Olivier Rey - Après la Chute
Père Thierry-Dominique Humbrecht - Charlotte ou le pont des Arts.
J'ai dévoré deux romans, dernièrement, ils ont quelques points communs. L'un suit une femme, le second porte un prénom féminin comme titre et en fait un synonyme de la grâce. Malgré leurs grandes différences, ils approchent du thème de l'individu mais en le prenant par un sens opposé tout en se retrouvant à la conclusion, il me semble. Que cette note vous soit une invitation àles lire.
Le premier (Après la chute, d'Olivier Rey) suit une jeune femme prénommée Alix durant presque deux ans. Nous la voyons relire son journal intime de ses 16ans et la voyons vivre la vie d'une jeune femme, thésarde en histoire (les ducs d'Orléans au 15eme siècle...), membre de la classe moyenne bourgeoise, vivant en concubinage avec un beau et brillant centralien. Nous suivons à travers elle et son monologue, ses tristesses, ses lucidités. Olivier Rey témoigne d'une réalité qui se fissure devant nous, ou comment une jeune fille lutte avec les illusions et la fragilité du socle sur lequel est bâti sa perception du monde. Tout est fragile.
Elle tombe en dépression, sa thèse est inutile, son couple perd son sens, elle est possédée par le frère jumeau disparu de son compagnon, sa famille lui devient anodine, la sexualité idiote. Cela n'est pas crié, cela est montré calmement, elle ne s'en rend pas compte à proprement parlé...
Le livre devient une plongé dans un labyrinthe où il n'y aurait pas de centre... La quête d'Alix frôle une folie où nous sommes embarqués malgré nous, partagés que nous sommes entre le bien fondé de sa remise en cause que par la fragilité de sa méthode.
Le livre nous emmène au bord de la folie. Une folie douce qui rencontre consolation et empathie dans son entourage mais où ne voyons pas de sortie.
Si ce n'est le questionnement sur un monde moderne qui ne sait pas lui, non plus, où il nous conduit. L'auteur nous montre une voie en nous faisant suivre Alix. Elle va jusqu'au bout de son malheur, des contradictions qu'elle avoue et jusqu'au bout du mystère des frères ennemis, elle relit la chute de sa biographie pour comprendre les malheurs du monde, elle tâtonne, se trompe mais a raison... Il faut revenir par une compréhension intime du péché originel pour comprendre notre monde moderne, le supporter et l'aimer... ou pas...
Le second livre est très différent. Si après la chute est un roman moderne concentré sur une personne, le second est un roman chorale qui fait penser à une petite comédie humaine, tout est foisonnant, nous suivons des personnages divers représentant une société intellectuelle, artistique et médiatique parisienne.
Mais au cœur du livre se trouve la relation entre Julien Royaumont et Charlotte Andilly. Ils sont tous les deux étudiants en lettres - philosophie, brillants, biens de leur personne, catholiques mais non ostentatoire. Remplis d'ami brillants eux aussi, de parents prévenants, de sœurs adorables et piquantes ou artistes. Ils ont 22 ans et leur arrive l'age des décisions, des préférences.
Le livre commence par une très belle déclaration d'amour de Julien à Charlotte sur le pont des arts. Elle prend un peu de distance. Tout le roman sera rythmé par les aventures des deux héros pour se reconnaître, affronter leur environnement, développer leurs talents et surtout être de bons élèves (blessés et humbles ) dans l'art d'aimer et d'être aimé.
Il faudrait parler de Fiacre Johanne, brillant journaliste qui réalisera une percée médiatique, d'un éditeur subtil, d'un académicien brillant, charmeur et vain, d'un ministre ridicule et cynique, des deux directeurs de la publication des deux plus grands journaux français. Nous rencontrerons un couple de vieux universitaires gauchistes français, un chef d'orchestre autrichien. Nous reprenons un grand plaisir à retrouver chacun des personnages à les voir échanger, discuter sur l'art du roman, celui la même qui se déroule sous nos yeux. De discuter de la philosophie contemporaine, de l'amour, des relations humaines, blaguer, badiner, se tromper, se frotter, s'émerveiller.
J'ai lu ce livre avec bonheur. Il se dévore, tous les personnages sont (presque) sauvable. Les discussions, même si elles ressemblent au dialogue que l'auteur peut avoir avec lui-même, sont superbes. Les situations parlent de la possibilité d'amitié véritable, de don, de travail d'amélioration, de pardon, d'amour possible. Qu'il est rare de voir une fiction où les personnages ont tous leur part positive, la travaillent, la questionnent, portent des fruits.
Le livre devient une grande et belle méditation sur l'art du roman (mise en abyme permanente...), l'art du verbe, de la musique, du théâtre, mais surtout de l'art d'aimer et d'être aimé. La sagesse du livre est étonnante, elle prend peut être une trop grande part dans les dialogues mais elle montre qu'elle est une quête, un combat, tous les personnages sont ambivalents. (sauf peut être Salomé et Absalom... figure symbolique de mal...). Ce livre propose aussi un cours philosophique incarné.
Incarné ? oui, c'est le maître mot de la sagesse. Comme les personnages du roman cherchent leur incarnation de leur personnage qu'il créée, l'auteur du livre tente de créer des personnages incarnées tout comme il nous invite à trouver notre propre incarnation comme celui qui fut lui même le Verbe incarné.
C'est aussi pour cela que les grands moments du livres se trouvent sur le pont des Arts où médite l'auteur. Notre société ne nous permet plus de reconnaître le reflet de la réalité... Retrouvons la réalité. N'avais je pas le cœur brulant après avoir dévoré ce livre ?
Comme Alix, comme Charlotte, retrouvons notre incarnation.