prit une sorte de vie
autonome derrière laquelle Jack se cachait, libéré de toute honte et de tout
gêne. Le visage couvert de rouge, de blanc et de noir, oscilla dans l'air et
s'approcha de Bill. Celui-ci commença par rire, mais il se tut bientôt et se
sauva dans les buissons.
P89 Désireux de partager avec eux son bonheur, il chercha à
leur faire prendre part à ses émotions. Les souvenirs se bousculaient dans sa
mémoire : la révélation de la curée, leur sentiment de supériorité devant cette
bête qui se débattait et à qui ils imposaient leur volonté, la volupté enfin de
gorger de sa vie comme d'une boisson longtemps attendue.
P91 Jack se redressa, le couteau rougi à la main. Les deux
garçons se firent face ; deux mondes s'affrontaient : celui de la chasse, avec
ses tactiques, son exaltation farouche, son adresse ; celui de l'attente et du
bon sens confondu. Jack changea son couteau de main et sa barbouilla le front
de sang en repoussant ses cheveux collés. Porcinet éleva la voix.
"T'auraient pas dû laisser éteindre le feu. T'avais promis de l'entretenir
justement..." La réflexion de Porcinet et les approbations gémissantes de
quelques chasseurs poussèrent Jack à bout. Ses yeux bleus prirent un aspect
trouble. Il fit un pas en avant et, heureux de pouvoir enfin frapper, il envoya
un coup de poing dans l'estomac de Porcinet. Celui-ci s'effondra avec un
gémissement. Jack le dominait. D'une voix rendue cruelle par l'humiliation, il
s'écria : "Hein ! Tu l'as voulu, le Gros !"
P92 "Oui, j'y vois plus que d'un œil. Attends un
peu..." Jack imita son ton pleurnichard et sa fuite. "Attends un
peu... Ouais !" L'original et l'imitation étaient si drôles que les
chasseurs éclatèrent de rire .Encouragé, Jack continua sa mimique et ce fut un
fou rire. Ralph sentit ses lèvres animées d'un frémissement involontaire.
furieux de se laisser aller, il marmonna : "c'était dégoutant ce que tu as
fait." Jack interrompit ses singeries et se tint debout devant Ralph.
"Je regrette. Pour le feu. tiens, je..." Il bomba le torse. "Je
fais mes excuses." Cette noble conduite provoqua chez les chasseurs un
murmure d'admiration. Ils pensaient certainement que Jack avait bien agi, avait mis le bon droit de son
coté en présentant généreusement ses excuses ; par contrecoup, il leur semblait
confusément qu'il mettait Ralph dans son tort. Ils attendaient de ce dernier
une réponse à la hauteur. Mais la gorge de Ralph s'y refusait. Il en voulait à
Jack de cette ruse verbale qui aggravait sa mauvaise action. Le feu était mort,
le bateau parti. Ne comprenaient ils pas ?
Au lieu d'une réponse dans le ton noble, ce fut la colère qui l'emporta.
"Oui, c'était dégoutant !"
P94 Ralph s'agita, mal à l'aise. Assis entre les jumeaux et
Porcinet, Simon s'essuya la bouche et passa son morceau de viande à Porcinet
qui s'en saisit. Les jumeaux étouffèrent un four rire et Simon, honteux, baissa
la tête. Alors, Jack bondit, découpa un grand lambeau de viande et le lança à
Simon. "Mange, bon Dieu !" Il couvrait Simon d'un regard dur.
"Prends le !" Il pivota sur ses talons et, devenu le point de mire de
ses camarades étonnés, il s'écria :
"C'est moi qui vous ai procuré la viande !" Des sentiments
complexes et refoulés s'ajoutaient pour donner à sa rage une force primitive
qui inspirait la terreur.
P99 D'habitude, sous la voûte de feuilles vertes se jouait
un lacis de reflets dorés et le visage des garçons était éclairé par-dessous
comme si - pensa Ralph- on tenait sur les genoux des lampes électriques
dirigées vers le haut. Mais à présent, les rayons du soleil arrivaient
obliquement et les ombres prenaient leur place normale. Il fut repris par cette humeur -insolite chez
lui - de méditation. Si l'éclairage de coté ou par en dessous transformait à ce
point un visage, qu'était-ce donc qu'un visage ? Qu'était ce donc tout chose ?
P113 Il s'arrêta de nouveau et eut un rire joyeux. "Je
ne crois pas à la bête, naturellement. Comme dit Porcinet, tout est
scientifique dans la vie, mais au fond on n'en sait rien, pas vrai? On n'a
aucune certitude..."
P114 Ralph domina le vacarme : "Il faut l'écouter ! Il
a la conque ! -C'est à dire, voilà... ça pourrait être nous simplement. -L a
barbe !" Cette protestation venait de Porcinet qui scandalisé en oubliait
le décorum. Mais Simon s'obstinait : "On est peut-être un peu...." Il
était incapable de trouver des mots pour définir la faiblesse essentielle de
l'humanité. Tout à coup, l'inspiration lui vint. "Qu'est ce qu'il y a de
plus sale au monde ?" Dans le silence perplexe qui suivit, Jack laissa
tomber un seul mot, expressif et cru. La détente fut comme un paroxysme. Les
petits, qui s'étaient installés de nouveau sur la balançoire, se laissèrent
tomber exprès. Les chasseurs poussaient des cris de joie. La tentative de Simon
s'écroulait dans l'échec. Les rires fustigeaient et il se retira, battu, à sa
place.
P120 -Porcinet a raison, Ralph. Il y a toi et Jack. C'est
toi qui dois rester chef. -Tout s'en va à la dérive et il n'y a plus que de la
pourriture. A la maison, il y avait toujours une grande personne. S'il vous
plaît, monsieur; s'il vous plaît, madame, et voilà, on avait sa réponse. Oh !
comme je voudrais... -Je voudrais que ma tante soit là. -Je voudrais que mon
père... Mais à quoi ça sert ? -Il faut maintenir le feu."
P146 "Ca c'est une blessure ! dit Simon. Tu devrais la
sucer, comme Berengaria."
Il essaya de récupérer l'attention générale. "Il
fonçait sur le sentier. J'ai lancé, comme ça..." Robert lui montra les
dents. Ralph se prêta au jeu et les rires fusèrent. Tous se mirent à houspiller
Robert qui mimait des attaques. "Faites un cercle !" cria Jack. Le
cercle se forma, évoluant et se resserrant autour de Robert. Robert poussait
des cris aigus, avec une douleur d'abord feinte, puis réelle. "Aie !
Arrêtez ! Vous me faites mal !" Un manche de javelot le frappa sur le dos
tandis qu'il essayait de s'esquiver. "tenez-le !" On le retint par
les bras et les jambes. Emporté par une excitation irrésistible, Ralph saisit
le javelot d'Erik et en frappa Robert. "A mort ! A mort!" Maintenant
Robert poussait des hurlements et se débattait avec frénésie. Jack le tenait
par les cheveux et brandissait son couteau. Derrière lui, Roger luttait pour se
rapprocher. La mélopée rituelle s'éleva comme il sied à la fin d'une danse ou
d'une partie de chasse. "A mort, le cochon ! Qu'on l'égorge ! A mort, le
cochon, qu'on l'assomme !" Comme les autres, Ralph faisait des pieds et
des mains pour s'approcher, pour s'attaquer à cette chair brune et vulnérable.
Le besoin de pincer et de blesser était impérieux. Jack baissa le bras; le
cercle frémissant poussa des hourras et
des glapissements de cochon mourant. Puis le calme se rétablit. Haletants, les
garçons écoutaient les reniflements de Robert et le regardaient s'essuyer le
visage de son bras sale. Il essaya de retrouver sa dignité. "Oh ! Là, là,
mon derrière !"Il se frotta le bas du dos d'un air lugubre. Jack se
retourna. Cà, c'était un jeu rigolo ! -Oui, rien qu'un jeu, insista Ralph mal à
l'aise. Un jour, en jouant au rugby, je
me suis drôlement fait mal. -Il nous faudrait un tambour dit Maurice, comme ça
on pourrait le faire pour de bon." Ralph le regarda. 3Comment pour de bon
? -"J'sais pas. Il me semble qu'il faut un feu et un tambour et le tambour
bat la mesure. -Il faut surtout un cochon, ajouta Roger, comme dans une vraie
partie de chasse. -Ou quelqu'un qui fasse semblant, proposa Jack. Il y en a un
qui se déguise en cochon et puis on imite tout... par exemple, il fait comme
s'il me renversait et ainsi de suite... -Oui, mais il faut un vrai cochon,
affirma Robert qui se frottait encore les reins, parce qu'il faut le tuer. -Il
n'y a qu'à prendre un petit" suggéra Jack et tout le monde rit.
P171 Quand on tuera un cochon, on prélèvera une offrande
pour le monstre. Comme ça, peut être qu'il nous laissera tranquilles.
P173 Les chasseurs, liés à elle par leur convoitise, excités
par la vue du sang, la harcelaient.
P174 Cette fois, Robert et Maurice mimèrent la scène à deux.
Las pitreries de Maurice qui imitait les efforts du cochon pour échapper au
javelot firent rire les garçons au larme.
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On va laisser une offrande de gibier pour... Il s'agenouilla
de nouveau et s'affaira avec son couteau. Les garçons faisaient cercle autour
de lui. Par dessus son épaule, il s'adressa à Roger. "Aiguise un bâton aux
deux bouts."
P175 "La tête est pour le monstre. C'est une
offrande." Le silence accepta l'offrande et les glaça de terreur. La tête
restait là, les yeux troubles, un vague sourire sur ses lèvres, montrant ses
dents noircies de sang. D'un mouvement unanime, les chasseurs s'enfuirent,
courant de toutes leur forces à travers la forêt la plage.
Simon ne bougeait pas. Les feuillages dissimulaient sa mince
silhouette brune. Il avait beau fermer les yeux mi-clos de la bête étaient
alourdis par le cynisme infini des adultes. Ils affirmaient à Simon que la vie
ne valait pas grand chose. "Je le sais." Simon s'aperçut qu'il avait
parlé tout haut. Il ouvrit promptement les yeux, mais la tête était là,
souriant d'un air amusé dans l'étrange lumière du jour, indifférente aux
mouches, aux entrailles répandues, indifférente aussi à son humiliante position
au bout d'un bâton. Il détourne le regard et passa sa langue sur ses lèvres
sèches. Une offrande pour le monstre. Et si le monstre venait la chercher ? La
tête parut l'approuver, lui sembla t-il. "Sauve toi", disait la tête
doucement, "rejoins les autres. Ce n'était qu'une plaisanterie, tu sais,
pourquoi t'en faire ? Tu te trompais, c'est tout. Un petit mal de tête, ou une mauvaise
digestion. Retourne là-bas, mon enfant", disait la tête silencieusement.
Simon leva les yeux vers le ciel et sentit peser sur son crâne sa chevelure mouillée.
Pour la première fois, il vit des nuages dans le ciel : d'immenses tours aux
renflements abondants, grises, blanches, cuivrées, qui se pressaient très bas
sur l'île et provoquaient cette chaleur
suffocante, épaisse. Les papillons eux-mêmes désertaient la clairière où
cet objet hideux souriait et bavait. Simon baissa la tête et s'appliqua à
garder les yeux fermés, les protégeant de sa paume. Point d'ombre sous les
arbres, mais surtout une immobilité nacrée qui enrobait d'irréel la réalité et
en effaçait les contours. Le tas d'entrailles formait une masse grouillante de
mouches qui bourdonnaient avec un bruit de scie. Gorgées, elles se
précipitèrent sur Simon pour pomper la sueur qui lui dégoulinait sur le visage.
Elles lui chatouillaient les narines et jouaient à saute-mouton sur ses
cuisses. innombrables, noires et d'un vert irisé. Devant Simon, pendue à son
bâton, sa Majesté-des-mouches ricanait. Simon céda enfin et lui rendit son
regard. Il vit les dents blanches, les yeux ternes, le sang... Du fon des âges,
une certitude de déjà vu, inexorable, enchaînait le regard de Simon. Dans sa
tempe une pulsation s'enflait, frappait le cerveau.
P178 "J'ai peur" Il vit Porcinet lever la tête et
bredouille vite : "Pas du monstre. Je veux dire, le monstre j'en ai peur
aussi. Mais le feu : personne ne comprend. Si on te lançait une corde pendant
que tu te noies; si le docteur te disait : prenez ce médicament ou vous allez
mourir... tu le ferais, hein ? Tu comprends ? -Bien sur que je le ferais.
-Alors, ils ne comprennent pas ? Ils ne savent pas que sans le signal de fumée
on mourra ici ? Regarde moi ça."
Porcinet qu'est ce qui ne va pas ?" Porcinet lui lança
un regard surpris. "Tu veux parler du... -Non, non, pas ça. Je veux dire :
pourquoi les choses tournent-elles mal ?"
P180 Le groupe de garçons considérait la conque avec une
affection respectueuse. Porcinet la mit dans les mains de Ralph, et les petits,
à la vue du symbole familier, commencèrent à revenir.
P182 "Tu n'es qu'un petit sot, dit
Sa-Majesté-des-mouches, rien qu'un petit garçon ignorant." Simon remua sa
langue enflée, mais ne dit rien. "N'es tu pas d'accord ? Interrogea
Sa-Majesté-des-mouches. N'est ce pas que tu n'es qu'un petit sot ?" Simon
lui répondit de la même voix silencieuse : "Eh bien, conclut Sa
Majesté-des-mouches, tu ferais mieux d'aller jouer avec les autres. Ils te
croient cinglé. Tu n'as pas envie que Ralph te prenne pour un cinglé, n'est ce
pas , Tu aimes bien Ralph, n'est ce pas ? Et Porcinet, et puis Jack ?"
Simon avait la tête légèrement relevée de coté. Il ne pouvait arracher son
regard de Sa-Majesté-des-mouches qui était suspendue devant lui, dans l'espace.
"Que fais tu ici, tout seul ? Tu n'as donc pas peur de moi ?" Simon
trembla. "Il n'y a personne ici pour t'aider. Il n'y a que moi. Et moi, je
suis le Monstre." La bouche de Simon fit un effort et articula d'une voix
à peine intelligible : "Une tête de cochon au bout d'un piquet. -Comme si
le Monstre était de ceux qu'on chasse et qu'on tue !" dit la tête. Pendant
un instant la forêt et tous les endroits encore vaguement visibles renvoyèrent
l'écho d'un rire déformé. "Tu savais bien, voyons, que je faisais partie
de toi. Intimement partie de toi, intimement. Je suis ce qui fait que rien ne
va, tu le sais ? CE qui fait que les choses sont comme elles sont." Le
rire hoqueta de nouveau. "Allons, conseilla Sa-Majesté-des-Mouches,
retourne auprès des autres et nous publierons tout cela." Simon écoutait.
La tête lui tournait. Il avait ls yeux mi-clos comme pour imiter la chose
hideuse enfilée sur un piquet. Il sentait qu'une de ses crises allait le
prendre. Sa-Majesté-des-Mouches enflait comme un ballon. "Voyons, ceci est
ridicule. Tu sais très bien que tu me trouveras en bas... alors, n'essaie pas
de t'échapper !" Le corps de Simon se raidissait. Sa-Majesté-des-Mouches
parlait avec une voix de magister. "Allons en voila assez. Mon pauvre
enfant, tu fais erreur et tu crois en savoir plus long que moi ?" Il y eut
une pause. "Je t'avertis, je vais me fâcher. Tu vois ? On ne veut pas de
toi ici. Tu comprends ? On va bien s'amuser dans cette île. Entends tu ? On va
bien s'amuser dans cette île. Entends tu ? On va bien s'amuser dans cette île.
Alors, ne fais pas des tiennes, mon pauvre enfant fourvoyé, sans quoi..."
Simon regardait à l'intérieur d'une vaste gueule. L'intérieur était tout noir.
Et autour aussi tout devenait noir. "Sans quoi, proféra Sa-Majesté-des-Mouches,
on vous aura. Compris ? Jack et Roger, et Maurice et Robert, et Bill et
Porcinet et Ralph. Compris ? Hein ?"Simon était à l'intérieur de la
gueule. Il y tomba et perdit connaissance.
P185 Même l'air du large n'apportait aucune fraîcheur. La
mer, les arbres et les roches rouges perdaient leurs couleurs sous le blanc
uniforme et sale des nuages. Rien ne bougeait, sauf les mouches qui couvraient
leur souverain d'un voile noir et donnaient aux entrailles répandues l'aspect
d'un tas de charbon brillant. Quand un vaisseau éclata dans le nez de Simon et
que le sang coula de ses narines, elles ne se dérangèrent pas même pas, tant
elles préféraient la saveur du cochon.
P190 Au même moment, les cuisiniers arrivèrent en courant, avec
un gros quartier de viande. Ils se butèrent dans Porcinet qui, brûlé par la
viande fumante, se mit à danser sur
place en poussant des cris. Un fou rire général unit Ralph aux autres garçons
et détendit l'atmosphère. Une fois de plus, Porcinet servait de bouc-émissaire
et son ridicule permettait à la communauté de retrouver son équilibre et sa
gaieté.
P191 "Qui veut faire partie de ma tribu ? -Je suis le
chef, s'interposa Ralph, parce que vous m'avez choisi. Nous devions entretenir
notre feu. Et au lieu de ça, vous courez après la viande... -Toi aussi cria
Jack. Tu as un os dans la main."
P193 Tandis que Roger mimait la terreur du cochon, les
petits s'ébattaient en dehors du cercle. sous la menace du ciel, Ralph et
Porcinet trouvaient du réconfort dans la compagnie de leurs semblables, si
déchaînées fussent-ils, et ils entrèrent dans la danse. Is étaient contents de
toucher cette barrière de dis bruns qui endiguait la terreur et la rendait
contrôlable. "A mort la bête ! Qu'on l'égorge ! Qu'on la saigne !" Le
mouvement s'organisait ; la mélopée, moins échevelée qu'au début, devenait
scandée comme le battement d'un pouls régulier. Roger abandonna son rôle de
proie pour se joindre au chasseurs, de sorte que le centre du cercle resta
vide. Quelques petits organisèrent aussi une ronde. Les deux ronds tournaient
sans relâche, comme si la continuité de leur mouvement leur assurait une
sécurité particulière. On eut dit la pulsation rythmique d'une cellule vivante.
Le ciel noir fut labouré par une déchirure d'un blanc bleuâtre. Une seconde
plus tard, le bruit se fracassait juste au dessus d'eux comme un coup de fouet
gigantesque. La mélopée devint frénétique et plus aiguë. "la mort la bête
! Qu'on l'égorge ! Qu'on la saigne !" La terreur se doublait maintenant
d'un autre désir, lourd, pressant, aveugle. "A mort, la bête! qu'on
l'égorge ! Qu'on la saigne !"Ce fut de nouveau la déchirure d'un blanc
bleuâtre et l'explosion aux relents de soufre .Les petits couraient en tous
sens et hurlaient. L'un deux, épouvanté, se précipita dans le cercle des
grands. "Le voilà ! Le voilà !" Le cercle s'ouvrit en fer à cheval.
Quelque chose sortait en rampant de la forêt. Une masse sombre avançait
incertaine. Devant le monstre s'éleva une clameur aiguë comme un cri de
douleur. ME monstre entra dans la ronde en chancelant. "A mort la bête !
Qu'on l'égorge ! Qu'on la saigne" Le ciel restait constamment déchiré de
blanc, le bruit devenait insupportable. Simon criait des explications au sujet
d'un mort sur une montagne. "A mort la bête ! Qu'on l'égorge ! Qu'on le
saigne ! Qu'on l'achève !" Les bâtons s'abaissèrent et le cercle se
referma comme une gueule grinçante et hurlante. Le monstre était au centre ,
agenouillé, les bras croisés sur le visage, et il criait toujours ses
explications au sujet d'un mort sur une montagne. Enfin, le monstre fit un
effort vacillant, brisa l'étreinte du cercle et tomba du rocher dans le sable
au bord d e l'eau. Aussitôt, une lave dans le sable au bord de l'eau. Aussitôt,
une lave vivante coula à sa suite sur la murette rocheuse, recouvrit le monstre
et, avec des cris inarticulés, se mit à frapper, à mordre, à déchirer. On
n'entendait pas un mot, mais des bruits de mâchoires et de griffes. Alors les
nuages crevèrent, libérant une véritable cataracte. L'eau cascadait sur le
flanc de la montagne, arrachait sur son passage les feuilles et le branches, et
se déversait comme une douche froide sur la grappe humaine accrochée à sa
proie. La grappe se désintégra enfin et quelques silhouettes s'écartèrent en
trébuchant. Mais le monstre, à quelques mètres de la mer, restait immobile. La
pluie ne masquait pas sa petite taille ; et déjà son sang rougissait le sable.
P198 Ralph s'arrêta enfin. Il tremblait.
"Porcinet...-Hein ? -C'était Simon. -Tu l'as déjà dit. -Porcinet... -Hein
? -C'était un assassinat. -Ca va ! protesta Porcinet d'une voix aiguë. A quoi
ca sert de parler comme ça ?" Il se redressa d'un bond et baissa les yeux
sur Ralph. "Il faisait noir, il y avait cette... cette sacrée danse. Et
puis l'orage, des éclairs, du tonnerre. On avait peur ! -Moi je n'avais pas
peur, reconnut Ralph lentement. J'étais... Je ne sais comment dire."
P200 Il se reprit à gesticuler. "Un accident, c'était
un accident. -Tu n'as pas vu ce qu'ils ont fait... -Ecoute, Ralph, il faut
oublier ça. Ca ne sert à rien d'y penser, tu comprends ? -J'ai peur. Peur de
nous. Je voudrais être à la maison. Oh ! mon Dieu, comme je voudrais être chez
nous !
P204 "Il s'était métamorphosé pour venir. Il peut
revenir, malgré qu'on lui ait donné une tête à manger. Alors, ouvrez l'œil et
le bon. "Stanley leva un index interrogateur. "Oui ? -Mais est ce
qu'on l'a pas....euh...." Il baissa les yeux en se tortillant. "Non
!" Dans le silence qui suivit, chacun des sauvages essaya d'éviter ses
propres souvenirs. "Non ! C'est pas nous qui pourrions.... le... tuer..."
A la fois soulagés et abattus par la perspective de terreurs à venir, les
sauvages se remirent à murmurer : "alors éviter la montagne si vous allez
à la chasse, et laissez toujours une tête en offrande. " Le doigt de
Stanley se leva de nouveau. "Je pense aussi que la bête s'était
métamorphosée. -Peut être" répondit le chef. La question prenait tournure de discussion théologique.
P219 "Mais ils seront peints. Tu sais bien..." Les
autres approuvèrent d'un signe de tête : affranchis par l'anonymat du masque de
peinture, rien n'empêchait les garçons de devenir des sauvages. "Eh bien,
nous ne serons pas peints, décréta Ralph, parce que nous ne sommes pas des
sauvages."
P222 A mi chemin de l'entrée du camp, il regarda les
sauvages avec attention. Affranchis par leur masque de peinture, ils avaient
attaché leurs chevaux en arrière et se trouvaient plus à l'aise que lui. Ralph
se promit de les imiter par la suite. Il eut presque envie de le faire sur-le
-champ, mais c'était impossible.
P227 "Tu n'es qu'une brute, un salaud et un sale voleur
!" Il fonça sur lui. Sachant que
c'était la crise, Jack fonça également.
Le choc fut si violent qu'il les sépara. Ralph reçut un coup de poing sur
l'oreille et en rendit un qui atteignit Jack à l'estomac et le fit gémir. De
nouveau face à face, haletants et furieux, ils s'effrayèrent de leur violence
réciproque. Les bravos nourris qui ponctuaient leur lutte leur parvinrent enfin
aux oreilles et Ralph entendit la voix de Porcinet.
P228 "Qu'est ce qui vaut mieux... se conduire comme une
bande de nègres peints que vous êtes, ou se montrer raisonnables comme Ralph
?" Une grande clameur s'éleva au sein du groupe. Porcinet cria :
"Qu'est ce qui vaut mieux : avoir des lois et leur obéir, ou chasser et
tuer ?" Une grande clameur s'éleva au sein du groupe. Porcinet cria :
"Qu'est ce qui vaut mieux : avoir des lois et leur obéir, ou chasser et
tuer ?" De nouveau la clameur et le
même "zup!" Ralph essaya de
dominer le vacarme. "Qu'es ce qui vaut mieux : la discipline et le salut,
ou la chasse et le désordre ?"
P232 La destruction de la conque, la mort de Simon et de
Porcinet pesaient sur l'île comme un brouillard. Ces sauvages peinturlurés ne
s'arrêteraient pas là. Et puis, il y avait ce lien indéfinissable entre Jack et
lui ; à cause de cela, Jack ne le laisserait jamais tranquille, jamais.
P234 Ralph gémit doucement. Malgré sa fatigue, la peur
inspirée par la tribu l'empêchait de dormir. N'aurait il pu pénétrer hardiment dans le fort, dire en
riant : "Pouce!" et s'endormir au milieu des autres en prétendant
qu'ils étaient encore des enfants, des collégiens à casquette, habitués à
répondre : "Oui, monsieur ; non, monsieur" ? le jour aurait pu
répondre oui, mais les ténèbres et les épouvantes de la mort répondaient non.
Etendu dans la nuit, Ralph comprit qu'il était devenu un paria.
P252 L'officier eut un sourire encourageant. "Nous avons
vu votre fumée, dit il à Ralph. Que faisiez-vous ? Vous jouiez à la guerre
?" Ralph fit oui de la tête.
P254 Ralph fixa sur lui des yeux vides. Il se remémora dans
un éclair l'éclat prestigieux qui avait autrefois baigné cette plage. Mais
l'île n'était plus qu'un amas de bois mort, calciné. Simon était mort... et Jack
avait... Les larmes lui jaillirent des yeux et des sanglots le secouèrent. Pour la première fois depuis leur arrivée
dans l'île, il s'abandonnait au chagrin et des spasmes déchirants le secouaient
des pieds à la tête. Il exhalait son désarroi sous la nappe de fumée noire qui
recouvrait les ruines fumantes de l'île. Pris de contagion, les autres petits
garçons commencèrent à trembler et à sangloter. au milieu d'eux, couvert de
crasse, la chevelure emmêlée et le nez sale, Ralph pleurait sur la fin de
l'innocence, la noirceur du cœur humain et la chute dans l'espace de cet ami
fidèle et avisé qu'on appelait Porcinet. Enveloppé de ces bruits de sanglots,
l'officier se sentait ému et un peu gêné. Il se détourna pour donner aux
enfants le temps de se ressaisir et attendit, le regard fixé sur le cuirassé
aux lignes sobres, immobile au loin.
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