jeudi 25 juin 2015

Olivier Rey - Illich

Voici un très beau texte sur Ivan Illich, il est dans la suite de cette dernière note. Il permet aussi de mieux connaître le très intéressant Olivier Rey et son dernier livre sur la mesure. (voir ici et ici ou encore , on peut aussi écouter d'autres conférences sur ce sujet, ici ou )
Il prend du temps pour résumer l'histoire de la pensée d'Illich dans son combat pour ouvrir les yeux de l'homme moderne sur les danger du développement. Il veut nous ouvrir les yeux su notre hubris, notre mépris pour la juste proportion de toute chose, et finalement nous inviter à retrouver le présent dans sa simplicité et sa joie offerte. Ne soyons pas des technocrates mais de simples vivants.
Le texte est ici




Ivan Illich (4) - « L’unité d’inspiration de la pensée d’Ivan Illich » par Olivier Rey from CMSG on Vimeo.

I Paradoxe de la réception de la pensée d'Illich
Paradoxe d'Ivan Illich : sa critique radicale de la modernité et du développement a suscité de l’intérêt dans les 70's puis au moment des principales crises mettant en cause ce développement, un large consensus s'est formé pour appeler à plus de rétablissement de la croissance, sa critique a été mise de coté et a été vu comme un souci d’esthètes ou d’irresponsables coupés du seul vrai problème, celui qui conditionne tout le reste : la croissance.
Comme dirait Georges W Bush : my approach recognizes that economic growth is the solution not the problem.

Pourtant, il semblerait que nous soyons entrés dans une période où, il devient difficile d’ignorer que les problèmes engendrés par un certain type de développement croissent plus vite que les moyens que ce développement nous fournit pour les résoudre. Dans les termes d’Illich :
C’est la contre-productivité spécifique qui s’installe dans un secteur après l’autre. Ce sont les pompes qui font couler le bateau.
La pensée d'Illich s'est marginalisée par la panique d'une solution qui a marché et que nous avons adorée sans distance. Plus il y a la crise, plus nous essayons de faire toujours plus la même chose. Si la crise persiste c'est que nous n'avons pas su relancer l'économie comme il l'aurait fallu.


II Pourquoi et comment Illich a changé de stratégie mais comment il est resté lui-même.
Illich a eu aussi le sentiment que son concept de contre productivité a été utilisé contre lui. Ce concept semblait être utilisé au premier degré pour retrouver la joie de la productivité toujours plus efficace alors qu'il se mettait sur le terrain de la pensée quantitative qu'il combattait pour lui montrer sa contradiction propre (comme Pascal avec son pari). Même celui qui ne croit qu’au développement par la croissance économique devrait, par simple fidélité à ce qui fonde ses convictions, être amené à comprendre que la voie suivie n’est pas la bonne.

Illich cherchait un point extérieur pour prendre prise sur le monde moderne. Il a cherché parmi les grecs, le temps médiéval pour trouver le "miroir du passé" qui nous permettrait de comprendre l'originalité de notre topologie mentale.
Il n'y a donc pas deux Illich, c'est le même avec le temps mais avec des stratégies différentes de conviction. Cette évolution n'a pas marché mais a permis de lever des ambiguïtés. Méprisée par la droite intellectuelle et la droite attachée aux affaires courantes, la gauche va se détacher de lui, car Illich bien que non réactionnaire aime la tradition comme lieu de résistance au développement et comme socle pour un nouveau monde. Il allait à contre courant de la hantise du passé et de l'amour du changement de la gauche.
"Cette propension à réduire la convivialité à l’économie primitive, jointe à une horreur de la tradition travestie en volonté de contribuer au progrès d’autrui, engendre la destruction inconsidérée du passé. On en vient à regarder la tradition comme une expression historique du déchet, dont il faut se défaire en même temps que des immondices du passé. »
Pour aggraver son cas, Illich identifie dans le passage d’un monde genré, peuplé d’hommes et de femmes, à un monde sexué, peuplé d’être humains affectés, secondairement, d’un sexe masculin ou féminin, la condition de possibilité de l’arasement de toutes les différences ontologiques, ouvrant sur un monde où plus rien ne fait limite et de ce fait entièrement livré aux entreprises techniques et aux échanges économiques.
Olivier Rey insiste ensuite sur l'importance de l'attachement d'Illich à l'Eglise catholique malgré ses difficultés avec elle. Elle demeurera toujours la base de sa pensée.


III La recherche de la bonne mesure et écologie
Il insiste ensuite sur l'importance de l'amitié. En particulier de l'amitié de Léopold Kohr qui théorise non pas vraiment le small is beautifull mais l'importance du proportionné dans toutes les choses sociales et économiques. Partout où quelque chose ne vas pas, quelque chose est trop gros. Illich développe Kohr, il cherche partout la notion d'échelle. Au delà de la juste mesure, ce qui servait tend à nuire.
La société moderne a la frénésie des mesures mais jamais l'intérêt de la juste mesure.

"Il y a certains seuils à ne pas franchir. Il nous faut reconnaître que l’esclavage humain n’a pas été aboli par la machine, mais en a reçu figure nouvelle. Car, passé un certain seuil, l’outil, de serviteur, devient despote. Passé un certain seuil, la société devient une école, un hôpital, une prison. Alors commence le grand enfermement. Il importe de repérer précisément où se trouve, pour chaque composante de l’équilibre global, ce seuil critique. "

Ce monde technique démesuré crée de l'exclusion, ne peuvent qu'en profiter, ceux qui ont passé les concours suffisant. Les inclus eux deviennent parfait engrenage.
Ce respect du proportionné n'est pas soumission à la nature, il s'agit de respecter les limites au delà tout dépassement devient délétère. Illich prend au sérieux l'autonomie moderne mais réfute le chemin de l'hubris. Ne soyons pas antimoderne mais respectons pour que les promesses d'émancipation de la modernité soient tenues.


Sagesse ?
Illich voyait le "développement" comme un désastre. Aveugle comme les hommes sont, il pense que nous passerons par un désastre.
La transition est trop lourde, il y aura du sevrage douloureux Le passage à une économie de convivialité se fera dans la souffrance. Cependant Illich détestait les appels à la responsabilité. Le bon comportement doit découler du sens de ce qui convient, non de la responsabilité. L'acceptation maussade ne marche pas.
Ou, comme dirait Saint Thomas d'Aquin : L’austérité, en tant que vertu, n’exclut pas tous les plaisirs, mais seulement les plaisirs artificiels et informes. Par quoi elle semble se rattacher à la convivialité, qu’Aristote appelle amitié, ou à l’humeur enjouée.
Le monde moderne dans sa manière de penser un sauvetage général poursuit encore ce qu'elle veut enrayer, une persévération dans l'hubris. Les appels pour le monde et pour les générations futures induisent un mauvais rapport au monde et aux autres en anesthésiant la sensibilité au général.
L'idée du pilotage de la planète est fausse, ne sauve rien mais détourne de la bénédiction du présent

Le sentiment éprouvé à l’idée d’être à même de célébrer le présent et de le célébrer de la manière la plus humble qui soit, parce qu’il est beau et non parce qu’il est utile pour sauver le monde, pourrait créer la table du repas qui symbolise l’opposition à cette danse macabre de l’écologie, la table du repas où l’on célèbre le fait d’être vivant en opposition à celui d’être “en vie”. 

Rey conclut :
L’avenir ne résultera pas de notre souci pour lui. Ce qui nous appartient, c’est de vivre le présent comme il convient. L’avenir, s’il y en a un, nous sera donné par surcroît.


Pour la bonne bouche voici une citation de Weil contenue dans le texte
« Il serait vain de se détourner du passé pour ne penser qu’à l’avenir. C’est une illusion dangereuse de croire qu’il y ait même là une possibilité. L’opposition entre l’avenir et le passé est absurde. L’avenir ne nous apporte rien, ne nous donne rien ; c’est nous qui pour le construire devons tout lui donner, lui donner notre vie elle-même. Mais pour donner il faut posséder, et nous ne possédons d’autre vie, d’autre sève, que les trésors hérités du passé et digérés, assimilés, recréés par nous. De tous les besoins de l’âme humaine, il n’y en a pas de plus vital que le passé. »


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire