Nous sommes en Italie, dans le royaume de Milan sous domination espagnole, près d'un bras du lac de Côme, dans la campagne au début du XVIIe siècle. De pauvres mais fiers fiancés, Renzo et Lucia, préparent leur mariage. Malheureusement, le curé local froussard fait tout pour s'esquiver. En effet, il a reçu des menaces de la part d'un grand seigneur local aux trois quarts bandit. Dans cette situation, les fiancés devront fuir la menace de séparation ou de séquestration aidés en cela par le bon frère Christophe. Ils se sépareront et connaîtront de multiples aventures à Milan et autour dans une région subissant les contrecoup de la terrible guerre de trente ans. La région connaîtra le pillage, la crise économique, l'insécurité, la peste. Les fiancés se retrouveront ils ? pourront ils se marier et être heureux ?
Alors un simple roman historique de la part d'un écrivain du XIXe ?
On pourrait le dire et s'arrêter ici, mais il y a ici plus ambitieux.
-Le mouvement historique
Ce livre présente les événements historiques vécues par le nord de l'Italie au XVIIe, les conflits entre rois qui dégénèrent en conflits princiers qui dégénèrent en guerre entre royaume. Les Royaumes se concentrant sur leur guerre, l'économie et la sécurité de l’État s'en ressentent. Explosion des lois, signe de l'anomie, la crise indifférenciatrice n'est plus loin. Nous croiserons dans le roman, une horde de mercenaires allemands de l'empire semant la détresse et le pillage partout où ils passent. Cette guerre provoque la prise de pouvoir dans les faits par les "braves", chevaliers négatifs vivant de rapine, de leur force, de mauvaises actions, une mafia quasi institutionnalisé, bien habillée et à cheval. Les troubles créeront une crise alimentaire et une crise politique à Milan. Mélangeons tout cela, la peste arrivera aussi avec ses terribles malheurs et sa désolation.
Les mouvements de foule
Oui, la foule est une héroïne. Nous la voyons d'abord quand Renzo arrive sur Milan et se trouve influencé par une foule dans sa colère contre les boulangers milanais et l'administration de la ville. La foule est merveilleusement présentée, sa recherche de bouc émissaire, sa contagion, sa réduction à une pensée et au meurtre. Manzoni décrit avec force et finesse ses mouvements, ses pensées, son élan, comment elle se nourrit et s'élance, on trouvera le même phénomène au moment de la peste quand Renzo se fera poursuivre par des milanais persuadés d'avoir rencontré un bandit facilitant la transmission de la peste. Le livre déploie tout le long une description encyclopédique et juste des mouvements mimétiques d'une société de l'avènement de la crise économique aux recherches de bouc-émissaires lors de la peste ou encore lors d'une crise économique. Toutes les crises économiques d'hier et d'aujourd'hui sont ici décrites dans les mouvements de foule milanais . Quelle précision et quelle justesse !
Le mouvement de l'âme
Les héros de Manzoni ne sont pas les pantins ou les ingrédients pour nous faire découvrir les lois de l'histoire ou la loi des foules, il nous permet de sentir les aventures vécues par des petits points dans l'univers. Il montre comment les décisions, les caractères, les réactions face à la foule de ces points font l'histoire et donne un sens à ce qui à priori n'en a plus. Il rend hommage à l'humilité de ce jeune couple humble dans ce village humble du conté de Milan. Leur mariage tellement attendu est l'attente du livre, sa raison d'être. Un homme et une femme pourront ils s'embrasser et se lier et fonder un foyer ? Telle est la question la plus importante pour Manzoni, le reste de la détresse humaine n'est ici que les embuches mis au milieu du chemin de l'homme vers la communion humaine et divine. Naturellement, Manzoni montre le conflit de l'homme avec le péché originel. Il dresse le portrait de monstres et de saints (Don Chistophe, l'evèque Charles de Boromée) qui sont tous finalement des hommes ballotés entre les deux horizons. Nous voyons des conversions magnifiques, des portraits subtiles de personnages secondaires, une science profonde du christianisme, nous voyons aussi Renzo vivre un grand chemin qui le mène vers son humanité. Tout se joue à l'infra humain, au niveau de l'intimité, de la conversion au Christ. Pardon, amour, humilité, sacrifice de soi, courage, force, bonté, résistance à la foule. Tous les événements historiques ne sont que les paysages extériorisées des cœurs de la population. Le talent de Manzoni est aussi de montrer comment le mouvement du cœur intime est celui qui influence les mouvements de la foule, du monde et de l'histoire. Les saints sont ceux qui marchent en opposition et qui rendent possible la marche de l'amour, et le oui d'un couple heureux.
Ce livre est bouleversant.
Plus bas un exemple de subtilité sur le personnages de Manzoni
P126 Ludovic avait pris des habitudes de jeune gentilhomme ; et les adulateurs parmi lesquels il avait grandi, l'avaient accoutumé à ce qu'on le traitât de façon fort respectueuse. Mais quand il voulut se mêler aux Grands de sa cité, il rencontra des manières bien différentes de celles dont on l'avait entouré ; et il vit que s'il voulait être de leur compagnie, il lui fallait refaire l'écolier en patience et en soumission, leur laisser toujours la préséance, et avaler d'amères pilules à tout moment. Une telle vie ne s'accordait ni avec l'éducation qu'il avait reçue, ni avec son caractère. Il s'éloigna d'eux dépité. Mais cet éloignement lui causait du regret, parce qu'il lui semblait que c'étaient eux qui auraient du être ses vrais compagnons ; il les eut seulement voulus plus traitables. En proie à ce composé d'inclination et de rancune, ne pouvant les fréquenter familièrement, mais voulant avoir affaire à eux en quelque manière, il avait entrepris de rivaliser avec eux de pompe et de magnificence, s'attirant par là l'inimité, la jalousie, et le ridicule. Son naturel ensemble honnête et violent eut tôt fait de l'embarquer dans des affaires plus sérieuses. Il éprouvait une horreur spontanée et sincère pour les vexations et les abus ; horreur que lui rendait plus vive encore la qualité de ceux qui en commettaient le plus tous les jours, et qui étaient justement les mêmes contre lesquels ils éprouvait le plus de cette rancune.
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