Dans cet essai paru dans "Géométries du désir", René Girard reconduit sa théorie du roman en montrant comment elle comprend son mouvement historique vers un individualisme toujours plus vaniteux et toujours plus romantique quand bien même elle prend les attributs d'une sexualité exacerbée. Il faut le répéter avec Girard, l'individualisme se retourne contre lui, même quand il prend le masque de la libération sexuelle.... Mais n'y croyons rien...
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Le romantisme est une réaction pour justifier le "soi", lui même menacé par l'anonymat et de désintégration des sociétés démocratiques.
Les premiers romantiques s'affirment par l'intensité de l'amour pour une femme qui tient, au final, un rôle mineur. Le romantique est un Dieu et son amour, communion avec lui-même. Le mythe de l'amour romantique a survécu mais en se caricaturant.
Nous aboutissons alors à la littérature du début XXème, Lawrence, Breton, Gide, Montherlant... La sexualité remplace l'amour comme instrument de la justification de "soi".
P201 : Les moyens sont différents, mais la fin reste la même. Les premiers romantiques se targuaient de l'éternité de leur attachement à une femme irremplaçable ; leurs successeurs exultent dans la vigueur toujours renouvelée de leur désir pour un nombre indéterminé d'objets sexuels. L'importance toute relative des partenaires sexuels ne fait désormais plus de doute. La nature interchangeable des objets exhausse l'unité et la supériorité du sujet désirant.
Avec Freud, ces auteurs seront considérés comme des libérateurs de l'humanité pour une meilleure vérité sexuelle. Pour Girard la dimension mythique des œuvres du XXème siècle a augmenté mais sont restées inaperçues. Par exemple, Don Juan est banalisé. Il est partout, surtout dans Mr Jean de Roger Vailland.
Ce sont des grands malentendus. Au XVII, Don Juan prend l'allure d'un homme vertueux, il prend des risques et accepte les échecs. Au contraire, Mr Jean montre sa lubricité, Mr Jean voulait être comme Don Juan mais Don Juan non... Les deux dissimulent leur identité mais Mr Jean souffre de l'indifférence. C'est le signe de la vanité. L'égotiste se croit Dieu, il croise une femme indifférente, la divinité lui revient automatiquement. La femme émancipé a les mêmes ambitions métaphysiques. Elle veut être Dieu et est fascinée par les apparences d'invulnérabilité.
Mais la filiation de l'homme moderne n'est pas avec Don Juan mais avec le dandy, professeur d'indifférence. Selon Stendhal, c'est l'enfant de la démocratie. Il affiche son indifférence pour attirer les désirs oisifs. C'est le capitaliste des désirs. Du dandysme naît l'érotisme qui est un contrat entre "moi" égaux cherchant à se vaincre de surenchère et de désinvolture. Le premier qui avoue son désir sera rejeté. C'est un monde de réciprocité impossible. Les héros d'aujourd'hui sont voués à être déçus malgré l'aspiration à la communion sentimentale. Si les amoureux ne peuvent s'entendre, c'est que chacun tend à entretenir l'illusion de la divinité.
L'érotisme est le signe de la fascination pour l'identique vu comme altérité radicale. Ce sont deux miroirs face à face.. Cela peut être une raison de la confusion des sexes. L'obsession homosexuelle ne serait elle pas une forme paroxystique de ce malaise ?
Or la contagion prend la petite bourgeoisie. Camus en sera peut être le Dostoievski... Dans "la chute", le héros, après une blessure d'amour narcissique, cet avocat de grandes causes écarte les bouc émissaires naturels et condamne son propre égotisme. Non, l'individualisme n'est pas le facteur unificateur. tout ce qu'il embrasse se désintègre. L'exaltation de la sexualité ou avant de l'amour ne sont que les symptômes de la crise spirituelle.
Ensuite Girard note la dimension voyeur de la littérature et de l'individualisme moderne. Le refus stratégique et impuissance sentimentale se rejoignent. L'invulnérabilité équivaut l'impuissance. Le roman moderne se sépare en deux frères jumeaux, les séducteurs arrogants et les pauvres misérables.
Citation p213 : Ces héros antithétiques constituent les deux moitiés de notre vérité. Mais une demi vérité n'est pas toute la vérité, c'est même l'arme la plus redoutable contre la vérité. Les romanciers de la demi-vérité (quelle qu'en soit ici la moitié) sont tous des romantiques masqués.
Mais il y a un problème. Plus la femme désirée le regarde, plus notre séducteur réprime son désir. Il en devient paralysé, c'est le début de la dialectique de voir sans être vu. Exemple nombreux de voyeurisme dans les romans modernes.
Le roman devient lui même voyeur et invite le lecteur à sa suite. Ainsi apparaît le nouveau roman. L'objet est écrit non comme il apparaît mais comme spectacle. La sexualité s'envahit dans toute la description.
Voyeur, n'est ce pas le rôle de l'homme contemporain que la société moderne lui a assigné ?
Ex: Robbe-Grillet, la jalousie, le héros semble absent. L'être humain est décrit comme un objet.
"La jalousie" demeure le triangle classique du drame bourgeois. L'histoire décrit malgré tout l'angoisse et le symbolisme de la haine. La jalousie résume les sentiments du héros et aux passions et aux persiennes par lesquelles il épie. Nous sommes aussi loin de la véritable communion que de la solitude. La conscience omnipotente de la philosophie s'avère être une prison. L'individualisme se retourne contre lui-même. Nous sommes fatalement ramenés à cette vérité.
Citation P218 La sexualité n'est pas, comme le croyait Freud, le principal ressort de notre existence, mais un miroir qui la reflète en totalité. C'est ce miroir que nous tend le roman contemporain. Et nous y voyons apparaître, de plus en plus nettement, l'échec de l'entreprise prométhéenne.
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