mardi 27 janvier 2015

Chaptre VII - Variations sur Vertigo - La marque du sacré de Jean Pierre Dupuy

Et, ici, la somme des chapitres...

"Quand je mourrai, rien de notre amour n'aura jamais existé

Dupuy termine le livre par un chapitre original et très personnel, il sera basé sur le film Vertigo de Hitchcock, il va retrouver presque tous les termes de son travail précédent et va lui permettre de ré-appuyer sur certains sujets évoqués dans tout le livre, il y a un magnifique effet de quintessence. Ce film m'a construit semble dire Dupuy qui a une relation obsessionnelle à ce film. "Ma vie était inscrite dans l'oeuvre", "Je lui dois ma passion pour la logique, la philosophie et la métaphysique. L'auto extériorisation par laquelle l'intérieur d'un système se projette à l'extérieur de lui-même, le temps, la catastrophe qui révèle le sens des événements qui la précèdent."
Attention plein de spoiler du film ensuite (et voici un résumé)

Du mode d'existence de Madeleine

Scottie, le héros du film tombe amoureux d'abord d'une femme qui n'existe pas, c'est une fiction dans la fiction qu'est Vertigo. (A ce propos, comment faisons nous pour distinguer le faire semblant, du faire semblant de faire semblant ?). La mort de Madeleine la transforme elle et son amour en quelque chose qui n'aura jamais été. A l'inverse de ce qu'à pu dire Jankélévitch sur la vie : Celui qui a été ne peut plus désormais ne pas avoir été : désormais ce fait mystérieux et profondément obscur d'avoir été est son viatique pour l'éternité.
Madeleine en avait l'intuition et l'avait soufflé (seul moment de vérité ?) avant de monter au clocher.... On ne revient pas du néant ontologique, Judy meurt comme Madeleine avant de comprendre cela...

La catastrophe et le temps 
Bergson écrivit dans le texte : le possible et le réel. "Je crois qu'on finira par trouver évident que l'artiste crée du possible en même temps que du réel quand il exécute son œuvre." et puis "Au fur et à mesure que la réalité se crée, imprévisible et neuve, son image se réfléchit derrière elle dans le passé indéfini; elle se trouve avoir été, de tout temps, possible ; mais c'est à ce moment précis qu'elle commence à l'avoir toujours été, et voila pourquoi je disais que sa possibilité, qui ne précède pas sa réalité, l'aura précédée une fois la réalité apparue."

On retrouve dans Vertigo cet hommage au futur antérieur et aux temps de la catastrophe qui mélange fixité et incertitude. Si on fixe trop l'avenir catastrophique, on aura perdu la finalité de l'opération qui est de motiver la prise de conscience.


Dupuy se répète par rapport à d'autres chapitres, il faut tenir la catastrophe comme un destin et simultanément comme un accident contingent : Il pouvait ne pas se produire, même si au futur antérieur, il apparait comme nécessaire. Métaphysique des humbles qui croit que si un événement marquant se produit, c'est qu'il ne pouvait pas ne pas se produire, mais tant qu'il n'est pas produit, il est inévitable.
Cette métaphysique est celle du récit sacré. C'est celle aussi de Vertigo

L'objet du désir
L'amour de Scottie aura rendu existant un personnage de fiction. Mais pourquoi l'aime t-il ? Apparemment elle est possédée par l'histoire de son ancêtre Carlotta et ne peut la posséder. Il est fasciné par elle, fasciné par la mort... Elle est le type de femme qu'on épouse pas car elle cesserait d'être ce qu'elle est. Scottie pensait pouvoir la posséder, erreur...
De même en comprenant l'identité de Judy, il comprend qu'il n'a fait à Judy que ce qu'a fait déjà avant lui Elster quand celui-ci a transformé Judy en Madeleine. Quand il s'en rend compte, il dit que celui ci a fait Madeleine mieux que lui, envie, envie. Il n'a fait qu'une copie de Madeleine qui n'était elle-même qu'une copie (qui n'était qu'une copie faite par Hichcock....), c'est à dire un simulacre, de l'objet réel, lequel n'a aucun intérêt sinon la fortune qu'il rapporte par son suicide présumé. On ne saurait dire avec plus de force et d'ironie dévastatrice l'inanité du désir. Désir mimétique, il n'a désiré qu'une image fabriquée par un autre


Le sens du passé
Tout comme la fleur de Coleridge de Borgès, la jetée de Chris Marker, Vertigo possède une structure particulière face au passé. La cause est postérieure à l'effet, le motif du voyage est une conséquence de ce voyage. Cette structure entre lien et passé est la même que celle du sacré.

Pour que l'expérience du projet puisse venir à l'existence, la boucle doit se refermer sur l'origine, non pas le passé mais l'avenir devenu futur antérieur. Si la structure ne se boucle pas, le temps du projet qui est fiction métaphysique, révèle son statut de fiction qui est de n'avoir jamais été. La fiction dans la fiction entre Madeleine et Carlotta se boucle parfaitement, mais quand Scottie refait le même voyage avec Judie et Madeleine, la boucle ne se referme pas et c'est la tragédie. Qu'est ce qui empêche la boucle de se boucler ? Scottie et Judy font un voyage dans le passé pour redevenir Scottie et Madeleine et essayer de sauver un amour. la volonté de contrôle de Scottie change tout. Puis il observe le collier de Carlotta possédé par Judy. Le cercle ne se boucle pas, le symbole de Vertigo n'est pas le cercle mais le cercle qui veut se renfermer sur lui même  et n'y arrive pas... Cela devient une spirale tourbillonnante dans l'abime.


A la toute fin de ce chapitre et du livre donc, Dupuy témoigne de l'amour, il prend l'exemple d'un patient du docteur Frankl endeuillé de sa femme. S'il pouvait créer une femme en tout point pareil de sa femme le ferait il vraiment ?
Une personne ne se résume pas à ses caractéristiques, l'amour pour sa femme échappe au temps linéaire, au temps vu comme réceptacle linéaire des événements





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